Les engagements de Mélenchon

Les communistes ont fait samedi le choix que leur dictait la raison. En adoubant Jean-Luc Mélenchon, ils ont placé sur orbite le meilleur candidat pour la mouvance à laquelle ils appartiennent. Ce n’est pas là un jugement de valeur désobligeant pour ses concurrents, c’est prendre acte d’une réalité : Mélenchon est celui qui a su entrer dans cet univers médiatique hors duquel rien ne sera possible tant que l’élection présidentielle occupera la place délirante que lui confèrent les institutions de la Ve République. On peut toujours rêver d’une « dépersonnalisation » du débat politique, ce n’est manifestement pas pour demain. À partir de ce constat, deux attitudes sont possibles. On peut se retirer sur son Aventin en refusant la moindre concession au système, et en pariant sur le fait que, de toute façon, ce n’est pas dans cette compétition électorale que se joue le destin des peuples. C’est, semble-t-il, l’option majoritaire au sein du NPA.

L’influence des révolutions arabes et,?en Europe, le mouvement des « indignés » donnent à ce discours une certaine crédibilité. L’autre attitude est celle d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Le parti écologiste a choisi des personnalités d’abord connues pour être médiatiques avant d’être politiques. Pour résumer : Nicolas Hulot se politise quand Jean-Luc Mélenchon se médiatise. Chacun se hasardant sur le chemin qui n’est pas naturellement le sien. Quand on est de gauche et qu’on n’est pas, comme Hulot, enfant du système, il faut pour parvenir jusqu’aux plateaux de télévision jouer un jeu dangereux en territoire souvent hostile.

Jusqu’à maintenant, Mélenchon s’est plutôt bien sorti de ce piège. Il a parfois trébuché — et nous l’avons dit sans aménité —, il lui est arrivé aussi d’abuser des coups de gueule et des provocations. Ce qui lui a valu d’être affublé par certains de cette stupide épithète de populiste. Mais il a finalement acquis une position à partir de laquelle il peut aujourd’hui faire entendre un discours social peu audible dans les grands médias. C’est de cette réalité que les militants communistes ont pris acte samedi. Aujourd’hui, tout commence. Mélenchon défend des valeurs sociales que nous partageons, comme en témoigne son analyse de la crise grecque. Mais, avec lui, nous avons eu aussi (ou nous avons encore) de nombreux désaccords sur des sujets qui nous inscrivent davantage dans le voisinage d’EELV : l’écologie, c’est une évidence, mais aussi une vision trop dogmatique de la « république » et de la sacro-sainte laïcité dont l’invocation intempestive peut être entendue comme une difficulté à admettre la diversité de notre peuple. Un verbe suranné aussi (Ah « la main de fer » exaltée dimanche soir à la télévision !). Ce qui cependant atteste une évolution positive, c’est la pluralité des courants du Front de gauche, dont certains émettent les mêmes critiques que nous. L’homme est ce qu’il est, mais il a su s’entourer de personnalités venues d’autres horizons politiques. On pense notamment à Martine Billard, qui vient des Verts. Enfin, Mélenchon lève dans l’entretien que nous publions deux hypothèques qui risquaient de peser lourdement sur sa campagne. Même s’il réalise un bon score — « à deux chiffres », comme il l’espère —, il n’utilisera pas sa position pour négocier un maroquin ministériel.

Quoi qu’il arrive, il n’ira pas dans un gouvernement socialiste.?Le Front de gauche se projette donc au-delà de la seule échéance présidentielle. L’autre hypothèque concerne l’avant premier tour. Mélenchon ne cédera pas à la pression du « vote utile », ni au spectre d’un nouveau « 21-Avril ». C’est aussi la question que lui pose Myriam Martin, figure montante du NPA. Ce qui le situe aux antipodes de la démarche préconisée par Daniel Cohn-Bendit. Ceux qui portent un jugement définitif sur le Parti socialiste trouveront là des motifs de satisfaction. Ce débat n’est évidemment pas clos. Les campagnes que mèneront les socialistes et les écologistes fourniront d’autres éléments d’appréciation. Mélenchon est convaincu que les socialistes français, quel que soit leur candidat, ne feront pas une autre politique que celle de Papandréou en Grèce et de Zapatero en Espagne. C’est-à-dire celle d’une alternance qui n’est jamais une alternative au néolibéralisme. Les discours et les programmes semblent pour l’instant lui donner raison. C’est une façon de retourner en direction des socialistes la question du 21-Avril : à eux d’apporter la preuve que Mélenchon se trompe, et que leur candidat romprait avec une politique de soumission au FMI, et avec celle des socialistes européens au pouvoir actuellement.

Nous avons nous aussi notre idée sur la question. Un « préjugé » instruit par l’histoire (au passage, la fidélité toujours proclamée à François Mitterrand, qui fut l’homme du ralliement au néolibéralisme, reste comme une contradiction dans le discours de Mélenchon). Cela ne nous empêchera pas d’observer les évolutions qui peuvent intervenir au cours de la campagne. Car il y a un paramètre que nous n’oublions jamais et qui peut réchauffer les discours les plus tièdes. C’est évidemment la crise, et la pression qu’un vaste mouvement social peut exercer demain sur les dirigeants européens. Autrement dit, ce que nous avons entendu de la bouche de Mélenchon et des dirigeants communistes est bon à entendre. Mais l’histoire réelle est encore à écrire. Et elle s’écrira dans une situation que tout le monde ignore.

