Avec « Human Flow », Ai Weiwei questionne notre regard sur les migrants

Une image du film Human Flow.

Une image du film Human Flow.

Le capitalisme a besoin de surfaces lisses pour se répandre, tel un liquide qui coulerait sur une toile cirée à dimension mondiale : fluidité des marchandises, des capitaux, des savoirs, des hommes. S’agissant de la fluidité des hommes, elle peut être contrôlée, voire stoppée par des murs au nom d’une protection des travailleurs sur un marché du travail national ; mais la fluidité des hommes peut avoir une tout autre cause.

Les hommes fuient non seulement pour chercher du travail dans les pays où ils espèrent en trouver, mais aussi parce qu’ils ne peuvent plus vivre dans leurs pays qui ne reconnaissent pas les droits de l’homme, ou parce que leurs pays sont en guerre ; des pays qui sont d’ailleurs en guerre pour des questions de fluidité, quand le pétrole ne peut plus couler selon un débit fixé par les pays qui en ont crucialement besoin pour assurer et maintenir un certain style de vie. Fluidité du pétrole à tout prix : le président Bush décidera d’envahir l’Irak, déclenchant du même coup une dislocation sans précédent des frontières du Moyen-Orient et provoquant un flux continu de migrants.

Avec le film Human Flow, Ai Weiwei veut nous faire prendre conscience de cette fluidité humaine à l’échelle mondiale. Il poursuit ainsi sa réflexion sur la crise migratoire. Ai Weiwei est un artiste plasticien, non un moraliste ni un démographe spécialiste des migrations. Son film nous épargne une voix off où, souvent, une leçon géopolitique est délivrée au spectateur sur fond d’images « parlantes ». Rien de tel ici. Les seuls commentaires se réduisent à des incrustations de texte qui fournissent des données sur les lieux de tournage, sur les chiffres des flux de réfugiés de par le monde et cela depuis la Seconde Guerre mondiale. La parole est aux poètes qui, à l’instar du syrien Nizar Quabbani, énoncent la condition humaine :

Nos cris sont plus forts que nos actes
Nos épées sont plus grandes que nous
Telle est notre tragédie

 

Adopter le regard de l’artiste

Si l’artiste, véritable colosse hirsute, est présent physiquement, sa présence est muette, comme pour nous dire de regarder son œil, un œil d’artiste. Lorsqu’il filme avec son téléphone portable son cameraman en train de filmer, il nous double. Il semble nous dire : regardez ce flux ininterrompu de personnes fuyant sur les routes boueuses à la frontière hongroise, regardez cette marche sans répit de ceux qui fuient sans savoir où aller, regardez le visage satisfait du général hongrois qui s’inquiète des conditions de vie de ses soldats en charge de contrôler la frontière infranchissable, regardez ces canots pneumatiques qui échouent chaque nuit sur les plages grecques avec des centaines de personnes hagardes secourues par des ONG bienveillantes, regardez les centaines de tentes alignées au carré abritant les réfugiés en plein désert jordanien.

 

Filmer la vie

Ce ne sont pas des injonctions culpabilisantes : l’artiste filme la vie en filmant des visages, des visages à saisir comme les détails d’un tableau vivant.

Dans un camp en Jordanie, les visages d’hommes et de femmes sont filmés sur fond de toile de tente dans le silence d’un long plan fixe.

Dans la bande de Gaza, face à la mer, des jeunes filles palestiniennes sourient devant la caméra et évoquent leur rêve de quitter un jour leur pays qu’elles qualifient de prison en plein air.

Sur le pont d’un bateau, une famille se photographie, se prenant pour des touristes en croisière sur la Méditerranée devenue le plus grand cimetière de migrants.

Dans la cale d’un bateau, des Érythréens dansent et chantent comme pour saluer leur salut.

Dans un jardin d’Athènes, une fillette souffle dans un ballon pendant que sa mère, face caméra, dit son angoisse quant au futur qui l’attend.

À l’aéroport désaffecté de Berlin-Tempelhof où les architectes ont rationnellement aménagé des alvéoles pour assurer à chaque famille une intimité, une petite fille déclare, droit dans nos yeux, son envie de sortir du hangar.

