Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment lundi des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.
Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.
« Les talibans et Al-Qaïda sont toujours des groupes distincts avec des objectifs, des idéologies et des moyens de recrutement différents; des frictions considérables existaient entre eux avant le 11 septembre 2001 et aujourd’hui ces frictions persistent », indiquent-ils dans un rapport.
Intitulé « Separating the Taliban from Al Qaeda: The Core of Success in Afghanistan » (Séparer les talibans d’Al-Qaïda: la clé du succès en Afghanistan), le rapport avait été mentionné dans un premier temps par le New York Times dans son édition de lundi.
Alex Strick van Linschoten et Felix Kuehn, du Centre de Coopération internationale de l’université de New York, assurent que l’intensification des opérations militaires contre les talibans pourrait rendre plus difficile la conclusion d’un accord avec eux.
Les deux universitaires, qui ont travaillé pendant des années en Afghanistan, ajoutent que les attaques menées contre les chefs talibans se traduisent par l’arrivée à la tête du mouvement de nouveaux combattants plus jeunes et radicaux, ce qui permet à Al-Qaïda d’augmenter son influence.
Ils suggèrent que les Etats-Unis engagent un dialogue avec les talibans les plus âgés avant que ces derniers ne perdent le contrôle de leur mouvement. « Il est possible de faire en sorte que les talibans renoncent à Al-Qaïda et qu’ils donnent des garanties contre l’utilisation de l’Afghanistan par des groupes terroristes internationaux de telle manière que cela remplisse les objectifs clés des Etats-Unis », estiment-ils.
Ils ne s’opposent pas à la guerre menée par l’Otan dans le pays, mais ils estiment que des négociations doivent être menées parallèlement aux combats. Un accord politique est nécessaire, écrivent-ils, autrement le conflit va s’intensifier. « La façon dont le combat est mené est importante. Si ce que l’on cherche à obtenir c’est vraiment un accord politique, il n’y a alors pas beaucoup de sens à essayer de détruire les organisations avec lesquelles on essaie de discuter », assurent-ils.
La force internationale Isaf dirigée par l’Otan doit transférer aux soldats afghans la responsabilité des combats en première ligne à une date encore indéterminée, ce printemps, une phase qui doit s’achever en 2014 avec la prise de contrôle totale du théâtre des opérations par l’armée afghane. L’objectif de l’Otan est d’aider à constituer une armée et une police afghane fortes au total de 306.000 hommes d’ici la fin 2011, afin de faciliter le transfert des responsabilités actuellement exercées par les quelque 140.000 soldats de l’Isaf.
Puisque le Président de la République a décidé, pour séduire l’électorat FN, de faire de la loi sur la burqa un des éléments majeurs de l’année écoulée (ce qui n’est pas le cas), essayons d’aller un peu plus loin, pour voir ce qu’il y a sous elle (en tout bien tout honneur).
Toutes les sociétés ont essayé de réglementer la sexualité des femmes, et l’origine de cette obsession réside dans le fait que l’association « virginité avant le mariage/fidélité après le mariage » constitue une garantie de la paternité non adultérine des enfants, avec les conséquences que cela impliquait sur les transmissions des patrimoines –d’où la tolérance bien plus grande envers la sexualité des hommes, et une exigence sociale bien plus grande envers la pudeur des femmes qu’envers celle des hommes.
Remarquons d’abord que la seule virginité vérifiable (mais aussi la seule susceptible de garantir l’origine de la paternité des enfants) est la virginité vaginale, et que les femmes, musulmanes ou pas, ont toujours fait preuve d’assez d’imagination pour contourner cet interdit par d’autres pratiques sexuelles, qui se trouvent ainsi encouragées.
Notons aussi que si la religion a toujours été l’outil essentiel du contrôle de la sexualité féminine, elle n’en a pas été la seule : dans la société laïque française d’une bonne partie du XXe siècle, l’adultère était jugé comme une faute pénale (jusqu’en 1975), mais l’homme n’était puni que si sa maîtresse habitait au domicile conjugal, et la peine encourue était la prison pour la femme, et une simple amende pour l’homme.
On peut émettre l’hypothèse que le succès et la pérennisation de ce qui n’était, à son origine, qu’un système de sécurisation du patrimoine familial ne sont dus qu’au fait qu’ils ont rencontré un ressort psychologique profond, tout aussi universel, des hommes et jamais avoué : la hantise de la performance sexuelle peu brillante, ne permettant pas aux femmes d’atteindre l’orgasme.
