Les firmes françaises détiennent la palme mondiale de la rémunération des actionnaires au deuxième trimestre. Un trophée embarrassant en période de crise.
La crise ? Vraiment ? Pas pour les actionnaires… Et notamment français. D’après une étude du gestionnaire d’actifs Henderson Global Investors (HGI), les dividendes versés par les entreprises cotées (pour leur exercice 2013) ont progressé, au deuxième trimestre 2014, de 11,7% dans le monde, par rapport à la même période l’année dernière, atteignant un total de 427 milliards de dollars (près de 320 milliards d’euros). En raison des pays émergents ? Pas vraiment… De façon étonnante, ce sont au contraire les boîtes des régions à la limite de l’effondrement qui ont arrosé leurs actionnaires. Une vraie contradiction, qui interroge sur le comportement des grands groupes.
Prodigalité. Champions du monde des hausses de dividendes au deuxième trimestre (période où se concentre le versement de 40% des dividendes mondiaux annuels) : le Japon (18,5%) et l’Europe (18,2%). Soit des économies qui ont connu, respectivement, 1,5% et 0,1% de croissance en 2013, dont une récession de 0,4% pour la seule zone euro. Mieux, parmi groupes les plus généreux en Europe, on trouve les entreprises espagnoles (+75% de hausse), dont le pays fut en récession de 1,2% l’année dernière. Dans le trio de tête européen, on trouve aussi et surtout la France… Les grands groupes hexagonaux ont ainsi augmenté leurs dividendes de 30,3% au deuxième trimestre sur un an, pour un total de 40,7 milliards de dollars. Un montant record sur le continent. Loin devant la première économie européenne, l’Allemagne (3,9% de hausse pour 33,7 milliards de dollars versés), ou encore le Royaume-Uni (+9,7%, 33,7 milliards). D’autant que les entreprises du CAC 40 avaient déjà augmenté de 4% les dividendes versés sur l’ensemble de l’année 2013.
Certes, les raisons de cette prodigalité française tiennent en partie à des facteurs objectifs : 7% de cette variation résulte ainsi de la fluctuation des taux de change (les montants sont libellés en dollars) ou encore, pour 4%, de l’évolution du périmètre des entreprises considérées. Mais pour le reste, c’est un peu le mystère. Sauf à considérer, comme Pierre Larrouturou, cofondateur du nouveau parti Nouvelle Donne, que «les actionnaires sont par nature gourmands, une gourmandise consubstantielle au capitalisme».
Crème. D’autant que l’un des secteurs français les plus généreux en dividendes est celui de la banque-assurance, sauvé il y a six ans de la débandade par l’Etat en raison d’une crise qu’il avait lui même provoquée. Même si, depuis, les banques françaises ont remboursé les pouvoirs publics. Ainsi, le premier «payeur de dividendes» en France n’est autre qu’Axa, qui a versé la modique somme de 2,7 milliards de dollars à ses propriétaires au deuxième trimestre. Autre grand donateur, selon HGI, le Crédit agricole, qui «a rétabli ses versements (1,2 milliard de dollars)», mais aussi la Société générale, qui «a réalisé une forte hausse», ou encore la BNP, «qui a continué ses versements de dividendes malgré la forte amende imposée par les régulateurs» américains .
Ces sociétés, cependant, ne constituent que la crème de l’économie française, et sont loin de refléter la situation de l’ensemble des entreprises, et notamment des PME et des ETI (entreprises de taille intermédiaire). Il s’agit en effet des plus grosses boîtes, celles «qui réalisent une grande partie de leurs bénéfices à l’étranger», précise Ben Lofthouse, cogérant du Henderson Global Equity, à Libération.
Cette générosité pose néanmoins un autre problème : celui des choix faits par les états-majors, dans une économie en panne sèche. Car même si ce ne sont pas forcément les mêmes entreprises, cette hausse de 30% au deuxième trimestre «cogne» avec la baisse de l’investissement sur la même période (-0,7% au premier trimestre, -0,8% au deuxième). Bref, les grands groupes préfèrent rétribuer les actionnaires plutôt que de réinvestir. Même si les bénéfices sont réalisés à l’étranger. «On a tendance à penser que l’on verse des dividendes parce que l’on n’investit pas, mais investissements et dividendes ne s’excluent pas forcément», veut croire cependant Ben Lofthouse. Avant de reconnaître que «les sociétés investissent aussi quand elles ont besoin de capacité de production. Or, le problème, c’est le manque de demande. Les entreprises automobiles françaises, par exemple, ont toujours la possibilité de produire plus de voitures, mais elles ne le font pas parce que la demande ne suit pas».