Sur un fond verdoyant, un musulman birman en exil raconte doucement la destruction de son village.

Sur fond de camp de réfugiés, assise dans un fauteuil de salon, une élégante femme jordanienne trouve les mots justes pour dire qu’ accueillir des réfugiés relève d’un devoir d’hospitalité.

 

Rendre le monde lisible

À nous de comprendre ces visages, et, à ce titre, Ai Weiwei est un artiste que l’on pourrait qualifier de brechtien : il ne joue pas avec nos émotions et lorsqu’il s’allonge sur la plage pour prendre la place d’Alan Kurdi, ce petit garçon de trois ans dont le corps a été retrouvé sur une plage turque et dont l’image insupportable a fait le tour du monde, il rejoint un autre grand artiste, Alejandro Jaar, pour dénoncer l’exploitation émotionnelle d’images horribles qui peuvent à jamais fixer la mémoire si personne ne vient poser la question du pourquoi. Pourquoi ce Human Flow aujourd’hui ? Ces questions, Ai Weiwei ne les pose pas directement dans son film, mais il nous force à nous les poser. Lorsqu’il nous montre depuis un drone une image qui ressemble à une toile de Klee pour finir le plan sur des enfants qui jouent au football dans un camp de réfugiés, ce n’est pas pour faire beau.

Il ne cherche pas à montrer de belles images de la terre vue du ciel, mais à rendre le monde lisible. Lorsqu’il couvre la façade du Haus der Kunst de Munich de 9 000 cartables pour rappeler les enfants ensevelis sous les décombres d’une école du Sichuan, école effondrée faute de bonnes règles de construction anti- sismique, c’est un artiste en colère qui interpelle son gouvernement en donnant une autre visibilité à la façade d’un musée, ce n’est pas non plus un artiste qui sent le grisou pour nous dire la catastrophe à venir. La catastrophe est déjà là.

 

Que faire ?

Nos yeux largement fermés, l’artiste nous les ouvre. Que faire ? Ce n’est pas à Ai Weiwei de répondre. La réponse est affaire d’échelles. À l’échelle individuelle, des initiatives d’hospitalité sont prises mais semblent bien vaines, l’échelle des États semble la plus pertinente pour faire face aux flux des migrants mais les États sont à la peine pour aborder la question de l’hospitalité des migrants sous la pression du populisme, reste alors l’échelle mondiale.

Dans une vibrante tribune, Mireille Delmas-Marty appelle de ses vœux, dans le prolongement du rapport du secrétaire général de l’ONU de décembre 2017, « Making migrations work for all », la négociation d’un pacte mondial pour une migration « sûre, ordonnée et régulière ». Pour Mireille Delmas-Marty, les migrations humaines, tout comme le dérèglement climatique, doivent faire l’objet d’une gouvernance mondiale guidée par des règles d’action :

« À l’image du principe de développement durable qui a permis de pondérer innovation et conservation, le principe d’hospitalité permettrait de pondérer exclusion et intégration, et d’équilibrer ainsi les droits et devoirs respectifs des habitants humains de la Maison commune. »

Ai Weiwei a fait sa part de travail en rendant ce débat sur les migrations humaines possible.

Source : The Conversation 02/05/2018

Congé parental : la France à la manoeuvre pour bloquer une directive européenne favorable à l’égalité femmes-hommes

Pour Emmanuel Macron, l'application de cette directive aurait un coût trop important pour les finances françaises. - Frederick FLORIN / AFP

Pour Emmanuel Macron, l’application de cette directive aurait un coût trop important pour les finances françaises. – Frederick FLORIN / AFP

Un projet de directive européenne ambitionne d’élargir le cadre des congés parentaux dans tous les pays membres pour « équilibrer » l’utilisation qui en est faite entre les femmes et les hommes. Sauf qu’elle pourrait ne jamais s’appliquer, la France s’y opposant aux côtés de la Hongrie et de l’Autriche.

Emmanuel Macron avait décrété l’égalité femme-homme « grande cause » de son quinquennat. A peine un an après son élection comme président de la République, ces bonnes intentions commencent (déjà) à s’écorner. Alors qu’un projet de directive européenne vise à équilibrer le recours aux congés parentaux entre les hommes et les femmes dans toute l’Union européenne (UE), la France s’y oppose et pourrait faire échouer son adoption. « J’en approuve le principe, précisait pourtant le chef de l’Etat, de passage au Parlement européen le 18 avril. Mais les modalités ont un coût qui est potentiellement explosif » pour le système social français.