Et si l’on considère que le but de toutes les « normes » sexuelles, c’est de nier le droit féminin au plaisir sexuel et à l’orgasme, qui serait l’apanage des hommes, bien de choses s’éclairent.
L’association « virginité avant le mariage/fidélité après le mariage » constitue une garantie de l’inexpérience sexuelle de la femme, et de son incapacité à faire des comparaisons qui risqueraient d’être peu flatteuses : comment se plaindre de l’absence de ce dont on ignore la possibilité et l’existence ? Quelle meilleure garantie, pour les hommes aux performances modestes, que le fait que leur femme s’imaginera que c’est ce qu’on peut faire de mieux ?
Comment expliquer la pratique de l’excision clitoridienne autrement que comme une tentative de supprimer la possibilité et le droit des femmes à l’orgasme, et son acceptation par les mères par leur refus inconscient que leurs filles connaissent ce qui leur a été interdit, ce qui serait perçu comme trop injuste ?
Comment comprendre autrement la promesse faite aux kamikazes musulmans des « 72 vierges qui les attendent au paradis » (notons, au passage, qu’on a l’air de batifoler davantage dans le paradis coranique que dans le paradis chrétien…), alors que l’homme sûr de lui préfèrerait sans doute des femmes sexuellement expérimentées à des vierges novices ? Et l’absence de promesse équivalente pour les femmes kamikazes ? Et qui ne voit que si, par extraordinaire, l’Islam décidait d’accorder aux femmes l’égalité des droits au plaisir sexuel, ce ne serait pas la promesse de « 72 puceaux » qui serait la plus enthousiasmante ?
Et l’on touche ici au point faible du « système » : en préférant l’inexpérience sexuelle féminine aux plaisirs plus risqués, mais plus riches de l’expérience sexuelle féminine, l’homme ampute aussi sa propre sexualité, préférant la sécurité à l’exploration et l’innovation : plutôt la burqa que le Kama-Soutra.
Lutter contre les limitations imposées à la sexualité féminine, c’est aussi lutter pour une sexualité masculine moins frileuse : la burqa n’est que la manifestation extrême de la peur que les femmes inspirent aux hommes, et sa disparition traduirait davantage l’émancipation sexuelle de l’homme qui l’impose que celle de la femme qui la subit.
Par ailleurs, la nature fait bien les choses : tout interdit sur la sexualité se transforme automatiquement en source de sensualité supplémentaire (au point que certains ont pu soutenir que le charme suprême de la sexualité — d’autres diraient de la perversion sexuelle — consiste à braver des interdits). On connaît des tas de romans du début du XXe siècle, où des hommes décrivent l’état de pâmoison dans lequel les avait plongés une cheville entr’aperçue d’une femme lorsqu’elle montait dans un tram… Il y a dans la burqa un côté sensuel un peu cérébral (mais, dans l’espèce humaine, l’érotisme, c’est le cerveau, et rien que le cerveau) de pochette-surprise : que va-t-on découvrir en la retirant ?
Avec sa longue barbe Marx le rouge marche dans la neige
Y aurait-il une place pour une analyse renouvelée de la notion de classe ? L’examen de la littérature récente en sciences sociales, révèle la réapparition d’un certain nombre d’ouvrages consacrés à Marx.
La succession de crises qui fait suite à celle des subprimes en 2007 était prévisible comme ses conséquences à venir dont le peuple français commence seulement à mesurer les effets. Avec l’échec du déterminisme économique l’imposture n’en finit plus d’éclater. Le monde perd son avenir. Le scénario qui se dessine en Europe nous projette à la fin du XIXe, dans une époque ou riches et puissants ne font pas qu’exploiter les pauvres mais les empêchent de vivre en détruisant tout mode de vie autonome et capacité de pensée critique. L’examen de la vie sociale révèle la résurgence en France de nombreux mouvements sociaux de contestation. Mais au sein de la classe moyenne, une autre partie de la population cède aux sirènes du nationalisme, du consumérisme et de l’ascension sociale, embrassant un ethos individualiste de compétition et de réussite personnelle. Bref il semble acquis pour certains que la société, l’économie et le monde seraient libéraux.
