Pour sa seconde édition sétoise, le festival Voix Vives tisse les passerelles entre le port languedocien et l’ensemble du pourtour méditerranéen. Cette liaison éphémère empruntée par les poètes de 33 pays provoque une confrontation avec les musiciens, acteurs et poètes français conviés à ce rendez-vous où l’art se décline en transversale. Le festival reçoit cette année Carole Bouquet, Marie Rouanet, Fanny Ardant, Marie-Christine Barrault, Arthur H, Juliette, Michel Bismut, Sapho, Combas…
Neuf jours durant, Voix Vives réinstalle l’échange entre la population sètoise et le vaste monde bleu qui la berce. L’espace qui s’ouvre revient aux origines. De tous temps, les terres du Mont St Clair ont servi de refuge aux navigateurs et d’inspiration aux artistes. Le festival investit le quartier haut des pêcheurs et la proximité des côtes maritimes via une flotte de voiliers et de barques à rames où cohabiteront poètes et passagers d’imaginaire. Il va sans dire que ce bouillonnement de sens et de lumière ravit les visiteurs de passage.
Les bouleversements à l’œuvre dans le monde arabe donnent à l’édition un attrait particulier. « Que signifie être poète aujourd’hui au cœur d’une géographie en mouvement ? », questionne Maïthé Vallès Bled. Une autre interrogation, plus pratique, occupe l’esprit de la directrice du festival : elle concerne l’obtention des visas de ses invités. On attend l’arrivée de 99 poètes étrangers, parmi lesquels la Palestinienne Salma Khadra Jayyusi, le Syrien Nourri Al Jarrah, l’Irakien Salah Falk, l’Egyptien Fathi Abdallah. L’Espagnol Antonio Gamoneda, la Portugaise Maria Joào Cantinho ou le Grec Georges Veltos feront résonner l’âme des poètes de l’Europe du sud sous le signe de la rigueur.
En 2011, il sera assurément moins question de la sempiternelle crise de la poésie que de la situation des poètes en temps de crise.
Rencontre avec l’auteur israélien Yishaï Sarid au Festival international du roman noir à Frontignan.
Né en 1956 à Tel-Aviv, Yishaï Sarid est le fils d’un député de gauche militant pour la paix. Son deuxième roman, « Le poète de Gaza » traduit de l’hébreu au printemps a été salué par la presse israélienne. Un ouvrage captivant qui évoque la vie d’un agent israélien de la sécurité intérieure dont l’engagement contre les attentats terroristes le conduit régulièrement à s’exonérer les droits de l’homme. A l’occasion d’une mission, il croise le chemin d’une romancière israélienne et d’un poète palestinien. L’humanité de ces rencontres vient perturber son sens aveugle du devoir.
On est saisi par le rythme de votre thriller qui joue finement sur l’intensité émotive du personnage et on adhère tout de suite à votre style épuré. Quelle a été votre démarche du point de vue de l’écriture ?
« Je voulais me garder de l’émotion facile, éviter les stéréotype de situation. J’ai beaucoup travaillé pour épurer le style sans endommager le sentiment. Je me suis efforcé de restituer la façon dont mon héros parle et pense en restant proche de lui à un point où j’ai pu voir à travers les yeux du héros.
On suit cet homme dans sa vie de tous les jours avec ses difficultés familiales et professionnelles. Ce personnage n’a rien d’une brute. Il est cultivé, sensible et en même temps, il est animé d’un sentiment patriotique très fort qui joue presque contre lui…
En Israël la famille est très importante. Dans cette histoire, le personnage n’arrive pas à gérer cette situation. Quand il a fini son travail, il rentre chez lui mais ne parvient pas à s’adapter à une situation normale. Il est aspiré par son engagement qui lui fait perdre le contrôle de sa propre vie.
Le livre fait état d’une situation politique à l’égard de laquelle vous prenez une distance très mesurée.
