Brassens maître de la world

Compile. « Echos du monde » le poète chanteur essaime à travers le monde.

Où l’on découvre qu’en dépit de conditions climatiques détestables, les amoureux nippon se bécotent sur les bancs publics, qu’à Cuba comme à Sète on songe avec la même envie aux passantes aperçues au détour d’un chemin… Où l’on constate que la mauvaise réputation peut vous coller à la peau de Panam à la Réunion. Brassens, Echos du monde * nous fait traverser les frontières et les époques en compagnie de l’artiste.

L’éclectisme de cette compile procure beaucoup de plaisir, poétique et moqueur. Les mots de Georges passe de bouche en bouche, Nina Simone, Danyel Waro, Carina Iglecias… on les retrouvent dans la clarinette de Sydney Bechet, ou dans la version trash des impénitents Tueurs de la lune de miel. Du rétro à l’electro, passée à la moulinette de la grande sono mondiale, l’œuvre universelle offre à la jeune génération, l’occasion d’y accéder. Conçu par Emile Omar, programmateur de Radio Nova, le CD se présente sous forme d’un digipack où est inséré une affiche, dont est inspiré la pochette, illustrée par Lewis Heriz.

On n’a pas fini de disserter savamment sur le sens d’une œuvre qui a marquée le XXe siècle. Ce disque propose une simple contribution, juste  un bout d’histoire musicale « pour donner envie aux néophytes de  passer  la barrière en se replongeant dans l’œuvre incroyable de Brassens, et notamment de ses textes. »

Quand l’on sait mourir pour des idées, on la trouve  excellente celle de cette compilation qui rappelle l’envergure internationale du bonhomme trente ans après sa mort. On aurait pu mourir de ne l’avoir pas eue cette galette, alors quand on la tient, on y plonge, heureux comme Ulysse.

Jean-Marie Dinh

Brassens, Echos du Monde, Fanon Records, distribué par l’autre distribution. Présentation de l’album aujourd’hui à 18h Hôtel de Paris à Sète.

Voir aussi : Rubrique Musique, carton plein de sons, rubrique Poésie,

Fiesta sète : 15 jours de territoires musicaux

 

 

La seconde semaine du Festival Fiesta Sète débute demain au Théâtre de la mer. Une programmation musicale de haut niveau qui explore les zones méconnues mêlant artistes de renommée et découvertes.

« Nous poursuivons notre mission de prospection en direction des musiques du monde. Vers des cultures qui ne sont pas les nôtres pour les faire découvrir » a rappelé le directeur José Bel. La manifestation élargit cette année sa programmation en passant à 15 soirées.

Le festival débute par une  série d’escales musicales dans le bassin de Thau et les quartiers sétois du 25 juillet au 1er août. Un compromis a été trouvé pour coordonner les programmations avec le Festival de poésie des Voix Vives qui se déroule du 22 au 30 juillet. 75% du budget de Fiesta Sète (600 000 euros)  sont assurés sur fonds propres ce qui rend d’autant plus méritoire le parti pris de la gratuité pour lequel opte le festival.

La seconde semaine ouvre le 2 août au Théâtre de la mer par une soirée très hot avec le retour des Congolais de Staff Benda Bilili de Kinshasa plébiscités lors de leur passage l’an dernier qui se produiront ce soir là avec leur voisin congolais Zao. Afrique toujours très chaude, avec la soirée du 4 août qui met en présence le Ghanéen Ebo Taylor (musique trad et l’Afrobeat), et Seun Kuti, le digne descendant de l’afroking Fela (Nigéria).

L’art de la programmation se perçoit à travers les recherches  croisées. Celles-ci aboutissent au concert imprévu du 5 août avec la rencontre de Lo Cor  de la Plana et de Danyel Waro (La Réunion). Les spectateurs de cette soirée percevront, à n’en pas douter, la concordance de conscience multiculturelle entre les démarches. Le groupe marseillais Lo Cor  de la Plana renouvelle le patrimoine populaire occitan en y injectant du swing et du groove tandis que le défenseur invétéré de la culture créole revient dans l’hexagone pour partager sa très vibrante passion.