A l’occasion des fêtes, redécouvrir un penseur qui a su contester l’autorité pesante du mythe capitaliste ne peut pas faire de mal. Rejeter cet héritage en revanche, c’est tomber dans la désespérance. Bien sur, mieux vaut ne pas prendre Marx comme un bloc, comme une pensée sans faille, débouchant sur une pratique unique mais comme une recherche qui a ses limites.
Quelques références
Le numéro 47 de » Actuel Marx « , une revue des Presses Universitaires de France, s’interroge sur la nature des médiations sociales qui conduisent de la crise à la lutte ou qui, au contraire font obstacle à la mobilisation collective. L’économiste chercheur au CNRS Frédéric Lordon signe avec « Capitalisme désir et servitude » (2) un essai ambitieux et accessible qui entend rouvrir le chantier conceptuel du capitalisme en s’inspirant de Marx et de Spinoza. L’auteur dramaturge américain Howard Zinn qui a consacré son œuvre aux rôles historiques des mouvements populaires vient de faire paraître en français » Karl Marx le Retour » (3) une pièce écrite au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. « Je voulais montrer un Marx furieux que ses conceptions aient étédéformées jusqu’à être identifiées aux cruautés staliniennes « , explique-t-il en introduction.
Dans un registre assez proche on peut lire également « Le président des riches », une enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy réalisée par Monique et Michel Pinçon-Charlot, éditions Zone 14 euros. A suivre aussi , le cri du résistant Stéphane Hessel qui appelle à une véritable insurrection pacifique dans » Indignez-Vous » (5).
Jean-Marie Dinh
(1) Le numéro 47 de Actuel Marx, ouvrage collectif aux éditions PUF,(2) Capitalisme désir et servitude, Fabrique éditions, 12 euros. (3) Karl Marx le Retour, éditions Agone 10 euros. (4) Le président des riches. (5) Indignez-Vous, éditions Indigène 3 euros.
Histoire d’une lutte joyeuse
Album jeunesse. La jeune maison d’édition Les Petits Platons consacre un ouvrage à l’auteur du Capital : « Le Fantôme de Karl Marx ».
La très utile maison d’édition Les Petits Platons s’adresse au public des 9/14 ans pour leur faire découvrir les grands philosophes à partir des histoires qui traversent leurs œuvres : Socrate, Descartes, Leibniz, Kant… Et dans les dernières livraisons : Lao-Tseu, Saint Augustin, Ricoeur… et Karl Marx.
Dans l’ouvrage intitulé « Le fantôme de Karl Marx », le philosophe revient hanter l’Europe. Sous son drap vert, le spectre explique qu’il a été victime d’une chasse organisée par toutes les nations d’Europe. » C’est ainsi que j’ai dû prendre la fuite, comme le lièvre abandonne ses terriers découverts par les chiens, de Berlin à Paris, de Paris à Bruxelles, de Bruxelles à Londres, échappant toujours à mes poursuivants. Mais ce drap sert surtout aujourd’hui à faire peur, comme tu verras ! Morts ils me croient, spectre ils me craignent… » L’intelligence du court texte de Ronan de Calan résume Le Capital en quelques feuillets tout en réaffirmant que l’idéologie du capitalisme, n’est pas un horizon indépassable. Le talent graphique de Donatien Mary s’allient à l’histoire pour clarifier les fondement de la pensée. Une pensée habilement réactualisée qui ouvre les portes à l’imaginaire. Les auteurs insistent sur la faculté symbolique des hommes à ne pas se laisser considérer comme une simple marchandise et à faire disparaître l’exploitation sans subir l’aliénation. A la fin de l’album Karl part pour se rendre à un rendez-vous avec « Miss Wall Sreet Panic ! «
Le fantôme de Karl Marx par Ronan de Calan et Donatien Mary, éditions Les Petits Platon, 12,5 euros.
Vendredi 19 novembre, alors qu’il assiste à Lisbonne au sommet de l’Otan, le président de la République discute en off avec quelques journalistes. A lire dans Libération la transcription des échanges, on éprouve le malaise d’assister en direct à une désorganisation psychique croissante de Nicolas Sarkozy. Le débat tourne autour de son éventuelle implication dans l’affaire de Karachi. Le Président nie farouchement. Un journaliste persiste : «Il semblerait qu’il y ait votre nom, que vous avez donné votre aval à la création de deux sociétés au Luxembourg…» Le Président l’interrompt, s’énerve, s’embrouille quelque peu, puis contre-attaque en revenant à l’insinuation initiale : «Il semblerait, c’est quoi ?», demande-t-il au journaliste. Puis choisit, pour démontrer la supposée vacuité d’une telle notion, d’imaginer le contre-exemple, qui sans doute se voulait drôle : «Et vous – je n’ai rien du tout contre vous – il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Pouvez-vous vous justifier ?» Cette référence à la pédophilie n’est pas un lapsus mais relève d’un choix délibéré.
