Hooman Sharifi. Souffle hypnotique d’un sacrifice libérateur

HOOMAN_SHARIFI_EVERY_ORDER_EVENTUALLY_LOOSES_ITS_TERROR_(C)_IMPURE_COMPANY_HOOMAN_SHARIFICréation. Every order enventually looses its terror de Hooman Sharifi. Le fil ondoyant d’une transcendance de la libération de l’individu à l’amour…

A travers les gouttes qui tombent par intermittence, entre les larmes des hommes et des femmes se donne la performance de Hooman Sharifi Every order enventually looses its terror ( tout ordre perd finalement de sa terreur) une création concoctée en résidence à l’Agora cet hiver. La pièce aborde les thèmes du sacrifice de soi, des rituels de deuil et de l’amour.

 » Ce n’est pas la première fois que je travaille sur le sacrifice , explique le chorégraphe d’origine iranienne qui vit à Oslo, avec ce travail nous avons approchés la notion des rituels mais nous nous sommes très vite aperçus que cela serait très long, alors nous avons opté pour une appropriation. Avec cette pièce, nous créons en quelque sorte notre propre rituel. »

Sur le plateau, les quatre danseurs sont accompagnés de deux musiciens, percussions et tanbûr iraniens. La pièce démarre dans un noir rythmé qui converge vers le corps des quatre danseurs. Individus singuliers en action, comme en lutte avec leur propre souffrance et pris dans le mouvement centrifuge d’un grand tout.

Ici le rite s’émancipe des représentations du progrès  qui le relaie un peu rapidement aux pratiques d’un autre âge. Le rite nous relie à notre humaine condition, autrement dit à  la liberté. C’est la voie qui nous permet d’y parvenir que semble nous indiquer Hooman Sharifi. Son travail ne s’inscrit pas dans une critique directe de l’ordre social, politique ou religieux. Il prend la distance nécessaire avec les systèmes et du même coup redonne du pouvoir à l’humain, notamment celui d’entrer en relation avec l’autre.

Le rituel du deuil iranien appelé Ashura, jour où les chiites commémorent le martyre du petit-fils du prophète, a servi d’inspiration à la performance qui transcende la dimension religieuse en conservant le caractère collectif.  » Ce rituel étonnant a marqué mon enfance, C’est ma première performance, si nous pouvions mettre la religion en dehors de ça, ce serait une superbe activité pour la société, veiller et faire publiquement un deuil ensemble.« 

Dans la pièce les danseurs se faufilent. Entre le tapis d’or et la rudesse des pierres. le rapport à l’espace se joue dans une conscience corporelle personnelle et collective aigüe. Il agissent, souffrent et vivent. Traversent le sacrifice et le deuil pour aborder la notion d’amour.

«  Il n’y a pas une grande différence entre la politique et l’amour, souligne Hooman Sharifi, ni entre l’art et la politique. Avec cette pièce, on fait de la politique interne. On réduit la hiérarchie pour reconstruire. » C’est dire si  cette pièce nous libère.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise le 27/06/2014

(A sa parution cet article a subi des coupes malheureuses)

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Marlene Monteiro Freitas. La relation présente des statues prêtent à exploser

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« Les danseurs sont à la fois moteurs et éléments de la scénographie.» Photo dr

 

Montpellier Danse. D’ivoire et de chair – les statues souffrent aussi, Marlene Monteiro Freitas fige son expressivité pour mieux la dépasser. Chaud devant…

D’origine capverdienne, Marlène Monteiro Freitas a suivi des cours à l’Ecole supérieure de danse à Lisbonne. Elle a ensuite poursuivi son apprentissage à l’école P.A.R.T.S., à Bruxelles. Elle a été interprète pour divers chorégraphes, tels Emmanuelle Huynh, Loïc Touzé, Boris Charmatz. Performeuse singulière, elle appartient au collectif lisboète Bomba Suicida, et crée depuis 2006 des œuvres dont le dénominateur commun est l’ouverture, l’impureté et l’intensité. Marlène Monteiro Freitas ne cesse de jouer sur l’étrangeté. Elle vient de présenter au Théâtre de La Vignette D’ivoire et chair – les statues souffrent aussi pièce pour quatre danseurs et trois percussionnistes interprètes, s’inspirant des mythes d’Orphée et de Pygmalion ainsi que du film Les statues meurent aussi d’Alain Resnais et Christ Marker.

