Retraites: Bruxelles pousse la France à faire des milliards d’euros d’économies

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

EXCLUSIF La Commission européenne s’appuie sur une étude du think tank libéral Ifrap pour inciter la France à réduire ses dépenses de retraite. Plus de 5 milliards d’euros pourraient être dégagés sur les régimes des fonctionnaires en 2022.

Et si Emmanuel Macron profitait de la grande réforme des retraites à points de 2019 pour revoir à la baisse les dépenses de pension ? C’est en tout cas ce que lui suggère la Commission européenne. La France doit « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes », écrit-elle dans une récente « Recommandation » qui doit être validée le 22 juin par les ministres des Finances européens réunis à Luxembourg.

« Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, relève-t-elle, un système de retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. »

Pour appuyer sa requête, la Commission européenne cite une « étude récente » qui estime qu’un alignement des régimes de retraite des fonctionnaires sur ceux du privé « réduirait de plus de 5 milliards d’euros les dépenses publiques à l’horizon 2022 ». Une mention qui a surpris nombre de spécialistes des retraites à Matignon et Bercy. « J’ai cherché mais je ne vois absolument pas de quelle étude il s’agit, confie un haut fonctionnaire. Il est d’ailleurs étonnant que Bruxelles ne cite pas sa source. » En 2015, les statisticiens du Conseil d’orientation des retraites avaient conclu, eux, que « les règles du privé s’avéreraient plus avantageuses que celles du public pour un peu plus de la moitié des fonctionnaires nés en 1958 et moins avantageuses pour l’autre moitié ».

Laurent Fargues

Source : Challenges 20/06/2018

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Budget de la zone euro : l’éléphant accouche d’un souriceau

Angela Merkel et Emmanuel Macron lors d’une réunion du Conseil européen, en juin 2017. Photo : European Council - CC BY-NC-ND 2.0

Angela Merkel et Emmanuel Macron lors d’une réunion du Conseil européen, en juin 2017.
Photo : European Council – CC BY-NC-ND 2.0

Emmanuel Macron et Angela Merkel se sont enfin mis d’accord ce mardi 19 juin sur l’idée d’un budget de la zone euro pour ainsi favoriser la compétitivité et la convergence des économies de la zone euro. Les détails de ce futur budget restent néanmoins largement flous. Peut-on alors parler d’un véritable succès ou d’une coquille vide ?

C’est au Château de Meseberg, près de Berlin, qu’Emmanuel Macron a rencontré la chancelière Angela Merkel pour un conseil franco-allemand. Les dossiers chauds du moment, comme la crise des migrants, les impôts sur les sociétés ou la zone euro ont été abordés. Si la crise des migrants et ses ultimes soubresauts en Italie et en Espagne a peut-être largement capté l’attention médiatique, le budget de la zone euro a quand même été amplement évoqué, et un accord a même été trouvé entre les deux dirigeants, bien aidés par leurs ministres de l’économie, Bruno Lemaire et Olaf Scholz.

« Un accord historique » pour Bruno Lemaire. Qu’en est-il vraiment ?

Le ministre français de l’économie n’a pas caché sa satisfaction à l’issue des heures de discussions entre les deux chefs d’État et de l’annonce de l’accord. « C’est un accord historique, c’est la deuxième étape de la monnaie unique créée il y a quelques années ». Sur la forme, il n’a pas tort : un budget pour corriger les chocs asymétriques, pour favoriser la convergence des agrégats économiques entre les pays du Nord et ceux du Sud est en effet indispensable pour éviter de nouvelles crises graves entre les économies de la zone euro comme entre 2010 et 2015.

Mais sur le fond, faut-il voir le remède miracle tant attendu ? Pour l’instant, c’est de la poudre aux yeux. La somme allouée annuellement à ce budget n’est pas encore connue avec certitude, mais elle pourrait tourner autour de… 20 milliards d’euros par an. Une goutte d’eau, moins de 0.5% du PIB de la zone euro, alors que pour commencer à exister efficacement, de nombreux économistes suggèrent 1 à 2% du PIB. On est très loin des « plusieurs points de PIB » qu’Emmanuel Macron voulait pour sa mesure phare de « l’Europe qui protège ». Dans le même temps, le couple franco-allemand s’est engagé à réformer le mécanisme européen de stabilité (MES) et l’union bancaire, conformément aux volontés allemandes de stabilité financière.