Embauche. Autre carambolage malheureux de calendrier : cette envolée des dividendes intervient au moment où les entreprises françaises ont bénéficié de la première tranche du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), pour un montant total de 7 milliards d’euros. Un dispositif gouvernemental, financé en partie par la hausse de la TVA sur les ménages, censé inciter les entreprises à relancer leurs investissements ou à embaucher… et non pas gratifier les actionnaires.
Rappelant lui aussi que l’étude ne concerne qu’un échantillon particulier d’entreprises, l’entourage du ministre des Finances, Michel Sapin, admet cependant qu’il «était difficile d’adopter une mesure distinguant les secteurs d’activité ou encore les tailles d’entreprises». Et de préciser que le CICE, comme le «pacte de responsabilité» à venir, a été configuré pour concentrer autant que faire se peut le dispositif sur les entreprises petites et moyennes. D’après un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, le secteur financier devrait cependant toucher près de 4% de l’ensemble de l’enveloppe du CICE. Certes, c’est presque deux fois moins que le poids de sa masse salariale dans l’économie, mais cela représente tout de même 280 millions d’euros cette année, et près d’un milliard en rythme de croisière.
Et le biais devrait se répéter avec le pacte de responsabilité, lui aussi destiné, de façon indistincte, à toutes les entreprises et tous les secteurs. «Il faut revenir sur ce pacte, mal pensé, mal orienté, estime Pierre Larrouturou. Il est outrageant de donner de l’argent aux multinationales qui font déjà des profits phénoménaux. On ferait mieux de donner de l’argent à la recherche, le logement, l’emploi.» Pas sûr qu’il soit entendu. Reste que pour le gouvernement, cette hausse des dividendes tombe au pire moment. Et donne, à nouveau, du grain à moudre aux députés frondeurs.
10 juin 2013. Le Federal Bureau of Investigation (FBI) et l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) auraient accès aux serveurs de neuf des géants américains de l’Internet, dont Microsoft, Yahoo!, Google et Facebook et Apple, dans le cadre du programme «Prism», selon des révélations du Guardian publiées vendredi dernier. Des informations obtenues par le quotidien britannique grâce à un ancien employé de la CIA, Edward Snowden, qui a dévoilé son identité dimanche. En février dernier, Dan Schiller décrivait la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.
Multinationales, Etats, usagers
En France, le fournisseur d’accès à Internet Free reproche au site de vidéo YouTube, propriété de Google, d’être trop gourmand en bande passante. Son blocage, en représailles, des publicités de Google a fait sensation. Free a ainsi mis à mal la «neutralité d’Internet» — l’un des sujets discutés en décembre à la conférence de Dubaï. La grande affaire de cette rencontre a cependant été la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.
Habituellement circonscrite aux contrats commerciaux entre opérateurs, la géopolitique d’Internet s’est récemment étalée au grand jour. Du 3 au 14 décembre 2012, les cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence affiliée à l’Organisation des Nations unies) s’étaient donné rendez-vous à Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour la douzième conférence mondiale sur les télécommunications internationales. Une rencontre où les diplomates, abreuvés de conseils par les industriels du secteur, forgent des accords censés faciliter les communications par câble et par satellite. Longues et ennuyeuses, ces réunions sont cependant cruciales en raison du rôle déterminant des réseaux dans le fonctionnement quotidien de l’économie mondiale.
La principale controverse lors de ce sommet portait sur Internet : l’UIT devait-elle s’arroger des responsabilités dans la supervision du réseau informatique mondial, à l’instar du pouvoir qu’elle exerce depuis des dizaines d’années sur les autres formes de communication internationale?