Trois types de congés pour toute l’UE

Ce projet de directive dite « d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle » devait être un des éléments du futur « socle des droits sociaux » minimums communs à tous les pays membres. Face au reproche d’une Europe loin d’être assez « sociale », les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE avaient approuvé toute une série de mesures provenant de la Commission européenne « pour l’égalité » au mois de novembre 2017 à Göteborg (Suède). Trois types de congés devaient être imposés sur tout le territoire. D’abord, un congé paternité de dix jours à la naissance de l’enfant, ce dont la France dispose déjà. Ensuite, un congé parental de quatre mois pour chaque parent, indemnisé sur la base de l’arrêt maladie par les Etats (un couple pourrait ainsi disposer de 8 mois au maximum, à condition que chacun prenne bien 4 mois). Et, enfin, un droit à cinq jours de congé par an pour tout parent ayant à « s’occuper de proches gravement malades ou en situation de dépendance ».

Pour de nombreux pays européens, ces mesures apparaîtraient comme quasiment révolutionnaires. En Allemagne, en Croatie, en Slovaquie ou en République Tchèque, par exemple, le congé paternité n’existe tout simplement pas. En France aussi, cette directive apporterait quelques avancées sociales en ce qui concerne l’indemnisation des congés parentaux. Aujourd’hui, une fois le congé maternité passé (10 semaines après l’accouchement) ou paternité (11 jours), les parents ont la possibilité de prendre un congé parental pendant un an. Le problème, c’est qu’il n’est que très faiblement indemnisé. En bénéficiant de l’allocation PreParE (prestation partagée d’éducation de l’enfant), ils ne reçoivent que 396,01 euros par mois. Mais si cette directive était adoptée, l’indemnisation mensuelle serait indexée sur la base d’indemnisation des arrêts maladie pendant les quatre premiers mois. Ainsi, le parent recevrait chaque jour, par l’Etat, 50% de son salaire journalier. Soit une indemnité de pratiquement 900 euros pour un salarié touchant habituellement 2.000 euros par mois par exemple. Un coût « insoutenable » pour les caisses françaises selon Emmanuel Macron.

 

Un congé parental plus attrayant = moins d’enfants en crèche

« Faux ! », répond Yann Serieyx, représentant de l’Union nationale des associations familiales françaises (Unaf), auprès de Marianne. Avec 48 autres associations, l’Unaf a adressé une lettre ouverte au président. Ils le prient de rendre possibles ces « avancées sociales » pour « des millions de familles européennes », pour un coût qu’il estime « limité, voire nul » pour les finances françaises. « Si le congé parental est plus attrayant, davantage de pères le prendront et cela libérera des places en crèche. Aujourd’hui, chaque enfant en crèche coûte à l’Etat près de 1.700 euros. C’est considérable », nous explique-t-il.

Mais surtout, pour Yann Serieyx, cette directive amènerait la France sur le chemin d’une égalité entre les sexes face aux tâches domestiques. « Une mesure comme celle-ci permettrait la bi-activité des couples. Les deux parents pourraient se permettre de se relayer auprès de l’enfant avant de reprendre leur activité sans de trop grandes pertes d’argent. Cela ne peut qu’améliorer le taux d’activité des femmes après une grossesse », détaille-t-il. Selon une étude menée par l’OCDE en 2016, les hommes ne représentent que 4% des parents qui prennent un congé parental…

« Soutenir cette directive, c’est soutenir l’idée que l’éducation d’un enfant se porte à deux, à égalité, et ceci quel que soit le sexe des parents », souligne le député européen Edouard Martin (PSE), membre de la commission « Droits de la femme et égalité des genres » au Parlement européen, pour Marianne. Même s’il est un élu français, il a été le premier surpris de la position de son pays sur ce dossier… et de sa stratégie. « La France a coordonné un blocage en réunissant autour d’elle quatorze pays. Si la situation reste telle qu’elle est, le texte ne sera pas examiné au Conseil le 25 mai comme cela était prévu, minorité de blocage oblige », précise-t-il.

