Bloqué sur le volet palestinien, Israël se tourne vers Damas

Israël s’est dit prêt à des négociations de paix sans condition préalable avec la Syrie, alors que le processus de paix avec les Palestiniens est enlisé. « Le Premier ministre (Benjamin) Netanyahu est d’accord pour des négociations immédiates avec la Syrie, partout dans le monde et sans condition préalable », a déclaré jeudi son conseiller de presse, Nir Hefetz, à la radio militaire.

Mercredi à l’Elysée, M. Netanyahu a demandé au président Nicolas Sarkozy de transmettre un message en ce sens au chef de l’Etat syrien Bachar al-Assad qu’il reçoit vendredi à Paris, selon un responsable israélien. Israël applique ainsi la « méthode du balancier » qui consiste à privilégier un autre interlocuteur lorsque le dialogue est bloqué avec le principal partenaire, comme c’est le cas actuellement avec les Palestiniens, relèvent les médias israéliens.

Le ministre israélien de la Défense Ehud Barak a déclaré mercredi qu' »il ne faut pas traiter par le mépris les signaux de paix émanant ces derniers temps de Damas ». Le président syrien a récemment pressé la Turquie d’améliorer ses relations avec Israël, allié stratégique d’Ankara, afin de pouvoir jouer à nouveau un rôle de médiateur dans des pourparlers indirects israélo-syriens lancés en mai 2008 et suspendus depuis l’offensive israélienne contre Gaza fin décembre.

Ces développements surviennent au moment où le dialogue israélo-palestinien, interrompu depuis bientôt un an, paraît plus bloqué que jamais, en dépit des efforts du président américain Barack Obama pour le relancer. Le président palestinien Mahmoud Abbas affirme vouloir reprendre les négociations uniquement si Israël gèle d’abord totalement la colonisation en Cisjordanie occupée.

Pour l’analyste Gerald Steinberg, professeur de sciences politiques à l’Université Bar-Ilan de Tel-Aviv, « le blocage sur le volet palestinien favorise une relance avec les Syriens ».
« Obama a ouvert le jeu avec Damas » et « la France peut aussi assumer un rôle, vu son influence historique au Liban », estime-t-il. « Barack Obama a toujours pensé que des négociations de paix avec Damas isoleraient fatalement l’Iran, ainsi que ses alliés, le Hezbollah (libanais) et le Hamas (palestinien) ».

« Pour M. Netanyahu, il peut être avantageux tactiquement de reprendre des négociations avec Damas. D’autant qu’il ne risque pas de devoir payer le prix de la paix avec les Syriens dans l’immédiat », explique M. Steinberg à l’AFP. La Syrie réclame la restitution totale du plateau du Golan occupé par Israël depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967 et annexé en 1981.

« Depuis 1992, tous les chefs de gouvernements israéliens, hormis Ariel Sharon, ont envisagé d’évacuer le Golan en échange d’un accord de paix, et Ehud Olmert (le prédécesseur de M. Netanyahu) était même prêt à cela », souligne le professeur Moshé Ma’oz, orientaliste à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Il estime cependant que « ni la Turquie, ni la France ne peuvent remplacer les Américains comme médiateurs car, en fin de compte, ils seront les garants de cet accord et veulent ramener la Syrie dans leur orbite pour préserver leurs intérêts en Irak et au Liban ».
Pour l’heure, les sondages révèlent qu’une majorité écrasante de l’opinion israélienne est hostile à un retrait du Golan.

« Le dossier israélo-syrien peut attendre. En revanche, Israël ne doit pas rater le train avec les Palestiniens, car il est de plus en plus isolé sur la scène internationale, et la menace plane d’une nouvelle explosion de violence », dit le professeur Ma’oz.

Christian Chesnot : « je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire »

christian-chesnot-et-georges-malbrunot libérés le 21 12 2004

Spécialiste du Moyen- Orient, Christian Chesnot est journaliste pour Radio France Internationale (RFI) et Radio France, ainsi que pour la Tribune de Genève. Il était basé à Amman en Jordanie avant sa libération. Il a travaillé à de nombreuses reprises avec Georges Malbrunot avec qui il a été retenu en détention durant quatre mois en Irak.

Votre venue à Montpellier s’inscrit-elle en soutien, à Florence et Hussein ?

Oui, à ma libération, j’avais été invité par des amis journalistes qui sont membres du Club de la Presse. Nous avions convenu d’une date pour rencontrer les Montpelliérains et les remercier de leur soutien. Et puis entre temps Florence s’est fait enlever donc cette rencontre est bien sûr pour la soutenir.

Comment avez vous vécu votre détention et quelles en ont été les étapes ? Espoir et faux espoir…

Il est vrai que lorsque vous passez 4 mois en détention, vous vivez, des phases d’optimisme et des phases de détresse. Au début vous êtes content parce que vous êtes en vie, parce que le kidnapping s’est fait sans violence et puis vous réalisez que la situation est périlleuse. Lorsque vous êtes otage, vous espérez toujours être libéré. Et quand on vous annonce une libération pour le lendemain et qu’il ne se passe rien votre moral en prend un coup. Il y a des moments de doute et des fois, des vrais drames. Par exemple le 8 novembre quand un responsable nous a expliqué que nos vies étaient menacées. Il y a aussi des périodes où il ne se passe rien. Des périodes de 15 jours 3 semaines où vous n’avez aucune nouvelle, où personne ne vient vous voir hormis les geôliers qui vous apportent à manger. Dans ces moments-là on garde espoir. On se dit que tant qu’on ne nous menace pas, ça va. On n’a jamais été frappés, mais on avait quand même à faire à des hommes en armes et puis on connaît le sort d’autres otages.