Figurent également au programme deux soirées cubaines et une soirée sous le signe des Balkans. La soul&funk revue concoctée par Coosmic Groove conclura la danse avec un concert exceptionnel de Betty Harris suivi d’un petit dernier, confié à Maceo Parker. Excusez du peu !

JMDH

Fiesta Sète du  25 juillet au 8 août, rens et résa 04 67 74 48 44.

Voir aussi : Rubrique Musique, Ethiopie Mahmoud Ahmed rubrique Festival, La secousse Belili, rubrique Afrique, rubrique, Rencontre, Mory Kanté, Seun Kuti,

Exposition Raoul Dufy à Sète : une vision personnelle de la grande bleue

Le grand arbre à Sainte Maxime, 1942

Dites à ceux qui se sont levés du pied gauche, qui se liquéfient dans les bouchons ou qui en ont simplement marre du sable, que l’on trouve avec l’exposition du musée Paul Valéry Dufy en Méditerranée une heureuse occasion de dissiper leur maussade humeur. D’abord fuir les plages bondées et les fruits jamais mûrs de la grande distribution, puis sortir des embouteillages en prenant de la hauteur. L’escale cimetière marin n’est pas obligatoire, mais nous la conseillons. En été ce sas de décompression n’a rien à envier aux activités réputées relaxantes des complexes nautiques, érotiques et ludico-commerciaux. Perché sur le Mont St Clair, le musée vient de rouvrir après une réorganisation muséographique, apprend-on sur place. L’architecture extérieure style Le Corbusier n’est pas une perle d’esthétisme, mais l’espace intérieur offre de beaux volumes.

Evidemment, par ces temps où les œuvres sont asservies partout pour valoriser la richesse patrimoniale locale, la vigilance légitime des amateurs s’éveille. Quelle est la pertinence thématique des expositions qui leur sont proposées à grand renfort de communication institutionnelle. Sans aller jusqu’à s’interroger sur celle des investissements publics en matière de création, rien n’empêche les néophytes de fonder leur jugement en se détournant des présentations expertes. Après tout, pourquoi se laisser bercer par les discours insensés d’une époque où tout et son contraire sont justifiables ?

Ce qui est génial chez Dufy, c’est la spontanéité de son expression. Cet artiste a le don de rendre sa peinture accessible sans jamais céder à la facilité. Il doit peut-être cela à ses origines modestes. C’est un type qui a fait les beaux-arts en suivant les cours du soir. Après avoir acquis une certaine reconnaissance, il crée une petite entreprise d’imagerie. Un artiste engagé aussi. En 1915, il diffuse des gravures de propagande patriotique et réalise des dessins pour la revue Le mot dirigé par Jean Cocteau. Mais cela ne l’empêche pas de s’engager comme volontaire.

Vénus à la coquille, 1925-1930

Vénus à la coquille, 1925-1930

L’expo réunit une soixantaine de ses œuvres, peintures, aquarelles et gouaches provenant de nombreuses collections publiques et privées. Il fait frais dans le musée. Les œuvres s’étalent dans un vaste espace. On se demande toujours en quoi la Méditerranée a bien pu influer cet artiste normand jusqu’à ce qu’on tombe sur ses toiles du marché de Marseille. Là, l’interrogation s’estompe assez vite. Face aux légumes, aux étoffes des robes, à la foule qui s’anime. On ressent le poids des personnages, le monde populaire qui se protègent de la chaleur sous les parasols des commerçants et les stores des terrasses. En début d’après-midi, après la fermeture, une senteur poissonnière passe dans la fraîcheur du marché couvert. Dufy a peint ces toiles en 1903. L’année où il présenta pour la première fois ses œuvres au Salon des Indépendants et où il découvre le Sud de la France, lors d’un séjour à Martigues. Il est resté fasciné par la lumière du Midi.