Nicolas Sarkozy immédiatement va au pire et entraîne l’imaginaire des uns et des autres dans ses régions les plus troubles. Qu’est-ce en effet qu’un pédophile ? Quelqu’un qui s’attaque aux enfants pour les souiller, les violer souvent, les tuer parfois. Qui plus est, les pédophiles sont généralement des hommes dont les victimes sont des petits garçons. Ainsi Nicolas Sarkozy, par le détour d’un tout sauf innocent parallèle, accusera d’un mot ce journaliste à la fois de relever d’une sexualité infantile semi-châtrée (n’être qu’un adulte qui ne peut entretenir comme objet de désir que des enfants), d’être un pervers homosexuel (les petits garçons) et potentiellement un assassin. Accusation «pour rire» bien entendu. Mais plaisanterie qui s’effondre immédiatement sous le poids de sa propre transgression et de la répulsion des images qu’elle convoque.
«Je ne suis pas du tout agressif [dénégation, nda], d’abord je ne vous en veux pas, mais attends [passage intrusif du vouvoiement au tutoiement intempestif], vous me trouvez fâché ? D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile» (rires). Pirouette séductrice : mais non, je plaisantais, je ne suis pas fâché. Sous-texte : mais vous avez vu ce que ça pourrait donner, si fâché je l’étais vraiment… «D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile.» Curieux énoncé : «le pauvre» n’est pas pédophile, c’est-à-dire même pas pédophile, sinon pourquoi pauvre ? Deux possibilités : soit il est «le pauvre» parce que sa sexualité n’est même pas pédophile (castration), soit il est «le pauvre» parce que je viens de le ridiculiser (castration). Pile, je gagne. Face, tu perds. Délire interprétatif ? Oh que non, parce que ce n’est pas fini. Et que le dossier s’alourdit. Et que les preuves s’accumulent. Un peu plus tard : «C’est sans rancune, hein, le pédophile ?» (Rires collectifs) Et voilà l’ex-pédophile de tout à l’heure qui d’un coup le redevient. Enfin, en guise, d’adieu au groupe : «Amis pédophiles, à demain !» Nicolas Sarkozy persiste et signe. Quel boute-en-train, que cet homme !
Crescendo en quatre étapes de la pulsion non maîtrisée : de «prenons l’absurde exemple de votre supposée pédophilie» à «vous êtes tous des pédophiles», en passant par «le pauvre n’est (même) pas pédophile» et «pédophile tout de même, hein le pédophile ?» Du parallèle rhétorique initial, on passe à l’injure individuelle et, enfin, à l’injure collective. Confronté à un danger possible, le fonctionnement psychique du Président rapidement se désorganise. Du contre-exemple qui se voulait une aide à la démonstration, il passe presque immédiatement aux insultes. Il n’est plus tout à fait maître de son discours et c’est rapidement le thème de la pédophilie qui le tient, et non l’inverse. Qui le tient et ne le lâche plus. Et à ces insultes, il reviendra trois fois. Or une insulte, chacun le sait, n’est plus tout à fait une simple verbalisation, c’est déjà un acte. Un passage à l’acte qui, comme toujours, a pour fonction de décharger l’excitation et l’agressivité d’un sujet incapable de se maintenir à un niveau supérieur de fonctionnement cognitif, verbal, et moteur. Un acte régressif qui tient lieu de métabolisation psychique à ceux qui, dans l’instant ou pour longtemps, n’en sont plus capables.
Une péripétie ? Si l’on veut. Quelques plaisanteries qui tombent à plat ? Peut-être. Mais que de saleté véhiculée dans ces escarmouches. Et de mépris à peine déguisé… Non, décidément nous ne rirons pas. Entre autre parce que le populisme le plus répugnant, en s’adressant aux processus et représentations primaires, est toujours gros de l’insidieuse séduction du laisser-aller pulsionnel. C’est précisément en cela qu’il est dangereux. Le pire, toujours, trouve à parler au pire. Et Nicolas Sarkozy ainsi de faire carrière.
