Don DeLillo: La mort inspirée d’une légende US

Don DeLillo. Great Jones Street ou l’histoire d’une rock star qui plante son groupe pour s’enfermer dans un appart.

Enfin traduit, ce roman de Don DeLillo date de 1973.  Cette année-là, les forces US quittent le Vietnam, c’est le retour des GI à la maison. John McLaughlin produit sa dernière prestation avec son groupe Mahavishnu Orchestra et les New-york Dolls réinventent les années folles. Picasso casse sa pipe. Pinochet se paie Alliendé et Marco Ferreri fait scandale à Cannes avec La Grande Bouffe.

Pendant se temps, Don DeLillo écrit son troisième roman Great Jones Street, l’histoire d’une rock star qui plante son groupe au sommet de la gloire pour s’enfermer dans un appart minable de l’East Village. Démission du monde. Besoin de faire le vide, de redevenir intime avec sa propre folie. Bucky Wunderlick ne veut plus être le gourou de personne. Il demande aux parasites qui viennent le voir de rentrer chez eux.

Great Jones Street n’est pas plus un livre rock qu’Americana* serait une histoire de l’Amérique. Scalpel en main l’auteur américain coupe sa matière en tranches. Il se tape le boulot du légiste, et le cadavre parle, découvrant les excroissances d’une civilisation en mal de revival. Au passage DeLillo restitue le climat dans lequel s’inscrit l’hallucinante histoire de la pop culture américaine. « Tout le monde connaît l’histoire du nombre infini de singe, dit Fenig. On place un nombre infini de singes devant une machine à écrire, et à la longue, l’un d’entre eux reproduira une grande œuvre littéraire. » Près de 40 ans plus tard Don DeLillo est devenu l’auteur incontournable de la littérature postmoderne. Mais cela n’a rien d’un coup de dé.

Jean-Marie Dinh

* Premier roman de DeLillo paru en 1971.
Great Jones Street , éditions Actes-sud, 22 euros

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Littérature Anglo-Saxone, Don DeLillo, l’inachevé demeure la part du lecteur, Ray Carver tragédien de la banalité,

Pifomètre

Un pouvoir monstrueux

Dans l’instant de chaos et donc de vérité qu’est une crise, il faut remonter aux idées fondatrices. Qu’est-ce que la démocratie ? Un système par lequel le peuple souverain délègue son autorité à ceux qui le représentent et exercent le pouvoir. Pour ces derniers, les échecs se payent cash : les élections sanctionnent les gouvernants et donnent une chance à leurs successeurs. Le coup de tonnerre de la dégradation des Etats-Unis par une agence de notation démontre qu’il y a désormais un pouvoir infiniment supérieur au pouvoir politique.

Un pouvoir capable d’ajouter la défiance à la défiance, de semer la zizanie sur les marchés, de court-circuiter le processus de décision démocratique. Et de contraindre les pays qui passent dans le collimateur à courber l’échine et filer droit. Car, en maîtrisant la chaîne complexe qui permet aux Etats de se procurer de l’argent, les agences de notation disposent ni plus ni moins que d’un pouvoir de vie et de mort. Mais qui les composent ? Comment travaillent-elles ? Quelle idéologie, quelle vision de l’économie sous-tendent leurs décisions ? Au nom de quoi exercent-elles un pouvoir qui est, de fait, politique ? Quelles autorités les sanctionnent quand elles se trompent, comme sur les subprimes, ce poison violent doctement noté AAA mais qui a vérolé l’économie mondiale et précipité la crise ? Comme, encore, sur la dette américaine, dégradée au terme d’une petite erreur d’addition de 2 000 milliards de dollars ! Les agences voudraient être le thermomètre implacable de l’économie. Elles ne sont qu’un pifomètre au pouvoir exorbitant, ayant prospéré depuis trente ans sur le vide, le retrait et l’abandon du terrain par l’autorité publique elle-même. Maintenant que cette dernière est dos au mur, si elle veut éviter que le chaos ne se propage, que les dégradations ne frappent d’autres pays, à coup sûr en Europe – peut-être la France -, la première mesure devrait être de durablement démonétiser ces agences en ne tenant plus compte de leurs oracles. Car ce sont bien les banques centrales qui leur accordent du crédit pour faire fonctionner ce poumon qu’est le circuit du refinancement bancaire : en deçà d’une certaine note, pas d’argent. Depuis la crise de 2008, la BCE, a ponctuellement rompu avec le système : pourquoi ne déclare-t-elle pas qu’elle le fera désormais définitivement ? Quant aux politiques, à défaut d’interdire ces agences ou d’en créer rapidement d’autres capables de briser l’oligopole de Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, ils doivent prendre conscience que la crise financière débouchera sur la crise démocratique : au moment où les citoyens comprendront que ceux qu’ils ont élus n’ont plus aucun pouvoir sur la réalité.