Les Etats-Unis répondirent par un «non» ferme et massif, en vertu de quoi le nouveau traité renonça à conférer le moindre rôle à l’UIT dans ce qu’on appelle la «gouvernance mondiale d’Internet». Toutefois, une majorité de pays approuvèrent une résolution annexe invitant les Etats membres à «exposer dans le détail leurs positions respectives sur les questions internationales techniques, de développement et de politiques publiques relatives à Internet». Bien que «symbolique», comme le souligna le New York Times (1), cette ébauche de surveillance globale se heurta à la position inflexible de la délégation américaine, qui refusa de signer le traité et claqua la porte de la conférence, suivie entre autres par la France, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Kenya, la Colombie, le Canada et le Royaume-Uni. Mais quatre-vingt-neuf des cent cinquante et un participants décidèrent d’approuver le document. D’autres pourraient le signer ultérieurement.
En quoi ces péripéties apparemment absconses revêtent-elles une importance considérable? Pour en clarifier les enjeux, il faut d’abord dissiper l’épais nuage de brouillard rhétorique qui entoure cette affaire. Depuis plusieurs mois, les médias occidentaux présentaient la conférence de Dubaï comme le lieu d’un affrontement historique entre les tenants d’un Internet ouvert, respectueux des libertés, et les adeptes de la censure, incarnés par des Etats autoritaires comme la Russie, l’Iran ou la Chine. Le cadre du débat était posé en des termes si manichéens que M. Franco Bernabè, directeur de Telecom Italia et président de l’association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA, dénonça une «propagande de guerre», à laquelle il imputa l’échec du traité (2).
Fronde antiaméricaine
Où que l’on vive, la liberté d’expression n’est pas une question mineure. Où que l’on vive, les raisons ne manquent pas de craindre que la relative ouverture d’Internet soit corrompue, manipulée ou parasitée. Mais la menace ne vient pas seulement des armées de censeurs ou de la «grande muraille électronique» érigée en Iran ou en Chine. Aux Etats-Unis, par exemple, les centres d’écoute de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) surveillent l’ensemble des communications électroniques transitant par les câbles et satellites américains. Le plus grand centre de cybersurveillance du monde est actuellement en cours de construction à Bluffdale, dans le désert de l’Utah (3). Washington pourchasse WikiLeaks avec une détermination farouche. Ce sont par ailleurs des entreprises américaines, comme Facebook et Google, qui ont transformé le Web en une «machine de surveillance» absorbant toutes les données commercialement exploitables sur le comportement des internautes.
Depuis les années 1970, la libre circulation de l’information (free flow of information) constitue l’un des fondements officiels de la politique étrangère des Etats-Unis (4), présentée, dans un contexte de guerre froide et de fin de la décolonisation, comme un phare éclairant la route de l’émancipation démocratique. Elle permet aujourd’hui de reformuler des intérêts stratégiques et économiques impérieux dans le langage séduisant des droits humains universels. «Liberté d’Internet», «liberté de se connecter» : ces expressions, ressassées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et les dirigeants de Google à la veille des négociations, constituent la version modernisée de l’ode à la «libre circulation».
A Dubaï, les débats couvraient une myriade de domaines transversaux. Au programme, notamment, la question des rapports commerciaux entre les divers services Internet, comme Google, et les grands réseaux de télécommunication, tels Verizon, Deutsche Telekom ou Orange, qui transportent ces volumineux flux de données. Crucial par ses enjeux économiques, le sujet l’est aussi par les menaces qu’il fait peser sur la neutralité du Net, c’est-à-dire sur le principe d’égalité de traitement de tous les échanges sur la Toile, indépendamment des sources, des destinataires et des contenus. Le geste de M. Xavier Niel, le patron de Free, décidant début janvier 2013 de s’attaquer aux revenus publicitaires de Google en bloquant ses publicités, illustre les risques de dérive. Une déclaration générale qui imposerait aux fournisseurs de contenus de payer les opérateurs de réseaux aurait de graves conséquences sur la neutralité d’Internet, qui est une garantie vitale pour les libertés de l’internaute.
