Théâtre. Singulière histoire sexuelle et amoureuse

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Stephanie Marc dans La nuit la chair, Editions Espace 34

Elle se tient debout le dos au mur en fond de scène. Ce pourrait être un homme, mais ce soir cette voix sera celle d’une femme. L’organe sexuel masculin n’est pas le seul à pouvoir se prévaloir d’une érection. Elle fume dans l’obscurité en prenant le temps de tirer de bonnes bouffées. Elle  fait peser la suspension du temps.

Sur le devant de la scène, une estrade où les projecteurs éclairent le vide, derrière un grand lit mal fait, vague représentation d’un espace intime et sauvage. Le public  attend  activement les premiers mots en s’imprégnant de l’atmosphère, celui des ébats sexuels.

On est au Théâtre de Lattes, la pièce écrite par David Léon se nomme La nuit et la chair, elle est mise en scène par Alexis Lameda-Waksmann et interprétée par Stéphanie Marc.

16473750_10155844653698146_7000391677140252191_n« De deux choses l’une, ou la parole viendra à bout de l’érotisme ou l’érotisme viendra à bout de la parole. » Cette phrase de Georges Bataille figure en épigraphe du texte de Léon. Cette question s’inscrit dans le silence qui va donner vie au texte.

L’actrice quitte son mur pour venir vers nous, elle monte sur l’estrade, éteint sa première cigarette et s’adresse à nous sans duperie. « L’homme est assis en face de moi. Pas tout à fait à califourchon. Ni même en tailleur. Ses paumes pressés contre ses cuisses. Je le regarde. Je regarde l’homme. Image(s) après images(s). Son corps trapu ruisselle. Il a cette odeur âcre, amère comme un relent. Je vous masturbe. »

Exercice périlleux que de répondre à l’exigence d’abandon que requiert ce texte qui aborde les thèmes de la férocité, de l’écart, de l’extrême, du désir comme principe d’excès. Il est question du pouvoir, celui des mots que l’homme refuse. L’effacement des codes sociaux ne vaut que dans l’espace du sexe. Dehors, le froid, et les chiens, le protocole qui reprend ces droits. La recomposition imaginaire du monde ne s’entrebâille que dans la garçonnière.

Toutes ces forces traversent le corps exposé, brutalement interrompues par un court extrait musical hardcore (noyau dur). Belle trouvaille, qui donne à la mise en scène un tempo ultra speed,  en correspondance avec l’esprit cash et rock adopté par la comédienne.

Alexis Lameda-Waksmann prend le parti de travailler les contrastes, jouant sur la dualité détermination vulnérabilité. Stéphanie Marc incarne la figure érotique en s’attaquant au soleil.

JMDH

Source La Marseillaise 04/02/2017

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La musique de Racine passe dans les veines

Le jeu complexe de pouvoir et de dépendance emporte dans son vertige. Photo Marc Ginot.

Théâtre Jacques Coeur. Britannicus dans une mise en scène fiévreuse et flambante de Tatiana Stepantchenko.

Monter un grand classique avec de bons acteurs ne constitue pas, comme certains auraient tendance à le penser, une assurance. Même si l’œuvre figure au programme des lycées et qu’elle bénéficie d’une aura qui rassure les seniors, on ne va pas au théâtre pour écouter et réfléchir. On s’y rend pour vivre des émotions, pour sentir, pour participer à un échange « énergétique » avec les acteurs sans forcément comprendre ce qui nous arrive.

Formée à l’école russe, Tatiana Stepantchenko  le sait lorsqu’elle s’attaque à Britannicus. « C’est une mise en scène exigeante et d’une grande rigueur plastique, sur la quête du sens véritable de l’œuvre. » Ce travail d’immersion appréhende la double dimension humaine et politique, au cœur de la tragédie classique. Dans ce jeu complexe de pouvoir et de dépendance, la metteur en scène opte pour une approche universelle de la problématique, délaissant la possibilité d’utiliser la scène pour commenter son propre temps. Elle ajoute cependant, une touche transgressive, en considérant Britannicus (Mathias Maréchal) et Néron Jacques Allaire) comme « des fils de putains ». Au delà d’être une mère coupable et manipulatrice, Agrippine (Claire Mirande) apparaît privée de règne par son sexe, et finit par perdre la partie contre le politicien de l’ombre, Narcisse (Damien Remy).

Fidèle au texte, Tatiana Stepantchenko rompt avec « le culte monopoliste et dogmatique du vers racinien ». Les acteurs nous captivent en habitant musicalement et physiquement – avec le concours de la chorégraphe Geneviève Mazin – leur rôle. Ils le dépassent en tissant un réseau de relations qui vibre tel un champ de forces invisibles. L’espace et le temps se font nôtre, l’esthétisme de l’œuvre fascine la salle. L’émotion est au rendez-vous. Pari gagné pour Tatiana Stepantchenko et son équipe.