Nicolas Demorand (Libération)

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USA : Les agences d’évaluation abaissent le politique pour répondre aux exigences d’accumulations

Statue de la liberté (de salon)

L’agence d’évaluation financière Standard and Poor’s a justifié l’abaissement de la note attribuée à la dette des Etats-Unis par les «risques politiques» face aux enjeux du déficit budgétaire. Voici les principaux extraits du communiqué publié vendredi soir:

«L’abaissement de la note reflète notre opinion selon laquelle le plan de rééquilibrage du budget sur lequel le Congrès et l’exécutif se sont récemment mis d’accord est insuffisant par rapport à ce qui, de notre point de vue, serait nécessaire pour stabiliser la dynamique à moyen terme de la dette publique.

Plus généralement, l’abaissement de la note reflète notre point de vue selon lequel l’efficacité, la stabilité et le caractère prévisible des politiques publiques et des institutions politiques américaines se sont affaiblies à un moment de défis budgétaires et économiques persistants, à un degré supérieur à ce que nous entrevoyions lorsque nous avons attaché une perspective négative à la note, le 18 avril 2011.

Depuis, nous avons changé notre façon de voir les difficultés à établir un pont entre les partis politiques au sujet de la politique budgétaire, ce qui nous rend pessimistes sur la capacité du Congrès et du gouvernement à transformer leur accord de cette semaine en un plan de rééquilibrage plus large qui stabilise les dynamiques de la dette publique dans un avenir proche.

La perspective sur la note de long terme est négative. Nous pourrions abaisser la note à ’AA’d’ici aux deux prochaines années si nous voyons qu’une réduction des dépenses moindre que convenu, une hausse des taux d’intérêt, ou de nouvelles pressions budgétaires pendant cette période entraînent un relèvement de la trajectoire de la dette publique par rapport à ce que nous supposons actuellement dans notre hypothèse de base.

(…) La controverse durable au sujet du relèvement du plafond légal de la dette et le débat sur la politique budgétaire qui l’ont accompagnée indiquent que de nouveaux progrès à court terme pour contenir la croissance des dépenses publiques, en particulier dans la protection sociale, ou pour obtenir un accord sur une hausse des recettes, sont moins probables que nous ne le supposions auparavant et resteront un processus conflictuel et agité.

(…) Républicains et démocrates n’ont su s’entendre que sur des économies relativement modestes sur les dépenses tout en déléguant à la Commission bipartite des décisions sur des mesures plus complètes. Il apparaît que pour le moment, de nouvelles recettes ne sont plus à l’ordre du jour des possibilités. De plus, le plan entrevoit seulement des changements mineurs concernant Medicare et peu de changements dans d’autres programmes de protection sociale, dont nous et la plupart des autres observateurs indépendants, considérons qu’il est essentiel de contenir la taille pour la viabilité du budget à long terme.

Notre opinion est que les élus restent conscients de la nécessité de répondre aux questions structurelles qui se posent pour s’attaquer efficacement au problème de la montée du poids de la dette publique des Etats-Unis d’une manière conforme à une note ’AAA’et aux autres Etats notés ’AAA’».

Source AFP

Une autre littérature

Discours de la servitude volontaire

Prodige et précocité : en 1576, un garçon de seize ou dix-huit ans « accouche » d’un texte d’une absolue modernité dans lequel il établit que c’est le consentement des asservis, et non la puissance du tyran, qui fonde la tyrannie !