Je ne voulais vraiment pas faire du roman un thème politique. Ce n’est pas intéressant, ce qui présente de l’intérêt c’est la dimension humaine. A travers les yeux du personnage principal, je regarde ce qui se passe en essayant de ne pas le juger parce que je pourrais très bien me trouver à sa place. En Israël, la politique est une histoire sans fin. Ce sont toujours les mêmes situations qui se répètent. Traiter de politique à travers la littérature ne sert ni la littérature ni la politique. Ce qui m’intéresse ce sont les conséquences d’une situation politique sur les gens. Cela peut d’ailleurs avoir un impact profond sur la conscience du lecteur.
Comment vivez-vous votre condition d’artiste israélien lorsque vous êtes à l’étranger ?
C’est assez variable. La situation diffère entre les Etats-Unis et l’Europe où la question palestinienne est posée de manière plus exacerbée. Moi je suis un homme de gauche, mais je me sens aussi patriote. De manière générale, quand on sort d’Israël on est considéré comme des ambassadeurs du gouvernement et quand on revient dans le pays on nous considère comme des opposants critiques… »
Richard Mitou éclaire ceux à qui il s'adresse. Photo Marie Clauzade.
Printemps des Comédiens. La pièce d’Ascanio Celestini « Radio Clandestine » porte la mémoire d’une tragédie qui nous fait grandir.
En Italie le massacre des fosses ardéatines perpétré par les nazis à la fin de la seconde guerre mondiale est resté dans la mémoire des Romains comme l’événement le plus tragique de l’occupation allemande. Il peut se résumer ainsi : le 24 mars 1944, en représailles à un attentat du mouvement des partisans en plein cœur de Rome, les Allemands ont exécuté 335 Italiens, résistants, Juifs communistes et simple passants.
L’œuvre qu’en a tirée Celestini s’inscrit dans le théâtro-narrazione qui émerge au milieu des années 1990 comme une forme nouvelle de dramaturgie. Le théâtre récit emprunte la forme de narration aux monologues de Dario Fo et l’engagement civique et politique à Pasolini.
Ainsi ce n’est plus le strict récit de l’événement, ni l’émulsion émotive et éphémère sur laquelle se fonde le commerce des gazettes qui retient l’attention. Mais l’invisible mémoire des gens simples. La partie orale de l’histoire que l’on découvre dans un théâtre sans revers de manche. Un théâtre qui sortirait du spectacle pour venir taper sur votre épaule. Alors voilà, dirait-il : j’aimerais vous raconter quelque chose mais il faut que vous m’écoutiez un peu mieux. Dans cette version, l’histoire du massacre des fosses ardéatines arrive par le souffle du saxophoniste ténor Gérard Chevillon. Un souffle qui traverse le temps qui nous sépare du 24 mars 1944 et efface l’espace symbolique entre scène et salle.
Autre version de l’histoire
L’acteur (Richard Mitou) entre seul sur scène. Il porte en lui le texte qui relate l’histoire collective et complexe d’une ville et de sa population. Cette histoire-là commence par le déplacement de la capitale à Rome. Elle explique comment les ouvriers sont venus du sud pour construire la ville. Elle conte leur relation au fascisme. Evoque l’occupation de Rome et la résistance confuse aux Allemands. Cette histoire passe par les fosses de l’ardéatines mais ne finit pas au même endroit. Elle finit par le souvenir d’une radio gravée dans la mémoire d’une vieille femme toute petite qui incarne le peuple romain d’autrefois. Cette petite femme à qui l’acteur s’adresse est comme nous. Elle a survécu au drame et continue de vivre avec ses idées à elle.
Ce n’est plus la même histoire parce que l’acteur qui la raconte éclaire ceux à qui elle s’adresse. Le comédien les concerne. Son corps donne corps au récit, dans un espace urbain vidé par une averse. Cet espace d’après la pluie s’avère propice aux rencontres fortuites qui n’ont pas de place dans la grande Histoire.
Dag Jeanneret signe une mise en scène dont la sobriété n’a d’égal que l’efficacité. Une élégante manière de s’émanciper du conflit dépassé qui occupe les esprits à chercher une hiérarchie entre la force d’un texte et celle d’une mise en scène. En pensant autrement le processus de création et en œuvrant pour un théâtre politique dépoussiéré, créatif, porteur d’espérance dans la capacité qu’il déploie à modifier notre regard et à trouver du sens.