2021, une éternité à attendre…

Ce budget de la zone euro pourrait voir le jour en 2021… Autrement dit une éternité à attendre. Il peut se passer beaucoup de choses en trois ans, une nouvelle crise de la dette peut partir d’Italie, du Portugal ou de la Grèce, où les dettes publiques restent abyssales. Et que faire avec 20 milliards d’euros ? Un choc asymétrique peut impliquer des centaines de milliards d’euros de déséquilibres.

En même temps, instituer une telle mesure à court terme semble totalement irréalisable… Car où trouver l’argent ? A l’heure où le cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027) est âprement négocié, notamment en prenant en compte le fait que 11 milliards d’euros vont disparaître chaque année dû au Brexit, trouver 20 milliards d’euros semble relever du vœu le plus pieux. Cette somme pourrait également provenir de nouvelles taxes instituées au niveau européen, comme une taxe sur les transactions financières ou sur un impôt sur les sociétés harmonisé. Des solutions plus crédibles, même si la création de telles taxes restent compliquée à envisager à court terme.

La pérennité d’un budget de la zone euro est liée à la stabilité du gouvernement allemand

Mais ce qui peut poser le plus de problèmes dans les prochaines semaines, c’est la faiblesse de la Chancelière Merkel. Qui aurait pu croire il y a quelques années que la femme la plus puissante du Monde pouvait se retrouver dans un tel marasme impliquant son propre gouvernement ? Le ministre de l’intérieur de la CSU (les conservateurs de Bavière) Horst Seehofer s’est engagé dans un bras de fer avec Angela Merkel au sujet des migrants. Si cette dernière ne réussit pas à trouver un nouvel accord avec les partenaires européens d’ici la fin du mois de juin, Horst Seehofer risque purement et simplement de rompre le contrat de coalition, faisant tomber le gouvernement.

Dans ce cas extrême, que pourrait-il se passer ? De nouvelles élections verraient peut-être une nouvelle percée de l’AfD europhobe, actuellement entre 13% et 16% dans les sondages. La « GroKo » entre la CDU-CSU et le SPD pourrait même récolter moins de 50% des suffrages, portant un sérieux coup à sa légitimité. Une nouvelle coalition « jamaïcaine » impliquant la CDU-CSU, les Verts et les libéraux du FDP est aussi envisageable, avec un Christian Lindner hostile à un budget de la zone euro qui pourrait devenir ministre des finances. L’avenir politique d’Angela Merkel est assez incertain, et sans un soutien ferme de l’Allemagne pour un budget de la zone euro, ce dernier restera hypothétique. Une proposition qui resterait franco-allemande n’est néanmoins pas non plus suffisante : il faudra convaincre les 17 autres États de la zone euro, et particulièrement ceux du Nord, comme les Pays-Bas, la Finlande ou l’Estonie, une gageure. La réforme de la zone euro sera à l’agenda de la prochaine réunion du Conseil européen, qui aura lieu les 28 et 29 juin prochains.

Emmanuel Macron a peut-être gagné une petite bataille en convaincant Angela Merkel du bien-fondé de l’idée d’un budget de la zone euro. Les modalités de mise en place de ce budget sont néanmoins des plus floues, et le contexte politique européen n’incite guère à l’optimisme.

Source : Le Taurillon en Seine 21/06/2018

Thomas Porcher : « La dette a été inventée pour promouvoir des coupes dans les dépenses sociales »

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En matière économique, il y a des alternatives. C’est un peu son combat et il le défend dans son Traité d’économie hérétique publié chez Fayard. Alors que la dette justifie les nouvelles annonces d’économies du gouvernement et des cessions des parts de l’Etat dans de nombreuses entreprises qui génèrent de juteuses recettes, Thomas Porcher est l’invité de La Midinale.