A quoi pense-t-on ? Vers où se sont portées vos réflexions pendant la détention ?

Je pensais à mes proches, à ma famille, à mes amis, à ce que je n’ai pas fait dans ma vie. Vous avez une spiritualité qui est un petit peu exacerbée. On replonge aussi dans son enfance… Et puis vous vous dites que si vous vous en sortez vous vivrez encore plus intensément.

Ressort-on renforcé d’une telle expérience ?

Oui je pense qu’on est vraiment des miraculés. On s’en sort bien, on n’a pas été maltraités. Nous disposons pleinement de notre intégrité physique et morale. Mais il faudra un peu de temps pour digérer tout ça, parce que c’est quand même du stress à haute dose. Le fait de pouvoir en parler avec des rencontres comme celle-ci permet d’évacuer progressivement la pression accumulée. Et puis on met la dernière main à un livre qui retrace dans le détail, nos quatre mois de détention. Sa sortie est prévue au mois de mai. Maintenant, l’objectif est de retrouver une vie normale de journaliste à Paris. Je vais reprendre le travail à partir du premier avril.

Y a-t-il des choses qui vont changer dans la pratique de votre métier ?

Fondamentalement non, mais en même temps, mon rapport au risque a changé. C’est-à-dire que quand vous avez survécu à ce genre d’expérience, vous êtes plus prudent. On me demande souvent est-ce que tu vas revenir à Bagdad ? Bagdad certainement pas, je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire.

Faut-il être suicidaire pour travailler aujourd’hui à Bagdad ?

Cela fait débat. Maintenant il faut savoir que les risques sont quand même très élevés. Je suis à la fois bien placé et mal placé pour me prononcer la dessus. Je connais bien l’Irak, pour avoir labouré le pays avec Georges durant deux ans, et en même temps, sortant de cette expérience, je n’ai pas forcément envie de retourner au feu. Instinctivement je préférerais la prudence, mais c’est quand même notre boulot de journaliste de témoigner et de se rendre là où les citoyens ne peuvent pas aller.

Dans quelles conditions ?

Dans la profession il y en a qui disent, qu’il vaut mieux y être. Même si l’on reste à l’hôtel sans en sortir. Je considère personnellement qu’il vaut mieux ne pas y aller dans ces conditions. Si c’est pour rester dans une chambre et voir des Irakiens qui passent de temps en temps, ce n’est pas très satisfaisant. Moi j’aime le travail sur le terrain, aller au contact des gens… Je n’ai pas envie de me déplacer avec une escorte armée et porter un gilet par-balles dès que je sors. Le débat est ouvert. Il n’est pas évident.

Cela relève-t-il malgré tout du choix des journalistes où est ce qu’il revient au gouvernement de prendre les mesures qu’il juge utile pour assurer leur sécurité ?

Le gouvernement ne peut pas interdire aux journalistes de se rendre sur le terrain. Pour revenir sur l’intervention qu’a faite Jacques Chirac en mettant en garde les journalistes qui souhaitent partir en Irak, je pense que chacun doit tenir son rôle. Ce qui implique que les journalistes doivent aussi faire des choix responsables. L’ambassade de France, ce n’est pas la sécurité sociale des journalistes.

Comment assurer le droit à l’information ?

On peut par exemple, être basé à Amman où il est possible de collecter énormément d’information sur l’Irak et puis quand la situation le permet ou pour un besoin précis passer une semaine en Irak. Il faut décrocher parce que plus on reste longtemps en Irak, plus on est vulnérable. D’abord, parce que vous êtes repérable mais aussi parce qu’avec le temps, vous gagnez en confiance et vous baissez votre garde.

Repartirez-vous en reportage au Moyen Orient ?

Bien évidemment oui. Je suis toujours autant passionné par cette région. Il y a encore beaucoup de choses à dire et à expliquer.

Comment analysez-vous la prise de position de la France pour le retrait des forces syriennes au Liban ?

La France est encore très présente au Moyen-Orient. C’est sans doute un des derniers gros dossiers internationaux où elle à son mot à dire et où elle est entendue. C’est vrai que même si la position française soutient l’indépendance des Libanais, on a l’impression que les choses se sont précipitées. Ce qui met la Syrie au pied du mur alors que la France est une alliée de la Syrie et du Liban. La France reste un des derniers pays occidentaux à avoir maintenu le dialogue avec Damas.

Fallait-il pousser la Syrie dans ses derniers retranchements ?

Je sais qu’il y a beaucoup de Libanais qui remercient la France d’avoir encouragé l’opposition à manifester et à réclamer l’indépendance. Mais il y a aussi beaucoup de Libanais et d’Arabes qui pensent que la France se mêle de ce qui ne la regarde pas.

Comment cet interventionnisme, qui fait le jeu de la stratégie américaine au Moyen-Orient, est-il ressenti dans le monde Arabe ?

Grâce à sa position sur l’Irak, la France à gagner beaucoup de crédit au Moyen-Orient. Mais dans cette affaire libano-syrienne, le fait qu’elle emboîte le pas aux Américains est plutôt mal perçu. Il ne faut pas oublier que la France était la puissance mandataire au Liban et en Syrie. Certains interlocuteurs m’ont fait comprendre qu’elle risquait de réveiller de vieux démons. Le monde arabe vit en ce moment une période très critique et l’équilibre reste fragile.

Recueilli par
Jean-Marie DINH

Voir aussi :  Rubrique Médias, F.Aubenas juge les déclarations de Guéan blessantes, rassemblement de soutien aux otages , Montpellier 2010 soutien à Stéphane Taponier,et Hervé Ghesquière ,