Théâtre. Une parole urgente et sans concession

Stephane Laudier

Stephane Laudier

Théâtre Jean-Vilar. « My secret » du dramaturge allemand Falk Richter, mis en scène par Stéphane Laudier à Montpellier les 13 et 14 mars.

Après Car tu es poussière œuvre dans laquelle Pinter aborde la Shoah, le metteur en scène Stéphane Laudier monte My secret garden de Falk Richter que l’on pourra découvrir les 13 et 14 mars au Théâtre municipal Jean-Vilar à Montpellier qui coproduit le spectacle.

Entre journal intime et autofiction l’enfant terrible du théâtre outre-Rhin mêle fiction et réalité pour livrer une vision de l’Allemagne heurtée par son passé nazi. « Âgé de 45 ans, Falk Richter appartient à la génération d’Européens d’après la chute du mur. Dans cette pièce, son écriture autofictionnelle est une mise en abîme d’où surgissent des avatars porteurs de fantasmes de son propre monde, indique Stéphane Laudier qui a lui-même longuement vécu en Allemagne. « Au premier degré, c’est un journal intime dont la forme est ironique et ludique. L’auteur livre son propre vécu comme sujet à caution. Dans le texte les rapports à l’histoire s’entremêlent. Richter affirme que les générations passées n’ont jamais réglé le problème du nazisme qui par ce fait, devient intergénérationnel. »

Pour Richter la nocivité du nazisme a perduré. « Sur ce point, il est sur une dramaturgie comparable à Fassbinder. Il évoque ses souvenirs d’enfance chargés de peur, ses dégoûts d’adolescent, et ses indignations d’adulte. En parallèle à ce rejet, il pointe l’invasion du capitalisme qui se substitue à toute forme de pensée. Beaucoup de gens qui ont toléré le nazisme sont restés au pouvoir. » Pour Falk Richter, le théâtre doit être politique. Dans sa ligne de mire : l’extrême droite, et tout particulièrement le mouvements xénophobe Pegida et le parti Alternative pour l’Allemagne qui lui ont intenté un procès pour faire annuler sa dernière pièce Fear, et l’ont perdu.

Le travail de mise en scène développé par Stéphane Laudier se concentre sur le contenu. Pour le rendre le plus suggestif possible, il place les trois acteurs (Fanny Rudelle, Vanessa Liautey, Jean-Marc Bourg) au centre, dans une logique de frontalité.

Quant à la forme de continuité que fait émerger Richter par le biais du théâtre, elle devrait permettre d’attirer notre attention sur la situation contemporaine. « Les choses sont en train de bouger. Le capitalisme est une forme de fascisme. Pasolini l’a proféré, rappelle Stéphane Laudier. Les Etats-Unis et l’Europe vivent au cœur de cette problématique. La crise agit comme une sonnette d’alarme. On est prisonnier mais les choses deviennent flagrantes. »

JMDH

Source La Marseillaise 08/03/16

10 et 11 mars à Montpellier, 1er avril au TNT de Marvejols, 12 et 13 avril à Narbonne.

Voir aussi : Rubrique  Théâtre, rubrique Allemagne, Une jeunesse allemande, Renault et la fabrication de chars pour la Wehrmacht, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Le néolibéralisme est un fascisme,

 

Une mère en friche qui parle avec son corps

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L’amour maternel une publicité trompeuse ? Photo dr

A la Chapelle. Vanessa Liautey s’attaque à l’indicible en adaptant un texte de BD au théâtre autour d’un infanticide.

La compagnie théâtrale La Faction vient de présenter à La Chapelle L’enfant qui pleurait. Un spectacle poignant de et avec Vanessa Liautey, accompagnée du regard de la chorégraphe Hélène Cathala, d’après Grégory Ponchard, l’auteur de la bande dessinée Crash-Text.

Au cœur de ce solo, un texte brut relatant un fait divers. A travers la souffrance d’une mère, le traitement qui est donné au drame de l’infanticide propulse le sujet en fait de société.