 

Mains dans la main avec l’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie

Et les visages des amis de circonstance de Paris ont de quoi surprendre. On y retrouve l’Autriche, dont le gouvernement est composé de ministres d’extrême droite, la Hongrie de Victor Orban, qui s’est distinguée par la récente distribution de manuels scolaires officiels expliquant que « les femmes sont bonnes pour la cuisine, leur rôle c’est de s’occuper de la maison et de faire des enfants », comme l’a signalé L’Obs. Puis toute une bardée d’autres pays de l’est (Croatie, Lettonie, Roumanie, Slovaquie), peu connus pour leurs politiques sociales, et quelques voisins plus proches comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, par exemple.

Une situation qui étonne. D’autant qu’en janvier dernier, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, disait étudier « toutes les possibilités d’allongement (du congé paternité), mais aussi de meilleures rémunérations ». Contacté, le secrétariat d’Etat n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais déjà à l’époque, elle précisait : « Il ne s’agit pas de dire oui pour faire plaisir à l’opinion ou d’aller vers un totem sans savoir comment le financer. » Tout est là : le budget d’abord, les droits ensuite.

Anthony Cortes

Source Marianne Le 03.05.2018

Voir aussi : Droit des femmes,

Gaza : des milliers de Palestiniens manifestent à la frontière avec Israël

TOPSHOT - A Palestinian drives a horse-drawn cart during

TOPSHOT – A Palestinian drives a horse-drawn cart during

Photo Mohammed Abeb

Des milliers de Palestiniens ont de nouveau manifesté, vendredi 27 avril, à Gaza sur la frontière israélienne dans le cadre de la « grande marche du retour ». Et le bilan est lourd : trois manifestants ont été tués par des tirs israéliens, et plus de 150 personnes ont été blessées, a annoncé le ministère de la santé gazaoui. Ce nouveau mort porte à quarante-quatre le nombre de Palestiniens tués depuis le 30 mars, date du début du mouvement de protestation appelé la « grande marche du retour ». Chaque vendredi, des milliers de manifestants revendiquent le droit des Palestiniens de retourner sur les terres dont ils furent chassés ou qu’ils durent fuir à la création de l’Etat d’Israël, en 1948. Le mouvement dénonce également le blocus israélien imposé à Gaza.

Source Le Monde AFP

TOPSHOT - Palestinian demonstrators run for cover from tear gas fired by Israeli security forces near the southern Gaza Strip town of Khan Yunis during the fifth straight Friday of mass demonstrations and clashes along the Gaza-Israel border on April 27, 2018. / AFP / SAID KHATIB

TOPSHOT – Palestinian demonstrators run for cover from tear gas fired by Israeli security forces near the southern Gaza Strip town of Khan Yunis during the fifth straight Friday of mass demonstrations and clashes along the Gaza-Israel border on April 27, 2018. / AFP / SAID KHATIB

TOPSHOT - Palestinian protesters demonstrate near the fence on the Israel-Gaza border, east of Gaza City in the central Gaza Strip, during the fifth straight Friday of mass demonstrations and clashes along the border with Israel on April 27, 2018. / AFP / MAHMUD HAMS

TOPSHOT – Palestinian protesters demonstrate near the fence on the Israel-Gaza border, east of Gaza City in the central Gaza Strip, during the fifth straight Friday of mass demonstrations and clashes along the border with Israel on April 27, 2018. / AFP / MAHMUD HAMS

Photo de presse. Porte Folio

Mark Zuckerberg défend bec et ongles le modèle économique de Facebook

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Mark Zuckerberg a de nouveau défendu mercredi devant les parlementaires américains le modèle économique de Facebook, malgré les cas avérés de manipulation et de détournement de données personnelles des utilisateurs, tout en affirmant qu’il n’était pas hostile à une régulation de l’internet, l’estimant «inévitable».

«L’importance de l’internet grandit dans le monde et je pense inévitable une certaine forme de régulation», a-t-il dit, tout en affirmant que celle-ci devait être «étudiée attentivement».

Auparavant, il avait assuré aux membres d’une commission de la Chambre des représentants que les utilisateurs étaient responsables des contenus qu’ils postaient.