 

VERBATIM

Sur l’économie et la politique
« L’économie reste un débat et il n’y a pas qu’une seule réponse contrairement à ce que veulent nous faire croire Emmanuel Macron ou Margareth Thatcher quand ils disent qu’il n’y a pas d’alternative. »
« L’économie est une science humaine donc c’est avant tout politique. »
« Depuis ces trente dernières années, dû à la crise pétrolière qui a ralenti le modèle d’après guerre, il y a des forces financières et des économistes qui ont fait que le modèle (libéral) a gagné. »
« Malgré le crise de 2008, celle du capitalisme libéral, on est allé encore plus loin dans la logique libérale. »
« Les 1% ou les 10% les plus riches ont cette capacité à faire passer des idées plus que le reste de la population. »
« Les plus riches, pourtant moins nombreux, arrivent à parler d’une seule voix quand il faut défendre des mesures de baisse de fiscalité. »
« Les 99% subissent cette politique depuis ces trente dernières années et ont du mal à parler d’une seule voix. »

Sur la gauche et l’économique
« La gauche a fait une erreur et s’est laissée imposer des mesures venant de droite. »
« Le Parti socialiste dans les dernières années partait du principe qu’il n’y avait qu’une seule voix (économique) et que l’on pouvait améliorer à la marge. »
« Il y a plusieurs avenirs possibles en économie et la gauche a perdu parce qu’elle a accepté de se laisser imposer l’agenda des mesures économiques par la droite. »
« La gauche a créé Emmanuel Macron. »

Sur la dette
« Un Etat ne meurt pas donc il peut constamment rembourser sa dette. »
« Il faut mettre la dette en comparaison avec un patrimoine public que l’on détient. »
« Les générations futures n’héritent pas que d’une dette, ils héritent d’un patrimoine public – patrimoine qui couvre notre dette. »
« Les marchés financiers continuent à nous prêter à des taux d’intérêts extrêmement faibles parce qu’ils ont confiance. »
« La dette est quelque chose qui a été imposée, inventée par des politiques pour promouvoir des coupes dans les dépenses sociales et des réformes libérales. »
« Quand il faut abaisser la fiscalité des plus riches, la dette n’est plus un problème, quand il faut couper dans les dépenses sociales, la dette est un problème. »

Sur les privatisations annoncées
« Ils vendent des choses qui rapportent à l’Etat donc on appauvrit le patrimoine de l’Etat. »
« A la fin du quinquennat Macron notre patrimoine public sera plus faible que notre dette. »
« On vend ce qui rapporte alors qu’on pourrait emprunter avec des taux plus faibles. »
« La base de l’économie c’est quand vous avez un actif qui rapporte plus et que vous pouvez vous endetter à des taux d’intérêt faibles, il faut s’endetter. »
« La logique c’est qu’il faut réduire la place de l’Etat. »

Sur la « jambe gauche » du gouvernement
« Je suis très étonné que des économistes brillants puissent penser qu’Emmanuel Macron avait un intérêt pour la politique sociale. »
« Il n’y aura pas de politique sociale. »
« Emmanuel Macron va réduire les aides sociales. »
« 70% des revenus des plus pauvres sont des prestations sociales donc si on les coupe, on s’attaque aux plus pauvres. »

Sur les traités européens
« Ce que je propose n’est pas compatible avec les traités. »
« Rien ne nous oblige d’appliquer les traités. »
« La France est en capacité à désobéir. »
« Qu’on soit dans l’Europe ou hors de l’Europe, Emmanuel Macron appliquerait la même politique. »

Sur les solutions politiques
« Sur le programme économique, je trouvais que le programme de Jean-Luc Mélenchon était très bien. »
« J’ai cru qu’on pouvait avoir une alliance – j’avais milité là-dessus – Jadot, Hamon, Mélenchon pour faire gagner la gauche. »

Source : Regards.fr 13/06/2018

Inégalités. Le modèle social français est bel et bien efficace

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Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux hier, Emmanuel Macron, préparant un discours, s’exclamait : « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permet aux gens de s’en sortir ! »

Le ton familier utilisé par le président a pu choquer ou susciter le sarcasme. Mais au-delà de la forme, il s’inscrit dans la droite ligne des différentes prises de position de ses ministres ou des membres de la majorité ces dernières semaines. Que ce soit Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, ou encore Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, plusieurs voix se sont déjà élevées pour pointer du doigt des aides sociales trop nombreuses, trop coûteuses et finalement peu efficaces.