Denis Sieffert (Politis)

Voir aussi : Rubrique Politique Mélenchon pour un Front de gauche des quartiers populaires,

Israël politique : L’homme qui gêne

Par Denis Sieffert

Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable
futur Premier ministre n’est pas arithmétique. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement.

 

Avigdor Lieberman

L’humour, entre autres vertus, sert parfois à dire l’indicible. Rompu à la realpolitik, le négociateur palestinien Saëb Erekat s’est récemment interrogé sur l’attitude que la communauté internationale adopterait à l’encontre d’un gouvernement israélien comprenant dans ses rangs l’extrémiste Avigdor Lieberman. « L’Europe et les États-Unis ont boycotté un gouvernement palestinien où siégeaient des ministres du Hamas, nul doute qu’une décision semblable sera prise avec le prochain gouvernement israélien », a-t-il dit en substance. On objectera que ce propos ne devrait pas prêter à sourire.

D’abord, parce que le personnage en question, qui veut des états juif et arabe ethniquement purs, et qui promet à Gaza le sort d’Hiroshima, n’ incite guère à la plaisanterie ; ensuite, parce que la pression de la communauté internationale devrait en effet s’exercer sur les deux parties au conflit. Mais ce n’est, hélas, que de l’humour, parce que personne n’y croit. Tout le monde sait que ce M. Lieberman, une fois installé dans son ministère, serrera les mains de nos ministres et autres dirigeants occidentaux qui lui conféreront une honorabilité rien de moins qu’usurpée. Il n’empêche que la présence de cet ultra dans le futur gouvernement de Benyamin Netanyahou est embarrassante pour tout le monde.

Elle l’est parce qu’elle prend à contre-pied la diplomatie que l’on prête à Barack Obama (que l’on « prête », parce que, pour l’instant, on ne l’a pas encore trop vue). Elle l’est parce qu’elle dit la vérité de ce gouvernement, et la vérité de la classe politique israélienne.

Même Benyamin Netanyahou entrevoit les inconvénients de la cohabitation avec ce personnage. C’est la raison pour laquelle, le chef de file du Likoud faisait le forcing au cours de ces derniers jours pour convaincre au minimum Tzipi Livni, leader du parti centriste Kadima, et si possible le travailliste Ehoud Barak, de former avec lui une coalition. Qu’on ne se méprenne pas : cela ne changerait pas grand-chose à la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens. Faut-il le rappeler, ce n’est pas Avigdor Lieberman qui a bombardé Gaza et tué mille trois cents personnes. Dans cette tragédie, Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, et Ehoud Barak, ministre de la Défense, ont des responsabilités autrement accablantes. Netanyahou ne se soucie dans cette affaire que de son image et de celle de son pays, déjà sérieusement écornée aux yeux du monde.

Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable futur Premier ministre n’est pas arithmétique. La droite, l’extrême droite et les partis religieux disposeraient à eux seuls de 65 sièges sur les 120 de la Knesset. On a déjà connu majorité plus fragile. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement. Après avoir eu un discours ultra- droitier et avoir tiré vers l’extrême droite toute la vie politique israélienne, les principaux responsables de ce déplacement font tout pour masquer la réalité.

Pour mesurer ce déplacement,il suffit de se souvenir que Mme Livni, qui fait
aujourd’hui figure de centriste, et presque de caution morale, est l’héritière politique d’Ariel Sharon, l’homme qui en 2002 était considéré comme le partisan des solutions les plus radicales, d’ailleurs en partie mises en œuvre à Jénine et à Naplouse. Quant aux travaillistes, ils se sont fondus dans la droite depuis février 2001, et n’ont plus guère d’expression autonome. « À quoi servent-ils ? », s’interrogeait la semaine dernière dans nos colonnes l’historien Zeev Sternhell, suggérant la plus pathétique des réponses.

Comme toujours (ou comme souvent) dans ce pays, les politiques instrumentalisent la peur. Une peur qu’ils font naître, qu’ils cultivent et qu’ils
répandent. La technique est connue. Il s’agit de renvoyer l’ennemi palestinien à ce qu’il a de pire. On assimile les Palestiniens au Hamas, et le Hamas à sa charte de 1988 et à Al-Qaïda. Il s’agit de figer les mouvements dans leur passé,
dans leurs proclamations les plus bellicistes, et de dissimuler ou de nier tout ce qui procède d’une évolution politique. À toute force, il faut masquer à l’opinion israélienne les signes de politisation du Hamas, son adhésion au plan de paix arabe qui suppose le retour aux frontières de 1967, c’est-à-dire une reconnaissance implicite d’Israël. Vingt ans après l’offensive diplomatique de Yasser Arafat et la « politisation » de l’OLP, Israël rejoue le même scénario.

Le Hamas n’étant pas assez crédible dans le rôle de la menace existentielle, il faut évidemment le réduire à un bras armé de l’Iran. Ce qui revient également à nier la véritable implantation, tout à fait « palestinienne », du Hamas, et l’importance de la dégradation des conditions de vie des Gazaouis dans la montée du Hamas. Des conditions de vie sur lesquelles Israël conserve un pouvoir total. Le tout ayant pour seule finalité de gagner du temps pour poursuivre la colonisation de la Cisjordanie, et continuer de pourrir une société palestinienne toujours sous le joug (1).

Politis

(1) En témoignent les règlements de comptes auxquels se livrent actuellement des hommes de main du Hamas dans ce qui rappelle chez nous l’épuration à la Libération. Ces événements sordides peuvent être analysés comme le produit
de la nature intrinsèque du Hamas. Ils peuvent aussi être comparés, hélas, à toutes les situations d’après-guerre.

Voir aussi : Rubrique Israël, rubrique Palestine,