Patrick Declerck,
Membre de la Société psychanalytique de Paris et écrivain
Transition Autoritaire : « Un petit prof de fac » – Alain Garrigou, enseignant-chercheur en sciences politiques, assigné par Patrick Buisson, conseiller spécial de l’Elysée et dirigeant de Publifact.
Le lundi 22 novembre 2010 avaient lieu les plaidoiries de l’affaire opposant M. Patrick Buisson à notre collaborateur Alain Garrigou (1) et au journal Libération. Le dirigeant de l’institut de sondages Publifact, conseiller de la présidence de la République, ancienne plume du journal d’extrême droite Minute, assignait, en effet, pour « diffamation », ce professeur de science politique de l’université de Paris-Ouest-Nanterre, spécialiste des sondages, et le journal lui ayant consacré un entretien. Dans Libération daté du 6 novembre 2009 (2), M. Garrigou aurait « franchi la ligne rouge », comme n’a eu de cesse de le soutenir durant sa plaidoirie Me Gilles William Goldnadel, avocat de M. Buisson, en tenant les propos suivants : « Pourquoi l’Elysée paie-t-il beaucoup plus cher en passant par lui [Patrick Buisson] au lieu de les acheter à moindre prix directement ? Et pourquoi laisser Buisson se faire une marge de 900 000 euros sur son dos ? Soit c’est un escroc, soit un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages durant la prochaine campagne électorale sans que ce soit visible dans les comptes de campagne du futur candidat Sarkozy. » Pour ces motifs, Me Goldnadel demandait, en plus de la reconnaissance du délit de diffamation publique à l’encontre de M. Buisson, le paiement de la somme de 100 000 euros, à titre de dommages et intérêts, par les prévenus.
Dans un contexte de mise en question publique des pratiques de l’Elysée en matière de sondages, ce procès ne pouvait que revêtir un caractère politique. Ainsi, dans sa plaidoirie, Me Goldnadel, expert dans l’art de poursuivre en justice pour « diffamation » et « antisémitisme » les auteurs de propos qui relèvent le plus souvent de la liberté d’expression ou de recherche (« Affaire Morin » (3)), ne manquait pas de critiquer à la fois la partie II, alinéa C, du rapport de juillet 2009 de la Cour des comptes (4) ; les « agitateurs » des débats relatifs à la mainmise de M. Nicolas Sarkozy sur les médias et M. Garrigou, « un universitaire placé dans une situation d’anobli », « se laissant aller dans une telle ire », vivant dans « un sentiment d’impunité » et « roulant dans la fange ! » le conseiller du président de la République. « Nous disons “non !”, c’est impossible de laisser passer cela, même lorsque l’on a le cuir tanné » poursuivait Me Goldnadel, rappelant « l’énormité » du propos de M. Garrigou. « Comment l’exercice des sondages serait-il constitutif d’escroquerie ? », demandait-il au tribunal, innocemment, avant de s’en prendre plus virulemment au prévenu : « Garrigou ne pensait pas du tout aux sondages », « C’est une véritable escroquerie intellectuelle vis-à-vis de la Nation », « une inversion des normes invraisemblable ». Selon lui, en effet, la présomption d’innocence de M. Buisson aurait été « foulée aux pieds » dès le départ, et ce dernier représenterait en outre un martyr d’une « autointoxication » et d’une « guerre des médias ». « M. Garrigou aurait pu être beaucoup plus prudent », indiquait-il avant de fustiger la « perversion intellectuelle » que représenterait la pétition que cent universitaires ont signée pour l’appuyer (5). « Il y a là-dedans, concluait Me Goldnadel, un esprit de caste ! J’aimerais que l’on m’explique pourquoi un universitaire ne pourrait pas être poursuivi en justice ? Est-ce que je suis en train d’étrangler la liberté de la presse ? ».
Les plaidoiries d’Alain Garrigou et de son avocate ont ramené la focale sur l’importance du débat sur les sondages – « débat d’intérêt général », a rappelé Me Caroline Mécary – qui concerne tout à la fois l’utilisation de l’argent du contribuable et la liberté d’expression. Quant aux propos tenus, ils le furent de « bonne foi » et correspondent bien à une attitude descriptive, sans jugement de valeur, de l’universitaire nanterrois, exprimée sous la forme d’un jugement hypothético-déductif.
Le résultat du délibéré des juges, le 19 janvier 2011, est particulièrement attendu, notamment par la communauté universitaire et de nombreux citoyens venus soutenir M. Garrigou lors de l’audience. Il posera en effet la question de la liberté de la recherche (6).
