Optimisme et bonheur musical à l’honneur

La sincérité et l'inspiration de Waltraud Meier dans les leader de Strauss. Photo DR

Bien servi par l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la baguette de Eliahu Inbal, le programme de la soirée du 25 présentait une évidente cohérence. La concordance d’époque des œuvres présentées se mêlant à la diversité artistique des compositeurs au programme : Antonin Dvorak, Richard Strauss, Alexander von Zemlinsky. Ouverture plutôt joyeuse avec le Carnaval d’Antonin Dvorak. Bien que créée dans sa ville natale (en 1892 à Prague), l’œuvre semble colporter les fruits de son goût pour le voyage. Les effets harmoniques enrichis de rythmiques syncopées témoignent de la tentation cosmopolite du compositeur tchèque et de cette tendance à s’émanciper, avec l’impétuosité qui convient, du modèle européen.

Pas simple pour une diva wagnérienne telle que Waltraud Meier de demeurer humble et discrète comme elle a su le faire dans l’interprétation des quatre derniers leader de Richard Strauss. Composés en 1948, un an avant sa mort, Printemps, Septembre, L’heure du sommeil, et Soleil couchant, figurent par leur élégance et la noblesse de leur forme, au rang des chefs d’œuvre de la musique orchestrale.

L’œuvre de Richard Strauss émerge dans une période particulièrement tragique de l’histoire universelle (1864/1949). Par la maîtrise du coloris orchestral, le compositeur parvient avec ces leader, au juste équilibre qu’il n’eut de cesse de chercher entre le romantisme et l’idéal classique. Sans éclat, la voix limpide de la mezzo-soprano donne à découvrir la profonde unité sonore qui se joue avec l’orchestre. La sincérité et l’inspiration de Waltraud Meier nous offrant, dans le second leader, quelques instants d’éternité.

La seconde symphonie de Alexander von Zemlinsky (1871/1942) jouée pour la première fois en France devait conclure cette soirée. Autrichien d’origine polonaise Zemlinsky, conjugue les influences de Strauss et de Mahler. Après avoir dirigé l’opéra de Prague, il fuit L’Anschluss pour les Etats-Unis où il mourra méconnu. Œuvre de jeunesse, la partition de sa symphonie n° 2, présente une belle intensité expressive qui trouve toute sa consistance dans le quatrième mouvement. Tout en restant un post-romantique, Zemlinsky assouplit les contraintes de l’harmonie, travail que radicalisera son élève Schönberg. L’Orchestre philharmonique de Radio France ne donne pas dans la puissance mais brosse un panorama fidèle et sensible des œuvres programmées.



Il a changé de monde et ouvert la béance du temps

Marhmoud Darwich photo DR

Lodève s’allume ce soir pour Mahmoud Darwich. Les sons et les paroles méditerranéennes qui circulent au festival nous l’ont appris, il y a dorénavant peu d’espaces de la vie qui ne trouvent une traduction poétique et peu d’espaces poétiques qui ne dénoncent l’influence de Mahmoud Darwich. Depuis son changement de monde, il est décédé l’année dernière, le poète palestinien ne cesse d’être célébré sans que l’on s’en lasse.

Le miracle est sans doute la réception de sa poésie ou le fait que Darwich ait pu imposer ses poèmes aux foules, en tant qu’artiste témoin, puis de poète national, et après s’être dégagé de la poésie immédiate, de figure universelle.

Atypique, il fait partie des écrivains palestiniens que l’on disait de l’intérieur. Mahmoud Darwich à vécu en Israël jusqu’en 1971. En prison, son geôlier était juif, la femme qui l’aimait aussi. Exigeant Darwich, qui de retour à Ramallah en 1995, après les accords d’Oslo, impose à un public de 5 000 personnes d’écouter ses nouveaux poèmes alors qu’on lui réclame d’anciens textes militants.

Dans l’esprit du poète, les bons et les mauvais peuvent se trouver dans tous les camps. Cette l’idée de ne pas déshumaniser l’ennemi ne le quitte pas. C’est une connaissance intime et une chose importante, comme l’émerveillement renouvelé que lui procure la richesse de la langue arabe. Darwich dont la limpidité et la notion populaire font le bois du festival des Voix de la Méditerranée.

Il est donné aux visiteurs de cette douzième édition de mesurer combien le contexte d’un combat politique ou le théâtre d’une guerre, ne sont pas sans incidence sur l’inspiration du poète. Mais il ne suffit pas d’écrire comme une mitraillette ou d’évoquer son propre brouillard dépressif pour faire de la poésie. Nasser Jamil Shaath, qui a grandi une pierre dans une main, une plume dans l’autre, en sait quelque chose. Très jeune, il a participé à la seconde Intifada. Il vit aujourd’hui au sud de Gaza
« pour témoigner de la réalité d’un peuple vivant sous l’occupation », et dit devoir se battre en permanence pour éviter que la guerre n’entre dans ses poèmes.

