Une mort miroir du processus de déshumanisation

L'un des bulldozers ne s'est pas arrêté. Photo DR

Cinéma . Simone Bitton réalise une enquête cinématographique sur la mort de Rachel à Rafah.

A propos de son film Rachel que l’on peut voir sur les écrans depuis hier, l’invitée du Diagonal, Simone Bitton, cite Mahmoud Darwich :  » Le chemin vers la maison est plus important que la maison.  » Dans la bouche du poète palestinien, la phrase s’applique à la démarche artistique, une vision partagée par la réalisatrice. Et une réflexion qui résonne doublement dans son dernier film, une enquête cinématographique retraçant les circonstances de la mort d’une Américaine de 23 ans à Rafah au sud de la Bande de Gaza. Rachel est morte écrasée par un bulldozer israélien le 16 mars 2003. Elle se trouvait avec d’autres jeunes militants pacifiques sur le chemin d’une maison palestinienne. Simone Bitton fait habilement circuler la parole autour de ce drame que les services d’information de Tsahal nomment un incident.

Ayant nécessité trois ans de travail, le film est très documenté. La réalisatrice a notamment mis la main sur des documents audiovisuel de l’armée israélienne, recueilli des témoignages d’officiers impliqués, de jeunes appelés qui confient s’être amusés à tirer régulièrement sur les maisons des Palestiniens. Rachel ne s’inscrit pas pour autant dans la lignée des enquêtes télévisée. Sans vouloir imposer une thèse, le film pose des questions de fond.  » Le crime intentionnel dont mon film parle, ce n’est pas la mort de Rachel Corrie. C’est la destruction volontaire de quartiers entiers, avec le risque assumé de tuer des gens restés à l’intérieur de leurs maisons ou tentant de les défendre. « 

Ce qui produit l’émotion, c’est l’extrême distance entre la dimension politique et institutionnelle de la situation (l’occupation de la Palestine par Israël et les actes de l’armée d’occupation) et l’absence de dimension politique de la vie et de la mort de la population civile. Dans le film, une camarade de Rachel mentionne la mort d’un Palestinien tué le même jour que son amie par une balle anonyme au moment où il sortait fumer une cigarette devant chez lui. Une mort dont personne ne se soucie, précise-t-elle. La population palestinienne parle de l’accueil chaleureux qu’elle réservait aux jeunes militants internationaux. De la vie qu’ils partageaient au quotidien. On pénètre ainsi dans une autre dimension. Celle de l’engagement d’une jeunesse et de l’espoir que cela peut susciter.  » Ce voyage est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie  » écrit Rachel à ses parents.

Mon film relate  » un épisode tragique qui renvoie à une tragédie beaucoup plus large. Gaza n’est pas seulement le tombeau de Rachel Corrie et des centaines de civils qui sont régulièrement assassinés : c’est un tombeau universel où l’humanisme tout entier est en train de sombrer. « 

Jean-Marie Dinh

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Il a changé de monde et ouvert la béance du temps

Marhmoud Darwich photo DR

Lodève s’allume ce soir pour Mahmoud Darwich. Les sons et les paroles méditerranéennes qui circulent au festival nous l’ont appris, il y a dorénavant peu d’espaces de la vie qui ne trouvent une traduction poétique et peu d’espaces poétiques qui ne dénoncent l’influence de Mahmoud Darwich. Depuis son changement de monde, il est décédé l’année dernière, le poète palestinien ne cesse d’être célébré sans que l’on s’en lasse.

Le miracle est sans doute la réception de sa poésie ou le fait que Darwich ait pu imposer ses poèmes aux foules, en tant qu’artiste témoin, puis de poète national, et après s’être dégagé de la poésie immédiate, de figure universelle.

Atypique, il fait partie des écrivains palestiniens que l’on disait de l’intérieur. Mahmoud Darwich à vécu en Israël jusqu’en 1971. En prison, son geôlier était juif, la femme qui l’aimait aussi. Exigeant Darwich, qui de retour à Ramallah en 1995, après les accords d’Oslo, impose à un public de 5 000 personnes d’écouter ses nouveaux poèmes alors qu’on lui réclame d’anciens textes militants.

Dans l’esprit du poète, les bons et les mauvais peuvent se trouver dans tous les camps. Cette l’idée de ne pas déshumaniser l’ennemi ne le quitte pas. C’est une connaissance intime et une chose importante, comme l’émerveillement renouvelé que lui procure la richesse de la langue arabe. Darwich dont la limpidité et la notion populaire font le bois du festival des Voix de la Méditerranée.

Il est donné aux visiteurs de cette douzième édition de mesurer combien le contexte d’un combat politique ou le théâtre d’une guerre, ne sont pas sans incidence sur l’inspiration du poète. Mais il ne suffit pas d’écrire comme une mitraillette ou d’évoquer son propre brouillard dépressif pour faire de la poésie. Nasser Jamil Shaath, qui a grandi une pierre dans une main, une plume dans l’autre, en sait quelque chose. Très jeune, il a participé à la seconde Intifada. Il vit aujourd’hui au sud de Gaza
« pour témoigner de la réalité d’un peuple vivant sous l’occupation », et dit devoir se battre en permanence pour éviter que la guerre n’entre dans ses poèmes.

Le poème de Darwich offre un genre de lecture dont on se souvient à jamais : « … Et je suis l’un des rois de la fin. Je saute de ma Jument dans le dernier hiver. Je suis le dernier soupir de l’Arabe…» Avec l’effet pervers d’une grandeur parfois envahissante. Peut-être celle qui fait écrire au jeune poète égyptien Yasser Abdel-Latif : « Je voudrais avaler un dictionnaire de français pour en pleurer des larmes de mots, je voudrais avaler un parti communiste, je voudrais avaler La bibliothèque Mahmoud Darwich du Caire… Ou fait conclure une rencontre de Catherine Fahri par un sympathique et satisfaisant :  » Nous avons réussi à parler de la poésie palestinienne sans trop parler de Darwich et sans trop parler de la guerre… »

Derniers ouvrages parus en 2009, La trace du Papillon, Mahmoud Darwich Anthologie (1992-2005), double CD récital Odéon Théâtre de l’Europe (7 octobre 2007) aux éditions Actes Sud.