Arabesques est un festival qui s’est bâti ici sur l’enthousiasme et la volonté d’échanges avec les cultures de l’autre rive de la méditerranéenne. En rendant compte d’une pluralité d’expression artistique où se mêle tradition et modernité, il offrait en perspective le désir d’une jeunesse que confirme le mouvement de démocratisation impulsé dans les pays arabes qui surprend le monde depuis six mois. Il faut rendre hommage à l’équipe d’Uni’Sons pour la volonté de conduire ce projet et au Conseil général de l’Hérault de lui avoir fait confiance, car souvent les vérités ne sont pas bonnes à dire avant l’heure.
On peut s’attendre à ce que cette sixième édition soit emprunte d’un vent de joie et de liberté particuliers dont la mesure nous en sera offerte dès ce soir. A 18h débute sur l’esplanade royale du Peyrou de Montpellier – qui porte singulièrement bien son nom pour l’occasion – la parade équestre et musicale marocaine. Un avant goût des réjouissances à retrouver au Domaine D’O du 20 au 22 mai.
Cette année Arabesques investit l’ensemble du site départemental dédié à la culture. Al andaluz, le paradis éternel ouvre vendredi la grande soirée de l’amphithéâtre avec le spectacle Rêves d’Andalousie qui fusionne l’esprit andalou. Une ébullition joyeuse et colorée de musiques et de danses arabes, de flamenco et de poésie s’inscrit sur scène sous le signe de la tolérance propre à cette civilisation.
Samedi ce sera au tour de l’orchestre national de Barbès de faire vibrer la grande scène qui donne la part belle aux « péchés originaux ».
Dimanche l’orchestre traditionnel Marrakechi Jil Jilala jouera sur les modulations vocales pour exhumer les textes malhouns du terreau de la culture maghrébine et renouer avec les maîtres musiciens de l’art gnaoua. Les spectacles de 19h de la Kasbah D’o sont très alléchants. A ne pas manquer notamment le Trio Joubran qui fera parler le oud avec la Palestine au cœur et de nombreuses rencontres autour du monde arabe.
L’historienne Agnès Carayon retrace » la destinée héroïque des cavaliers zénètes berbères «
Agnès Carayon est historienne, spécialiste du cheval dans le monde arabe médiéval. Elle s’est intéressée au statut du cheval et du cavalier dans la civilisation d’al-Andalus, notamment au rôle décisif des berbères zénètes et de leur chevaux à barbes dans l’armé musulmane d’opposition à la Reconquista (reconquête chrétienne des royaumes musulmans de la péninsule ibérique). Elle consacre aujourd’hui ses recherches à un autre peuple d’éminents cavaliers en terre d’islam : les Mamlûks d’Egypte.
D’où vient l’origine des Fantasias dites aussi Tbourida ?
« A l’origine la Tbourida provient des zénètes une branche de la confédération berbère qui occupait les hauts plateaux du Sahara et les franches côtières au Moyen âge. Les membres de la cavalerie légère des Berbères zénètes étaient renommés pour être de grands guerriers. A l’époque il n’y avait pas d’arme à feu. Durant la Reconquista, la cavalerie lourde des Chrétiens s’est trouvée dans un premier temps décontenancée par cette façon de combattre. Puis ils décidèrent de l’adopter, lui donnant le nom de monta a la gineta (Le bon cavalier) en l’honneur de ces Berbères qui excellaient en sa maîtrise. Les Zénètes qui étaient nomades se sont progressivement sédentarisés. Ils ont fondé des dynasties importantes notamment au Maroc. Ils ont mis le cavalier à l’honneur. Ce sont les ancêtres de la Fantasia.
L’Andalousie actuelle reconnaît-elle ou ignore-t-elle plutôt l’héritage de ses cavaliers Berbères ?