Le poème de Darwich offre un genre de lecture dont on se souvient à jamais : « … Et je suis l’un des rois de la fin. Je saute de ma Jument dans le dernier hiver. Je suis le dernier soupir de l’Arabe…» Avec l’effet pervers d’une grandeur parfois envahissante. Peut-être celle qui fait écrire au jeune poète égyptien Yasser Abdel-Latif : « Je voudrais avaler un dictionnaire de français pour en pleurer des larmes de mots, je voudrais avaler un parti communiste, je voudrais avaler La bibliothèque Mahmoud Darwich du Caire… Ou fait conclure une rencontre de Catherine Fahri par un sympathique et satisfaisant :  » Nous avons réussi à parler de la poésie palestinienne sans trop parler de Darwich et sans trop parler de la guerre… »

Derniers ouvrages parus en 2009, La trace du Papillon, Mahmoud Darwich Anthologie (1992-2005), double CD récital Odéon Théâtre de l’Europe (7 octobre 2007) aux éditions Actes Sud.

City maquette : La population danse sa ville

On est au coeur de l'humain et de l'invention, Photo Marc Coudrais

C’est un pari un peu fou. Montrer la ville, lui donner vie, à partir de ses habitants. La chorégraphe ouvre une pièce sur l’espace urbain comme on ouvrirait une boite d’allumettes pour disposer son contenu sur la scène. Mathilde Monnier propose un plateau tel le réalisateur pose son cadre. Un plan fixe dans lequel entrent et sortent les acteurs de la vie urbaine. Et les lignes que l’on pensait parallèles se croisent. Le recrutement des danseurs s’est opéré à l’école, au club sportif, ou à celui de l’Age d’or du coin. Les groupes amateurs ont travaillé séparément puis se sont retrouvés sans avoir une vision globale. Ils sont ensemble authentiques, responsables et singuliers. Sous nos yeux leurs parcours se rencontrent et se fondent comme des paysages.

Dépollué de l’artifice

Le résultat est étonnant. On reconnaît notre ville. Elle semble en même temps avoir changé, comme dépolluée de l’artifice. Les lois de la causalité marchande sont abolies. Les habitants ne courent plus pour faire leurs achats ou commercer. Ils ont oublié la politique. Ne cherchent plus à garer leur voiture. Ils rythment le temps de leurs mouvements, sans se soucier de leur apparence. Les défaillances sont permises. On est au cœur de l’humain et de l’invention. Hommes, femmes et enfants s’approprient l’espace répondant à l’harmonie naturelle du banc de poisson. Ils délimitent leur territoire à la craie, puis l’effacent, se battent et se réconcilient, donnent suite à leurs émotions, à leur désir d’évolution. Parfois la machine s’emballe les saisissant dans une force centrifuge, puis se relâche pour une nouvelle distribution.

L’approche quasi cinématographique associe le travail remarquable du compositeur contemporain Heiner Goebbels dont la musique contribue pleinement à l’esthétisme de la pièce. La bande son flirt entre la VO des films américains des année 40 et les comédies musicales des année 60 intègrant les mots de Paul Auster et du dramaturge Hener Müller.

Ensemble dans un même espace

Au carrefour des expressions artistiques la chorégraphe opère une conversion subtile dans le spectacle vivant. Mathilde Monnier s’affirme à travers le regard porté. On mesure la confiance transmise et ses conséquences, acte artistique et social sans que rien ne soit laissé au hasard. Le travail s’inscrit dans le sensible. Prenant le contre pied de la ville machine, du monstre qui dévore ses habitants. C’est l’anti Métropolis de Fritz Lang. On ne s’intéresse pas aux classes, ou à la hiérarchie du pouvoir, mais à l’humain, à sa dimension individuelle, aux conditions de l’altérité, à l’espace dans lequel il évolue. C’est aussi un regard civilisationnel. L’espace urbain se dessine à partir du corps et des groupes en mouvement. On comprend comment les villes se font à la manière d’une image qui apparaît en superposition sur une autre.


L’élégance engagée de Don Winslow

Don Winslow : « Je m

Ancien détective privé, Don Winslow figure parmi les grands auteurs de roman noir américain. Il était accueilli au FIRN pour la première fois cette année.

« Vous répondez au précepte « Ecrit à partir de ce que tu sais » et avez écrit un livre* de référence sur le monde de la drogue. D »où provenaient vos connaissances sur le sujet ?

J »ai grandi dans un quartier près de New York où il y avait énormément de drogue. Ca trafiquait et ça consommait partout. J »avais un ami proche qui se déplaçait tout le temps avec sa seringue. Plus tard, j »ai habité San Diego près du Mexique où les barons de la drogue utilisent les gangs de jeunes, de part et d »autre de la frontière, pour faire leur sale boulot. Le roman dont vous parlez, je l »ai écrit après que 19 hommes et femmes se soient fait massacrer pour une affaire de drogue dans un village près de chez moi.

Que vous évoque l »idée de frontière ?

Les frontières ne sont pas fixes. Lorsque vous avez d »un côté de la frontière une marchandise et que de l »autre côté de cette frontière, le prix de cette marchandise est multiplié par 100, le produit n »est plus la drogue mais la frontière qu »il faut traverser.