«Chaque fois que quelqu’un choisit de partager quelque chose sur Facebook, il le fait en allant sur le service et en choisissant de partager une photo ou écrire un message. A chaque fois, il y a un contrôle», a-t-il assuré.

Le jeune PDG de 33 ans, qui a déjà passé cinq heures la veille à répondre aux questions des sénateurs, a toutefois admis avoir échoué à suffisamment protéger la vie privée des utilisateurs, annonçant des mesures de contrôles supplémentaires.

M. Zuckerberg n’en finit plus de s’excuser depuis la révélation du scandale Cambridge Analytica mi-mars, qui a nui fortement à l’image du groupe et fait baisser son titre en Bourse.

Selon Facebook, les données de quelque 87 millions d’utilisateurs –y compris les siennes, a admis M. Zuckerberg– se sont retrouvées entre les mains de la société d’analyse de données avant que Facebook commence à instaurer des restrictions en 2014. La firme britannique a ensuite travaillé pour la campagne du candidat républicain à la présidentielle américaine de 2016, Donald Trump.

– «Des avertissements partout» –

Après avoir admis que son réseau avait été «lent» à identifier les achats de publicité politique venus de Russie pendant la campagne électorale, il a assuré que Facebook faisait «de mieux en mieux» pour supprimer les faux comptes.

Le procureur spécial Robert Mueller enquête depuis mai 2017 sur une possible collusion entre l’équipe de campagne de M. Trump et des responsables russes pour influencer le scrutin. Il estime qu’internet et en particulier Facebook a servi de plateforme à une vaste opération de propagande pour favoriser la victoire du magnat de l’immobilier.

Dénonçant un «désastre», le représentant Frank Pallone avait affirmé en début d’audition que le Congrès devait «prendre des mesures immédiate pour protéger notre démocratie».

«Les avertissements étaient partout, pourquoi personne ne les a vus?», a-t-il demandé.

Mais Mark Zuckerberg a évité de répondre directement à la question d’une élue qui lui demandait s’il était prêt à changer le modèle économique de Facebook, actuellement un réseau social gratuit financé par la publicité, «dans l’intérêt de la protection de la vie privée».

«Je ne suis pas sûr de ce que cela veut dire», a-t-il commenté.

«Nous pensons que tout le monde mérite une bonne protection de la vie privée», a-t-il également affirmé à un autre élu qui l’interrogeait sur la possibilité pour les utilisateurs américains de bénéficier du nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles, appelé «RGPD», qui doit entrer en vigueur le 25 mai.

«Nous travaillons afin de le faire aussi vite que possible», a affirmé M. Zuckerberg, sans pouvoir dire si cette protection serait mise en place dans les délais impartis.

Il avait déjà fait la veille devant le Sénat des commentaires similaires sur le RGPD qui lui ont valu mercredi les remerciements quelque peu ironiques d’une responsable européenne. «Merci M. Zuckerberg», a lancé Vera Jourova, commissaire à la Justice et à la Protection des consommateurs, au cours d’une conférence de presse à Bruxelles. «Je cherchais comment faire campagne pour notre règlement sur la protection des données. Voilà, c’est fait», a-t-elle souligné.

Source AFP 11/04/2018

Voir aussi : Rubrique Internet

Prolongement des centrales nucléaires : comment se calculent les coûts ?

 En 2015, à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux lors d’un contrôle décennal. Guillaume Souvant/AFP


En 2015, à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux lors d’un contrôle décennal. Guillaume Souvant/AFP

Le 19 mars dernier s’est ouvert le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (la PPE), cette feuille de route qui fixe la politique énergétique de la France jusqu’en 2023.

La PPE doit mettre en œuvre les objectifs de la loi de transition énergétique adoptée en 2015 : réduire les émissions de gaz à effet de serre, réduire la consommation d’énergie, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, faire baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Évaluer les coûts du nucléaire

Dans ce débat public sur la PPE, il sera notamment question de l’évaluation des coûts du nucléaire. Si ce sujet a été abordé à maintes reprises, le débat de la PPE aborde cette question par une confrontation inédite et directe entre deux modalités de calcul des coûts, ce qui pourrait venir alimenter un des arbitrages importants que devra rendre la PPE : à savoir, le prolongement des centrales nucléaires ou la fermeture de certaines d’entre elles.