Cet héritage a été accepté dès le Moyen âge. A l’époque, l’art équestre des cavaliers guerriers a été intégré dans toutes les cours d’Espagne. On montrait ainsi une certaine admiration à l’égard des Maures. Les cavaliers zénètes sont également entrés dans la littérature. Le cheval andalou provient du croisement avec des purs sangs arabes. Aujourd’hui toutes ses choses sont un peu noyées.
Le Maroc célèbre ses fêtes nationales et religieuses avec des Fantasias, ces manifestations véhiculent-elles une dimension spirituelle ?
La destinée fantastique du cheval arabe est étroitement liée à l’Islam. Selon la légende, Allah aurait créé le cheval arabe. « Deviens chair, car je vais faire de toi une nouvelle créature, en l’honneur de mon Saint Dieu, et pour la défaite de mes ennemis, afin que tu sois le serviteur de ceux qui me sont soumis », aurait-il dit au vent du Sud avant de prendre une poignée de vent, de souffler dessus et de créer l’animal. Ce qui donne au cheval un statut particulier. Mais aujourd’hui les Fantasias font partie du folklore. Ce sont surtout des mises en scène qui donnent à voir le savoir-faire des cavaliers.
De quelle façon ?
L’équipe de cavaliers se met en place. Elle vient saluer le jury puis exécute une charge suivie d’un arrêt brusque et d’une salve de tirs. La rapidité de la charge et la simultanéité de l’arrêt et des coups de feu donnent toute la beauté à la chevauchée.
L’invitation d’Arabesques concernait la troupe cavalière de Sofia Balouk. A l’arrivée on trouve des cavaliers n’est ce pas significatif d’une certaine crispation à l’égard des femmes ?
La société royale d’encouragement du cheval est le principal levier du développement de la filière équine au Maroc. Elle est dirigée par la princesse Lalla Anima qui avait donné son accord. Le fait que cette tradition marocaine soit représentée par des femmes qui sont pourtant de plus en plus nombreuses à accéder à cette discipline, n’a pas été apprécié au plus au niveau marocain. Ce qui est de mon point de vue assez significatif ».
Jean-Marie Dinh
Agnès Carayon évoquera les origines de la Fantasia lors des veillées équestres les 20 et 22 mai au Domaine d’O.
Une littérature captivante de l’ancienne civilisation aux chroniques urbaines contemporaines
Culture politique et esthétique populaire
L’Egypte a toujours tenu une grande place dans l’imaginaire collectif. Le dynamisme de la culture du pays traverse les millénaires. De Ramsès à Cléopâtre en passant par le panarabisme de Nasser et son rôle dans le mouvement des non alignés. Avec sa tirade « Soldat du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent», Napoléon himself, décrit avec étonnement le tableau qui se trouve devant lui. Mais ce que retient l’histoire prête toujours à caution. Les collections égyptiennes du Louvre ne doivent rien à l’expédition de Bonaparte. Dans la petite histoire on apprend que battus par les soldats de la couronne britannique, les Français remirent aux vainqueurs toutes les antiquités. Dans Turbans et chapeaux, Sonallah Ibrahim offre une vision égyptienne de la campagne napoléonienne avec la profondeur et le sens de l’ironie qui lui est propre.
Après le retrait de l’armée napoléonienne, les échanges culturels entre les deux pays se poursuivent dans le mouvement égyptien de « la renaissance ». Beaucoup d’étudiants égyptiens prennent le chemin de Paris, ce qui contribue à un important mouvement de traduction. A partir de 1882, la domination politique anglaise va renforcer l’influence culturelle française sous forme de protestations nationalistes des intellectuels.
Suivent la prise de conscience nationale qui voit l’abdication du roi Farouk en 1952 et l’arrivée de Nasser deux ans plus tard. Puis une succession de guerres : 1956, 1967 et 1973. Durant cette période, c’est dans ce pays en mutation que les écrivains égyptiens décrivent la société pour contribuer à la changer. Ce qui participe avec des auteurs comme Mahfouz a reconfigurer l’expression de langue arabe. L’aspiration à la liberté du peuple égyptien trouve sa place dans la littérature mondiale.