Marlène Monteiro Freitas fait partie des êtres dotés d’une énergie primaire renouvelable à toute épreuve, toujours à la recherche de nouveaux défis. L’idée pourrait lui être venue avec cette création de la contenir, mais c’est un peu comme si l’on demandait à Sid Vicious de retrouver la petite boîte contenant ses dents de lait. « Au départ il y avait l’idée d’immobilité et celle de l’animation, de la construction et de la déconstruction. Travailler sur l’immobilité ne veut pas dire que les performers sont immobiles », explique la chorégraphe. Avec les statues s’ajoute l’idée de pétrification, la plus étrangère au mouvement. Et serait-ce par goût du désordre si la pièce se déroule à l’occasion d’un bal ? « Le bal appelle aux mouvements, les statues à la fixité. A partir de là nous avions les tensions  nécessaires pour le départ. »

Sur scène débute le bal des automates aux expressions figées et déformées. La gestuelle précise se déploie comme une mécanique, dans un espace géométrique parfaitement balisé. Parfois la machine se bloque soulignant le grotesque des situations puis redémarre. On est captivé par l’énergie interne contenue qui cumule la force de la machine et la sauvagerie humaine de l’émotion cadenacée. « Quoi que je fasse, je suis du côté des affects. Le déplacement des intensités m’intéresse. Dans cette pièce il y a une intensification de ce qui n’est pas et une désentification de ce qui pourrait être. Le choc entre les idées déclenche de l’émotion. » La pièce comporte des passages chantés, moments de haute intensité liés à l’effet vibratoire. Les danseurs dansent, souffrent, attendent aussi par leurs yeux. Les corps contraints ruminent, patientent, fissurent et s’émancipent de leur socle pour faire la bombe…

Jean-Marie Dinh

Source L’Hérault du Jour 05/07/2014

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Montpellier Danse. Saisir le corps sous d’autres coutures

Création. Avec « Les Oiseaux » de Nacera Belaza et « Nou » de Matthieu Hocquemiller le festival explore de nouvelles formes.

Nacera Belaza

Nacera Belaza

Grand chantier ouvert à la création, comme chaque année, le festival Montpellier Danse accorde une place non négligeable aux chorégraphes en quête de nouvelles formes. On a pu voir dans ce registre la création perturbatrice Les Oiseaux de Nacera Belaza dont la pratique introspective nous rend complice d’une écoute intérieure qui ne cherche pas à démontrer ou à éblouir tout au contraire. « En cherchant à répéter la même action, on se rend compte qu’il est impossible de se répéter car répéter revient à aller plus loin en soi. » La pièce qui se tient dans une certaine pénombre laisse le souvenir d’un moment partagé avec deux oiseaux sur la branche d’un arbre avant l’aurore. Elle propose aussi une ouverture sur un bouleversement nécessaire qui enrichit la programmation.

« Nou » de Hocquemiller

Nou de Matthieu Hocquemiller

Nou de Matthieu Hocquemiller

Dans un tout autre registre la création nou de Matthieu Hocquemiller apparaît également dans le volet des controverses fructueuses qui va chercher sa pertinence dans la confrontation du vocabulaire corporel de la danse et celui du sexe. A la recherche d’un imaginaire nouveaux le chorégraphe « met en concurrence » des travailleurs du sexe avec les danseurs afin d’investir d’autres usages du corps. Les interprètes explorent leur corps dans les moindres recoins. Le sexe soleil de la création s’expose et nous éblouit mais l’astre de lumière éclaire d’autres aspects qui déplacent notre regard et transforment du coup notre mode de perception souvent stéréotypé à l’égard de la sexualité. Mark Tompkins ou Pascal Rambert s’étaient déjà attaqués au sujet sous d’autres angles.

Hocquemiller use de l’humour, qui se révèle un antidote efficace à la vulgarité. Il affirme aussi un acte politique. La mise en débat de la sexualité et du porno dans la sphère publique permet de couper court à certains comportements exclusivement réservés à la sphère privée qui bénéficie d’une forme d’immunité morale.

JMDH

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Montpellier Danse. De la maîtrise du discours à l’art du langage…

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L’avant-gardiste McGregor met évidence l’intelligence et la perception du corps . Photo dr

Montpellier Danse. Deux créations données au Corum : Sidi Larbi Cherkaoui & Yabin Wang pour Genesis  et Wayne McGregor pour Atomos .

La rencontre du chorégraphe belge d’origine marocaine Sidi Larbi Cherkaoui et de Yabin Wang, chorégraphe chinoise connue en occident pour avoir dansé dans le film de Zhang Yimou, Le secret des poignards volants, aboutit à la création Genesis présentée au Corum vendredi et samedi dernier. Souvent le fruit des rencontres interculturelles vise une inscription dans le registre universel. Il est question en l’occurrence, des origines et du rapport à la science.

La pièce spectaculaire débute par une habile scénographie qui ouvre de belles pistes de regard sur les danseurs en éprouvette. Les mouvements se libèrent avec une belle virtuosité gestuelle. Mais l’omniprésence des musiciens compartimentés en arrière scène, le discours de la Génèse en voix off et la recherche permanente d’effets visuels avec boules de cristal et chevelure dans la lumière, prennent rapidement le pas sur la danse. La confrontation entre les cultures disparaît pour ne laisser qu’une surface consensuelle où l’effort de lisibilité devient manipulation. On entre dans l’esprit kermesse, un peu comme à la télé quand la volonté de fédérer frise le populisme.

