Mémoire et histoire, l’intitulé de l’exposition proposée par les archives de la ville de Montpellier dit beaucoup sur la portée d’une institution qui traverse les horizons, en consignant les écrits au quotidien.
Dès le couloir d’entrée, le temps s’inscrit sur un mur couvert de dates. La norme d’organisation spécifique aux magasins (réserve fermée au public) est préservée. Sur ce mur, figure l’acte de naissance des archives municipales qui voient le jour en 1204, avec l’arrivée du Consulat – instauration d’une administration municipale quasi-républicaine – et marque la fin de la dynastie des Guilhèm.
Pour l’archiviste en chef Pierre de Peretti, également commissaire de l’expo, la tenue des archives municipales répond à un double besoin. Celui de faire fonctionner la ville et celui de préparer « un serein et calme soutien à l’histoire ». Ce qu’illustre son propos quand il explique que la préservation des documents relatifs à la construction des Arceaux (1765) a permis leur utilisation par l’administration pour tracer des canaux d’adduction d’eau et seulement plus tard, d’être utilisés par les historiens. Outre sa cohérence et ses qualités esthétiques, l’exposition contribue à faire saisir que le temps de la mémoire et de l’histoire n’est pas le même.
La nouvelle loi sur les archives, discutée en séance de nuit par une poignée de sénateurs, retarde la communication des documents portant atteinte à la vie privée de 60 à 75 ans. Le texte soulève de la réticence chez les archivistes qui s’étaient prononcés pour une réduction des délais. Et produit une plus vive réaction chez les historiens qui militent depuis fort longtemps pour une réduction de l’espace entre le temps des événements et celui de l’histoire. C’est précisément dans cet intervalle que s’immisce le temps de la mémoire et de son pouvoir. Ville, Clergé et Cours princières ont de tout temps consolidé leur pouvoir politique en créant des bibliothèques et les archives nationales ont pour première vocation de conserver la mémoire de l’Etat. Cette mémoire sur laquelle se fondent bien des légitimités politiques est une arme redoutable. Durant la révolution et la période napoléonienne, une partie des archives fut confisquée par les services d’Etat, celle ayant trait aux propriétés et aux transactions financières. Il en fût de même à Montpellier durant les guerres de religion : face à Richelieu, les Huguenots laissèrent la place forte en emportant les archives. Plus proche de nous, le 29 avril, on tente de rendre les informations relatives à la fabrication d’armes de destruction massive incommunicables comme pour neutraliser la conscience collective.
Alain Badiou : " Il ne faut pas croire que la victoire du capitalisme conduira à l'opulence généralisée. Ce sera la violence et la guerre. " DR
Avec son dernier livre De quoi Sarkozy est-il le nom ? , le philosophe dresse le constat d’un changement d’époque et appelle l’hypothèse communiste du XXIe siècle.
De quoi Sarkozy est-il le nom ?
En posant cette question, j’ai voulu introduire une analyse du phénomène qu’était l’élection de Sarkozy en me demandant ce qu’elle signifiait. Mon hypothèse générale est que Sarkozy est vraiment le nom d’un changement politique profond. Depuis la dernière guerre, les rapports de conflit droite/gauche se situaient à l’intérieur de règles du jeu admises, issues de la résistance. Dans cette période, les communistes et les gaullistes se sont mis d’accord sur deux principes. D’une part, l’Etat a une responsabilité sociale et d’autre part il est possible que la politique étrangère de la France soit relativement indépendante de la volonté des Etats-Unis. Sarkozy est le nom d’une volonté délibérée, d’en finir avec cette forme de pacte. Sous le vocable moderniser, il entend plier la France aux règles de la mondialisation capitaliste. En s’en prenant à toute une série d’acquis sociaux garantis par l’Etat et en se rapprochant grandement des Etats-Unis.
Vous faites le lien avec le pétainisme.
J’appelle pétainisme toute une série de caractéristiques, de la droite et de l’extrême droite française, qui remontent à la Restauration. C’est l’une des formes de la réaction de la droite et des forces conservatrices aux épisodes révolutionnaires. Cette réaction est liée au fait que la bourgeoisie française est depuis très longtemps une bourgeoisie effrayée et peureuse devant son propre peuple. Le pétainisme est une forme d’organisation de cette peur.
Quelles en sont les caractéristiques ?
Il y a par exemple la désignation, dans le pays, d’un groupe particulier comme responsable en partie ou en totalité des maux qu’il rencontre. Dans le cas de Pétain, c’était les juifs, dans le cas de Sarkozy, c’est la minorité ouvrière de communauté étrangère. Il y a le fait que l’on évoque toujours un des grands événements populaires comme un événement noir, cause de la décadence du pays. Pour Pétain, c’était le Front Populaire, pour Sarkozy, c’est 68. Il y a aussi l’idée que l’on peut réunifier la droite et l’extrême droite. Et l’importance des références aux modèles étrangers. Dans le cas de Pétain, c’était les pays fascistes, pour Sarkozy ce sont les pays moteurs du capitalisme mondialisé, Blair et Bush.
N’êtes vous pas allé trop loin avec » L’homme aux rats » ?
L’homme aux rats est un conte. J’utilise cette expression à propos des gens tout à fait déterminés qui ont quitté le navire de la gauche, au son de la flutte de Sarkozy. On a fait comme si j’étais dans la violence de la comparaison animale, ce n’est pas mon état d’esprit.
Quelle place donnez-vous au PCF et à la LCR dans l’hypothèse communiste que vous évoquez ?