(3) Suite à sa tribune « Israël-Palestine : le cancer », publiée dans Le Monde, le 4 juin 2002, et cosignée par Danièle Sallenave et Sami Naïr, Edgar Morin était poursuivi pour antisémitisme par Me Goldnadel. Ce dernier fut heureusement débouté par la Cour de Cassation, qui, jugeant que les opinions exprimées relevaient « du seul débat d’idées ». Lire « Edgar Morin, juste d’Israël ? », par Esther Benbassa, octobre 2005.]
(4) Rapport remis par le premier président de la Cour des comptes à M. Nicolas Sarkozy, président de la République, le 15 juillet 2009, « Gestion des services de la présidence de la République (service 2008) » (PDF), page 11. Cette partie, relevant une anomalie et une dépense exorbitante de 1,5 millions d’euros en frais de sondages de la part de la présidence de la République, ne satisfaisait pas Me Goldnadel, selon lequel l’opinion de M. Buisson aurait dû être entendue. Ce rapport, selon lui, a le défaut de ne pas être « contradictoire ».
(6) « Un procès politique en 2010 » (PDF), par Alain Garrigou, Association française de science politique (AFSP), janvier 2010.
«Les sondeurs violent tous les principes déontologiques qu’ils défendent»
Interview
Alain Garrigou, universitaire, participe à l’Observatoire des sondages :
Par LILIAN ALEMAGNA
Membre de l’Observatoire des sondages, Alain Garrigou est professeur de sciences politiques à l’université Paris-Ouest-la Défense-Nanterre. Il est l’auteur de l’Ivresse des sondages (la Découverte, 2006).
Quelles observations faites-vous sur les listings de l’Elysée ?
Tous les prix sont faramineux… Par exemple, 8 000 euros pour un simple verbatim qui est censé faire une seule page ! C’est une vraie pompe à finances. L’Elysée défend le choix d’OpinionWay par Patrick Buisson [directeur de Publifact et conseiller du Président, ndlr] pour la rapidité des études Internet. Or, ils oublient de préciser que les sondages en ligne sont surtout réputés pour être moins chers ! Pourquoi l’Elysée paie beaucoup plus cher en passant par lui au lieu de les acheter à moindre prix directement ? Et pourquoi laisser Buisson se faire une marge de 900 000 euros sur son dos ? Soit c’est un escroc, soit c’est un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages durant la prochaine campagne électorale sans que ce soit visible dans les comptes de campagne du futur candidat Sarkozy.
Que révèle cette affaire sur le monde des sondages ?
Elle montre l’ampleur de la bulle sondagière qui doit éclater. Les sondeurs accumulent les entorses aux règles pour tenter d’asseoir leur légitimité. Ils violent tous les principes déontologiques qu’ils défendent et en sont à truquer les chiffres. Prenez l’exemple du sondage OpinionWay début mai sur la cote de popularité des chefs d’Etat européens. Pour éviter que le résultat de Sarkozy passe sous les 50 %, ils ont enlevé les réponses des Français et n’ont pas fait non plus de péréquation selon la population des pays ! Le sondage doit être un instrument de connaissance qui aide à la légitimité et la rationalité de la démocratie. C’est devenu un moyen de faire advenir les choses, un instrument d’image, de publicité, pour les instituts.
Il existe une commission des sondages…
Mais elle ne fait rien du tout ! Elle ne contrôle plus rien. En juillet, lorsque l’affaire des sondages de l’Elysée a éclaté, elle s’est dite incompétente.
L’Elysée semble jouer le jeu de la transparence, c’est une bonne chose, non ?
Ils en sont bien obligés. Ils ont été pris le doigt dans le pot de confiture par la Cour des comptes… Aujourd’hui, Christian Frémont [directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, ndlr] à l’air de vouloir mettre de l’ordre. Reste à s’assurer qu’ils ne vont pas inventer autre chose.
Tout est à revoir dans ce monde des sondages ?
Il faut commencer par supprimer la commission des sondages et laisser le marché se réguler. Cela redonnera du poids à la critique scientifique. Les sondages en ligne rémunérés doivent être interdits. La commission d’enquête demandée par les socialistes doit voir le jour pour faire éclater cette bulle des sondages. Tous les instituts y ont intérêts, il en va de leur crédibilité.