Silence, on torture: le Cameroun pointé du doigt par Amnesty International

Selon le rapport d'Amnesty International, les victimes sont soumises à 24 méthodes de torture. © Illustration/Amnesty Selon le rapport d'Amnesty International, les victimes sont soumises à 24 méthodes de torture. © Illustration/Amnesty International

Selon le rapport d’Amnesty International, les victimes sont soumises à 24 méthodes de torture. © Illustration/Amnesty Selon le rapport d’Amnesty International, les victimes sont soumises à 24 méthodes de torture. © Illustration/Amnesty International

Des centaines de personnes accusées de soutenir Boko Haram sans aucune preuve sont violemment torturées par les forces de sécurité du Cameroun. Des civils sont détenus dans des conditions effroyables. Amnesty tire la sonnette d’alarme sur les violations des droits de l’Homme dans ce pays et dénonce des crimes de guerre.

Dans le rapport qu’elle vient de publier, Amnesty rappelle d’abord qu’elle condamne sans équivoque les atrocités et les crimes de guerre commis par Boko Haram au Cameroun. Plus de 1500 civils y auraient été tués depuis 2014. Mais l’ONG des droits de l’Homme estime que rien ne saurait justifier «le recours impitoyable et généralisé à la torture par les forces de sécurité contre des Camerounais ordinaires, qui sont souvent arrêtés sans preuve».

Des simulacres de noyade
Le rapport a été rédigé sur la base de dizaines de témoignages, corroborés par des images satellitaires, des photos et des vidéos. Les enquêteurs décrivent le sort réservé aux détenus passés à tabac, placés dans des conditions insoutenables et soumis à des simulacres de noyade et parfois torturés à mort.

«Ces terribles violations s’apparentent à des crimes de guerre. Au vu des multiples éléments que nous avons découverts, il faut que les autorités diligentent une enquête indépendante sur la pratique de la détention au secret et de la torture», a déclaré Alioune Tine, directeur du programme Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale à Amnesty.

«La chèvre» et «la balançoire»
Les victimes ont décrit au moins 24 méthodes de torture qu’elles ont subies. L’une des positions douloureuses les plus courantes, appelée «la chèvre», consiste à attacher les membres des détenus derrière le dos avant de les battre.

Une autre technique, appelée «la balançoire», consiste à suspendre les détenus en l’air, les membres liés dans le dos, avant de les frapper. Les témoignages des victimes donnent froid dans le dos.

«Ils m’ont demandé de leur dire si je connaissais des membres de Boko Haram. C’est à ce moment-là que le gardien m’a attaché les mains et les pieds derrière le dos et a commencé à me frapper avec un câble électrique, tout en m’aspergeant d’eau. Ils m’ont pratiquement battu à mort», témoigne l’une des victimes interpelée en mars 2016.

Une autre victime, détenue au secret pendant six mois sur la base militaire de Salak, près de la ville septentrionale de Maroua, a raconté les séances de torture qu’elle a subies pendant quatre jours avec d’autres camarades.

«Les militaires nous ont demandé d’avouer. Ils nous ont dit que si nous ne le faisions pas, ils nous emmèneraient à Yaoundé pour nous tuer. Nous avons répondu que nous préférions être tués plutôt que d’avouer quelque chose dont nous n’étions pas au courant. Ils nous ont frappé pendant quatre jours.»

Selon le rapport d’Amnesty, des détenus sont attachés, battus et parfois torturés à mort. © Dessin d’illustration/Amnesty International

Selon Amnesty International, ces terribles actes de torture se déroulent souvent sur des bases militaires, dans de petites cellules où s’entassent les victimes par dizaines.

«Il faut que les hauts gradés en charge de ces centres de détention qui sont soupçonnés d’avoir une responsabilité, au sein de la chaîne de commandement, dans des détentions au secret, des actes de tortures, des morts en détention ou des disparitions forcées fassent l’objet d’une enquête», a déclaré Alioune Tine.

Les arrestations arbitraires et massives se font généralement au titre de la loi antiterroriste adoptée en décembre 2014 au Cameroun. En 2016, Amnesty avait déjà lancé un appel aux autorités du pays pour que les suspects soient conduits dans des centres de détention officiels et qu’il soit mis fin à la pratique de la torture.

Réagissant au contenu de ce rapport, un porte-parole du ministre de la Défense du Cameroun a accusé Amnesty «de mauvaise foi» et de chercher à «transformer des meurtriers en victimes».

Le groupe islamiste nigérian qui sévit dans le nord du Cameroun est à la tête depuis huit ans d’une insurrection armée en vue de créer un califat autour du lac Tchad, à l’intersection du Nigeria, du Cameroun, du Niger et du Tchad.

Les attaques de Boko Haram ont fait plus de 20.000 morts et causé près de trois millions de déplacés dans la région, selon les chiffres des agences humanitaires.

Martin Mateso

Source Géopolis 20/07/2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Afrique, Cameroun , Torture,

Nigeria: ces détournements de pétrole qui alimentent la corruption…

Ouvriers nigérians intervenant dans une raffinerie de pétrole à Port Harcourt (sud du Nigeria), le 16 septembre 2015. © AFP - PIUS UTOMI EKPEI

Ouvriers nigérians intervenant dans une raffinerie de pétrole à Port Harcourt (sud du Nigeria), le 16 septembre 2015. © AFP – PIUS UTOMI EKPEI

Le groupe Total doit passer le 16 janvier 2017 en procès à Lagos. Avec d’autres compagnies étrangères, il est accusé par le Nigeria d’avoir exporté illégalement plusieurs millions de barils de pétrole. Ce procès intervient alors que le président Buhari, confronté à une grave crise économique et à la baisse du prix du brut, est engagé dans une vaste lutte contre la corruption.

