Lettre
Chers amis,
Comme vous pouvez le voir, ce mail a été écrit à 3 heures du matin le 5 juin, et pas parce que j’ai fait la fête ; simplement je n’arrive pas à dormir.
Les représentations de Golgota Picnic ont été annulées.
Cela ressemble à ce que certains d’entre nous ont vécu en 2003, lorsque nous avions des représentations prévues à Avignon et que nous sommes restés chez nous parce que le festival avait été annulé par le boycott des intermittents du spectacle qui revendiquaient leurs droits.
Aujourd’hui, onze ans plus tard, la même chose se produit. Les intermittents mènent un combat légitime contre l’État français et préparent des grèves pour empêcher que l’on touche à leurs droits.
Ils commencent à boycotter le premier festival de printemps-été du sud de la France : Le Printemps des comédiens, et si les choses ne s’arrangent pas ils continueront certainement avec le festival Montpellier Danse et finiront peut-être par empêcher celui d’Avignon, comme en 2003, à moins que le gouvernement ne cède et négocie.
Moi, au nom du CDN, j’ai laissé il y a quelque temps la grande salle du théâtre aux Intermittents pour la première Assemblée générale.
Moi, au nom du CDN, j’ai signé il y a deux jours une lettre de soutien aux intermittents adressée au Premier Ministre Manuel Valls.
Moi, ce matin, j’avais une réunion à la DRAC avec 18 autres directeurs qui font partie comme moi de ce qui s’appelle le Comité d’experts : nous nous réunissons pour débattre des compagnies régionales qui obtiendront des conventions et des subventions. Nous avons décidé ce matin de ne pas faire notre travail et de rejoindre la grève et nous avons rédigé une lettre en faveur des intermittents.
Moi, cet après-midi, j’ai décidé que nous annulions Golgota Picnic en geste de soutien aux droits des travailleurs français que l’on appelle les intermittents du spectacle.
Lorsque j’explique, entre autres, que l’un des comédiens de notre compagnie (Gonzalo Cunill) a renoncé à un travail de plusieurs semaines en Espagne juste pour faire trois représentations de Golgota Picnic à Montpellier, ça n’intéresse personne.
Tout le monde se fout de savoir que d’autres pâtissent économiquement de tout ça.
Qu’ils aillent se faire foutre, les artistes et techniciens espagnols, italiens et portugais de notre équipe, eux qui ne reçoivent aucune aide de l’État quand ils ne travaillent pas parce qu’ils ne travaillent pas en France, en Belgique ou en Suisse.
Tout le monde se fiche de savoir qu’à cause de cette annulation, toute l’équipe de Golgota Picnic perd l’opportunité de faire un autre travail et de toucher un salaire pour vivre avec leurs familles, tout le monde se fiche qu’il s’agisse de pays en crise où il n’y a pas de travail.
Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qu’il se passe autour d’eux.
C’est digne d’une étude anthropologique ; parfois tout à l’air tellement primitif, comme dans Tristes tropiques de C. Lévi-Strauss. Il faut aussi dire que l’assemblée de cet après-midi a connu ses moments stalinistes, qui m’ont paru sombres et pathétiques. Et pourtant, je suis avec eux. Nous les soutenons.
Et plus encore : personne ne se soucie du plus grand perdant : le public, les citoyens, leurs voisins, les professeurs de leurs enfants ou les médecins qui les soignent, c’est-à-dire le public qui, quand il cesse d’être professeur ou médecin, va au théâtre. Qu’ils aillent se faire foutre. Cet été ils resteront à la maison à jouer au solitaire ou ils iront se balader à Odysseum, parce qu’il n’y aura ni opéra, ni théâtre ni danse.
Le débat sociologique et philosophique sur ce sujet serait interminable et je ne veux pas commencer à en discuter dans ce mail que j’écris seulement pour vous communiquer la mauvaise nouvelle de l’annulation.
En tant que directeur d’une institution, j’ai pris parti pour l’un des deux camps, celui des intermittents du spectacle, qui ont été trahis par le parti socialiste. Hollande n’a pas tenu ses promesses. La ministre de la culture refile la patate chaude au ministre du travail qui refuse de faire marche arrière.