C’est l’acquiescement des peuples à leur sujétion, qui découle de leur envie, de leur égoïsme, de leur convoitise, qui permet à un seul, relayé par un réseau ténu mais fortement hiérarchisé et solidaire, d’asseoir son pouvoir, avec l’assentiment de tous…

Surgi dans sa galaxie, Montaigne devint aussitôt son ami, il convient de lire sa bouleversante lettre « sur la mort de feu Monsieur La Boétie » écrite peu après qu’il le précède dans la mort… Un spectacle citoyen poétique, tonique, édifiant ; apprécié par nous et que nous vous recommandons chaleureusement, après Avignon 2011.

« Comme vous le savez peut-être, ce texte est à l’origine de la grande amitié qui lia Michel de Montaigne à ce jeune juriste, ce Discours a marqué de manière durable la pensée philosophique et politique, du XVIe siècle à nos jours. Si l’idée m’est venue de travailler sur ce texte, c’est justement parce que je lui ai trouvé une formidable résonance actuelle ; il n’est jamais inutile de re-questionner les concepts de vivre-ensemble, de société, de démocratie, n’est-ce pas ? Dans son Discours, La Boétie interroge avec acuité les notions de liberté, d’égalité et même de fraternité. Et s’il analyse très finement l’image du tyran et les mécanismes de la tyrannie, c’est ce paradoxe de servitude volontaire qui retient le plus l’attention du lecteur, de l’auditeur. Qu’est-ce qui fait qu’un peuple tout entier se laisse asservir ? Et que doit-il faire, ce peuple, pour recouvrer sa liberté ?

Stéphane Verrue

« Le Discours de la servitude volontaire déborde de son cadre de lecture politique traditionnelle. La fascination répétée qu’il exerce vient de ce qu’il jette aussi les bases d’une étude des rapports de domination-servitude dans les relations intimes, interpersonnelles. Le tyran n’est pas seulement une catégorie politique, mais aussi mentale, voire « métaphysique ». Ce rapport domination-servitude ne se noue pas seulement dans la société constituée, mais encore au plus intime de la conscience. L’appel aux « saveurs de la liberté » engage sans doute le peuple et le citoyen, mais aussi et peut-être l’individu, toujours en quête d’un tyran qui le tyrannise, quand ce n’est pas la figure inverse : celle d’un « soumis » à tyranniser. Ce que dit La Boétie de la peur, de la bassesse, de la complaisance, de la flagornerie, de l’humiliation de soi-même, de l’indignité, de l’aliénation des intermédiaires (courtisans, lieutenants et porte-voix divers), par sa vérité crainte – et combien actuelle ! – donne, sainement, froid dans le dos. La tyrannie est toujours prête à se renouer dans un rapport d’emprise partiellement consenti. Nous ne tirons pas du Discours de la servitude volontaire une simple leçon politique, mais encore une leçon éthique, morale, comme l’appel à rejeter de nous-mêmes la figure menaçante, et cruelle, et adorée, du tyran.

La Boétie se garde bien d’offrir aux problèmes qu’il pose une quelconque « solution miracle », restant sur une position critique qui lui évite tout enlisement dans la pâte des réalités constituées. Cette lucidité critique n’implique aucun pessimisme, mais une constante invite à la vigilance, tant collective que personnelle. »

Séverine Auffret in La Boétie, Discours de la servitude volontaire,
Éditions Mille et une nuits, Paris, 1995

 

Bad Trip

Ce matin je sens comme une incohérence, oui… doublée de battements et d’un léger sentiment d’oppression. Mais je ne sais pas trop d’où ça vient...

« les rapports de production capitalistes ont ceci d’inédit qu’avec eux s’achève en même temps que s’occulte l’unité du despotisme qui s’exerce dans toute l’épaisseur de la société.« 

Peut être que je devrais prendre un médicament et me reposer un peu aujourd’hui. Mais je dois quand même faire  les soldes pour voir si je trouve quelque chose.

« Il y a nécessité de faire en sorte que l’acquiescement à l’acte de dépossession passe pour avoir été librement consenti (…)

Détenir le pouvoir politique, c’est détenir le moyen de travestir tel intérêt particulier en intérêt général, d’imposer une expression d’ensemble de l’intérêt social. »

Pour venir à bout des déficits publics par exemple, en se serrant toujours plus la ceinture pour satisfaire le monde politico- financier…

Citations de Louis Janover

On Line La démocratie comme science fiction de la politique

 

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Rubrique UE, Extension du domaine de la régression, La crise de la zone euro, mode d’emploi, Les dirigeants de gauche valets des conservateurs, rubrique Grèce, Le plan grec,

Rubrique Finance, Comment l’injustice fiscale a creusé la dette greque, Les Etats-Unis vont-ils perdre leur note AAA ?