Atomos
Sur la même scène cette semaine, le chorégraphe britannique Wayne McGregor, résident au royal Ballet depuis 2006, a présenté sa création Atomos. Une entreprise esthétique qui vise à dire le monde, en tant qu’espace commun partagé. Dans cette pièce, McGregor interroge les liens entre individus et groupe à partir du corps. Une ambitieuse orchestration qui s’organise en séquences de mouvements. Dans une précise partition, les danseurs semblent conduits par une énergie vibratoire qui ne se limite pas aux frontières du plateau.

L’écriture des gestes, la composition des mouvements qui se répondent sont directement liés à l’environnement visuel et sonore. La pièce débute dans une origine brumeuse où les corps se déploient librement. Elle évolue de manière constante faisant échos à la transformation inaltérable des sociétés humaines.

Atomos affiche un certain optimisme. Si par moments le flux binaire de la machine codifie les mouvements et l’inflation d’informations tarie l’espace onirique, le corps parvient à trouver la brèche qui le sort de l’anesthésie des pixels

. McGregor s’intéresse à l’énergie transmise et aux circuits de détection. Il joue sur la densité spectrale du mouvement en fonction de la tension des polarisations, met en évidence les singularités et les dépendances. Les ajustements qui s’opèrent d’un corps à l’autre pour finalement modifier le groupe. Son travail artistique agit en profondeur et en interactions.Wayne McGregor nous invite à nous déplacer, à faire un pas.

On ne peut pas comparer l’utilisation du discours et l’art du langage.

Jean-Marie Dinh

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17e FIRN. Témoins du noir pour un jour sans crépuscule

 FIRN le rendez-vous des passionnés du roman noir à Frontignan (Archives). Photo David Maugendre


FIRN le rendez-vous des passionnés du roman noir à Frontignan (Archives).                    Photo David Maugendre

Festival international du roman noir. Allez allez, on sort du lit pour rejoindre la 17e édition du Firn qui bat son plein à Frontignan de 10h à 5h du matin.

Aujourd’hui s’ouvre à Frontignan le 17ème Firn (Festival international du roman noir). Une journée et une nuit de fête en dépit ou plutôt en honneur à Michel Gueorguieff, décédé en septembre dernier, qui laisse le festival orphelin de son père fondateur. A 11h30 aura lieu l’inauguration du passage Gueorguieff Square de la liberté. Le lieu est bien choisi même si l’âme du maître des passions noires s’est répandu bien au-delà du parc. A l’heure du festival, c’est toute la ville de 20 000 habitants qui est concernée. Si les co-organisateurs, l’association Soleil noir et la ville de Frontignan, présentent cette édition exceptionnelle – réduite à 24h – comme une année transitoire, ils sont déterminés, comme Soulages, à faire du noir de la lumière.

« C’est un hommage à Michel confie Martine Gonzalez, pour Soleil noir, cette édition nous permet de reprendre souffle avant de lancer un nouveau concept qui conserve les ingrédients essentiels du Firn, comme l’innovation, les thématiques et la volonté de rendre le roman noir accessible. »

Il a fallu faire des tentatives de définition pour aboutir à ce qui fait le génie et l’originalité de ce festival. On est revenu aux fondamentaux. Comme l’idée pas évidente que le livre est avant tout populaire. Que depuis sa création, le Firn n’a eu de cesse d’inventer de nouvelles formes de mise en scène de la parole. Que les déclinaisons en thématiques annuelles, – cette année c’est : Je n’oublie rien – permettaient de ne pas se noyer avec la cavalerie de l’actualité pour approfondir les oeuvres et sélectionner les auteurs. Et puis aussi qu’en cas de doute, le seul maître-mot restait : la rencontre, entre ceux qui écrivent des histoires, ceux qui les vivent, ceux qui les lisent. Le Firn c’est simple ou compliqué comme la vie des humains.

550 auteurs de polars, de BD, de cinéma, des éditeurs, des journalistes, tous ceux venus de tous les coins de la planète noire, qui se sont retrouvés à Frontignan depuis 1998, le savent. Ils ont participé à cette journée et seront là en chair et en os comme Fred Vargas ou virtuellement, comme James Lee Burke qu’Hubert Artus est allé interviewé spécialement aux USA. Dans cette édition où le high-tech côtoie tongs et parasols le Firn interroge la marchandisation de la culture, et redonne la parole aux lecteurs.

L’inspiration et la vitalité artistique insufflées dans le Firn semblent ne jamais pouvoir se tarir. C’est la force du roman noir que de poser un cadre exigeant dans lequel se trouve les clés qui nous permettent d’en sortir.

JMDH

Programme : www.polar-frontignan.org

Source : L’Hérault du Jour 28/06/2014
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