Un credo qu’Emmanuel Macron a encore martelé ce mercredi devant le congrès de la Mutualité française, où il a déclaré que « la solution n’est pas de dépenser toujours plus d’argent ». A quoi bon, en effet, dépenser autant d’argent si cela ne permet pas de sortir les gens de la pauvreté ?

Les vertus du modèle social français

Cependant, si le président de la République a raison de rappeler que la pauvreté est une situation de laquelle on hérite trop souvent, il est faux de dire qu’il est impossible d’en sortir. Mieux encore, le « truc » qui permet aux gens de s’en sortir existe, et est clairement identifié : il s’agit de notre système fiscal (les impôts) et notre système de redistribution, via les prestations sociales (RSA, prime d’activité, allocations logements, etc).

Les prestations sociales coûtent cher en effet, et sans doute le système n’est-il pas parfait. Mais il est loin d’être inefficace ! En 2014, les impôts et prestations sociales ont en effet fait baisser le taux de pauvreté de 7,9 points. En clair, les aides sociales (et les impôts) ont permis à 4,9 millions de personnes de sortir de la pauvreté cette année-là.

L’efficacité du modèle social français ressort encore mieux lorsqu’on compare ses performances à celle des autres pays européens. Avec 13,6 % de pauvres dans la population, la France est bien en dessous de la moyenne européenne (17,3 %), de l’Allemagne (16,5 %), du Royaume-Uni (15,9 %) ou encore de l’Italie (20,6 %).

Or, non seulement il y a relativement moins de pauvres en France qu’ailleurs, mais ces derniers sont mieux lotis dans l’Hexagone que dans le reste de l’Union européenne. C’est flagrant quand on s’intéresse à l’intensité de la pauvreté. Cet indicateur mesure l’écart entre le niveau de vie moyen des personnes pauvres et le seuil de pauvreté. En France, par exemple, le seuil de pauvreté est officiellement fixé à un peu plus de 1 000 euros. Mais est-ce que la plupart des pauvres ont un niveau de vie situé juste en dessous, vers 950 euros, ou disposent-ils de beaucoup moins, comme 600 euros ? Autrement dit, les pauvres sont-ils pauvres, très pauvres ou très très pauvres ?

A l’aune de cet indicateur, la France est l’un des meilleurs élèves de la classe européenne : l’intensité de la pauvreté y est de 16,6 %, nettement sous la moyenne européenne (25 %). Ce qui veut dire qu’en France, les pauvres ont un niveau de vie relativement proche du seuil de pauvreté. A l’inverse, en Roumanie, en Grèce, en Espagne et en Bulgarie l’intensité de la pauvreté dépasse les 30 %, signe que ces pays cumulent un fort taux de pauvreté et des inégalités élevées.

Au-delà de la pauvreté stricto sensu, les inégalités de revenus sont plutôt contenues en France. C’est ce que montre le rapport interdécile, c’est-à-dire le rapport entre le revenu plancher des 10 % les plus aisés et le revenu plafond des 10 % les plus modestes. C’est l’indicateur qui est couramment utilisé pour mettre en évidence les écarts de revenus entre riches et pauvres. Ce ratio est de 3,5 en France, deux fois moins qu’aux Etats-Unis ! On est plus proche en réalité du modèle des pays scandinaves que du modèle anglo-saxon. Enfin, pour le moment…

Et qu’on ne s’y trompe pas : c’est bien le système de redistribution français qui permet de limiter à la fois la pauvreté et les inégalités. Comme nous l’avons détaillé dans un précédent article, les 10 % de personnes les plus pauvres disposent d’un niveau de vie moyen de 3 080 euros par an et par unité de consommation, contre 72 690 euros pour les 10 % les plus aisées, soit 24 fois plus. Après redistribution, ce rapport passe à 6 ! Les 10 % les plus pauvres voient leur niveau de vie grimper à 9 860 euros tandis que celui du dixième le plus riche tombe à 55 800 euros. Et ce sont les prestations sociales qui sont le plus efficaces en la matière, comme le précise l’Insee.