Auteurs contemporains
Il y a quelque temps, à l’occasion de la sortie de son roman Taxi, Khaled Al Khamissi avançait que le bouillonnement des rues du Caire traduisait l’échec total du système politique. Face à cette impasse, il s’inspire de la colère collective, des émeutes, et des grèves dans les usines qui se multipliaient et transpose cette matière littéraire à travers la réflexion des chauffeurs de taxi. Ce sont finalement les chauffeurs du Caire qui dessinent la personnalité égyptienne de la rue. Le livre annonçait clairement ce qui vient de ce passer.
Alaa El Aswahny nous avait plongé lui au cœur du Caire dans un immeuble naguère prestigieux qui a perdu sa splendeur, où cohabitent toutes les classes sociales. L’immeuble Yacoubian a été porté à l’écran par Marwan Hamed. Alaa El Aswahny a signé depuis : « J’aurais voulu être égyptien ». Un roman interdit où la fiction ne se départit pas d’une ironie très modérément appréciée par le pouvoir. « Le destin décide de notre sort de la même façon que la main dirige la marionnette d’une poigne solide. »
En ce début de XXIe siècle la littérature exprime encore, avec une certaine sagesse, la colère l’humour et la désillusion, liés aux difficultés de vivre du peuple égyptien. Elle ouvre aussi les fenêtres sur l’espoir des Egyptiens d’être respectés en tant que citoyens. Reste à espérer que le départ de Moubarak permette à ses successeurs de libérer la culture du pays vers le destin qui lui est promis.
Livre. Redécouvrir Naguib Mahfouz avec Karnak Café.
Modernité boulversée et roman
La littérature égyptienne va chercher dans ses fissures identitaires. Comme dans toutes les nations du monde dont la culture fait partie de l’histoire universelle, elle permet de mieux comprendre l’âme humaine d’un peuple. A l’aube d’un nouveau jour égyptien, on se replonge avec plaisir dans l’œuvre de Mahfouz qui compte une cinquantaine de romans. Prix Nobel de littérature en 1988, l’écrivain fait partie des auteurs que l’on garde en mémoire. Dans ses premières œuvres, il peint minutieusement la société traditionnelle en dressant un panorama qui porte le souffle patriotique d’une Egypte marqué du sceau de l’humain. La démarche d’écriture a recours au réalisme, parfois cruel, qui recherche dans le passé pharaonique les raisons de la fierté d’un peuple. L’auteur de L’impasse des deux palais rend compte avec ses romans des bouleversements sociaux et politiques de son pays. L’engagement descriptif de l’écrivain traduit aussi l’esprit de révolte si décisif dans l’histoire moderne du pays. Il appartient à une génération qui a vécu l’écrasement de l’armée égyptienne dans le conflit contre Israël en 1967. Les années 60 et l’échec des politiques post-révolutionnaires, marquent d’ailleurs un tournant dans son œuvre. L’auteur débouche sur un constat inquiet de l’évolution de la société.
Les éditions Actes Sud viennent de traduire pour la première fois en français « Karnak Café ». Ecrit en 1971 et publié en 1974, cet audacieux roman de Naguib Mahfouz livre la chronique sociale d’une génération perdue. Le livre qui pointe la répression policière a eu un grand retentissement. L’action se passe au Caire au milieu des années 1960. Le narrateur entre au Al Karnak café géré par Qurunfula, une ancienne star de danse orientale dont il a reconnu l’éclat mué en beauté mélancolique. Dans ce lieu populaire se retrouvent trois étudiants. Tous se disent les enfants de la révolution de 1952. Il va faire leur connaissance mais un jour ils disparaissent. La guerre n’est jamais très loin et les petites histoires ouvrent sur la grande tragédie d’un peuple. Le roman dépeint la tyrannie du présent impérialiste et l’oubli qui pèse sur le passé. A travers l’ambiance d’un petit café où se confrontent les idées politiques de trois étudiants, on découvre le microcosme d’une Egypte en train de perdre ses repères.
Décédé en 2006, Naguib Mahfouz est à l’origine d’un roman typiquement égyptien dont on trouve toujours trace chez les auteurs contemporains.
