En terme quantitatif, le cinéma turc connaît son apogée entre les années 60 et 75 avec des mélodrames populaires et les westerns médiocres de la cavalerie ottomane qui séduisent un large public. La Turquie produit à cette époque 300 films par an. A la fin des années 70, l’effet de répétition exploité jusqu’à la corde par le cinéma commercial lasse le public. La censure qui fait suite au coup d’Etat militaire de 1980 donne un coup d’arrêt à la production turque qui passe à vingt films par an. Aujourd’hui, la production nationale est de 70 films par an, avec des œuvres très exigeantes qui augure d’une vraie renaissance.
Le renouveau qualitatif, celui que l’on voit au Cinemed, arrive à partir des années 90. Le film Yol d’Yilmaz Güney (Palme d’or à Cannes en 1982) a certainement joué un rôle de déclencheur en propulsant le cinéma turc au rang de renommée mondiale et en affirmant un regard indépendant. Le fait que Yilmaz Güney ait été victime de la répression politique en raison de ses origines kurdes a-t-il eu une influence ? Une chose est sûre, les réalisateurs que l’on a croisés cette année à Montpellier affichent tous une farouche indépendance et portent chacun à leur façon la volonté d’exporter l’immense richesse de leur culture. Le cinéma turc est peut-être entre deux mondes mais il enrichit assurément le cinéma mondial.
La Turquie emprunte la meilleure voie pour devenir une puissance majeure au Proche-Orient. Son importance politique et économique croissante la rend encore plus attractive pour l’UE, estime le quotidien progressiste de gauche Frankfurter Rundschau : « Depuis les années 1960, la Turquie attendait patiemment dans le vestibule de l’Europe. Désormais, elle ne veut plus se contenter plus longtemps du rôle de fidèle partenaire de l’OTAN ni de celui d’éternelle candidate à l’UE. Elle se tourne vers ses voisins orientaux et commence à façonner activement les rapports de force dans la région. Au bout de ce chemin, la Turquie pourrait disposer d’un leadership majeur dans le monde musulman. Cette nouvelle orientation est certainement une réaction à l’attitude indécise des opposants à son adhésion en Europe qui aimeraient claquer la porte de l’UE au nez de la Turquie. Mais interpréter la nouvelle politique étrangère de la Turquie comme une réponse négative d’Ankara à l’Europe ou comme un prétexte justifiant une exclusion du pays de l’UE, serait erroné et dangereux. … Accepter l’adhésion de la Turquie ne sera pas un fardeau pour l’UE ; cela lui conférera au contraire un plus grand poids économique et politique dans le monde. »
Exposition dans les Galeries nationales du Grand Palais du 10 octobre 2009 au 25 janvier 2010.
Byzance, devenue Constantinople puis Istanbul, est depuis sa fondation un lieu de croisements et un point de rencontre des cultures. Sa situation géographique en fait un carrefour continental autant que maritime, comme le confirment les fouilles entreprises en 2004 lors du creusement du tunnel sous-marin du futur métro. Chronologique, l’exposition décrira les différentes phases de l’histoire de la Ville.
L’exposition rassemble environ trois cents objets des collections publiques turques, françaises et internationales. En Epilogue, une place privilégiée sera réservée au port de Théodose récemment découvert sur le site de Yenikapi, au centre d’Istanbul, future station du métro qui reliera les rives européenne et asiatique du Bosphore.
Cette exposition est organisée par la Réunion des musées nationaux et IKSV (Fondation d’Istanbul pour la culture et les arts) dans le cadre de la Saison de la Turquie en France (juillet 2009 – mars 2010). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 22h. Fermeture le jeudi à 20h. Plein tarif : 12€ – Tarif réduit : 9€
Le président turc Abdullah Gül est arrivé mercredi après-midi à Paris pour une visite de trois jours, rendue délicate par les positions de son homologue Nicolas Sarkozy qui a fait de la France le chef de file des opposants à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Accueilli par le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Pierre Lellouche, il rencontrera jeudi et vendredi notamment son homologue français Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon, la ministre de l’Economie Christine Lagarde et les milieux d’affaires. Il prononcera un discours jeudi devant l’UNESCO.
Avec le président français, il inaugurera vendredi « De Byzance à Istanbul: un port pour deux continents », une grande exposition au Grand Palais, manifestation phare de la « Saison de la Turquie en France » qui a débuté l’été dernier.
Abdullah Gül plaidera, sans surprise, pour la candidature turque à l’UE en réaffirmant que l’issue des négociations Turquie-UE entamées en 2005 doit rester ouverte. Les dirigeants français disent vouloir l’association « la plus étroite » entre Ankara et l’UE, sans aller jusqu’à l’adhésion. Sans toutefois préciser les contours de ce partenariat.
Cette opposition française suscite l’incompréhension des dirigeants turcs, issus du parti AKP, islamo-conservateur.
Dans une audition devant les députés français, le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner a souligné mercredi que « les relations quotidiennes sont meilleures que ce qu’on dit » entre les deux gouvernements.
Pourtant, selon Didier Billion de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), « depuis quatre ou cinq ans, une vraie dégradation est constatée, les ressorts sont cassés, les amabilités n’y changeront rien ».
L’expert parle de « schizophrénie » pour Paris qui organise de grandes manifestations culturelles en l’honneur de la Turquie et « ne cesse de lui envoyer des piques ». Dans un rapport en septembre, la « commission indépendante sur la Turquie » présidée par l’ex-président finlandais Martti Ahtisaari a reproché à Paris la rupture de ses engagements qui, selon elle, ralentit les réformes en Turquie.