Vos personnages sont souvent borderline ?

Pour ce livre, un personnage principal ne pouvait à lui seul décrire l »univers complexe de la drogue. [Il montre une tasse de café sur la table]. C »est une banale tasse de café [la déplace au bord de la table en laissant une partie suspendue dans le vide]. Maintenant la situation est devenue intéressante…

On connaît les implications économiques et politiques du trafic de drogue, vous mettez aussi le doigt sur les implications sociales…

Plus j »ai exploré l »aspect social du phénomène, plus j »ai été attristé et plus ma colère à augmenté. J »ai même senti le poids de la responsabilité sur mes épaules. En tant que romancier, je devais parler de ce que je voyais. Ne le prenez pas pour vous, mais je crois qu »un romancier est plus à même d »approcher certaines réalités qu »un journaliste. Le journaliste rend compte au lecteur qui lit une information. L »écrivain travaille sur la pensée intérieure de son lecteur. Il rend compte d »une situation qui le pousse à une réflexion.

Vous avez été détective, quelle différence faites-vous entre votre ancien travail et celui casino autorizzati de l »auteur, lorsque vous cherchez votre matière première ?

Il y a beaucoup de points communs dans les méthodes de recherche. On interroge les gens, on consulte les déclarations dans les dossiers judiciaires, les interrogatoires de police. Avec l »expérience, on développe un détecteur de connerie qui provient le plus souvent du pouvoir légal.

Concernant les problèmes de drogue, l »arrivée d »Obama est-elle porteuse d »espoir  ?

J »ai rarement désiré une chose si forte en matière politique que la victoire d »Obama. L »assassinat de Kennedy m »a brisé le cœur. J »ai eu très peur pour Obama. C »est un type vraiment intelligent qui avance pas à pas. On observe un début de changement dans la politique de lutte antidrogue qui, pour l »instant, réduit l »aide aux victimes à la portion congrue. Obama a écrit sur le fait qu »il avait consommé lui-même de la drogue. Ce qui était il y a peu une chose impensable. Malgré l »image qu »il donne, Obama est un homme qui garde la tête froide. Il pratique sa politique comme s »il jouait aux échecs. Il calcule et finit par réussir. Les républicains tentent de le diaboliser mais ils paniquent devant sa tactique progressive.

Sur quoi travaillez-vous ?

Comme beaucoup d »écrivains, j »alterne dans mes sujets les phases de restriction d »espace avec celles d »élargissement. J »ai fini un livre sur le monde du surf et je voudrais m »attaquer à un sujet beaucoup plus vaste sur les changements du langage. J »expérimente et transporte cela dans le roman noir autour de la question des mots, de leur tempo, de ce que disent les silences. Je m »intéresse au vide. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La griffe du chien éditions Fayard Noir


Plume regarde la lune !

L'atelier du peintre. Photo Yves Petit

Il convient d’évoquer ce spectacle sans en gâcher la mystérieuse magie. Bref, de ne rien en dire de concret, de descriptif et même d’élogieux. Il convient de faire cela parce que nous ne sommes pas en présence d’une œuvre figurative. Commencer par décrire la fin, la vrai fin, c’est-à-dire le noir, comme Soulage sait si bien le faire pourrait nous soulager (c’est facile, on vous l’accorde). Le noir donc, ce qu’il reste après la mort d’un grand artiste, pas Michael si vous voulez bien, disons Vincent, Vincent Van Gogh. Un type presque inconnu à sa mort qui annonce le fauvisme, l’expressionnisme voir le cubisme. Un type que l’on pourrait croiser en se promenant au bord d’un champ sans même l’apercevoir. Le noir dans lequel on se plonge parfois nous rend aveugle comme le soleil de midi. L’abondance de commentaires, d’avis éclairés sur une question cruciale aussi.

Mais revenons à notre artiste. Un homme étonnamment doué disparaît, dans le sens où il n’est plus là et ne reviendra pas, vous êtes face à la partie de son œuvre qui lui a survécu. Vous rencontrez son œuvre sans pouvoir le rencontrer lui personnellement. Vous êtes face à l’art. Il vous reste à en faire quelque chose. Vous situez ? Bon, on tient le bon bout là. Parce que c’est à peu près le propos de Bernard Kudlak quand il dit, à propos de L’atelier du peintre : « Nous pouvons ajouter nos images aux images », ça signifie nous sommes libres, alors profitons ensemble. Tout le monde : les artistes, les techniciens, les spectateurs et les autres. Qui sont les autres ? Cela pourrait être le sujet d’un prochain spectacle.

La magie de Plume, c’est qu’on ne peut pas subir le spectacle qui reste suspendu comme un rêve. On ne subit pas nos rêves parce qu’on en est l’acteur. Cela nécessite un sens de la créativité et du respect de l’autre absolu. « Le cirque est un poème en acte. A partager », les deux derniers mots sont très importants. Le cirque Plume fait de l’art en regardant la lune. C’est décisif. On éprouve le sentiment que nos points d’appui se dérobent. Il convient de vous inviter à aller les voir. Comme ça, sans rien attendre, juste pour ressentir.