Le Goncourt attribué à Marie Ndiaye, le Renaudot à Frédéric Begbeider

Marie Ndiaye

Le Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire en France, a été attribué lundi à Marie NDiaye, Française de père sénégalais, pour « Trois femmes puissantes », a annoncé le jury à Paris. Marie NDiaye, 42 ans, est la première femme à obtenir le Goncourt depuis 1998. Elle a été couronnée au 1er tour avec 5 voix contre 2 à Jean-Philippe Toussaint pour « La vérité sur Marie » et une voix à Delphine de Vigan pour « Les heures souterraines« . « Trois femmes puissantes », publié par Gallimard, regroupe trois récits dont les héroïnes résistent pour préserver leur dignité, entre la France et l’Afrique. La première, Norah, une avocate parisienne, rend visite à son père à Dakar, pour des retrouvailles malaisées. La deuxième, Fanta, quitte son Sénégal natal pour suivre son mari en France, où elle s’ennuie. La dernière, Khady, jeune veuve, erre entre l’Afrique et l’Europe, sans espoir.

Auteur d’une vingtaine de romans et recueils en 23 ans, Marie NDiaye est née le 4 juin 1967 à Pithiviers, dans le centre de la France, d’un père sénégalais et d’une mère française, enseignante, et a grandi en banlieue parisienne. « Je suis très contente d’être une femme qui reçoit le prix Goncourt », a-t-elle déclaré à la presse en arrivant devant le restaurant Drouant où le prestigieux prix venait de lui être attribué. « Une sorte de miracle s’était déjà produit avec le succès du livre », a-t-elle ajouté, « ce prix est inattendu. C’est aussi le couronnement et la récompense de 25 ans d’écriture et de cette opiniâtreté ».

Elevée en France par sa mère, cette romancière atypique surprend par l’étrangeté de ses récits, qui parlent des femmes et des rapports compliqués entre les gens. Mais elle ne se perçoit ni comme le porte-parole d’une minorité, ni comme un écrivain militant. « Je n’ai pas de réflexion politique très personnelle ou originale, je ne suis pas une +penseuse+ », déclarait-elle récemment à l’AFP. « Un symbole? Franchement je ne sais pas. Personnellement en tous cas je n’arrive pas à voir les choses ainsi (…) Je ne suis représentante de rien », estimait-elle encore.

A l’âge de 18 ans, elle publie son premier roman, « Quant au riche avenir » (1985). Elle abandonne rapidement ses études pour se consacrer à l’écriture et enchaîne depuis romans et recueils de nouvelles. Une vingtaine en 23 ans, parus pour l’essentiel chez Minuit puis chez Gallimard. « Comédie classique » (1988), « La femme changée en bûche » (1989), « La sorcière » (1996)… Prix Femina en 2001 pour « Rosie Carpe », elle entre en 2003 au répertoire de la Comédie-Française avec « Papa doit manger ». En 2007, Marie NDiaye s’est installée à Berlin avec sa famille.

En 2008, le Goncourt avait été attribué au Franco-Afghan Atiq Rahimi pour « Syngué sabour. Pierre de patience ».

Frédéric Beigbeder décroche Le Renaudot

F. Beigbeder

F. Beigbeder

Frédéric Beigbeder,  a obtenu le Renaudot 2009 au cinquième tour de scrutin, pour Un roman français qui marque une sorte de rupture avec son profil de « people » branché, d’éternel ex-dandy de la pub. L’écrivain s’est lui-même réjoui de se retrouver sur la même liste que Céline et Perec.  C’est à la suite d’un bref passage de 48 heures derrière les barreaux, pour avoir consommé des substances illicites, qu’il a eu envie de renouer avec ses racines, de raconter son enfance et d’écrire :  Un roman français . Jusqu’à son arrestation, Beigbeder affirmait n’avoir aucun souvenir de son enfance, raison pour laquelle sans doute il se sentait « égaré ». « Taper sur la tête d’un écrivain, il n’en sort rien. Enfermez-le, il recouvre la mémoire » ironise le romancier.

Voir aussi : Rencontre avec Marie Ndiaye

Rencontre avec Frédéric Begbeider

« L’émotion de la voix à travers le texte partagé »

Valery Levy Soussan « Aujourd'hui le public est beaucoup plus large » . Photo DR

Valery Levy Soussan, la directrice de collection des livres Audiolib du groupe Hachette, explique la croissance de l’audience du livre audio et évoque l’avenir du livre audio dont les ventes en France ont progressé de 50% cette année : Entretien.

