Le chancelier autrichien conservateur Sebastian Kurz et Emmanuel Macron à Bruxelles, le 28 juin. © Reuters
Les dirigeants de l’UE ont salué de concert l’accord sur les questions migratoires, entériné le 29 juin à Bruxelles. Sans régler la crise qui déchire l’Europe, les compromis trouvés pour la forme épousent sur le fond l’agenda des extrêmes droites européennes. Les autres dossiers, notamment celui du budget de la zone euro cher à Emmanuel Macron, ont quant à eux été relégués au second plan.
Bruxelles (Belgique), envoyée spéciale.– En apparence, chacun y a trouvé son compte. Et c’est précisément ce qu’Emmanuel Macron souhaitait : sauver les apparences. Vendredi 29 juin, au petit matin, le président de la République est sorti satisfait des neuf heures de négociation qui ont permis aux dirigeants européens de trouver un accord sur les questions migratoires. « Nombre de commentateurs prédisaient l’absence d’accord et la rupture. Nous avons montré hier qu’un accord était possible », s’est-il félicité, évoquant une « vraie satisfaction » et même une « victoire ».
« L’Italie n’est plus seule, l’Europe sera plus solidaire », s’est également réjoui le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, qui avait menacé la veille de bloquer les conclusions du Conseil européen si des « actes concrets » n’y étaient pas entérinés. « L’Italie n’a plus besoin de mots ni de déclarations », avait-il expliqué à son arrivée dans la capitale belge. Ce sont pourtant bien des mots et non des actes concrets qui ont été approuvés par les 28 le lendemain. Des mots qui ont permis à chacun de rentrer dans son pays en donnant le sentiment du devoir accompli, mais qui ne règlent rien sur le fond de la crise qui déchire l’Union européenne (UE) à moins d’un an de ses élections.
Cette crise, que l’Élysée qualifie de « crispation politique », n’a rien à voir avec la crise migratoire de 2015. « Le nombre de franchissements illégaux des frontières de l’UE détectés a été réduit de 95 % par rapport au pic qu’il avait atteint en octobre 2015 », indique d’ailleurs le Conseil dans ses conclusions. C’est donc un problème qui n’en est pas vraiment un qui a absorbé les dirigeants européens pendant toute une nuit, les contraignant à trouver des solutions qui, en toute logique, n’en sont pas non plus.
En refusant d’accueillir l’Aquarius dans l’un de ses ports il y a quinze jours, l’extrême droite italienne du ministre de l’intérieur Matteo Salvini a en réalité réussi à imposer son agenda au reste de l’Europe. « Finalement, l’Europe a été obligée d’accepter la discussion sur une proposition italienne », s’est enorgueilli le chef de file de la Ligue, avant d’annoncer que les ports de son pays seraient fermés « tout l’été » aux ONG qui secourent des migrants en Méditerranée.
Tous les autres dossiers, à commencer par celui du budget de la zone euro qu’Emmanuel Macron espérait porter, ont ainsi été relégués au second plan. Le président de la République a eu beau introduire sa conférence de presse finale en expliquant que les deux jours de travail à Bruxelles avaient aussi permis d’avancer « sur de nombreux sujets, que la France a portés sur l’agenda européen », notamment en matière de défense et de commerce, rien n’y a fait. Le bilan de ce Conseil est limpide : la France, qui se voulait leader sur la scène européenne, a perdu la main.
Ce devait être le grand rendez-vous du chef de l’État. Celui durant lequel il devait convaincre les autres dirigeants de l’UE de se rallier à son projet de refondation européenne, présenté à la Sorbonne en septembre 2017. Or la crise politique des quinze derniers jours l’a non seulement contraint à revoir ses ambitions à la baisse, mais elle a également révélé son isolement.
Pendant des mois, l’exécutif français s’était résigné au statu quo, en attendant la réélection d’Angela Merkel, puis la formation complexe de sa coalition. Dans le même temps, il justifiait son agenda intérieur, expliquant que les réformes économiques et sociales lancées depuis le début du quinquennat permettraient de peser sur les négociations européennes le moment venu. Ce moment est encore repoussé à la fin de l’année 2018.
