Le travail historique et mémoriel sur l’esclavage est une affaire sérieuse !

Par Myriam Cottias*

Myriam CottiaLa mémoire et l’histoire de l’esclavage sont des affaires sérieuses ! S’il faut encore le rappeler de façon si péremptoire, c’est que la vigilance doit être soutenue, encore et toujours, pour que les luttes des esclaves qui ont participés à la construction de la République et des valeurs qui nous rassemblent, ne disparaissent pas sous l’effet du souffle de la méconnaissance ou de l’idéologie nocive sur l’inégalité des acteurs de l’Histoire. La loi du 21 mai 2001, première loi Taubira, a déclaré l’esclavage et la traite dans l’Atlantique et l’Océan Indien comme crime comme l’humanité et aussi inscrit dans son article 2, que leur enseignement était obligatoire. Les programmes en ont tenu compte … sept ans plus tard, en 2008, pour le collège et le lycée mais il a fallut toute la ténacité du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage pour que la question ne disparaisse pas des nouveaux programmes du primaire et du collège. Les contempteurs de cette histoire arguent que finalement ce phénomène historique n’était pas si important ni au niveau de la France, ni au niveau du monde, simplement treize millions de personnes africaines déportées vers les Amériques et un million vers l’Océan Indien.

Outre le mépris que ce jugement manifeste vis-à-vis de ces personnes, ces chiffres ne disent rien de l’importance de l’histoire de l’esclavage dans l’histoire de France, surtout dans ce moment fondateur du récit national qu’est la Révolution française. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et surtout Saint-Domingue (futur Haïti) ont cru pleinement au combat pour les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité et l’ont porté si haut que la Convention nationale a aboli l’esclavage pour la première fois, le 4 février 1794 dans l’ensemble des colonies françaises de l’époque. Pendant la bataille de La-Crête-à-Pierrot menée lors de la tentative de rétablissement de l’esclavage par Napoléon, autant les esclaves de Saint-Domingue que les troupes françaises qui s’affrontaient, chantaient la Marseillaise ! Plus de cinquante ans plus tard, le 27 avril 1848, la deuxième République abolissait pour la seconde fois l’esclavage, cette fois-ci définitivement pour les colonies de l’Atlantique et de l’Océan Indien. La France célèbre chaque 10 mai la « Journée nationale des mémoires des traites, de l’esclavage et de leur abolitions » en hommage aux esclaves et aux abolitionnistes.

En effet, les esclaves qui s’étaient révoltés continuellement depuis le XVe siècle mais encore plus depuis la fin du XVIIIe siècle et qui, par leurs soulèvements contre le pouvoir colonial, avaient nourri la réflexion abolitionniste sur l’égalité du genre humain, ont accueilli l’émancipation légale au cris de « Vive la République ». Les esclaves n’avaient jamais renoncé à leur humanité, même au sein du cadre contraint et violent de l’esclavage. Ils l’ont imposée par la force ou par la résistance quotidienne. Ils croyaient à l’égalité, ils la réclamaient, et ce d’autant plus qu’au sein des sociétés coloniales esclavagistes de l’Atlantique se sont construites ces équivalences de termes entre noirs/esclaves et blancs/maîtres. Avant cette expérience, il n’y avait pas de « Blanc » (ce qualificatif utilisé dans les colonies atlantiques devait être expliqué au public européen) et pas de hiérarchies socio/raciales en Europe. C’est bien dans ces colonies de sucre, de café et de coton que la « race » n’a plus été le marqueur d’une appartenance familiale ou lignagère mais s’est transmuée en élément biologique qui, par le sang, transmettait un statut.

L’origine de l’idéologie raciale et du racisme

Ce récit sur les sociétés esclavagistes n’est pas simple détour, il souligne l’origine de l’idéologie raciale et du racisme. Les mémoires -définies comme expériences sociales du passé dans le contemporain- se sont précisément opposées – parfois, souvent – à la jauge de l’expérience du racisme produite par les événements de violence extrême de l’histoire. Alors que faire ? Si l’urgence actuelle de créer du collectif dans l’égalité des droits et des devoirs est bien réelle, les conditions doivent en être posées. Elles ne passent pas, me semble-t-il, par des combats auto-déclarés comme « anti-racistes » -dont le pluriel est suspect et qui sont parfois aporétiques- mais bien par la reconnaissance mutuelle des phénomènes historiques qui ont engendré des faits de racisme (mise en discours, idéologie, de l’exclusion et de la dépréciation de l’autre). Les mémoires ne doivent pas se croiser mais faire « causes communes » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicole Lapierre ou mieux encore « Histoire commune ». Peut-être alors pourrait-on sortir de la « race » comme totalitarisme c’est-à-dire d’un système où la « race » et conséquemment le racisme ne peuvent être dénoncés et combattus qu’en utilisant les propres catégories qui les créent. C’est faire ici le pari de la connaissance et de l’enseignement, de la recherche universitaire, d’une certaine exigence de la pensée qui se partage.