Où se situe la France par rapport à ses voisins dans le secteur du livre audio ?

« L’offre française se caractérise par un certain retard que l’on retrouve en Espagne et en Italie. En France, les ventes représentent environ 1% du marché du livre. J’arrive du salon de Francfort. Là-bas on est à 5%, ce qui est loin d’être négligeable car les Allemands lisent plus que nous. Le marché explose, les jeunes mettent des œuvres sur leur Mp 3, les gens écoutent en se rendant sur le lieu de travail. Même phénomène dans les pays d’Europe du Nord où le livre audio est très développé. Aux Etats-Unis, il atteint 10% des ventes. Même si cela n’est pas vraiment comparable parce que les pratiques sont liées aux modes de vie. Les Américains en écoutent lors des longues distances en voiture. Les textes sont abrégés alors qu’en France on considèrerait cela comme un sous-produit.

Quel est l’impact des nouvelles technologies ?

L’expérience du livre audio a démarré en France avec les K7 qui n’étaient pas le support idéal. Aujourd’hui la percée du numérique modifie la donne et les habitudes d’écoute. Les livres audio ne s’adressent plus seulement aux personnes âgées ou aux personnes ayant des difficultés d’accès au livre comme les mal voyants. Aujourd’hui le public est beaucoup plus large. L’arrivée du Mp3 et des téléphones mobiles a aussi modifié les habitudes. Il est devenu courant d’écouter des sons en se déplaçant.

Quels sont les objectifs de votre collection ?

Retrouver le plaisir du texte partagé, l’émotion de la voix et permettre un accès plus facile aux livres audio. Nous avons créé Audiolib l’année dernière pour dynamiser le marché. Et enrichir l’offre française qui est assez limitée dans ce domaine.

Sur quoi reposent vos choix éditoriaux ?

Notre programme éditorial colle à l’actualité. Nous éditons des romans contemporains en littérature étrangère comme en littérature française. Quelques classiques aussi, les enseignants trouvent avec le livre audio de nouvelles perspectives pédagogiques. Nous avons une collection développement personnel qui propose des ouvrages en phase avec un support oral que l’on écoute à moments perdus. Et puis la collection suspens avec des thriller comme la série Millenium Stieg Larsson ou la saga Fascination de Stephenie Meyer qui vient de paraître.

Sur quels critères choisissez-vous les comédiens ?

Nous travaillons avec des studios d’enregistrement qui réalisent des castings sur les textes. Il faut que les comédiens pratiquent la lecture, qu’ils aient une sensibilité littéraire et qu’ils soient disponibles parce que cela prend du temps d’enregistrer un livre. Et puis il y a des textes de circonstance où le lecteur dispose d’une proximité particulière avec le texte. C’est le cas d’Arthur H avec L’écume des jours de Boris Vian.

Comment réagit le monde des lettres ?

Il n’est pas en résistance face à l’audio. Au siècle dernier on lisait beaucoup à haute voix et de nos jours les écrivains font souvent des lectures publiques. Au niveau des éditeurs nous travaillons avec tout le monde. Le livre audio est perçu comme complémentaire. On constate que pour l’écoute le choix des lecteurs est différent.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Le Seuil et les éditeurs français contre Google jeudi devant le TGI

Le procès pour « contrefaçon » qui oppose notamment les éditions du Seuil et le syndicat des éditeurs français au moteur de recherche américain Google se tiendra jeudi devant le TGI de Paris, dans un climat marqué par de nombreux développements autour de la numérisation des livres.

« Je crois qu’il faut traiter avec Google sur des bases juridiques solides », souligne Hervé de la Martinière, le PDG du groupe La Martinière qui contrôle le Seuil, à l’origine de la plainte visant Google France et la maison-mère Google inc., déposée en juin 2006.

Avec le Syndicat national de l’édition (SNE), qui regroupe 530 maisons d’édition, et la Société des gens de lettres (SGDL), La Martinière conteste le programme de numérisation massive de livres, sans autorisation préalable des éditeurs concernés, lancé en 2005 par Google. Des ouvrages libres de droits, mais aussi soumis au droit d’auteur, puisés notamment dans les grandes bibliothèques américaines, qui doivent constituer selon Google le fond d’une bibliothèque numérique mondiale consultable sur internet.

« Cette espèce d’arrogance qui fait qu’on vous prend vos livres et qu’on les numérise sans vous demander votre avis, ce n’est pas possible », soutient Hervé de La Martinière. La question du respect du droit d’auteur sera donc jeudi au centre des débats devant le TGI. « On estime qu’on a, en droit français, toutes les raisons d’avoir assigné Google », affirme-t-on au SNE, où l’on souligne l' »unanimité » des adhérents du syndicat.