Le PCF doit éclaircir la nature des choix à proposer à ses adhérents. A mes yeux, la LCR est une des composantes des choix possibles du futur parti communiste. De nombreux communistes sont très voisins dans l’esprit, de ce que pense la LCR. Le problème de la clarification des orientations de ce que fut le PCF englobe la question des alliances. De toute façon, la question de ce que sera la nouvelle organisation des forces de gauche et d’extrême gauche est entièrement ouverte, c’est un processus qui sera long. Il s’agit d’une crise sérieuse historique et pas simplement tactique. Je pense que les choix idéologiques fondamentaux précéderont les formes de l’organisation qui finalement s’imposera. On ne peut pas faire l’inverse.
Votre refus de rejeter la dictature du prolétariat et votre constat sur la démocratie, laissent un angle mort qui nous conduit au rapport idée/violence…
Je n’ai pas sur la question de l’Etat une vision claire des choses. Je me mets dans la crise moi-même. On fait comme si on pouvait faire disparaître les idées conjointes de révolution et de dictature du prolétariat sans que cela ait des effets sur la vision que l’on se fait de l’histoire de l’émancipation humaine. On ne peut pas imaginer que plus personne ne parle de cela. Je veux bien abandonner la thématique de la dictature prolétarienne au nom de la critique historique, mais il faut savoir ce qu’on va mettre à la place. On ne peut pas dire, on va mettre à la place notre participation aux élections. Le bilan de la pratique parlementaire de la gauche est là. Une succession d’échecs, d’impasses et de déceptions qui ont démoralisé les classes populaires et les ont largement ralliées au conservatisme capitaliste. Ce problème est à l’arrière-plan de la crise de la gauche révolutionnaire qui ne peut plus tenir ses positions anciennes mais n’en a pas de nouvelles.
A l’heure où les élections sont, dites-vous, un instrument de répression, quel regard portez-vous sur le système démocratique ?
Je pense qu’aujourd’hui le système parlementaire est une forme d’Etat. Ce que l’on appelle la démocratie représentative est une forme de pouvoir oligarchique. Le débat sur la démocratie, en ce sens là, nous renvoie au problème important que la gauche et l’extrême gauche ne savent pas aujourd’hui ce qu’elles proposent en matière de forme d’Etat. Cela depuis l’abandon de la catégorie dictature prolétarienne. Je ne défends pas l’expérience historique de cette catégorie. Je suis absolument d’accord qu’elle a conduit les Etats socialistes dans une impasse. Mais ce n’est pas parce que cette catégorie a été abandonnée que le problème a cessé d’exister. C’est une grande faiblesse de la gauche de n’avoir aucune proposition. Car la démocratie que nous connaissons n’est appropriée qu’au capitalisme. Il faut reconstituer un horizon idéologique cohérent.
Recueilli Par Jean-Marie Dinh
Invité par la librairie Sauramps, Alain Badiou a présenté ses deux derniers ouvrages » De quoi Sarkozy est-il le nom ? et » Petit panthéon portatif «
Docteur en science politique, Pascal Doriguzzi est atteint d’une ataxie, sa thèse de doctorat soutenue en 1989 à Montpellier avait pour titre la III ème République est la solidarité : la socialisation de l’infirmité. Il vient de publier De la sécurité sociale au paupérisme.
Ce livre revient sur les fondements de la sécurité sociale au sortir de la seconde guerre mondiale. L’auteur s’attache notamment à mettre en lumière l’esprit de solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle qui présida à l’adoption des ordonnances de 1945.
» Ma curiosité m’a conduit à me replonger dans les débats parlementaires de l’époque, indique Pascal Doriguzzi dont le livre revient sur les débats préparatoires des CE et de la Sécurité sociale, le paradoxe de notre société de l’information, c’est que les gens n’ont plus de mémoire. » A l’heure de la reconstruction nationale, la Sécu est le fruit d’une véritable union sacrée entre les communistes et les gaullistes qui cimente la république sur les valeurs de la solidarité.
» On sait les déboires de cette alliance sur le terrain politique, mais les principes de solidarité ont traversé deux modifications constitutionnelles « , souligne l’auteur. Les textes de l’époque affichaient la haute ambition de garantir un niveau de salaire et de traitement assurant à tout travailleurs et à sa famille » la dignité, la sécurité et la possibilité d’une vie pleinement humaine « . Base du plan complet de la sécurité sociale gérée par les représentants des intéressés et l’Etat.
Bref, le cœur de cible du gouvernement Sarkozy qui applique à la lettre les déclarations de l’éminence grise du Baron Seillière Denis Kessler : » Il faut défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » Le démantèlement que l’auteur qualifie » d’un passage de la sécurité sociale à celui de la sécurité nationale « , débute avec les réformes structurelles néolibérales qui s’engage en France au milieu des années 80.
Loin de l’esprit de défaite mérite du livre tient Pascal Doriguzzi affirme que l’exclusion n’est pas un mythe mais un produit social: » Peut-on concevoir l’existence d’humain sans rapport aucun avec le monde, sans histoire ni passé, sans lien avec la société et son ordre, sans se demander d’où viennent ces » exclus » ? Il en appelle à la responsabilité de notre génération pour ouvrir la voie à la civilisation, » non en faisant du social, mais en dépassant nos rapports de force, pour construire, à l’échelle continentale, une vie réconciliant la liberté de travail, l’échange commercial et la fidélité économique, ainsi que la dignité de chacun dans le monde à venir.
De la sécurité sociale au paupérisme, 14 euros, éditions Esméralda