En prenant cette décision, je me sens sur le plan personnel comme une vraie merde, parce que nous ne pouvons pas faire notre pièce en Juin comme c’était prévu (nous avions reçu tellement de demandes de places que nous avions ajouté une troisième représentation) et que vous, comme moi, nous retrouvons privés d’un premier contact artistique avec la ville de Montpellier.
Je suppose que ma décision d’annuler la pièce et de me situer du côté des intermittents ne plaira pas beaucoup au Ministère du travail. Je suppose que cette lettre, que nous avons décidé de rendre publique, ne plaira pas beaucoup aux intermittents du spectacle. Très bien : je me prendrai des claques des deux côtés. Au moins je dis ce que j’ai à dire. Je crois indispensable de dire que les gens qui – et c’est leur droit – foutent en l’air un festival doivent prendre conscience des « dommages collatéraux », car il y en a, et pas des moindres.
Pas la peine de dire que les trois cents personnes qui étaient à l’Assemblée cet après-midi m’ont applaudi lorsque j’ai annoncé qu’on ne ferait pas Golgota. Je me suis senti et je me sens comme une merde. Parce que j’aime mon travail.
Je vous envoie un lien d’une vidéo où Nicolas Bouchaud, compagnon de plusieurs de nos pièces, parle à ce sujet, pendant la remise des prix Molière: http://www.youtube.com/watch?v=XgtNuEy3cJk
Je vous recontacte très vite pour savoir s’il est possible de présenter Golgota Picnic plus tard. On verra. Parce que cette annulation affecte, et beaucoup, l’économie précaire de notre petit CDN qui a l’ambition de grandir et de se moderniser.
Rodrigo
Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Mouvement sociaux, Réponse de Franck Ferrara à cette lettre, rubrique Théâtre, Direction artistique. Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier ,
Martine Horovitz Silber
A la décharge de Rodrigo Garcia et surtout de son comédien espagnol,ce système n’existe qu’en France, les étrangers ont du mal à comprendre. J’avai fait une mini enquête en 2003, en Espagne, auprès de comédiens et de techniciens du spectacle et pour eux, c’était bien surprenant. Quant aux transports, il y a en Espagne, une obligation de maintenir des services minimum…donc ils ne comprennent pas non plus que ce ne soit pas la même chose en France .
Laurent Douel
il y a une alternative à tout cela : arrêter les prélèvements obligatoires et que chacun s’assure comme il le souhaite… pour être plus clair je veux dire que si on prélève sur les cachets des artistes des sommes censées leur procurer une assurance il faut respecter le contrat, sinon il n’y a plus de contrat et donc le prélèvement devient un vol!
Erwan Le Roy
En fait Rodrigo Garcia se plaint des inconvénients conséquents de la grève. Mais ça n’est pas ça le but d’une grève : gêner le choses pour se faire entendre. Je suis désolé pour son comédien espagnol (même si je suis persuadé que le « petit cdn’ trouvera de quoi lui éviter la panade), mais toutes les personnes qui font grève renoncent à leurs salaires. Quand la sncf fait grève, Rodrigo est-il désolé pour ses comédiens qui ne peuvent continuer la tournée ? (peut-être même un comédien espagnol qui n’a pas pu prendre le tgv et être là à temps pur la représentation. Espérons que ça ne soit pas le même). Rodrigo, prend tes responsabilités, et sers-toi de ta place de directeur de cdn pour faire pression sur la ministre plutôt que de culpabiliser les intermittent qui eux aussi voit leurs salaires sacrément diminuer, même quand il ne font pas grève.
Pierre-Jérôme Adjedj
La lettre de Rodrigo Garcia a ce mérite : celle d’ouvrir le débat sur une nécessaire réflexion du statut de l’artiste européen. Car aux discriminations dont les intermittents sont victimes (je pense particulièrement à toutes ces intermittentes qui plongent dans la précarité extrême au seul prétexte qu’elles ont eu l’insolence d’enfanter) répondent celles des artistes des autres pays d’Europe. Les intermittents ne sont pas des privilégiés; mais leur position au regard des autres artistes en Europe devrait les obliger à provoquer une réflexion qui dépasse le cadre franco-français. Comme dit Arno : « Putain, putain, c’est vachement bien, on est quand même tous des européens ».