Mais l’affrontement qui a marqué la conférence portait sur une question tout autre : à qui revient le pouvoir de contrôler l’intégration continue d’Internet dans l’économie capitaliste transnationale (5)? Jusqu’à présent, ce pouvoir incombe pour l’essentiel à Washington. Dès les années 1990, quand le réseau explosait à l’échelle planétaire, les Etats-Unis ont déployé des efforts intenses pour institutionnaliser leur domination. Il faut en effet que les noms de domaine (du type «.com»), les adresses numériques et les identifiants de réseaux soient attribués de manière distinctive et cohérente. Ce qui suppose l’existence d’un pouvoir institutionnel capable d’assurer ces attributions, et dont les prérogatives s’étendent par conséquent à l’ensemble d’un système pourtant extraterritorial par nature.
Profitant de cette ambiguïté originelle, les Etats-Unis ont confié la gestion des domaines à une agence créée par leurs soins, l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA). Liée par contrat au ministère du commerce, l’IANA opère en qualité de membre d’une association californienne de droit privé, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dont la mission consiste à «préserver la stabilité opérationnelle d’Internet». Quant aux standards techniques, ils sont établis par deux autres agences américaines, l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Internet Architecture Board (IAB), elles-mêmes intégrées à une autre association à but non lucratif, l’Internet Society. Au vu de leur composition et de leur financement, on ne s’étonnera pas que ces organisations prêtent une oreille plus attentive aux intérêts des Etats-Unis qu’aux demandes des utilisateurs (6).
Les sites commerciaux les plus prospères de la planète n’appartiennent pas à des capitaux kényans ou mexicains, ni même russes ou chinois. La transition actuelle vers l’«informatique en nuages» (cloud computing), dont les principaux acteurs sont américains, devrait encore accroître la dépendance du réseau envers les Etats-Unis. Le déséquilibre structurel du contrôle d’Internet garantit la suprématie américaine dans le cyberespace, à la fois sur le plan commercial et militaire, laissant peu de marge aux autres pays pour réguler, verrouiller ou assouplir le système en fonction de leurs propres intérêts. Par le biais de diverses mesures techniques et législatives, chaque Etat est certes à même d’exercer une part de souveraineté sur la branche «nationale» du réseau, mais sous la surveillance rapprochée du gendarme planétaire. De ce point de vue, comme le note l’universitaire Milton Mueller, Internet est un outil au service de la «politique américaine de globalisme unilatéral (7)».
Leur fonction de gestionnaires a permis aux Etats-Unis de propager le dogme de la propriété privée au cœur même du développement d’Internet. Quoique dotée, en principe, d’une relative autonomie, l’Icann s’est illustrée par les faveurs extraterritoriales accordées aux détenteurs de marques commerciales déposées. En dépit de leurs protestations, plusieurs organisations non commerciales, bien que représentées au sein de l’institution, n’ont pas fait le poids face à des sociétés comme Coca-Cola ou Procter & Gamble. L’Icann invoque le droit des affaires pour imposer ses règles aux organismes qui administrent les domaines de premier niveau (tels que «.org», «.info»). Si des fournisseurs nationaux d’applications contrôlent le marché intérieur dans plusieurs pays, notamment en Russie, en Chine ou en Corée du Sud, les services transnationaux — à la fois les plus profitables et les plus stratégiques dans ce système extraterritorial — restent, d’Amazon à PayPal en passant par Apple, des citadelles américaines, bâties sur du capital américain et adossées à l’administration américaine.
Dès les débuts d’Internet, plusieurs pays se sont rebiffés contre leur statut de subordonnés. La multiplication des indices signalant que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de relâcher leur étreinte a progressivement élargi le front du mécontentement. Ces tensions ont fini par provoquer une série de rencontres au plus haut niveau, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), organisé par l’UIT à Genève et à Tunis entre 2003 et 2005.
En offrant une tribune aux Etats frustrés de n’avoir pas leur mot à dire, ces réunions préfiguraient le clash de Dubaï. Rassemblés en un Comité consultatif gouvernemental (Governmental Advisory Committee, GAC), une trentaine de pays espéraient convaincre l’Icann de partager une partie de ses prérogatives. Un espoir vite déçu, d’autant que leur statut au sein du GAC les mettait au même niveau que les sociétés commerciales et les organisations de la société civile. Certains Etats auraient pu s’accommoder de cette bizarrerie si, malgré les discours lénifiants sur la diversité et le pluralisme, l’évidence ne s’était imposée à tous : la gouvernance mondiale d’Internet est tout sauf égalitaire et pluraliste, et le pouvoir exécutif américain n’entend rien lâcher de son monopole.