Jean-Marie Dinh

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En attendant le Révizor : Corrosif, drôle et bien culotté

 En attendant le Révizor par la Cie Faux Magnifico

Un choix judicieux opéré  par Toni Cafiero, en résidence à Lattes, il vient de monter En attendant le Révisor au théâtre Jacques Cœur. La pièce s’inspire d’une comédie de Gogol, Le Révisor, crée en 1836 d’après une idée de Pouchkine. Les lignes de ce textes n’ont pas vieilli. L’action prend cœur dans une tranquille petite ville de province russe. Elle dépeint sur le ton comique les viles pratiques et les arrangements « entre amis » des notables locaux.

A l’occasion d’une visite surprise d’inspection du Révisor, qui incarne l’autorité du pouvoir national, les administrateurs de la petite ville tentent de se montrer sous leurs meilleurs jours. Mais faire mains propres se révèle une tâche bien ardue quand on les sort à peine du pot de confiture, d’autant que le Révisor est un curieux personnage.

L’adaptation soignée de Toni Cafiero, qui signe aussi les décors, joue sur l’abondance des jeux de scène et la gestuel comique. La mise en scène renforce le jeu en portant un soin particulier à la musique et au rythme. Le travail de Vladimir Granov sur les déplacements dans l’espace est remarquable.

La petitesse d’esprit que  dévoile cette comédie de caractère fait rire. Sans doute parce que ce monde de déférences et de mesquinerie, ne nous apparaît pas si étranger, et qu’au final, la visite du Révisor nous ramène sur le chemin de l’intérêt général.


Jean-Marie Dinh

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Hamlet. Sur les dalles flottantes du monde

Après Lattes et Alès (1), le drame shakespearien de la discordance mis en scène par Frédéric Borie sera jouée du 19 au 23 janvier au Théâtre des Treize Vents.

theatre-jacques-coeur-hamlet-extrait-1260955363-15133Après un puissant Timon d’Athènes, Frédéric Borie renoue avec Shakespeare en prenant le taureau par les cornes. Tragédie de la vengeance à large spectre, Hamlet est un animal fulgurant qui traverse les siècles. S’en saisir est un défi qui relève toujours un peu de l’exercice de style et de la captation du temps dans lequel on vit. L’intrigue semble simple. « Le roi du Danemark, père d’Hamlet, a été assassiné par son frère Claudius qui a épousé sa veuve et s’est emparé du trône. Le spectre de la victime apparaît sur les remparts du château d’Elseneur et demande à son fils Hamlet de le venger. » Mais l’enchaînement des situations et la cruauté du destin qui s’abat sur le personnage d’Hamlet le mettent dans l’incapacité de tenir son engagement.

Mise en scène irrésolue

Frédéric Borie épure le texte et modernise la langue. Il libère le spectateur d’une réflexion trop pesante. Sur le fond, il conserve le cadre classique du drame tout en nous menant sur les traces d’un Hamlet contemporain. Par moments, les brides de la modernité semblent trop retenues. Certaines scènes comme celle du spectre manquent de force. D’autres fonctionnent à merveille, comme celle des comédiens où le théâtre se regarde dans un miroir révélateur. Entre académisme et modernité, entre musique cérémonieuse et larsens, entre habits d’époque et costards trois pièces, le metteur en scène semble s’être pris au jeu de l’irrésolution mais il épouse le drame en lui donnant un reflet intense et sensible.

Inquiétude éternelle

A propos de la pièce, Borie évoque « le récit de jeune gens fauchés dans la fleur de l’âge par les inconséquences parfois énigmatiques de leurs aînés. Offrant le rôle titre à Nicolas Oton, dont la vigueur nerveuse convient bien à l’instabilité du personnage, le jeune metteur en scène a concentré son travail sur la tragédie familiale. Un des derniers lieux qui trompe l’indifférence générale, et où se déchaînent encore les passions. La quête de vérité d’Hamlet se pare des habits de la vertu comme elle prive le personnage de ses facultés d’agir. Ce mal être nous entraîne sur le chemin intérieur du personnage, qui dépend des autres, autant qu’il peut sarcastiquement les rejeter. De cette inquiétude éternelle la mort finit par triompher. Borie met en exergue l’aspect solaire du parcours, tout en découverte du jeune prince »en ayant préalablement pris soin de délaisser l’aspect historique et politique de l’œuvre. On touche là aussi la fragilité de notre temps. Un temps qui file vers le tragique, à l’image de l’eau qui monte sur la scène sans que personne ne s’en soucie…

Jean-Marie Dinh

Coproduction avec le CDN de Montpellier Et Le Cratère (Scène nationale d’Alès et l’Ecole Nationale d’Art Dramatique de Montpellier.)

Au Théâtre de Grammont du 19 au 23 janvier (réservations : 04 67 99 25 00)