Rubrique Mouvements sociaux, Nouvelle donne pour les mouvements sociaux en Europe,

Etats-Unis : « Les plus pauvres vont faire les frais de la crise de la dette »

Au terme d’une âpre bataille entre démocrates et républicains, le relèvement du plafond de la dette américaine à été voté mardi 2 août par le Sénat. Le président Barack Obama a promulgué le texte dès son adoption par les deux chambres du Congrès. L’accord autorise le Trésor à relever de 2 100 milliards de dollars le plafond de la dette, repoussant ainsi le risque d’un défaut de paiement. Le plan de réduction des dépenses publiques de 2 500 milliards d’euros, approuvé par le Congrès, n’a pourtant pas rassuré les marchés.

Henri Sterdyniak est directeur du département « Economie de la mondialisation » à l’OFCE et professeur à l’université Paris-IX Dauphine. Il dénonce un texte qui « fait supporter l’ajustement aux plus pauvres ».

Le compromis trouvé entre républicains et démocrates est-il de nature à rassurer les marchés et les agences de notation ?

Il y a peu de risques pour que les agences de notation baissent la note (AAA, la plus élevée) attribuée aux Etats-Unis. Ces agences savent que le risque de défaut de paiement et de faillite est purement théorique : en cas de menace de faillite, la Fed (réserve fédérale) a les moyens d’intervenir pour financer la dette. En outre, le pays peut créer de la monnaie.

En réalité, le danger pourrait être politique : on peut imaginer qu’à l’avenir le mouvement conservateur du Tea Party paralyse le système en refusant tout compromis. Une agence pourrait prendre cette possibilité en compte pour dégrader la note américaine. Mais il y a peu de chances que cela arrive. Normalement, un pays qui crée sa propre monnaie a les moyens de rembourser sa dette.

Toutefois, une autre conclusion de ces quelques semaines de crise est que les Etats-Unis ont révélé leur fragilité à la face du monde : ils sont désormais moins fiables pour les investisseurs et auront du mal à encaisser un nouveau choc. Cet épisode a mis certains risques en évidence, accentués lorsque le Parlement et le président ne sont pas de la même couleur politique.

Sur le fond, l’accord vous paraît-il bon ?

Non, car il enferme la politique budgétaire américaine dans un carcan. Le texte ne prévoit pas de hausse d’impôt, ce qui enlève toute marge de manœuvre aux gouvernants pour soutenir l’économie, développer l’assurance maladie, lutter contre le chômage. Au final, ce sont les plus pauvres qui vont supporter l’ajustement, alors même que l’une des causes de la crise aux Etats-Unis, c’est la trop faible consommation, ou plutôt la trop forte consommation à crédit.

La tendance est même plus à la baisse de la protection sociale qu’à l’augmentation des impôts visant les plus riches. A court terme, il n’y a aucune chance pour que les impôts augmentent. C’est le point sur lequel la majorité des républicains ne céderont pas.

L’existence des aides sociales comme le programme Medicare peut-elle être menacée ?

La sécurité sociale américaine est fragile car elle ne suscite pas d’adhésion populaire massive. La crise a montré que ce système était protecteur et facteur de cohésion sociale, mais son poids sur les finances publiques l’affaiblit dans l’opinion.

Aux Etats-Unis, le système des aides sociales est remis en cause lors de chaque élection. Le pays n’est donc pas protégé contre un accident politique qui verrait la droite républicaine les supprimer. Les démocrates sont des défenseurs timides du système, ce qui rend l’équilibre fragile.

La solution de long terme face aux difficultés budgétaires serait une reprise de la croissance. En prend-on de le chemin ?

Les Etats-Unis sont dans une impasse. On l’a dit, l’économie américaine a besoin d’une plus grande consommation des plus pauvres, ce que ne va pas favoriser l’accord conclu sur la politique budgétaire.