L’impact local de la redistribution

Ce qui est vrai à l’échelle nationale, l’est aussi à l’échelle régionale. La France est loin d’être homogène en matière de niveau de vie. Mais sans les prestations sociales et les impôts, le fossé entre régions serait bien plus grand. Avant redistribution, le rapport interdécile s’élève à 7,6 en Ile-de-France, 6,8 en Paca et 6,5 dans les Hauts-de-France. Après redistribution, il se réduit assez nettement, notamment là où les inégalités étaient les plus fortes. On passe ainsi de 7,6 à 4,5 en Ile-de-France, et de 6,5 à 3,3 dans les Hauts-de-France. A Paris, une fois passé à la moulinette de notre modèle social, le rapport interdécile chute de 4,5 points, en Seine-Saint-Denis et dans les Bouches-du-Rhône, les inégalités sont divisées par deux.

Car il faut bien avoir en tête que les aides sociales soi-disant « inefficaces » représentent près de la moitié du revenu des plus modestes en Hauts-de-France ! Au niveau départemental, la part des prestations sociales dans le revenu disponible des 10 % de la population ayant les revenus les plus bas grimpe à 52 % dans le Nord, 50 % dans le Pas-de-Calais ou 48,7 % en Seine-Maritime.

On peut certes critiquer le mille-feuille de notre système fiscalo-social, sa complexité. Certaines prestations sont sans doute mal calibrées, tandis que notre fiscalité pourrait être plus redistributive. Tout cela est vrai. Mais il ne faut pas oublier pour autant que le modèle social français, dans l’ensemble, fonctionne plutôt bien. Et couper dans les aides sociales aura des conséquences immédiates et très concrètes pour de nombreuses personnes…

Laurent Jeanneau, Vincent Grimault et Xavier Molénat

 Source Alternative Economique 13/06/2018

SNCF : le Sénat vote la réforme, les syndicats restent mobilisés

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Prévue ce mardi, l’adoption de la loi par les sénateurs pourra-t-elle mettre fin à une grève qui a déjà coûté plus de 400 millions d’euros à la SNCF ? Pas sûr.

La sortie de crise de la SNCF se rapproche-t-elle enfin ? Après son passage au Sénat, le texte prévoyant l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence à partir de 2020, mettant fin au recrutement au statut à partir de 2020 à la SNCF et transformant celle-ci en société nationale à capitaux publics a été fortement amendé. Prévue ce mardi 5 juin, l’adoption de ce texte par les sénateurs marque une nouvelle étape importante de la réforme.

Cela peut-il mettre fin à une grève qui a déjà coûté quelque 400 millions d’euros, selon la direction de la SNCF ? Pas sûr. D’abord, il va falloir que la commission mixte paritaire entérine le 11 juin prochain les évolutions décidées par le Sénat. Une douzaine de points seraient encore à régler, Sénat et Assemblée nationale campant toujours sur des positions différentes à propos de points techniques de la réforme.

Enfin, il faudra que les organisations syndicales appellent à reprendre le travail… Même si certains syndicats ont participé grandement à l’élaboration des amendements adoptés au Sénat, ils cherchent toujours à maintenir la pression et seraient prêts à appeler à une nouvelle « journée sans cheminots » le 12 juin, lors de leur quinzième séquence de deux jours de grève.

Le 14 mai, avec 30 % de grévistes, avait été un succès alors que la mobilisation s’effritait. Le 12 juin pourrait donc être un dernier baroud d’honneur, notamment pour l’UNSA et la CFDT, les deux syndicats réformistes. Tour d’horizon de la réforme en passe d’être adoptée.

 

  • Les points intangibles de la réforme

Les organisations syndicales ont beau toujours refuser l’ouverture à la concurrence et la réforme de la gouvernance du groupe SNCF, et exiger le maintien du recrutement au statut des cheminots, le gouvernement, soutenu par les deux assemblées, n’a pas bougé sur ces principes « intangibles » de la réforme.

Le projet de loi prévoit une ouverture progressive du secteur ferroviaire national : à partir de 2020 pour les TGV, entre 2019 et 2023 pour les TER et en Ile-de-France, à partir de 2025 pour certaines lignes, et 2033 pour les autres. Quant à la fin du recrutement au statut, il est prévu au 31 décembre 2020, comme les sénateurs l’ont enfin écrit dans la loi.

En parallèle, le gouvernement a annoncé une augmentation de 200 millions d’euros des investissements pour la maintenance à partir 2022, portant l’effort annuel à 3,6 milliards d’euros, ainsi que la reprise de 35 milliards d’euros (sur 46,6 milliards d’euros à fin 2017) de dette de SNCF Réseau.