C’est aussi celui que font de nombreuses associations de citoyens qui souhaitent fermement dépasser la mémoire pour aller vers l’histoire. Quoiqu’on cherche à la leur imposer, certaines d’entre elles ne se reconnaissent pas dans des identités sans espoir comme celle de « victimes de l’esclavage colonial ». Elles veulent avoir leur place dans le monde, à égalité…

* Myriam Cottias est directrice de recherche au CNRS, présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage

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Festival Voix Vives. Sans frontière les poèmes disent l’essentiel

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Le poète Jihad Hudaib.

Festival. Alors que la guerre cause rage et désespoir, Voix Vives consacre la poésie comme territoire de paix en Méditerranée. A Sète jusqu’au 26 juillet.

La poésie contemporaine méditerranéenne occupe pacifiquement depuis vendredi le quartier haut de Sète et plusieurs enclaves de l’île singulière. C’est dans ce quartier populaire que les mots d’une centaines de poètes venus de toutes les rives accostent.

En levant la tête, on décrypte des extraits de poèmes pris au piège des banderoles qui les offrent à nos regards, mais la plupart des mots parcourent librement les rues. Portés par un vent émancipateur, ils pénètrent les ruelles, les parcs, et les jardins. L’imaginaire collectif se trouve enrichi de ce grand partage inédit qui aiguise notre savoir-vivre.

A l’instar de ses éditions à Sidi Bou Said (Tunisie), Gènes et Tolède (en septembre), le festival Voix Vives privilégie les relations maritimes en élargissant sa sphère géographique à la Méditerranée, africaine, latine, orientale et à celle des Balkans. Une escale au festival Voix Vives permet de saisir à quel point la grande bleue vivifie le monde en mouvement.

La poésie : territoire de paix

« Je suis né sur le chemin de l’exil et n’ai jamais connu la mer même si je viens d’une famille qui dort sur son épaule, explique le poète palestinien Jihad Hudaib. Du fait de la colonisation, la seule mer que j’ai connue était une mer morte, en Jordanie

Le regard de Jihad se veut lucide sur les sociétés, leurs entrecroisements et dysfonctionnements : « Le dialogue n’est toujours pas instauré entre les deux rives défend-il, heureusement qu’il existe entre les personnes et les citoyens, même s’il est le plus souvent basé sur l’idée du vainqueur et du vaincu. Soyons honnêtes, personne ne veut prendre la responsabilité de cette différence. La mer est bleue, obscure et claire, entre deux idées et le poète un oiseau qui voyage continuellement entre les deux rives.»

Le poète France-Maximin Daniel

Le poète France-Maximin Daniel

Pour le poète romancier guadeloupéen Daniel Maximin, la Méditerranée n’est pas seulement une mer qui noie et sépare les ennemis. L’ami de Césaire, revendique un cousinage :

« Comme la Méditerranée la Caraïbe est un lieu à la croisée des cultures où l’on doit trouver une solution de paix parce que nous sommes cousins et pas parce que nous sommes différents. C’est la raison pour laquelle nous comprenons la Méditerranée. Comment être prétentieux lorsque l’on dépend comme nous des cyclones, des tremblements de terre, des éruptions volcaniques et des raz de marée ? La nature est notre modèle elle est la source même de la poésie. En Méditerranée, la proximité des civilisations explique la violence. Tout le monde est cousin et chacun veut marquer sa personnalité

La Méditerranée comme la Caraïbe sont des terres débordantes de créativité, « des terres de poésies » souligne Daniel Maximin qui fait un lien géographique et géologique entre les deux cultures « issues d’une terre en éruption, animées par un feu intérieur. »

Et le poète de se demander pourquoi les religions monothéistes ne parlent que de l’homme, et pas de l’homme et de la nature. « La mer est une fatalité au bout de chaque sentier et en même temps elle permet d’aller des deux côtés.»

Se pourrait-il que la poésie lave de sa pluie tous les affronts…

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour 22/07/14

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