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Dufy dans son atelier de Forcalquier, 1952

Cet artiste devait être un type bien. Il a poursuivi toute sa vie (1877-1953) une recherche avant-gardiste et personnelle. Sur l’autoportrait qu’il fait en 1904, il a les traits tirés. Il doit manquer de sommeil. Il est dans son temps et en même temps dans l’avenir. D’abord impressionniste, il passe au fauvisme sous l’influence de Matisse qui libère un peu plus son expression. Comme tous ses contemporains, il se prend un flash Cézanne. On discerne l’influence cézannienne dans plusieurs de ses toiles. Mais l’attention que Dufy porte à l’architecture spatiale, conserve un je-ne-sais-quoi du déséquilibre qui lui est propre. Son exigence le conduira à définir son propre langage plastique. Un langage aérien qui s’est nourri de la lumière méditerranéenne. A travers les œuvres présentées, réalisées en Italie, en Espagne, au Maroc, en Algérie, l’expo montre qu’il a beaucoup voyagé. Dufy recherche et capte l’éphémère. En regardant une petite fille qui court sur le quai de Honfleur, il comprend que l’esprit enregistre plus vite la couleur que les contours. A partir de ce moment, il va dissocier les couleurs et le dessin. Ce qui participe à son style avec le mouvement, les superpositions, la multiplicité des sollicitations. Dufy est un poète du trait et de la lumière. Allez-y les yeux ouverts !

Jean-Marie Dinh

Dufy en Méditerranée Musée Paul Valéry A Sète jusqu’au 31 octobre 2010.

Voir aussi : Rubrique Exposition

Dans les eaux troubles du cinéma de 26e zone

 

Roman. Série Z, le troisième roman décalé de l’auteur sétois J-M. Erre, nous entraîne dans un hospice d’acteurs très loin des enfants de chœur.

serie-z3On ne vous a pas parlé du dernier livre de J-M. Erre ? Parce que, à ce qui se dit : trois mois après sa sortie, Série Z faisait fureur dans les maisons de retraite. L’auteur n’est pourtant pas (encore ? ) académicien. C’est un prof de français à Sète qui doit certainement savoir parler aux jeunes.La trentaine pas finie, Félix vit aux crochets de sa charmante compagne Sophie. Une jeune fille censée et pleine d’entrain, dont la plus remarquable des qualités est de le supporter. Félix est un cinéphile dingue de Série Z. Avant d’aller plus avant, on notera que l’auteur est conscient des effets occasionnels perturbateurs que peut déclencher sa prose. Magnanime autant que pédagogue, il encadre ses lecteurs, en leur donnant d’entrée quelques clés de compréhension :  » Au cinéma, explique-t-il, on désigne sous le nom de « Série Z » une catégorie de films moqués pour leur budget insignifiant, leur médiocrité technique et leur pauvreté artistique. Il n’en reste pas moins que nombre de séries Z ont atteint le statut de film culte dans des cercles de cinéphiles initiés et/ou alcoolisés.« 

L’écrivain de cette folle ville portuaire a fait de l’hilarité sa marque de fabrique. On lui doit déjà Prenez soin du chien, qui mettait en scène les relations aigres-douces de proximité obligatoire. On apprend toujours plein de trucs dans les bouquins décalés de cet auteur. Genre, ce qui peut vous arriver quand votre voisin décide de consigner vos agissements dans son journal intime… J-M. Erre a écrit aussi Made in China, où il retrace la loufoque quête identitaire d’un petit Africain adopté dans un orphelinat chinois par des Provençaux accaparants ! Dans Série Z, le héros est un glandeur passionné. Ce qui, à noter au passage, est toujours mieux qu’un glandeur tout court.

Ce troisième roman aborde assez sérieusement la question de la vieillesse même si une fâcheuse envie vous pend parfois de vous taper les mains sur le ventre. C’est aussi un hommage exultant et quasi métaphysique au cinéma de Série Z.

L’ouvrage abonde de références triées sur le volet. Pour n’en citer que quelques-unes, on se limitera au célèbre hurlement de l’épicière éviscérée dans Le retour des tomates tueuses où les vociférations des touristes dans L’attaque des sangsues géantes. Bon, je vois bien que certains semblent un peu perdu là. Il est temps de rappeler le danger potentiel auquel les lecteurs non initiés et/ou non alcoolisés s’exposent. Que croyez-vous ? On ne passe pas impunément d’une vie tranquille à un enfer criminel post-apocalyptique !