Le site Internet de la PPE donne accès à deux évaluations de ces coûts : celles produites par la Cour des comptes en 2014 et 2016 et un document rédigé par la Société française d’énergie nucléaire.

Ce ne sont pas les seules expertises existantes : nous pourrions ajouter le rapport de la Commission d’enquête parlementaire dirigée par François Brottes et Denis Baupin, publié en 2014 ; ainsi que le rapport réalisé la même année par le cabinet WISE pour l’ONG Greenpeace.

L’enjeu de l’objectivation des coûts

Le débat sur l’industrie nucléaire a toujours porté à la fois sur la sécurité et sur la compétitivité par rapport aux autres sources d’énergie. Depuis la fin des années 1990, l’argument de la compétitivité relative du nucléaire est présenté comme la clé de voûte du soutien d’une large partie de l’opinion publique en France.

La diversité dans l’évaluation des coûts provient essentiellement des éléments qui sont pris en compte dans le calcul et de la difficulté d’anticiper des coûts à venir et non de la crédibilité des informations données par les entreprises du secteur.

« L’escalade des engagements »

Les retours d’expériences de plusieurs grands projets nous interpellent sur notre capacité à aborder des décisions « au milieu du gué », quand d’importants investissements passés ont été réalisés et qu’il existe une incertitude sur les investissements et bénéfices futurs.

Tout projet s’inscrivant dans une longue temporalité et qui se trouve soumis à de fortes incertitudes peut ainsi être confronté à un phénomène d’« escalade des engagements », identifié en 1993 par les chercheurs Jerry Ross et Barry Staw à propos de la construction de la centrale nucléaire de Shoreham (près de New York).

Cette construction a connu un dépassement de coût de 5 milliards de dollars sans que jamais elle ne soit mise en exploitation pour des raisons économiques et de sûreté. L’une des explications de cette fuite en avant tient à l’existence d’un processus de décision qui rend les acteurs prisonniers des investissements passés et influence leurs délibérations via des estimations optimistes concernant les dépenses et bénéfices à venir.

En quoi ce concept d’escalade des engagements peut-il nous éclairer sur le prolongement du nucléaire français ? En quoi peut-il nous aider à clarifier le débat sur les coûts de ce prolongement ?

Le calcul de la Cour des comptes

Le calcul des coûts habituellement pris comme référence dans les débats sur l’industrie nucléaire est celui de la Cour des comptes.

Dans son rapport de 2016, celle-ci annonce un coût de production du nucléaire de 62,6 €/MWh, qui pourrait s’accroître jusqu’à 70 €/MWh dans le cas d’un doublement des coûts d’investissement pour le prolongement. Ce coût est parfois pris comme référence dans le débat pour une comparaison avec des sources d’énergies renouvelables : l’éolien terrestre se situe entre 50 et 108 €/MWh selon la localisation et le taux d’actualisation choisi (de 3 % à 8 %), alors que le photovoltaïque varie entre 64 et 167 €/MWh pour les centrales au sol.

D’après cette première comparaison, reprise et complétée par le rapport de WISE pour Greenpeace, les coûts complets des ENR et de l’électricité d’origine nucléaire sont donc tout à fait comparables.

De son côté, EDF a réalisé dès 2008 son propre calcul des coûts du prolongement des centrales existantes. Il s’agissait alors de choisir entre le prolongement des centrales existantes ou leur remplacement par des EPR. Dans une récente intervention donnée dans le cadre du débat public sur la PPE, le représentant d’EDF, Olivier Lamarre, annonçait un coût de 32 €/MWh pour l’électricité nucléaire provenant d’une centrale en prolongement.

D’où vient une telle différence avec le calcul de la Cour des comptes ?

Le calcul d’EDF

Le calcul d’EDF consiste à ne prendre en considération que le coût « restant à engager » pour produire de l’électricité nucléaire, à savoir 17 €/MWh d’exploitation des centrales, 10 €/MWh d’investissement de prolongement et de maintenance, 5 €/Mwh de combustible (y compris retraitement et provision pour le stockage des déchets). Dans son document, la SFEN propose un calcul similaire.