Revirement de l’Inde et du Kenya
La fin de l’ère unipolaire et la crise financière ont encore attisé le conflit interétatique au sujet de l’économie politique du cyberespace. Les gouvernements cherchent toujours des points de levier pour introduire une amorce de coordination dans la gestion du réseau. En 2010 et 2011, à l’occasion du renouvellement du contrat passé entre l’IANA et le ministère du commerce américain, plusieurs Etats en ont appelé directement à Washington. Le gouvernement kényan a plaidé pour une «transition» de la tutelle américaine vers un régime de coopération multilatérale, au moyen d’une «globalisation» des contrats régissant la superstructure institutionnelle qui encadre les noms de domaine et les adresses IP (Internet Protocol). L’Inde, le Mexique, l’Egypte et la Chine ont fait des propositions dans le même sens.
Les Etats-Unis ont réagi à cette fronde en surenchérissant dans la rhétorique de la «liberté d’Internet». Nul doute qu’ils ont aussi intensifié leur lobbying bilatéral en vue de ramener au bercail certains pays désalignés. A preuve, le coup de théâtre de la conférence de Dubaï : l’Inde et le Kenya se sont prudemment ralliés au coup de force de Washington.
Quelle sera la prochaine étape? Les agences gouvernementales américaines et les gros commanditaires du cybercapitalisme tels que Google continueront vraisemblablement d’employer toute leur puissance pour renforcer la position centrale des Etats-Unis et discréditer leurs détracteurs. Mais l’opposition politique au «globalisme unilatéral» des Etats-Unis est et restera ouverte. Au point qu’un éditorialiste du Wall Street Journal n’a pas hésité, après Dubaï, à évoquer la «première grande défaite numérique de l’Amérique (8)».
Dan Schiller
Le Monde Diplomatique Juin 2013
Professeur de sciences de l’information et des bibliothèques à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign.
(1) Eric Pfanner, «Message, if murky, from US to the world », The New York Times, 15 décembre 2012.
(2) Rachel Sanderson et Daniel Thomas, «US under fire after telecoms treaty talks fail», Financial Times, Londres, 17 décembre 2012.
(3) James Bamford, «The NSA is building the country’s biggest spy center », Wired, San Francisco, avril 2012.
(4) Herbert I. Schiller, «Libre circulation de l’information et domination mondiale », Le Monde diplomatique, septembre 1975.
(6) Harold Kwalwasser, «Internet governance», dans Franklin D. Kramer, Stuart H. Starr et Larry Wentz (sous la dir. de), Cyberpower and National Security, National Defense University Press – Potomac Press, Washington-Dulles (Virginie), 2009.
(7) Milton L. Mueller, Networks and States : The Global Politics of Internet Governance, The MIT Press, Cambridge (Massachusetts), 2010.
(8) L. Gordon Crovitz, «America’s first big digital defeat », The Wall Street Journal, New York, 17 décembre 2012.
Patrick Pelloux : de l’urgence médicale à l’urgence sociale.
Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, a une première fois délaissé les brancards pour alerter les médias des conséquences de la canicule sur les services hospitaliers en 2003. Depuis, il continue d’alimenter une chronique sur ses anecdotes de travail dans les colonnes de Charlie Hebdo. En 2007, elles ont été réunies dans un ouvrage, Histoire d’urgences, dont le tome 2 vient de paraître (éditions les Echappés. A cette occasion, Jean-Claude Gayssot, président de l’association Edec (Economie, développement et citoyenneté) l’a invité à prendre la tribune lors d’une rencontre-débat* sur le thème » La santé n’est pas une marchandise ».
« La santé est-elle une marchandise ?
Oui, elle est devenue une marchandise. Progressivement, on en a fait un objet économique, coté en bourse, avec des intérêts financiers au plus haut niveau, notamment dans l’industrie pharmaceutique comme on a pu le voir lors de la grippe A. Et ça va continuer, en particulier avec les migrations démographiques liées aux changements climatiques qui auront des conséquences sur la santé et donc des conséquences économiques importantes.