Ils ont aussi besoin d’une croissance impulsée de l’extérieur, ce qui passe par une demande plus forte de la part de la Chine et des pays asiatiques. La seule marge de manœuvre des Etats-Unis pour être plus compétitifs en Asie est de faire baisser le dollar, de chercher un rééquilibrage des taux de change à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas toutes les cartes en main.

Hugo Domenach (Le Monde)

 

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Dette américaine: que peut-il se passer ?

Et si la première puissance mondiale ne pouvait plus payer ses dettes? Le scénario paraît de moins en moins invraisemblable, à l’approche du 2 août. Au-delà de cette date, les Etats-Unis ne pourront plus faire face à leurs obligations financières. Ils sont coincés par le plafond de la dette, fixé par la loi à 14.294 milliards de dollars (9950 milliards d’euros). Voilà déjà deux mois qu’ils l’ont dépassé et qu’ils puisent dans les réserves pour financer les dépenses publiques et rembourser leurs créanciers.

Le plafond doit être relevé, mais républicains et démocrates s’écharpent sur le calendrier et sur le plan de réduction des déficits qui doit accompagner le relèvement du plafond.

A quelques jours de la date limite, passage en revue des différents scénarios possible.

Scénario républicain versus scénario démocrate

Les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, plaident pour un premier relèvement de 1000 milliards de dollars d’ici au 2 août, puis un nouveau relèvement début 2012… en pleine campagne pour l’élection présidentielle américaine. Une façon, donc, de garder un moyen de pression et de s’assurer que des coupes seront faites, d’ici là, dans les dépenses publiques. Les démocrates, qui tiennent le Sénat, militent pour un relèvement qui permette de tenir jusqu’en 2013. Ce que rejettent les républicains, y voyant un «chèque en blanc» adressé à Barack Obama, candidat à sa réélection.

(Infographie IDE)

Le plan de réduction des déficits est un autre point d’accroche. Les républicains plaident pour des coupes massives dans les dépenses publiques, notamment dans les programmes sociaux. Et rejettent toute hausse d’impôt qui réclament les démocrates. Ces derniers, via le Sénat, ont présenté un autre plan : il prévoit 2700 milliards de dollars de réductions, tout en sauvegardant les grands programmes sociaux.

A l’heure actuelle, aucun compromis ne se dessine entre les deux camps.

Le forcing d’Obama

Jason Reed / Reuters

La Constitution américaine autorise le président à relever d’autorité le plafond de la dette, sans passer par un vote du Congrès. Un procédé «tentant», a plaisanté Obama lundi, mais «ce n’est pas la façon dont marche notre système, ce n’est pas ainsi que fonctionne notre démocratie», a-t-il ajouté. Cela le mettrait surtout en position d’assumer tout seul la décision.

Le défaut de paiement, scénario-catastrophe?

Le Trésor américain estime que le 2 août, le pays sera en défaut de paiement, c’est-à-dire qu’il ne pourra plus faire face à ses dépenses et rembourser ses créanciers.

Le défaut peut entraîner, d’une part, ce qu’on appelle un «governement shutdown», une situation où les autorités fédérales arrêtent toute dépense, sauf les essentielles (urgences médicales, armée, etc.). Ça s’est déjà produit en 1995-96: l’administration Clinton, dont le budget avait été retoqué par le Congrès, avait fermé plusieurs établissements et gelé des salaires de fonctionnaires. La Maison Blanche a reconnu mercredi être en train d’élaborer ses priorités, en cas d’absence d’accord d’ici au 2 août. A savoir qui sera payé et qui ne le sera pas, après la date fatidique. Autant de décisions qui pourraient avoir des répercussions négatives sur l’économie du pays.

D’autre part, sans accord, les Etats-Unis se retrouveraient dans l’incapacité de rembourser leurs créanciers: tous ceux qui, sur le marché des obligations, ont acheté des bons du Trésor américains, considérés comme des investissements sûrs, faciles à échanger au besoin. Et dans cette histoire, tout le monde est mouillé. Les banques américaines (1660 milliards de dollars en juin) et la Chine en tête (1160 milliards en mai). Mais aussi les ménages, les fonds de pension et autres investisseurs privés, les banques centrales asiatiques, russe, arabes, française, etc. En cas de défaut, les créanciers des Etats-Unis seraient amenés à déprécier ces avoirs. Certains, des fonds d’investissement par exemple, pourraient même faire faillite.