L’audience devant le TGI survient après la polémique qui a éclaté en France avec l’annonce mi-août de discussions entre Google et la Bibliothèque nationale pour la numérisation de ses collections. Des négociations motivées, selon la BNF, par le coût élevé de la numérisation.

Début septembre, Google a réaffirmé pour sa part sa volonté d’écouter les critiques et de tenter de parvenir à une solution. « Notre but reste de redonner vie à des millions de livres épuisés parmi les plus difficiles à trouver, tout en respectant le droit d’auteur », soulignait Google France dans un communiqué.

L’opérateur américain a même fait le 7 septembre à Bruxelles de premières concessions aux auteurs et éditeurs européens pour tenter de vaincre leur opposition.

Hervé de la Martinière souligne lui-même les « bonnes dispositions » affichées par les responsables de Google qu’il a rencontrés ces derniers mois, des rencontres qui n’ont cependant « abouti à rien, sinon à des propositions de dédommagement qui ne nous intéressaient pas ». « Il faut aller au procès, ensuite il sera toujours temps de mettre tout ça sur la table », affirme-t-il.

Le volet judiciaire français s’ouvre au lendemain de la décision du ministère américain de la Justice de demander à un juge fédéral new-yorkais de ne pas valider un accord conclu entre Google et des syndicats d’éditeurs et d’auteurs américains sur un partage des bénéfices liés à l’exploitation aux Etats-Unis des livres numérisés. Le ministère américain a au contraire « encouragé la poursuite des discussions » entre les parties.

Autant d’éléments qui montrent la complexité du dossier numérique qui suscite de plus en plus de réactions aux Etats-Unis et dans plusieurs autres pays. En Italie, l’autorité de la concurrence a ainsi étendu a Google Inc. la procédure lancée contre Google Italie pour abus présumé de position dominante.

Voir aussi : Google condamné

Le roman noir au féminin

Anne Secret « Le récit ne donne pas les clés ». Photo Hermance Triay

Intéressant autant que vaste, le thème « La frontière » du Festival international de Roman noir, permet d’aborder la question du genre dans le polar. Un aspect transversal que l’on retrouve chez les auteures invitées quelques soient leurs origines.

Dans son premier roman l’iranienne, Naïri Nahapetian ausculte les arcanes du pouvoir autant que la société iranienne. La jeune auteure se plait à dévoiler l’envers du décor, en pointant les espaces de liberté des femmes. Un de ses personnages principaux s’inspire de la vie réelle d’une politicienne qui a tenté à deux reprises de présenter sa candidature aux présidentielles. « En Iran, les femmes sont en première ligne, y compris dans la politique où elles mènent campagne au grand jour et exercent une réelle influence sur l’électorat, » indique-t-elle.

Plus à l’Est, Than-Van Tran-Nhut fait revivre la civilisation vietnamienne du XVIIe siècle à travers les enquêtes du mandarin Tân (Philippe Picquier) et laisse percevoir le rôle prépondérant des femmes qui transcendent la notion de devoir héritée du confucianisme. « Dans mes livres, les femmes apparaissent souvent en tant que personnages secondaires mais elles tiennent une place très importante dans l’organisation familiale et la gestion des affaires. Le Vietnam du XVIIe siècle, qui voit l’apparition de l’économie localisée, est marqué par l’apport de nouvelles techniques en provenance de l’Occident ou du Japon. Techniques à l’origine d’un changement profond de la société dans laquel les femmes ont joué un rôle majeur.

French Touch

Côté français, une nouvelle génération émerge. Jean-Christophe Brochier, responsable de la collection Roman noir au Seuil, observe que « les postures nouvelles occupées par les romancières se retrouvent en rapport de force avec les représentants masculins. On sait que les femmes lisent davantage que les hommes. Ce sont généralement elles qui achètent les livres. Et elles représentent, en France, 70% du monde de l’édition. »

Invitée du Firn, Karine Giebel met en scène un huis clos où un homme se retrouve, dans une cave, le prisonnier d’une femme assez perturbée. « Au départ il n’y avait pas de volonté féministe dans cette trame, confie Giebel, j’avais juste envie d’inverser le schéma classique : l’homme bourreau, la femme victime. C’est le suspens qui domine. J’essaie de faire en sorte que le lecteur s’attache aux personnages. Comme le prisonnier est un homme, on se demande comment il va s’en sortir parce qu’en général les hommes s’en sortent toujours… Mais les lecteurs ont aussi éprouvé une forme d’empathie pour la geôlière qui est plus pathétique qu’autre chose. »