Ode Lafon
Voici une mise au point qui me paraît refléter correctement la situation des « intermittents ». Il faut aussi rappeler que la création artistique ne comporte pas que de la scène! La création est le fruit d’une longue maturation, réflexion, essais, durant lesquels on peut « paraitre » glander! Mais c’est de ce travail qui prend des mois que naissent les œuvres! Et c’est ce travail de préparation qui n’est pas payé!
Serginnio Delagauchelavraie .
Une façon pragmatique de soutenir les intermittents qui subissent l’annulation de Golgota picnic c’est de les payer quand même !!! Tout le reste de cette missive, c’est du blablabla !!!
L art et la culture subventionnes ca donne de la mediocrite si pas pire en plus c est du bourrage de crane et de l intox c est terrible de voir ou passe nos impots
Je trouve ta lettre comme tes spectacles que j’ai vus, pas tant que ça en fait… Et tes textes que j’ai lu, tous ceux publiés en français qui m’ont fait rire de plaisir et jouir d’intelligence et pleurer aussi comme le font les toreros qui ont aimé leur victime, ou Maradonna avec sa main du diable de merde dont tout le monde parlé et son deuxième but sublime que tout le monde à oublier…La vida es una mierdia…Toi qui ne fais pas un theatre de texte je te lis avec une facilité déconcertante… Eso es Hombre.
Mais arrête de dire pour les espagnols, artistes et techniciens, et pour les français, intermittents du spectacle… Ce sont les mêmes, c’est à dire des techniciens et des artistes, sauf qu’en France, ouais c’est vrai, on a un statut et on le défend, et avec toi entre autre et contre des salauds qui veulent des esclaves. Ne crois pas qu’on se fout des artistes et techniciens espagnols… Pero la vida es una mierdia… Buena noche y suerte.
Je viens de lire avec attention votre lettre qui a le privilège de mettre à nu l’ambiguité amère de la situation de certains …. mais , hélas , on ne peut pas jouer dans des moments cruciaux dans les deux cours et s’engager c’est ….perdre aussi quelque chose de l’ego .
Je pense aussi que ce monde du spectacle a forcément , quelque part , une part de responsabilité dont la première me semble être une absence totale de solidarité …. les gens bougent quand leur assiette est retirée , il en est de même pour des ouvriers dans les quatre cons de la France . Je ne peux que penser à cette pièce terrible d’Edward Bond « Rouge , noir et ignorant » .
Il est sincère Rodrigo.Il a pas tout à fait tord, Rodrigo. Mais il se trompe quand il parle d’égoïsme, Rodrigo. De très nombreuses compagnies, Artistes de toute petites compagnies ont renoncé d’ors et déjà aux peu de représentations qu’ils avaient signé. Ces compagnies savent ce qu’elles risquent: mettre la clé sous la porte! Des compagnies montpelliéraines. celles-la même qui sont au première ligne de la Grève et non pas du Boycott. J’entends bien le désarrois des artistes étrangers, mais nous n’allons pas renoncer à nous battre parce quelques artistes étrangers n’auront pas leur cachets sur 2 ou 3 dates. C’est des tournées entières qui risquent d’être annulées pour les artistes français.
Cependant et là où je souscrits à son discours c’est sur le rapport parfois Stalinien de certains. Je trouve cette manière de faire puante et insupportable car si nous devons effectivement nous battre, nous devons prêter attention au plus faibles et les soutenir, leur laisser le choix de ne pas jouer ou d’informer et de jouer. Pour autant, je soutien toujours la lutte. Nous n’avons le choix.
Nous manquons de pédagogie, nous oublions d’expliquer au public. En annulant toutes les représentations, nous n’avons plus moyen d’informer ce même public qui nous soutien, et particulièrement dans le réseau des Arts de la Rue.
Je prépare actuellement la 29ème édition du Festival d’Aurillac, les Cies de passage sont toujours aussi nombreuses à s’inscrire. Rappelons à Rodrigo qui se sent pas très bien d’avoir du annuler ces représentations que sans le combat des Intermittents, nous ne serions pas en train de réfléchir à ce que pourrait être la 30 ème! Idem pour les autres festivals, car sans le régime de l’intermittence, la France ne serait pas ce pays de la culture et des Festivals. Sans l’intermittence, nous n’aurions pas un si grand nombres de salles de spectacles, nous n’aurions pas tous ces fameux festival qui font de notre pays un modèle envié par de nombreux artistes étrangers qui se produisent chaque année pour notre grand plaisir.