Ouvrier et poète contemporain

chaise_longue_1-copie-1Poésie. J-Luc Caizergues, machiniste à Montpellier, signe Mon suicide.

C’est une vocation tardive que se découvre Jean-Luc Caizergues pour la poésie fiction. En 2004, son admiration pour Houellebecq finit par le convaincre que cette œuvre est dépassable, parce que son vide contemporain à lui outrepasse de loin celui de l’auteur de Plateforme. Il publie « La plus grande civilisation de tous les temps », peut être parce que son catalogue d’abjections est plus pauvre. La condition de tâcheron lui renvoie des images viciées qui ne sont pas celles de la petite bourgeoisie. Qu’a t-elle de plus, la condition humaine d’un ouvrier d’aujourd’hui… C’est dans le moins qu’il faut chercher.

Rien de politique pourtant, juste un fond brumeux où il faut évoluer chaque jour sans la moindre estime pour soi-même, un environnement à l’image de la démocratie abstraite. « Les machinistes ont pour mission d’installer des décors sur la scène au nom de la culture. »

Alors que faire ? Se jeter du pont pour rejoindre le fleuve de la poésie contemporaine et faire entendre la voix de tous ceux… De tous ceux dont la vie se ponctue d’échecs successifs. Exprimer cette mort-là, cette mort simple, pourrait être en rapport avec le titre de son second recueil,  Mon suicide. Toujours dans la collection poésie dirigée par Yves di Manno, qui a ouvert une ligne de front chez Flammarion.

L’absence de lyrisme fait penser à Régis Jauffret dans Microfictions. Dans Suicide, on touche le cruel avec une précision chirurgicale, mais l’écriture de Caizergues se distingue par des tonalités qui annoncent de nouvelles perturbations. Il y a des miracles qui arrivent chaque jour sans que l’on s’en aperçoive : « Jauffret a du talent, affirme Jean-Luc Caizergues, c’est facile pour les gens qui ont du talent. Il peut écrire des milliers de textes, pas un machiniste dans la glaise comme moi qui est publié à perte. »

Miracle : « Je suis transporté aux urgences /où un médecin de garde m’examine et conclut / vous n’avez rien. »

Guéri : « Je me rhabille / pendant que deux infirmiers / roulent dans un drap / blanc le cadavre du médecin. »

L’expression simple rend la parole presque inaccessible. On trouve à la fin du recueil, un court texte en prose qui retentit comme un coup de fusil.

Jean-marie Dinh

Jean-Luc Caizergues Mon suicide, Flammarion, 20 euros

Quignard au-delà du savoir

pascal_quignardOn ne naît pas impunément dans une famille de grammairiens. Mais que l’on se rassure, voir et entendre Pascal Quignard est une chose toute différente que de le lire. L’occasion nous en était donnée cette semaine à l’auditorium du Musée Fabre où le lettré était l’invité de la librairie Sauramps. Avant d’évoquer son dernier livre, Boutès, avec Nathalie Castagné, l’auteur en a lu le premier chapitre. Pris par l’expédition des Argonautes pour retrouver la toison d’or, le héros, Boutès, rencontre les sirènes. Mais à l’inverse d’Ulysse, qui reste attaché à son mât, Boutès plonge dans la mer. Ce geste, à première vue insensé, ne l’est certainement pas, suggère l’écrivain dont le cheminement vise à y trouver un sens. C’est autour de ce saut, « l’élan de Boutès vers l’animalité intérieure » que tourne son livre.

« Après La nuit sexuelle, je voulais m’accorder un peu de répit, indique Pascal Quignard, mais il y a eu cet épisode au Banquet de Lagrasse (1) qui m’a donné un sursaut pour défendre les lettres. » Retour donc vers ce mythe grec méconnu pour évoquer « la musique qui a le courage de se rendre au bout du monde. » Boutès répond à l’appel ancien de l’eau, un irréel qui n’est pas du passé, affirme l’écrivain.

JMDH

Pascal Quignard, Boutès, Éditions Galilée, 2008

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En 2007 lors du festival qui avait pour thème La nuit sexuelle en hommage à Pascal Quignard, 12 000 livres ont été saccagés par un mélange de gas-oil et d’huile de vidange dans l’abbaye rachetée pour partie par le Conseil général (des moines traditionalistes vivent dans l’autre partie de l’abbaye). A ce jour l’enquête du SRPJ n’a toujours pas abouti.