Avec Les villas rouges (Seuil), Anne Secret ouvre une fenêtre sur la baie de la Somme et les paysage d’Ostende mais aussi sur la géographie intime de Kyra, personnage principal qui se retrouve lâchée en pleine cavale par son amant Udo. « Le récit ne donne pas les clés. Il évoque le côté opaque chez les gens. Kyra évolue dans un monde où beaucoup de choses lui échappent. Udo la manipule mais il est lui-même pris dans un cercle qui le dépasse. J’aime les personnages féminins des tragédies Grecques qui vont vers la mort les yeux ouverts.

Loin des habituelles images de femmes pulpeuses ou mystérieuses qu’ont pu nous renvoyer les polars d’autrefois, la nouvelle génération qui pointe écrit des livres porteurs d’absolu. Et ouvre sur une forme d’altérité féminine qu’il s’agit moins de s’approprier que d’accueillir.

Jean-Marie Dinh

Persécution des femmes, interventions et carences

persecution3Persécutions des Femmes est un ouvrage qui pose une pierre solide face au problème universel des violences faites aux femmes à travers le monde. A l’heure où l’on célèbre en grande pompe le centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir, l’histoire contemporaine fait l’impasse sur ce qui figure de nos jours comme la plus courante négation du droit humain. Le réseau scientifique Terra contribue efficacement à lever l’ignorance dont se couvrent les faits. Compte tenu de l’ampleur géographique et démographique des faits, l’urgence pousse à analyser les différents types de persécutions subies, expliquent Jane Freeman et Jérôme Valluy qui ont co-dirigé le livre. L’ouvrage se veut dépositaire de nombreuses recherches qui prennent en compte l’ensemble de la problématique. Il regroupe le travail de plus de trente chercheurs. On y découvre utilement que dans le système de persécution des femmes, les frontières sont plus minces qu’on ne le pense entre les pays développés et les pays en voie de développement. La violence domestique (physique, psychologique et sexuelle), présente d’étonnants points communs avec les pratiques de la  torture. La violence politique comme outil du contrôle social permet l’existence de la violence privée.

La première partie du livre dresse une anthropologie des persécutions des femmes à travers le monde. La seconde dessine le paysage de la mobilisation sociale et sa réception mitigée. Comme le confirme l’enquête Enveff sur les violences envers les femmes en France qui établit que la violence conjugale ne suit guère la hiérarchie sociale habituellement opérante. Autrement dit, le  danger n’est pas le monopole des classes fréquentant les caves des HLM. L’ouvrage se conclut par le témoignage d’associations telles que Médecin du monde, la Cimade ou Amnesty International qui mettent l’accent sur la nécessité d’adaptation aux besoins des femmes persécutées ainsi que  l’attitude ambiguë des sociétés d’accueil aux réfugiées victimes de ce type de persécution.

Un réveil s’impose. Dans les années 70, les féministes avaient dénoncé le statut subordonné des femmes au système de pouvoir masculin. Vingt ans plus tard les travaux de chercheuses militantes ont abouti aux conventions internationales du Caire en 1994 et de Pékin en 1995. C’est ainsi par exemple, que le mouvement contre la stérilisation forcée a pu freiner l’esprit néo-malthusien des institutions en charge des politiques démographiques.

Le poids des cultures et des conceptions éducatives est aussi évoqué. L’évolution des pratiques en matière d’excision ou de mariage forcé suppose une approche spécifique pour éviter la défense réactionnelle aux attaques souvent mal conduites par les opposants qui mêlent jugements moraux culturels et réalités objectives. « Le repli identitaire qui en a découlé a figé ainsi la pratique qui est devenue porteuse d’une valeur mythifiée », souligne Christine Bellas Cabane qui a mené une enquête au Mali.

Très documenté, l’ouvrage ne prétend pas combler tous les déficits de connaissance mais les résultats qu’il présente indiquent l’importance du travail qui reste à mener en terme d’études et de  recherches comme la nécessité de lever de nouveaux fonds au moment où les  pays financeurs réduisent leur aide.

A travers la condition des femmes, cet ouvrage miroir reflète les questions que nos sociétés se posent sur elles-mêmes. Un livre à lire et à offrir…

Persécution des femmes 640p, 30 euros, éditions du Croquant