Egemen Bagis, ministre turc des Affaires européennes, a prévenu du danger de radicalisation islamiste: « en écartant la Turquie, les pays de l’UE prendraient le risque de construire un mur de discrimination avec le monde islamique », a-t-il dit au journal français La Croix.
Selon le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, une grande majorité des Européens pensent comme la France sans le dire. Mais la France apprécie aussi le rôle régional modérateur de la Turquie, vis-à-vis de l’Iran, de la Syrie, ou dans le conflit israélo-palestinien.
Paris salue les progrès sur la question kurde, l’engagement turc en Afghanistan ainsi que la normalisation en cours avec l’Arménie. Le « génocide » arménien en 1916, reconnu en 2001 par le Parlement français, est un autre sujet brûlant entre Paris et Ankara.
Les dirigeants français se sont dits choqués en revanche par la résistance opposée au printemps par la Turquie à la nomination à la tête de l’Otan de l’ex-Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen, au prétexte qu’il n’avait pas condamné la publication de caricatures de Mahomet dans son pays.
Les investissements économiques français en Turquie se ressentent déjà fortement des frictions entre les deux pays. « Depuis 2005, ça va de mal en pis, les firmes françaises voient des appels d’offre leur passer sous le nez », relève Didier Billion.
Gaz de France a été par exemple exclu du projet de gazoduc euro-turc Nabucco, alors que la sécurité de l’approvionnement énergétique est un des arguments clés des partisans de l’adhésion.
Rencontre avec l’écrivainAmin Maalouf qui signe un ouvrage à large spectre sur notre époque tumultueuse.
Les urgences auxquelles nous devons faire face en ce début de XXIe siècle sont à l’origine du dernier essai de l’écrivain libanais Amin Maalouf Le dérèglement du monde qui s’appuie sur une double connaissance, de l’Occident et du monde arabe, pour appeler à une action lucide et partagée.
« A vous lire, on mesure à quel point la crise identitaire est générale et à quel point elle se trouve au centre des dysfonctionnements du monde
Les gens ont un peu peur de la notion d’identité culturelle. Ils manient cela avec beaucoup de réticences. Je pense au contraire que ne pas parler de la question de l’identité, c’est laisser se développer toute sorte de démons alors que quand on en parle, on peut arriver à définir les choses clairement. Le débat est utile. On doit parler de l’identité française, on doit parler de l’identité européenne et les choses ne sont pas simples. Elles ne sont pas comme elles apparaissent lorsque l’on se contente d’allusions.
Comment créer un sentiment d’appartenance commune notamment au sein de l’UE ?
De mon point de vue, l’identité européenne doit se construire. Il y a des choses qui existent. Toute personne qui adhère à l’Europe doit adhérer à un certain nombre de valeurs. Elle doit considérer comme sien tout un bagage culturel et en même temps elle doit savoir que cela n’est pas figé, qu’il y a des choses qui doivent être apportées. Et que ces apports peuvent venir de la planète entière. Parce que l’histoire ne s’est pas achevée. La culture n’est pas un paquet que l’on se passe de l’un à l’autre. C’est quelque chose de vivant.
Vous insistez sur la primauté de la culture. Sur quelles valeurs doit-elle se fonder ?
L’aspect culturel de la construction européenne doit être un élément essentiel. C’est comme cela que les gens vont adhérer. Parce que l’aspect culturel sous-tend la notion d’appartenance. Universalité des valeurs et diversités des expressions sont les deux faces d’une même monnaie, elles sont inséparables. Si l’on transige sur l’université des valeurs. Si on accepte qu’il y ait des droits de l’homme pour les Européens et d’autres droits pour les Africains, les musulmans ou d’autre, on perd sa route. Et si on considère que la diversité culturelle est une chose secondaire, que l’on peut accepter la marginalisation et la disparition de cultures millénaires, là aussi on fait fausse route. Il faut parler de ces questions et tracer une ligne claire.
A notre stade d’évolution il faut changer dites-vous ?
L’occident à besoin de modifier son comportement. Sans abandonner ses principes. Il doit se comporter dans le reste du monde en fonction de ces valeurs. Sans adopter deux poids et deux mesures en attaquant un dictateur et en se taisant avec un autre parce qu’il a des contrats. Les pays arabes doivent aussi faire leur propre examen de conscience pour sortir de leur puits historique.
Vous dites cela face à des urgences très concrètes ?
Absolument, nous avons besoin aujourd’hui de faire face ensemble à une crise majeure liée au réchauffement climatique, aux pandémies aux armes de destructions massives, à la coexistence des peuples et des cultures… Ce qui n’est possible que s’il existe une véritable confiance, une véritable solidarité parce que nous avons besoin d’agir ensemble pour gérer le monde autrement.
Avec quelle implication citoyenne ?
Il faut changer la manière que nous avons de satisfaire nos envies. Je pense qu’il faut passer d’un monde où nos besoins sont essentiellement satisfaits par une consommation matérielle à un monde où une partie très significative de ces satisfactions viennent de satisfactions immatérielles liées à l’épanouissement de la personne. C’est une question de survie : nous devons vraiment recentrer notre vision du monde ».
recueilli par Jean-Marie Dinh
Le dérèglement du monde, édition Grasset 18 euros.