Pour interpréter le rôle, Vanessa est allée puiser sa matière sur le terrain. « Je tente de raconter l’histoire tragique d’une femme qui vient de jeter son bébé par la fenêtre. Quand on est actrice, par quels méandres de la pensée devons-nous passer pour l’incarner ? En me référant à l’histoire du Théâtre, c’est le personnage de Médée qui m’est venu à l’esprit. Aujourd’hui, les  statistiques démontrent que quand les infanticides sont commis par des hommes, ils sont la plupart du temps liés à une vengeance, c’est différent chez les femmes. Médée a été écrit par un homme. »

La volonté de compréhension féminine, celle de trouver un sens à un drame comme l’infanticide est au cœur de la démarche théâtrale de Vanessa Liautey. Paradoxalement, le spectacle produit un sentiment d’empathie pour cette mère qui commet l’irréparable et bouscule les tabous. Toutes les mères ne devraient-elles pas être aimantes…
Prostrée dans un coin de l’espace délimité comme une petite pièce une femme balbutie, elle tente d’exprimer l’inexprimable sans y parvenir. C’est son corps qui parle. La femme est allongée, sa solitude se confond avec le sol. Elle ne dit rien, peut-être se parle-t-elle à elle-même.

La raison est indomptable, le mur d’images traduit ses rêves, cauchemars et projections mentales. Quand elle l’a jeté il n’a pas pris son envol. Tenter de comprendre face au rien, un défi pour trouver quelques miettes d’humanité et faire ressurgir l’espoir.

JMDH

L’enfant qui pleurait sera joué dans le cadre du Festival Hybrides au Théâtre des 13 Vents les 18 et 19 avril.

Source : L’Hérault du Jour, 31/03/2014
Voir aussi : Rubrique Théâtre, Rubrique Société, Droits des femmes,

Le risque payant d’une esthétique en construction

Photo. Marc Ginot

Photo. Marc Ginot

Théâtre Jean Vilar. « Le jour où j’ai acheté ton mépris au Virgin Megastore » mis en scène par Julien Bouffier.

Plan fixe à l’entrée du Virgin Megastore, braquées sur les portes d’entrée, les caméras de surveillance enregistrent. L’heure «digicodée» est historique. Les portes s’ouvrent. Le grand rush de la liquidation a commencé. En retrait, la vendeuse se mue en chômeuse.

Marthe porte une pile de livres qu’elle entend soustraire à la catastrophe naturel qui se déploie sous ses yeux. Elle croise Louis qui lui parle comme les écrivains savent le faire. La foule qui entre dans l’euphorie forme des vagues. Elle se rue sur n’importe quoi avec avidité. On pense aux images de la chute du mur. Aujourd’hui, on ne se piétine plus pour la liberté, mais pour profiter des prix. Une histoire d’amour débute dans le deuil de la culture.

Julien Bouffier prends cette scène primitive comme point de départ pour nous raconter le progressif déchirement d’un couple. C’est une forme de remake contemporain du Mépris, le film de Godard, adapté à la scène. Dans sa trame, la pièce reste fidèle au fond, peut être trop. L’idée de départ reste sans suite.

Marthe (Vanessa Liautey) a peu à peu l’impression que son homme ( Marc Baylet-Delperier) ne sait plus la regarder. Alors qu’il doit s’atteler à la réécriture d’un scénario (du Misanthrope), le doute puis le mépris vont naître chez elle. Et de là, l’incompréhension puis la colère de son compagnon. L’homme n’est pas innocent dans l’affaire il cède aux avances du producteur (Julien Guill) qui se propulse au cœur du couple.

La flamme du désir se livre en proie au regard de l’autre en ouvrant une problématique bien contemporaine de la création. Sur la forme, les supports multiples convoqués apportent une dimension aussi risquée que populaire.

Pratiquant invétéré du bricolage inventif, Julien Bouffier trouve sa langue dans l’hybridation artistique tout en parvenant à amener l’existant qui réside dans les acteurs. Leurs interventions en temps réel sur l’image ouvrent des perspectives dynamiques et poétiques. L’histoire d’amour finit mal.

JMDH

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Montpellier