La guerre des chefs au PS

ps2Un livre d’actualité pour s’y retrouver, un peu, dans la grande course à l’échalotte qui anime le parti politique qui naguère structurait le débat politique français. Avec Le petit socialiste illustré, Jean-Michel Normand spécialiste du PS au Monde, dépeint le paysage baroque où les grandes joutes idéologiques ont laissé place à la médiacratie, et les programmes de société aux petites phrases assassines et glamour. Malgré ses ressources inestimables, pourrait-on croire, le PS n’a pas remporté une seule élection présidentielle depuis vingt ans. Ce livre illustré par l’exemple aide à comprendre pourquoi. Il propose de découvrir le PS sous un angle inédit : celui de son folklore, de ses manies qui font tristement sens. Du patois militant, aux tics de langage des leaders, sans oublier les tartes à la crème qui émaillent leurs discours, le livre de Normand dévoile, non sans humour, les travers d’une galaxie surréaliste souvent située aux antipodes de l’intérêt général. On tourne les pages en s’efforçant de rire, mais l’exercice est difficile. Dans la langue du crue, les pathétiques imbroglios de la tektonik du PS local ou le mariage de la carpe et du lapin pourraient se traduire ainsi. Pour se remettre en selle sous la pression du Big Boss (Frêche) qui en pince pour Stausski (DSK), la belle Hélène (Mandroux) qui avait hier rallié la motion de Bébert roi du monde (Delanoë), soutient aujourd’hui celle de La dame aux caméras (Royal). Le congrès PS en question doit être celui de sa « rénovation ». L’affaire est devenue sacrément urgente. Le pire résidant sans doute dans la propention hégémonique que le parti socialiste s’efforce sans cesse de déployer sur l’ensemble de la gauche.

Le petit socialiste illustre, ed Jean-Claude Gawesewitch, 13,9 euros

Voir aussi : Rubrique Politique A quoi joue Gérard Collomb ?, Rubique Livre politique

Du scandale à la tragédie intime

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Serge Bramly

« On ne rembobine pas la pellicule du réel ». Toute tentative allant dans ce sens est vouée à l’échec. Les professionnels de l’information le savent. Ce qui ne les empêche pas d’y employer la plupart de leur temps. Moins pour donner un sens à ce qui se passe, que pour faire du neuf en légitimant l’intérêt du pouvoir en place. C’est un peu de ce réel que restitue Serge Bramly dans Le premier principe, le second principe. Le roman s’articule autour d’une succession de faits déterminants des dernières années. On suit la carrière trouble d’un photographe susceptible de traquer une princesse s’engageant sous le tunnel du pont de l’Alma. Celles non moins obscures d’un marchand d’armes suisse, d’un haut fonctionnaire participant aux réunions stratégiques à huis clos, et d’un Premier ministre français qui connut une fin tragique.

Pour dénoncer les tromperies, souligner que nous ne sommes pas dupes, ou simplement décrire le réel, Serge Bramly fait appel à l’imaginaire. Il met à jour notre regard en puisant des souvenirs discordants qu’il organise dans la structure inspirée d’un roman d’espionnage moderne. Les interprètes du pouvoir mystérieux s’incarnent à travers une série de personnages qui nous conduisent de l’Afrique à la Chine en passant par l’ex-Yougoslavie.

L’histoire débute en 1981. L’enquête d’un analyste de la DGSE nous plonge par un réseau de lignes entrelacées au cœur de l’histoire secrète des années Mitterrand. On suit les fils en cherchant le lien avec l’intrigue principale pour finalement comprendre que l’auteur nous invite à renverser la hiérarchie entre cadre et contenu. Le moteur même de lecture est la fragmentation. Ce en quoi elle colle parfaitement au XXIe siècle. Un roman passionnant et une réflexion des plus originales sur les enjeux violents de l’information.

Serge Bramly, Le premier principe Le second principe, éd JC Lattès, 22 euros

Pas de bouchon sur la voie du milieu

Chronique idiote du cru.

Les vacances de Carla à Lodève.

Privé de dalaï-lama, Sarko qui voulait partir en République de Chine en frégate s’est ravisé, à la dernière minute. Il ira faire un saut en Chine tout court et tant pis pour la République. Plus sage et réfléchie, Carla sera présente à la cérémonie religieuse présidée par le dalaï-lama qui marquera l’inauguration le 22 août du temple bouddhique de Roqueredonde, près de Lodève. Quelqu’un lui a dit que le chef spirituel du Tibet était rigolo et qu’il avait de l’oreille. Elle espère l’inviter sur son prochain album.

Georges Frêche, qui révise sa philo en Grèce, ne sera pas non plus de la fête à Lodève. En ex mao qui se respecte, le président n’est pas du genre à aller souffler sur la flamme olympique. Mais faute d’un siège au Sénat, il ne cracherait pas sur un strapontin au nirvana. Qu’on se le dise, la douce époque de la Révolution culturelle où l’on se réchauffait en regardant flamber les monastères est bien révolue.

Aujourd’hui, non seulement on soutient la construction des temples, mais on veille aussi à la bonne gestion des mosquées et des synagogues, sans oublier de contribuer au coûteux entretien du patrimoine chrétien ou à l’ouverture légendaire, et non moins coûteuse, de l’action culturelle franc-maçonne locale. En ces temps de vache maigre et de privatisation, il faut bien que les sphères religieuse et spirituelle contribuent au débat public et, accessoirement, au processus électoral démocratique.

Tout cela avec ou sans l’aval de la justice et ses poussiéreuses considérations sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cela fait belle lurette que la République laïque a perdu son statut fédérateur. Aujourd’hui, c’est bien simple, si le principe de laïcité était respecté, la moitié des Français seraient analphabètes. Alors…

Jean-Marie Dinh

 

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