Principaux pays créanciers des Etats-Unis (cliquer sur l’image pour agrandir)

(Infographie IDE)

«Personne ne sait ce qui se passera si la première économie du monde cesse du jour au lendemain de payer les intérêts de sa dette. Cela n’est jamais arrivé. Cela mettrait sens dessus-dessous l’économie mondiale», a prévenu Klaus Regling, le chef du FESF, le Fonds de secours mis en place par la zone euro pour ses membres en difficulté. «Si nous faisons défaut le 2 août, cela ressemblera à ce qui s’est passé lors de la chute de Lehman, mais avec des stéroïdes. Ce sera une apocalypse financière», a lancé l’économiste Larry Summers lors d’une conférence. Ce serait «très, très, très grave», répète Christine Lagarde, la directrice du FMI.

Inna Mufteeva, économiste spécialiste des Etats-Unis à Natixis, relativise. Car il y a défaut et défaut, souligne-t-elle: «Un défaut américain, ce ne serait pas le défaut de l’Argentine. Les Etats-Unis restent solvables, car leur bons du Trésor trouvent toujours preneurs. Ils sont bloqués par un problème administratif. C’est un défaut purement technique.» Ainsi, même en cas de défaut de paiement, «les marchés financiers, s’ils sont raisonnables, peuvent considérer que c’est un événement temporaire, et non un vrai défaut», souligne Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE. «Les politiques vont vite comprendre, tranche Mufteeva, et relever le plafond pour au moins pour un mois ou deux».

Enfin, la banque centrale américaine, ainsi que les banques privées, «peuvent encore fournir des liquidités au gouvernement, en l’aidant à pomper à droite à gauche, comme cela se fait depuis deux mois», estime Henri Sterdyniak.

Sur les marchés, le véritable test sera, estime Natixis, le 15 août, échéance d’un «coupon» estimé à 25 milliards d’euros, à rembourser d’un coup. Le 2 août ne serait donc pas un véritable couperet.

Le défaut est jugé peu probable, mais les banques américaines sont en train d’échafauder des plans de secours, au cas où.

Incertitudes et dégradation, le vrai danger

-> Une visualisation des presque 15 milliards de dollars de la dette américaine, sur le site wtfnoway.com.

Le véritable risque, pour l’économie américaine et pour l’économie mondiale, ce serait que les agences de notation dégradent la note de la dette américaine (de AAA à AA+). Les trois grandes agences – Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch – ont déjà menacé de le faire dans les semaines à venir. Pour cause de discorde sur le relèvement du plafond, mais surtout parce qu’elles exigent, à plus long terme, «un plan de réduction crédible et efficace des déficits publics», assène Inna Mufteeva.

Une telle dégradation serait inédite et «se traduirait par une très forte perturbation sur les marchés financiers, une instabilité, une situation tout à fait fragile à l’échelle mondiale», projette Henri Sterdyniak.

Les taux d’intérêt des obligations américaines ne manqueraient pas de s’envoler. Celles-ci perdraient aussi de leur stature, mais «qu’achèteraient les investisseurs, les fonds de pension, à la place de la dette américaine?», questionne Henri Sterdyniak. «Il n’y a pas tellement d’alternative», ajoute Inna Mufteeva.

Le dollar, lui, perdrait de sa valeur par rapport aux autres monnaies. «Va-t-il y avoir un mouvement de panique, les investisseurs vont-ils se défausser massivement de leurs dollars?», s’interroge Dominique Plihon, qui anticipe une baisse du billet vert et une «volatilité sur le marché des changes». «Pas une crise énorme sur le dollar», ni «l’effondrement total du système monétaire international», prédit-il. Mais cette instabilité serait «très embêtante pour la zone euro». «L’euro est la monnaie qui s’apprécierait le plus par rapport au dollar, cela va nuire à la compétitivité de l’Europe», s’inquiète l’économiste.

La réaction des marchés, très dure à prévoir, repose en partie sur celle de la Chine. «Heureusement, souligne Henri Sterdyniak, pour le moment, ils ne paniquent pas.»

-> A voir: les infographies du New York Times.

-> A lire: cette note, sur le blog de Paul Jorion, cet économiste et anthropoloque qui avait anticipé une possible crise des subprimes.

 

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