C’était un préalable au passage de SNCF Réseau d’établissement public industriel et commercial en société nationale. Cette somme sera transférée en deux temps dans les comptes publics de la nation, en 2020 et 2022. Cela devrait augmenter d’autant la dette publique de l’Etat mais, espère le gouvernement, soutenu dans son raisonnement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ce ne sera pas comptabilisé dans le déficit des années 2020 et 2022, permettant à la France de rester dans les clous de la règle des 3 % de déficit prévue par le traité de Maastricht.

 

  • Les adaptations apportées par le Sénat

Après l’avoir refusé aux députés de la France insoumise, le gouvernement l’a finalement accordé au Sénat : la SNCF sera non seulement une entreprise à capitaux publics détenus par l’Etat, mais ces capitaux seront également « incessibles ». Elisabeth Borne, la ministre des transports, a accepté d’intégrer ce terme.

« La SNCF est une entreprise publique dont les titres sont intégralement détenus par l’Etat. Ce qui veut dire qu’elle est strictement incessible, rappelait-elle lundi 4 juin dans La Provence. Mais j’ai bien vu que le fait que ce terme d’incessibilité ne figure pas dans le texte suscitait inquiétudes, rumeurs et faux débats. Alors, nous l’avons ajouté au Sénat. La pédagogie, c’est la répétition. »

Par ailleurs, les sénateurs ont voté en faveur de la création d’un périmètre social ferroviaire qui permettra à un cheminot actuel d’être au statut et de bénéficier du cadre social global du cheminot, y compris dans les filiales Fret et Gares. « En clair, tous les salariés des différentes filiales de la holding SNCF travailleront dans un groupe unifié, traduit-on au ministère des transports. C’était une exigence forte des syndicats. Les cheminots pourront, par exemple, bénéficier d’une mobilité interne à ce périmètre ou pourront relever d’un même comité d’entreprise. »

De la même manière, le Sénat a encadré plus finement le transfert des salariés de la SNCF vers d’autres sociétés dans le cas de la perte d’un appel d’offres de la société publique face à des entreprises de droit privé. Les organisations syndicales n’ont pas obtenu que seuls les cheminots volontaires soient transférés à un opérateur concurrent, mais le Sénat leur a apporté un certain nombre de garanties.

Par exemple, dans le cas d’une ligne transférée à la concurrence, un cheminot qui y consacre moins de 50 % de son activité globale ne sera pas transféré automatiquement à l’opérateur concurrent. La SNCF devra lui proposer un reclassement interne, soit dans la même région, soit au niveau national. De même, pour baisser le recours aux transferts obligatoires, tout cheminot volontaire et installé dans la région pourra rejoindre l’opérateur concurrent. Les syndicats ont enfin obtenu un droit au retour pour les cheminots transférés. Ils pourront revenir à la SNCF entre trois et huit ans après leur départ, et retrouver alors leur statut s’ils le souhaitent.

Parallèlement, le Sénat a précisé que les cheminots transférés à la concurrence conserveront non seulement leur salaire, mais également les autres éléments de leur rémunération (primes, allocations, etc.). Les syndicats tentent toujours d’obtenir davantage, notamment la suppression de l’obligation de transfert. Car si un cheminot refuse un transfert ou les propositions de reclassement, il risque d’être licencié.

 

  • Ce qui pose encore problème

Tous les acteurs entendent en finir avec la rédaction de la loi lors de la commission mixte paritaire (CMP), programmée le 11 juin. Cependant, le texte voté par le Sénat ne plaît pas complètement aux députés. Si ces derniers sont d’accord avec les modifications d’ordre social en faveur des cheminots, il reste quelques désaccords plus techniques, concernant notamment la régulation de l’offre vers certaines destinations.

De même, pour protéger certaines régions, le Sénat a introduit des exceptions à la mise en concurrence qui complexifient le système ferroviaire. Enfin, l’accélération du calendrier d’ouverture à la concurrence en Ile-de-France n’est pas partagée par les députés. « Il y aura encore d’importants débats de fonds lors de la CMP, présage un député. Et cela pourrait être long ! »

Éric Béziat et Philippe Jacqué

Source La Monde 05/06/2018