L’affaire ressort d’un véritable marathon judiciaire entamé à l’automne 2016. Elle touche Total mais aussi l’américain Chevron et l’italien Agip. Est également concerné l’anglo-américain Shell, comme le serait une dizaine d’autres opérateurs pétroliers étrangers. Les compagnies internationales, qui doivent obligatoirement s’associer avec la compagnie nationale NNPC, assurent la quasi-totalité de la production du pays.

En trois ans, entre 2011 et 2014, les firmes concernées par l’affaire auraient exporté illégalement vers les Etats-Unis pour 12,7 milliards de dollars (11,94 milliards d’euros) de brut. Le stratagème leur aurait ainsi permis de réduire le montant des taxes dues à l’Etat nigérian. Taxes qui, officiellement, s’élèvent à 85% des revenus générés par les hydrocarbures.

Accusation d’exportations de pétrole non déclaré
L’affaire commence en juillet 2016. Fraîchement élu, le président Muhammadu Buhari prononce une interdiction d’entrée dans les eaux territoriales du pays à l’encontre de 113 tankers. Il les accuse d’exporter du pétrole non déclaré.

Les autorités mandatent alors des sociétés d’audit américaines pour comparer le nombre de barils déclarés au départ des côtes nigérianes, avec les quantités déclarées à l’arrivée dans les ports américains, chinois et norvégiens. L’enquête conclut que «la baisse (remarquée dans les revenus de l’Etat) était en grande partie due à la non-déclaration ou la sous-évaluation des exportations de brut par les plus grandes compagnies d’hydrocarbures qui opèrent au Nigeria», selon les documents de l’accusation.

Navires et tankers au large des côtes du Nigeria le 25 février 2016. © REUTERS - Afolabi Sotunde

Navires et tankers au large des côtes du Nigeria le 25 février 2016. © REUTERS – Afolabi Sotunde

Dans un premier temps, la justice nigériane s’est concentrée sur les exportations illégales de 57 millions de barils vers les Etats-Unis. Opérations qui concernent donc Total, Agip et Chevron. Selon le procès-verbal d’une audience judiciaire qui s’est déroulée en septembre, document où seul Total est cité, le gouvernement demande à la société française 245 millions de dollars de dommages et intérêts. Avec 21% d’intérêts par année d’impayés, jusqu’à ce que la somme totale soit versée.

Aucune des nombreuses compagnies internationales n’a souhaité commenter. Selon une source proche du dossier, les groupes pétroliers préfèrent ne pas rentrer en confrontation directe avec le gouvernement nigérian pour l’instant. Ils se disent confiants pour la suite dans la mesure où ces accusations «ne sont pas fondées», selon elles. Certaines compagnies pensent que ce processus judiciaire est, pour l’Etat nigérian, un moyen de pression pour différer le paiement de sa dette…

Crise économique
Quoi qu’il en soit, l’affaire s’inscrit dans une situation économique très difficile pour le Nigeria, dont le déficit public est estimé à 17% du PIB.

La crise est accentuée par la chute du prix du baril, qui représente 70% des recettes de l’Etat. Elle l’est aussi par une baisse de la production. Selon les chiffres de l’Opep publiés début août 2016, le Nigeria, 11e producteur mondial, accusait alors une chute de 21,5% par rapport au mois de janvier. En cause notamment: les insurrections de groupes rebelles dans la région pétrolifère du Delta (du fleuve Niger dans le sud). Ces derniers mènent des attaques régulières sur les installations off-shore ou sur les pipelines stratégiques.

Désormais en récession, le Nigeria, deuxième puissance économique d’Afrique, est étranglé par une pénurie de devises étrangères. Les investissements étrangers ont par ailleurs chuté de 75% au deuxième trimestre 2016, par rapport à la même période de l’année précédente.

Cette récession survient alors que le Nigeria combat à la fois le groupe Boko Haram, les rebelles du Delta mais aussi la piraterie touchant les zones pétrolifères.

Croisade anti-corruption
Pendant ce temps, le nouveau président est engagé dans une croisade anti-corruption contre ses opposants politiques. «Ce qui est sûr, c’est que (si les compagnies pétrolières étrangères) ont fraudé, elles ont bénéficié de complicités au sein de la (…) NNPC et (de) la précédente administration», observe France Culture. «Personne ne peut extraire 400.000 barils de brut et en déclarer 300.000 sans connexions politiques», précise un conseiller en énergie pour Ecobank Group, cité par l’AFP.

Muhammedi Buhari a promis de retrouver les «sommes ‘‘astronomiques’’ dérobées par la classe dirigeante depuis des décennies» (Le Monde). C’est dans ce contexte qu’a été arrêtée, en octobre 2015 à Londres, l’ancienne ministre du Pétrole, Diezani Alison-Madueke, pour blanchiment d’argent. Une arrestation qui a mis «l’industrie pétrolière du Nigéria en mode panique»

Il faut dire que les détournements de pétrole dans les régions de production sont apparemment massifs. Ils concerneraient «15 à 20% de la production totale du pays», révèle La Croix. «Tout cela n’est possible qu’avec des appuis au ministère du Pétrole nigérian, à la NNPC ou au sein de l’administration présidentielle, avec des complicités incluant des traders véreux. Cette activité génère des revenus qui se comptent en milliards d’euros.» Petite précision du quotidien: 75% du brut volé partirait «vers le marché international, grâce à des navires qui circulent avec de faux permis»

 Laurent Ribadeau Dumas

Source : Géopolis 16/01/2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique Nigéria, rubrique Economie, rubrique Politique, rubrique Affaire,