Théâtre
Monter un grand classique avec de bons acteurs ne constitue pas, comme certains auraient tendance à le penser, une assurance. Même si l’œuvre figure au programme des lycées et qu’elle bénéficie d’une aura qui rassure les seniors, on ne va pas au théâtre pour écouter et réfléchir. On s’y rend pour vivre des émotions, pour sentir, pour participer à un échange « énergétique » avec les acteurs sans forcément comprendre ce qui nous arrive.
Formée à l’école russe, Tatiana Stepantchenko le sait lorsqu’elle s’attaque à Britannicus. « C’est une mise en scène exigeante et d’une grande rigueur plastique, sur la quête du sens véritable de l’œuvre. » Ce travail d’immersion appréhende la double dimension humaine et politique, au cœur de la tragédie classique. Dans ce jeu complexe de pouvoir et de dépendance, la metteur en scène opte pour une approche universelle de la problématique, délaissant la possibilité d’utiliser la scène pour commenter son propre temps. Elle ajoute cependant, une touche transgressive, en considérant Britannicus (Mathias Maréchal) et Néron Jacques Allaire) comme « des fils de putains ». Au delà d’être une mère coupable et manipulatrice, Agrippine (Claire Mirande) apparaît privée de règne par son sexe, et finit par perdre la partie contre le politicien de l’ombre, Narcisse (Damien Remy).
Fidèle au texte, Tatiana Stepantchenko rompt avec « le culte monopoliste et dogmatique du vers racinien ». Les acteurs nous captivent en habitant musicalement et physiquement – avec le concours de la chorégraphe Geneviève Mazin – leur rôle. Ils le dépassent en tissant un réseau de relations qui vibre tel un champ de forces invisibles. L’espace et le temps se font nôtre, l’esthétisme de l’œuvre fascine la salle. L’émotion est au rendez-vous. Pari gagné pour Tatiana Stepantchenko et son équipe.
Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Rubrique Théâtre,