En France, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) participe-t-elle à ce processus de marchandisation ?
On le voit surtout avec la bascule des soins dans le secteur privé lucratif. Aujourd’hui, 80% de la chirurgie ophtalmologique se fait dans les cliniques privées. Celles-ci ne sont d’ailleurs quasiment plus détenues par untel ou untel mais rachetées par de grands consortiums financiers, souvent des multinationales. Ca veut dire qu’il est possible de faire de l’argent sur la santé, ce qui est totalement contradictoire avec les premiers textes sur la sécurité sociale.
Depuis votre première sortie médiatique lors de la canicule en 2003, la situation a-t-elle empiré ?
Les choses se sont accélérées. D’ailleurs, d’après les échos que j’ai eus de la commission santé du parti socialiste, je ne suis pas sûr qu’il revienne un jour en profondeur sur la loi HPST. Une pensée économique et sociale de la santé est née et il est très difficile d’aller contre la pensée unique. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Ile-de-France où le nouveau président de l’ARS (Agence régionale de santé, ndlr), ancien ministre PS, applique doctement la loi HPST. On entend partout que l’hôpital est mal organisé, mais on n’a pas arrêté d’y fermer des lits, comme une application à l’avance de la loi HPST. Ca n’a pas réglé les problèmes de déficit. C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans cette politique, mais aujourd’hui, même le domaine de la santé est devenu un objet de concurrence.
Se soigner est-il devenu un luxe ?
Ca devient de plus en plus cher. Nous sommes un des pays où nous cotisons le plus et où nous sommes le moins remboursés. C’est devenu très difficile entre les dépassements d’honoraire, les déremboursements…
La France a donc perdu son statut de pays où l’on peut se soigner ?
En tout cas nous ne sommes plus le modèle. Dans le classement européen, nous sommes passés de la 10ème à la 18ème place. Le gouvernement s’est empressé de dire que les critères d’évaluation avaient été changés. Mais c’est totalement faux, cette étude est menée par un organisme indépendant.
Est-on arrivé à un point de non retour ?
Les choses ne sont jamais totalement perdues. On voit comment depuis 2002, la politique néo-libérale a cassé tous les services publics. Mais nous vivons dans un pays qui a été capable de se reconstruire après des chaos insensés. On a toujours su rebondir. On est dans une période abjecte, mais il ne faut pas perdre espoir.
Que faut-il faire pour améliorer la situation ?
En ce qui concerne le problème économique, c’est à la classe politique de définir ses attentes et de continuer à abreuver ses pensées. Quant au problème médical, je crois que la médecine est malade de son élite. Il faut un bouleversement du statut hôpitalo-universitaire. Le pouvoir a voulu moderniser sur le modèle des entreprises, notamment avec les fameux » pôles hospitaliers « . Mais c’est une chose qui n’est pas valable pour l’hôpital. On a voulu faire des grands systèmes, alors que tous les grands systèmes (EADS, France Telecom, …) reviennent à de petites structures.
La formation des médecins est également trop longue, les jeunes ne sont pas insérés dans le travail assez tôt, ni rémunérés assez tôt. Il faudrait une base de formation médicale continue qui ne pourrait se faire que dans le cadre universitaire et pas dans l’industrie pharmaceutique. L’émergement de la solution, il est là.
Quant à l’élite de la médecine, elle doit cesser immédiatement d’être aussi narcissique et hégémonique dans la façon de penser. Un même médecin ne devrait plus pouvoir porter toutes les casquettes et passer sa vie dans un avion pour aller de conférence en conférence. On est à l’époque du partage. On n’est plus à celle du cumul des mandats. Enfin, il faut renforcer le droit des femmes dans la médecine. Il n’y a qu’une seule femme à l’Académie, ce qui montre bien le retard de féminisation de notre métier. Je connais encore des gens qui refusent de recruter des femmes à l’hôpital ou ne le font qu’à condition qu’elles acceptent de ne pas tomber enceinte. C’est inadmissible. «
Recueilli par Marine Desseigne (L’Hérault du jour)
*La rencontre avec Patrick Pelloux a été annulé en raison des perturbations occasionnées par les mouvements sociaux.