Sur la question qui a occupé l’essentiel des discussions, Emmanuel Macron a toutefois tenté d’apparaître comme l’homme de la situation, le pivot central d’une Europe qui n’en finit plus de se replier, le maillon incontournable d’une chaîne de plus en plus fragile. Alimentant les réseaux sociaux de photos et de vidéos le montrant en pleine conversation avec les uns et les autres, il s’est, selon les mots de l’un de ses conseillers, « énormément engagé » pour obtenir un compromis sur les questions migratoires.
« Nous avons un accord et c’est en soi une bonne nouvelle », soufflait un diplomate français à l’issue de la réunion. Comme si le document en tant que tel avait plus d’importance que son contenu. Le président de la République lui-même n’a pas caché la faiblesse du compromis obtenu. « Cet accord est un accord pour construire, il ne règle en rien à lui seul la crise que nous vivons et qui a des composantes largement politiques, mais il permet de répondre, de continuer à répondre en actes à la crise que nous vivons », a-t-il reconnu, avant d’en minimiser plus encore la portée : « Je ne suis pas en train de dire aujourd’hui que la France a gagné, c’est l’Union européenne qui a gagné un peu ou qui a évité de perdre. »
Convaincu que « le choix de la coopération, d’un travail européen » l’a emporté sur celui « de politiques nationales et de replis nationalistes », le chef de l’État a estimé que l’UE n’avait « pas cédé à la fascination du pire ». Les conclusions floues du Conseil révèlent pourtant son incapacité à faire valoir la stratégie européenne qu’il défend depuis la campagne de 2017, face aux réalités politiques qui traversent l’Italie, la Hongrie, l’Autriche, mais aussi l’Allemagne, où Angela Merkel est mise sous pression par son ministre de l’intérieur Horst Seehofer, leader de la CSU bavaroise.
Car si un accord a été trouvé sur la forme, il épouse sur le fond l’agenda des extrêmes droites européennes. L’une des mesures phares adoptées vendredi par les 28, à savoir la mise en place de « centres contrôlés » pour les migrants secourus dans les eaux de l’UE, en est la démonstration parfaite. Copie des « hotspots » existants, ces nouvelles structures sont censées être créées « sur une base volontaire », mais aucun dirigeant européen ne s’est aujourd’hui clairement engagé à en accueillir. De même, les pays d’Europe de l’Est du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), hostiles à l’accueil de migrants sur leur territoire, ont obtenu l’abandon du projet de quotas obligatoires pour la répartition des réfugiés au sein des États membres.
S’il continue de plaider en faveur d’« une Europe à la hauteur de son histoire et de ses valeurs », Emmanuel Macron ne fait rien d’autre que de suivre le mouvement. Sur la scène européenne d’abord, en cédant à l’agenda populiste ; mais aussi en France, où il fait voter la loi asile et immigration, refuse d’accueillir l’Aquarius, exclut l’idée de mettre en place des « centres contrôlés » et s’en prend vertement aux « donneurs de leçons » qui s’aventurent à lui rappeler son « humanisme » de campagne. « Une “solution européenne” qui s’aligne sur les positions les plus rétrogrades de l’Italie de Matteo Salvini, de la Hongrie. Comment s’en féliciter M. Emmanuel Macron ? interroge Médecins du monde sur Twitter. Vers la fin d’une certaine idée de l’Union européenne basée sur la solidarité. »
L’exécutif français n’a cure de ce type de critiques. Les futures échéances électorales en ligne de mire, l’Élysée rappelle qu’à la présidentielle de 2017, « presque 50 % des gens ont voté pour des candidats anti-européens ». Et qu’il ne faut, dès lors, faire preuve d’aucune « naïveté », y compris au niveau national. La situation est telle, souligne un diplomate français, qu’elle justifierait davantage encore qu’il y a un an « l’agenda ambitieux de réformes européennes proposées par le président de la République ». Et désormais méprisé par la majorité des autres dirigeants.
Ellen Salvi
Source Médiapart 30/06/2018