Un classique moderne

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Une tragédie où l’ironie distanciée croise le pessimisme amer et douloureux.

Deux pièces de Corneille mises en scène par Brigitte Jacques Wajeman au CDN.

Brigitte Jacques Wajeman met en scène deux pièces de Corneille au Treize Vents Pompée et Sophonisbe. Fidèle au dramaturge qui regroupait ses pièces en série pour explorer les ressources d’un registre particulier, elle a centré son choix sur ce qu’elle nomme les pièces coloniales.

Avec Pompée dont l’action se situe à Alexandrie Corneille marque une transition dans son système de représentation politique construit sur l’histoire de Rome. L’auteur du Cid se rapproche ainsi un peu de Racine, si l’on partage le jugement du gentilhomme La Bruyère selon lequel : « Corneille peint les hommes tels qui devraient être, Racine les peint tels qu’ils sont.» C’est en effet le triomphe du réalisme politique -realpolitik dirait-on aujourd’hui – que donne à voir Corneille à travers l’attitude dominatrice des Romains au-dehors, dans le traitement qu’ils réservent aux rois alliés.

Mais Brigitte Jacques Wajeman va sans doute un peu loin en comparant l’assassinat de Pompée par le jeune souverain d’Égypte, Ptolomée, aux attentats terroristes mis en scène par les islamistes. Elle cède sans doute au penchant de Corneille en son temps très attentif aux attentes du public.

Cela ne suffit pas à transposer le drame sous une lumière véritablement contemporaine. La  mise en scène de Pompée de Brigitte Jacques Wajeman s’inscrit dans la suite d’un travail symbolique et dépouillé. Elle présente des actions recevables par l’esprit du public. On apprécie le respect porté à la langue et le jeu des jeunes acteurs dans les scènes de violence. On sourit dans la confrontation opposant l’ambitieuse Cléôpâtre à un César taillé dans l’étoffe d’un homme « normal ». Mais il aurait fallu faire davantage confiance à l’imagination du spectateur pour transposer ce drame dans notre contemporéanité.

JMDH

Source L’Hérault du jour  27/01/14

Voir aussi : Rubrique Théâtre

La musique de Racine passe dans les veines

Le jeu complexe de pouvoir et de dépendance emporte dans son vertige. Photo Marc Ginot.

Théâtre Jacques Coeur. Britannicus dans une mise en scène fiévreuse et flambante de Tatiana Stepantchenko.

Monter un grand classique avec de bons acteurs ne constitue pas, comme certains auraient tendance à le penser, une assurance. Même si l’œuvre figure au programme des lycées et qu’elle bénéficie d’une aura qui rassure les seniors, on ne va pas au théâtre pour écouter et réfléchir. On s’y rend pour vivre des émotions, pour sentir, pour participer à un échange « énergétique » avec les acteurs sans forcément comprendre ce qui nous arrive.

Formée à l’école russe, Tatiana Stepantchenko  le sait lorsqu’elle s’attaque à Britannicus. « C’est une mise en scène exigeante et d’une grande rigueur plastique, sur la quête du sens véritable de l’œuvre. » Ce travail d’immersion appréhende la double dimension humaine et politique, au cœur de la tragédie classique. Dans ce jeu complexe de pouvoir et de dépendance, la metteur en scène opte pour une approche universelle de la problématique, délaissant la possibilité d’utiliser la scène pour commenter son propre temps. Elle ajoute cependant, une touche transgressive, en considérant Britannicus (Mathias Maréchal) et Néron Jacques Allaire) comme « des fils de putains ». Au delà d’être une mère coupable et manipulatrice, Agrippine (Claire Mirande) apparaît privée de règne par son sexe, et finit par perdre la partie contre le politicien de l’ombre, Narcisse (Damien Remy).

Fidèle au texte, Tatiana Stepantchenko rompt avec « le culte monopoliste et dogmatique du vers racinien ». Les acteurs nous captivent en habitant musicalement et physiquement – avec le concours de la chorégraphe Geneviève Mazin – leur rôle. Ils le dépassent en tissant un réseau de relations qui vibre tel un champ de forces invisibles. L’espace et le temps se font nôtre, l’esthétisme de l’œuvre fascine la salle. L’émotion est au rendez-vous. Pari gagné pour Tatiana Stepantchenko et son équipe.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre,