Amazon se met les libraires et écrivains américains à dos avec son appli espionne

« Achetez chez Amazon, et votre ami perd son emploi » (New York Times)

C’est l’offre commerciale de trop. Amazon, le géant américain de la vente en ligne, s’est violemment aliéné libraires, écrivains et une partie du public en proposant une offre promotionnelle aux dépens des librairies « brick and mortar », c’est-à-dire physiques, menacées de mort.

Amazon propose aux usagers d’aller dans les librairies munies d’un téléphone portable et d’une application spéciale, de scanner les prix des produits mis en vente, et de vérifier si l’offre d’Amazon est moins chère. Les consommateurs peuvent ainsi gagner des bons d’achat correspondant à 5% du prix, à hauteur de 5 dollars.

Dans le New York Times, l’écrivain Richard Russo publie une longue tribune intitulée « la logique de la jungle d’Amazon », dans laquelle il se dit écoeuré par cette concurrence déloyale du géant en ligne vis-à-vis du tissus de librairies qui « font partie de la culture américaine ».
« capitalisme de la terre brûlée »

L’auteur du « Déclin de l’empire Whiting » (Quai Voltaire) raconte qu’il a commencé à mobiliser les grands noms de la littérature américaine contre l’initiative d’Amazon, rapportant la réaction de Dennis Lehane (Mystic River), qui parle de « capitalisme de la terre brûlée ».

Amazon doit aussi faire face à une campagne de boycottage lancée par des réseaux de libraires indépendants aux Etats-Unis, outrés par cette initiative d’envoyer les consommateurs espionner dans leurs magasins pour mieux les attirer sur son site.

Ils sont d’autant plus inquiets qu’une étude réalisée en octobre révélait que 24% des personnes qui avaient acheté un livre en ligne l’avaient d’abord vu dans une librairie « physique ». Celles-ci seraient dont progressivement transformées en vitrines des productions des éditeurs, alors qu’une part croissantes des passages à l’acte d’achat part vers les vendeurs en ligne, dont la politique de prix est plus attrayante en raison du volume et de leurs structure de coûts différente.

Politique commerciale agressive

Amazon a plusieurs fois par le passé fait face à des menaces de boycottage, notamment en Californie lorsqu’il a voulu se soustraire au paiement de taxes. Mais elles n’ont jamais « mordu » sur son pouvoir d’attraction auprès des consommateurs attirés par son efficacité, sa politique de prix et son offre, et plus seulement de biens culturels puisqu’Amazon vend désormais tout ce qui peut se vendre, y compris des chaussures.

La politique commerciale agressive d’Amazon se ressent également dans le lancement du Kindle Fire, sa tablette concurrente de l’Ipad d’Apple, dont le prix de vente est inférieur à son coût de production, mais qui est destiné à installer solidement Amazon sur ce marché croissant, pour vendre ensuite massivement ses contenus, films, jeux vidéo, livres…

Mais même aux Etats-Unis, l’agressivité dont fait preuve Amazon avec ce qui apparait à beaucoup comme une concurrence déloyale vis-à-vis des libraires passe mal. Elle ne nuira peut-être pas au chiffre d’affaires de la société, mais assurément à son image.

Pierre Aski (Rue 89)

Voir aussi : Rubrique Edition, Prix du livre unique et taxe aveugle, Rubrique Livre, Beigbeder: prince de l’irrévérence,

Un logiciel-espion installé sur plusieurs millions de téléphones américains

Un développeur spécialisé dans Android, le système d’exploitation de Google pour téléphones mobiles, a révélé l’existence d’un programme installé par des fournisseurs d’accès américains sur des millions de portables, qui enregistre de très nombreuses informations sur l’activité des utilisateurs et les transmet au fournisseur d’accès.

CarrierIQ, édité par la société du même nom, enregistre une très grande quantité d’informations, allant des touches activées aux messages envoyés, en passant par les recherches effectuées via le navigateur Internet. Selon CarrierIQ, ce logiciel est déployé sur plus de 140 millions de terminaux, des téléphones Android comme des BlackBerry ou des téléphones Nokia. Le logiciel est présenté comme un outil permettant aux opérateurs d’établir des statistiques sur l’utilisation des téléphones ; il n’est a priori pas utilisé par les opérateurs européens.

Pour Trevor Eckhart, le développeur bien connu dans la communauté Android qui a révélé l’existence de CarrierIQ, ce logiciel est un véritable service d’espionnage. Après avoir publié un long article sur son blog, le jeune homme, âgé de 25 ans, a reçu une lettre de menaces des avocats de CarrierIQ. Après avoir reçu le soutien de plusieurs organisations, dont la puissante Electronic Frontier Foundation, M. Eckhart a reçu une lettre d’excuses (pdf) de la part de CarrierIQ.

Dans ce courrier, CarrierIQ affirme que son logiciel sert uniquement à améliorer le fonctionnement des réseaux. Carrier IQ « n’enregistre pas les activations de touches, ne fournit pas d’outils de traçage, et n’inspecte ni ne communique le contenu de vos communications, comme le contenu des e-mails ou les SMS », explique l’entreprise. Mais ce mardi, dans une nouvelle vidéo publiée sur son blog, M. Eckhart démontre, preuves à l’appui, que CarrierIQ stocke bien le contenu des messages SMS. Il enregistre également des données a priori protégées, comme les recherches effectuées sur un navigateur Internet connecté en « https », un mode de connexion sécurisé.

Le Monde.fr

Voir aussi : Rubrique Internet, rubrique Société, Consommation,

Prix du livre unique et taxe aveugle

Un point un trait, librairie à Lodève. Photo Sylvie Goussopoulos

De façon fortuite, la  célébration des 30 ans du prix du livre unique programmée hier à la Médiathèque Emile Zola par Languedoc-Roussillon livre et lecture (LR2L) tombe de concert avec l’effet dévastateur pour la chaîne du livre du nouveau plan de rigueur Fillon. « Une augmentation du prix du livre est la pire chose à faire dans un moment où le livre est fragilisé par de nouvelles pratiques, l’arrivée du livre numérique et un pouvoir d’achat en baisse », s’inquiète la structure régionale qui accompagne les différents acteurs de la chaîne du livre. « Cette situation appelle à s’unir autour du livre pour que cette mesure soit retirée, s’alarme l’élue régionale à la culture Josiane Collerais. On est devant un choix de société, celui de la conception que l’on a du livre et de la culture et au-delà de celle de l’humain. »

Cette mesure devrait se traduire par un surcoût de 60M d’euros, estime le Syndicat national de l’édition (SNE) qui a demandé mardi un rendez-vous d’urgence avec le Premier ministre. Evidemment, aucun des acteurs  économiques concernés, ne voit avec bienveillance le relèvement du taux de TVA qui devrait passer de 5,5 à 7% sur tous les produits culturels, mais concernant les libraires indépendants, dont beaucoup ont déjà la tête sous l’eau, cette mesure va précipiter l’hécatombe.

Les libraires menacés

Hier, l’ex-président de LR2L, Bernard Pingaud*, dont le travail auprès de Jacques Lang sur la politique publique du livre a joué un rôle déterminant dans l’adoption du prix unique du livre en 1981, s’est félicité de l’action menée par l’actuelle équipe de la structure régionale. L’écrivain et compagnon de route de Michel Butor a également souligné : « Le problème nouveau et fondamental pour les libraires que représente la vente de livres en ligne. »

Si les développements autour de l’iPod ont relancé un marché du disque moribond (pas concerné par la hausse en raison d’un taux déjà maximal), le développement irrémédiable des ventes de livres en ligne risque en effet de porter un coup fatal aux libraires dans les prochaines années. Aux Etats-Unis, le site de vente Amazon est déjà en situation de quasi monopole pour le livre numérique avec 60% à 70% du marché. Il lorgne désormais avidement sur l’Europe.

Face à cette offensive peu amicale, les acteurs de la chaîne du livre demeurent dispersés. Certains éditeurs qui veulent être absolument dans la course pratiquent des remises aux opérateurs qui pénalisent le réseau des libraires. Ceux-ci peinent à faire front commun comme en témoignent les difficultés pour rendre vraiment opérationnel le portail des libraires indépendants. Dans ce contexte tendu, l’augmentation du taux de TVA pour les livres, décidé par le gouvernement, s’inscrit à l’opposé de l’action publique nécessaire au soutien au secteur. A son échelle, LR2L engage une action dont la philosophie est de développer du lien avec les librairies indépendantes. Ce sera  le cas avec l’exposition itinérante de la photographe Sylvie Goussopoulos  qui présente le portrait de 30 libraires de la région mis en relation avec les textes de 30 auteurs choisis sur le territoire.

Dans une ville qui compte beaucoup de lecteurs comme Montpellier, on recensait plus de 30 librairies indépendantes, il y à 25 ans. Aujourd’hui, elles ne sont que 13 et nombre de leurs propriétaires connaissent des difficultés quotidiennes pour maintenir leurs activités. La mobilisation pour la diversité culturelle et celle de ses acteurs reste plus que jamais à l’ordre du jour.

Jean-Marie Dinh

*Dernier ouvrage paru : L’horloge de verre, Acte sud 2011

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Edition, On line, Sauvez la librairie : ouvrez une librairie,

Qui contrôle Internet ?

En raison de  sa nature décentralisée, Internet n’est pas « contrôlé » par un unique organisme, Etat, ou entreprise. Contrairement à une idée répandue, le réseau n’est pas non plus une « jungle » totalement libre : à tous les échelons, de nombreux organismes exercent ou peuvent exercer un contrôle ou une censure sur les informations qui y circulent.

Les structures les plus fondamentales d’Internet sont sous le contrôle de l‘Icann, l’Internet corporation for assigned names and numbers. Cet organisme a un statut particulier, puisqu’il s’agit d’une société à but non lucratif, soumise au droit californien. Composé de nombreuses commissions, qui gèrent des problématiques structurelles, l’Icann encadre notamment les noms de domaine ou le fonctionnement des adresses IP (Internet Protocol, les « adresses » de machines et de sites sur le réseau).

La gouvernance de cet organisme stratégique fait l’objet de nombreux débats : plusieurs pays lui reprochent notamment la sur-représentation des Américains dans les différentes commissions. L’Europe et la Chine, notamment, demandent depuis plusieurs années une plus grande ouverture dans la gestion de la fonction Iana, la « racine » d’Internet, qui gère par exemple les noms de domaine en .com. Le pouvoir de l’Icann est fondamental, puisque l’organisation peut suspendre des noms de domaines entiers, comme elle l’avait fait pour le .iq irakien ou pour le domaine afghan.

Pour le bon fonctionnement du réseau, un organisme distinct de l’Icann est également chargé de fixer les normes techniques des technologies les plus courantes sur Internet, comme le langage HTML : le World Wide Web Consortium (W3C). Sa gestion est assurée conjointement par des experts américains, européens et japonais.

Au niveau national

S’il est décentralisé, le réseau reste cependant tributaire de la présence de câbles pour son bon fonctionnement : en l’absence de « tuyaux » suffisamment grands, le trafic peut être très fortement ralenti. Or, de nombreux pays sont dépendants, pour leur accès au réseau, d’un ou deux câbles sous-marins ou souterrains. En Afrique, des pays entiers voient leur accès tributaire des décisions des pays voisins ou des choix des entreprises privées.

Surtout, les pays disposent techniquement de la capacité de bloquer ou de censurer tout ou partie d’Internet. Durant les manifestations qui ont précédé la chute de Hosni Moubarak, l’Egypte a pu couper quasi-instantanément l’accès au réseau en faisant pression sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI). En bloquant deux protocoles d’échange d’information vitaux, le pays a été coupé du reste de la Toile en quelques heures.

Sans aller jusqu’à ces extrémités, de nombreux pays exercent aussi un contrôle très fort sur le réseau. Des contenus contraires aux lois nationales sont ainsi bloqués dans la plupart des pays autoritaires, mais aussi dans des démocraties : en France, la loi sur les jeux d’argent en ligne permet d’ordonner le filtrage des sites qui n’ont pas reçu un agrément. En Australie, un vaste projet de filtre a été repoussé à plusieurs reprises devant les difficultés techniques et politiques. Ces systèmes de filtrage ne sont en effet pas infaillibles, mais les solutions de contournement peuvent être relativement complexes à utiliser.

L’organisation de défense de la liberté d’expression Reporters sans frontières publie chaque année un classement des pays qui censurent Internet. Dix pays sont classés par RSF comme « ennemis d’Internet » en raison de la censure draconienne qu’ils exercent sur le réseau. Parmi eux, la Chine, la Birmanie et l’Iran, où les activités des internautes sont également espionnées. La Russie, le Venezuéla ou la France sont, eux, classés comme « pays sous surveillance » en raison de lois en vigueur qui permettent de filtrer des sites Web.

Pour chaque ordinateur

Au sein d’un même pays, plusieurs acteurs peuvent exercer un contrôle sur la manière dont les utilisateurs accèdent à Internet. Les fournisseurs d’accès disposent théoriquement d’importants pouvoirs : ils peuvent par exemple bloquer ou ralentir certains types de trafic, par exemple le téléchargement en P2P. Depuis la création du Web, une règle non-écrite, dite de « neutralité du Net », prévoit que les opérateurs ne font pas de discrimination des contenus circulant sur le réseau : quel que soit l’utilisateur ou le type de données, toutes les informations doivent théoriquement circuler à la même vitesse.

Mais les FAI, qui se plaignent d’engorgements suite au développement exponentiel du Web, souhaitent pouvoir, dans certains cas, s’affranchir de cette règle. Pour des raisons de gestion du réseau, estiment-ils, il serait par exemple souhaitable de pouvoir donner la priorité à certains « paquets » d’informations au détriment d’autres, comme les vidéos en ligne par exemple. Dans certains pays, et notamment aux Etats-Unis et au Canada, les FAI brident également la vitesse de connexion et la quantité de données téléchargeables par les internautes.

En bout de chaîne, l’internaute est également soumis au contrôle de son réseau local, s’il n’est pas directement connecté à Internet. En pratique, ce sont souvent les entreprises qui détiennent le plus de pouvoir sur la connexion d’un internaute. Il est en effet plus simple de filtrer un réseau de petite taille que de le faire à l’échelle d’un pays.

Damien Leloup

 Voir aussi : Rubrique Internet, Internet la révolution de l’info, rubrique Rencontre Ignacio Ramonet : L’info ne circule plus à sens unique,

Montpellier Arts numériques: Instants sensibles sous les voûtes de Pétrarque

 

Festival ISI. Le rendez-vous des arts numériques s’achève ce soir salle Pétrarque avec Vladislav Delay.

Remplacement de décor et de public à la salle Pétrarque où l’on a changé de rituel en troquant les conférenciers avec des artistes porteurs de nouveaux symboles. Depuis jeudi, le festival d’Arts numériques ISI habite le lieu qui « moove » bizarrement sous d’autres horizons. Quand on bouge ainsi les choses, le plus important est de ne pas froisser les croyances

De la soirée de jeudi on retient le concert minimaliste et inspiré d’Arendel, dont le concepteur refuse l’idée de personnage comme celle de groupe. « Tout part de l’idée de créer un dogme sonore qui serait à la musique ce que le Dogma 95 de Lars Von Trier est au cinéma. » Arandel s’impose comme règle fondamentale de ne recourir qu’aux sons produits lors de ses propres enregistrements. On navigue en eau pure. Le goût de l’authentique livre des plages musicales hypnotiques avec des mugissements de sax et des écorchure de voix.

Vendredi c’est la performance pour machine à coudre et ordinateur de Cécile Babiole qui donne le La. Ce qui frappe dans cette liaison entre outils d’hier et aujourd’hui c’est que les contremaîtres où les managers opérationnels, comme l’on dit aujourd’hui, ont toujours la même gueule d’égout. Ce soir on attend entre autres le lunaire Vladislav Delay. Ce type n’a rien d’un merle siffleur. A l’origine, il était batteur de jazz. Il paraît qu’il arrive de Finlande pour nous faire flotter. C’est bon à savoir, même si aujourd’hui tout le monde se tape bien des frontières pour lesquelles on a empli les tranchés de poilus. Il suffit d’ouvrir son col et d’attendre le départ pour le cosmos. On aurait tort de s’en priver, l’entrée est libre…

Jean-Marie Dinh

Festival ISI à partir de 18h salle Pétrarque. Rens : http://isi.cellanova.org/