Karnak Café, éditions Actes Sud, 16 euro
Livre. Turbans et Chapeaux : Une histoire romancée de la présence française en Egypte qui dura trois ans et vingt et un jours.
Récit d’une relation orageuse
Sonallah Ibrahim a écrit ce roman en 2003 lors de l’invasion américaine en Irak
« Chaleur étouffante, atmosphère chargée de poussière. Je me jette dans la foule en furie. Dégoulinant de sueur, je trébuche sur un obstacle au milieu de la rue : un amoncellement d’ordures. » Ce moment pourrait avoir eu lieu à la suite de la charge à dos de chameaux des partisans de Moubarak. Sur la place Tharir où les mamelouks modernes du souverain ont brandi leur sabre devant un peuple affamé de démocratie. Mais il se déroule à midi le 22 juillet 1798. On vient d’apprendre la défaite de Moura Bey et d’Ibrahim Bey. Les deux émirs rivaux sont en fuite et l’on annonce l’entrée imminente de Napoléon au Caire.
Le journaliste égyptien Sonallah Ibrahim signe avec Turban et chapeaux un récit parallèle aux chroniques de l’historien Jabarti témoin oculaire de la conquête de son pays par Bonaparte. On suit l’itinéraire d’un jeune disciple égyptien recruté comme aide bibliothécaire par L’Institut des arts et des sciences d’Egypte. Celui-ci tisse une relation avec Pauline Fourès, connue pour avoir été la maîtresse de Napoléon. C’est la fille d’une comtesse guillotinée pendant la Révolution française. Dans cette petite histoire qui côtoie la grande, le jeune Egyptien s’imprègne de son odeur de savon et Pauline lui apprend entre autre, à jouer du piano.
Sonallah Ibrahim qui a séjourné dans les prisons égyptiennes entre 1959 et 1964 a écrit ce roman historique en 2003 lors de l’invasion américaine en Irak. En toile de fond se propage la relation orageuse entre les Arabes et l’Occident. Il est vrai que l’idée de Bonaparte selon laquelle la guerre offensive soutient l’économie ne diffère en rien de celle de Bush père. La technique brutale s’enrobe de beaux principes. Avec une malice toute égyptienne, l’auteur ne manque pas de souligner qu’elle fait appel à la collaboration du pouvoir local. Et le lecteur prend toute la mesure de la propagande politique qui sévissait déjà à l’époque. « A la mosquée aujourd’hui, il se disait que le Prophète est apparu à Bonaparte et lui a demandé d’annoncer publiquement sa foi dans les piliers de la religion d’Allah. Bonaparte lui aurait alors demandé un délai d’un an, le temps de préparer son armée, ce que le Prophète lui aurait accordé. » Comme quoi les professions de foi politiques appellent toujours des contre-enquêtes.
Turbans et Chapeaux, éditions Actes-Sud 22 euros.
Actualité éditoriale
Actualité Internationale
Deux mois après la chute de Moubarak, les manifestants protestent au Caire contre l’armée et à sa tête le maréchal Hussein Tantaoui, accusé de freiner les réformes. Plus d’un millier de manifestants occupait toujours dimanche 10 avril la place Tahrir au Caire au lendemain d’affrontements qui ont fait un mort, mettant en évidence les tensions autour de l’armée accusée de freiner les réformes, deux mois après la chute du président Moubarak.
Amnesty International a dénoncé dans un communiqué « l’usage excessif de la force par l’armée égyptienne », citant sur la foi de témoignages l’usage de matraques électriques et l’envoi de véhicules blindés qui ont fait de nombreux blessés en entrant dans la foule. L’armée a nié avoir agi avec brutalité et démenti des accusations selon lesquelles elle aurait ouvert le feu sur des manifestants. Elle les a qualifiés de « hors-la-loi » en laissant entendre qu’ils pourraient agir à l’instigation de partisans de Moubarak.
Ces événements témoignent d’une récente montée des tensions autour du rôle de l’armée, après une période de large consensus sur son action pour stabiliser le pays et organiser le retour à un pouvoir civil élu promis pour la fin de l’année.