La décomposition des coûts est donc bien différente de la valeur de la Cour des comptes qui raisonne en « coût complet économique », c’est-à-dire un coût qui neutralise les effets de la temporalité des investissements. Ce coût prend ainsi en considération un « loyer économique » équivalent à 20 €/Mwh environ. Il s’agit d’estimer la valeur de l’utilisation de l’investissement, calculé à partir de la valeur de remplacement et de déconstruction des centrales existantes.

Le débat entre Olivier Lamarre (EDF) et Yves Marignac (WISE) souligne cette différence : le premier propose d’aborder le calcul dans le contexte actuel français en prenant en considération le fait que l’outil de production nucléaire existe et qu’il est préférable d’en tirer bénéfice.

Le second défend, au contraire, le raisonnement en « coût complet économique », considérant que le choix entre le nucléaire et les énergies renouvelables doit s’inscrire dans une logique de long terme. Pour lui, le raisonnement en termes de « coûts restant à engager » revient à se soumettre aux choix passés et conduit à renoncer à investir dans des solutions alternatives en accentuant une « dépendance au chemin emprunté » déjà bien établie.

Le coût de la sûreté après Fukushima

Même si l’on suit le raisonnement d’EDF, il existe plusieurs incertitudes quant au calcul des coûts d’investissement pour le prolongement ainsi que la durée des amortissements.

Les coûts évoqués par EDF s’appuient en effet sur la mise en œuvre d’un référentiel de sûreté qui intègre le retour d’expériences post-Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ayant toutefois rappelé – au sujet des visites de contrôle des réacteurs de 900 MW – que les études de réévaluation doivent être conduites au regard des objectifs de sûreté applicables aux nouveaux réacteurs.

Il n’existe aujourd’hui aucune estimation rendue publique des conséquences économiques d’une augmentation de ces exigences de sûreté.

Dans son intervention, Yves Marignac identifie aussi des incertitudes économiques liées à la combinaison entre l’accroissement des exigences de sécurité et le vieillissement des centrales, qui pourront se combiner pour donner lieu à une hausse des coûts d’exploitation ou une réduction de la durée de vie des centrales.

La question de la temporalité des investissements

Outre les estimations des coûts, se pose également la question de la temporalité de ces investissements et de leur articulation avec les décisions de prolongement.

On observe que les principaux investissements de modernisation sont engagés bien avant l’échéance des 40 ans, qui correspond à la durée de vie des centrales autorisée jusqu’à présent par l’ASN. Par exemple, les changements des générateurs de vapeur, qui sont les équipements les plus importants et les plus coûteux à remplacer, ont été déjà en partie réalisés autour des 27 ans de fonctionnement.

Cela signifie que la décision de prolongement se trouve contrainte par le fait que les investissements les plus coûteux ont déjà été réalisés. Cette situation peut laisser craindre un mécanisme d’escalade des engagements, la décision publique de prolongement risquant d’être influencée par des investissements réalisés quelques années plus tôt.

Si un gouvernement décide donc de fermer une centrale nucléaire alors que l’exploitation de celle-ci est autorisée par l’ASN, il devra indemniser EDF pour le « manque à gagner ». Et celui-ci sera d’autant plus élevé que les investissements de prolongement auront été réalisés.

Clarifier les incertitudes économiques

Le débat autour de la PPE constitue une belle opportunité pour clarifier quelques-unes de ces incertitudes économiques, et tout particulièrement celles associées au nouveau référentiel de sûreté. Ce débat pourra aussi être l’occasion de s’interroger sur le décalage en matière de décision publique entre les décisions d’investissements de maintenance (prises avant 40 ans) et les décisions de prolongement.

Si le coût du nucléaire comprend encore des incertitudes, rappelons que c’est aussi le cas des énergies renouvelables, dont on ignore l’impact économique du caractère intermittent.

Il faudra enfin prendre en considération les incertitudes quant aux prix de marché de l’électricité qui, en Europe comme aux États-Unis, affectent la rentabilité des exploitants des centrales nucléaires, pouvant parfois entraîner des fermetures pour raison économique.

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Source  Conversation 10/04/2018