Des centaines de personnes accusées de soutenir Boko Haram sans aucune preuve sont violemment torturées par les forces de sécurité du Cameroun. Des civils sont détenus dans des conditions effroyables. Amnesty tire la sonnette d’alarme sur les violations des droits de l’Homme dans ce pays et dénonce des crimes de guerre.
Dans le rapport qu’elle vient de publier, Amnesty rappelle d’abord qu’elle condamne sans équivoque les atrocités et les crimes de guerre commis par Boko Haram au Cameroun. Plus de 1500 civils y auraient été tués depuis 2014. Mais l’ONG des droits de l’Homme estime que rien ne saurait justifier «le recours impitoyable et généralisé à la torture par les forces de sécurité contre des Camerounais ordinaires, qui sont souvent arrêtés sans preuve».
Des simulacres de noyade
Le rapport a été rédigé sur la base de dizaines de témoignages, corroborés par des images satellitaires, des photos et des vidéos. Les enquêteurs décrivent le sort réservé aux détenus passés à tabac, placés dans des conditions insoutenables et soumis à des simulacres de noyade et parfois torturés à mort.
«Ces terribles violations s’apparentent à des crimes de guerre. Au vu des multiples éléments que nous avons découverts, il faut que les autorités diligentent une enquête indépendante sur la pratique de la détention au secret et de la torture», a déclaré Alioune Tine, directeur du programme Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale à Amnesty.
«La chèvre» et «la balançoire»
Les victimes ont décrit au moins 24 méthodes de torture qu’elles ont subies. L’une des positions douloureuses les plus courantes, appelée «la chèvre», consiste à attacher les membres des détenus derrière le dos avant de les battre.
Une autre technique, appelée «la balançoire», consiste à suspendre les détenus en l’air, les membres liés dans le dos, avant de les frapper. Les témoignages des victimes donnent froid dans le dos.
«Ils m’ont demandé de leur dire si je connaissais des membres de Boko Haram. C’est à ce moment-là que le gardien m’a attaché les mains et les pieds derrière le dos et a commencé à me frapper avec un câble électrique, tout en m’aspergeant d’eau. Ils m’ont pratiquement battu à mort», témoigne l’une des victimes interpelée en mars 2016.
Une autre victime, détenue au secret pendant six mois sur la base militaire de Salak, près de la ville septentrionale de Maroua, a raconté les séances de torture qu’elle a subies pendant quatre jours avec d’autres camarades.
«Les militaires nous ont demandé d’avouer. Ils nous ont dit que si nous ne le faisions pas, ils nous emmèneraient à Yaoundé pour nous tuer. Nous avons répondu que nous préférions être tués plutôt que d’avouer quelque chose dont nous n’étions pas au courant. Ils nous ont frappé pendant quatre jours.»
Selon le rapport d’Amnesty, des détenus sont attachés, battus et parfois torturés à mort. © Dessin d’illustration/Amnesty International
Selon Amnesty International, ces terribles actes de torture se déroulent souvent sur des bases militaires, dans de petites cellules où s’entassent les victimes par dizaines.
«Il faut que les hauts gradés en charge de ces centres de détention qui sont soupçonnés d’avoir une responsabilité, au sein de la chaîne de commandement, dans des détentions au secret, des actes de tortures, des morts en détention ou des disparitions forcées fassent l’objet d’une enquête», a déclaré Alioune Tine.
Les arrestations arbitraires et massives se font généralement au titre de la loi antiterroriste adoptée en décembre 2014 au Cameroun. En 2016, Amnesty avait déjà lancé un appel aux autorités du pays pour que les suspects soient conduits dans des centres de détention officiels et qu’il soit mis fin à la pratique de la torture.
Réagissant au contenu de ce rapport, un porte-parole du ministre de la Défense du Cameroun a accusé Amnesty «de mauvaise foi» et de chercher à «transformer des meurtriers en victimes».
Le groupe islamiste nigérian qui sévit dans le nord du Cameroun est à la tête depuis huit ans d’une insurrection armée en vue de créer un califat autour du lac Tchad, à l’intersection du Nigeria, du Cameroun, du Niger et du Tchad.
Les attaques de Boko Haram ont fait plus de 20.000 morts et causé près de trois millions de déplacés dans la région, selon les chiffres des agences humanitaires.
Martin Mateso
Source Géopolis 20/07/2017
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