Pour Félix, les choses sérieuses commencent avec son premier rancart décroché avec un producteur de viande en gros à Rungis. Si certains ricanes, Félix lui, sent qu’il tient la chance de sa vie. L’occasion inespérée de placer son scénario L’hospice de l’Angoisse. Mais dans l’univers burlesque de cette dangereuse maison de vieilles stars du Z, la fiction ne tarde pas à dépasser la réalité. On apprécie particulièrement la saveur des dialogues décatis et l’éruption de la vieillesse bornée et déchaînée par des ego surdimensionnés. Comme le cite un des personnages du livre  » Saine hilarité, bonne santé ! « 

 Jean-Marie Dinh

Série Z, éditions Buchet Chastel, 20 euros.

Le problème Frêche ? Copie à revoir !

 

region
Tout problème trouve sa solution dans ses données. Les problèmes électoraux ne font pas exception. Mais la science politique n’est pas une science exacte…

La valeur d’une solution électorale reste une variable. Sa pertinence est toujours proportionnelle au degré d’exactitude des informations fournies dans l’énoncé du problème à résoudre.

Quelle est donc l’exactitude des informations fournies dans l’énoncé du « problème Frêche » par ceux qui le posent, et l’exposent, au cours de leurs démonstrations publiques, au premier rang desquels figure le quatuor héraultais composé de Christine Lazerges, ancienne députée socialiste, François Liberti, ancien maire communiste de Sète, Jean-Louis Roumegas, conseiller municipal, chef de file des Verts à Montpellier, et René Revol, maire ex-PS de Grabels?

Leur énoncé formule un postulat qu’ils multiplient par une analyse des résultats des élections européennes pour induire une conclusion en forme d’axiome: Georges Frêche est devenu un irrémédiable facteur de division; il ne saurait donc prétendre rassembler les électeurs de gauche, plus dispersés que jamais depuis le 7 juin; en conséquence, sa mise sur la touche s’impose impérativement si la gauche veut espérer remporter les élections régionales de 2010.

Le postulat est connu. Tout a été dit et écrit, depuis longtemps, sur la personnalité ambivalente de Georges Frêche et sa façon d’exercer le pouvoir, en particulier par Jacques Molénat, dans son ouvrage sur « Les Marigots du pouvoir » paru en 2004: pour les uns « génial,charismatique,visionnaire, intrépide, sensible », pour les autres « odieux, tyrannique, égocentrique, cruel, retors », « entre amour et haine, admiration et détestation », « ainsi va Georges Frêche, depuis un quart de siècle, ce personnage hors normes… » Les données sur lesquelles ses détracteurs fondent aujourd’hui leur réquisitoire ne contiennent aucune inexactitude. Il est indubitable que Georges Frêche a singulièrement aggravé son cas depuis son élection à la présidence de notre région, en 2004. Il a si bien alimenté la détestation qu’il inspire à l’intérieur de sa propre famille politique qu’il a été exclu du Parti socialiste. La question de savoir si sa personnalité possède encore la capacité de rassembler une majorité d’électeurs est une question légitime. En outre, ni son âge – il aura 72 ans l’an prochain- ni son état de santé – ne plaident en faveur de sa longévité politique.

Données partielles

Mais si ces données sont exactes elles n’en demeurent pas moins incomplètes.

Elles n’intègrent pas le fait que le corps électoral, dans sa majorité, à Montpellier d’abord, mais aussi dans l’ensemble de la région, a toujours fait la part des choses, chez Georges Frêche, entre l’homme de verbe et l’homme d’action, jugeant l’homme à ses actes plutôt qu’à ses paroles et passant volontiers l’éponge, dans l’isoloir, sur ses pires écarts de langage. Si la population de Montpellier avait vraiment eu de Georges Frêche la perception qu’en ont aujourd’hui ses censeurs sa relation de confiance avec la municipalité qu’il a dirigée n’aurait pas duré vingt-sept ans sans interruption. Si la seule présence de Georges Frêche sur une liste électorale suffisait vraiment, désormais, à faire fuir les électeurs, Hélène Mandroux, dont il fut le colistier, n’aurait pas été si facilement élue à sa succession. Si ses manières personnelles et son mode de gouvernance causaient vraiment à son propre camp un préjudice irréparable les enquêtes d’opinion enregistreraient son discrédit et précipiteraient sa déchéance.

Or, bien au contraire, les enquêtes d’opinion les plus récentes indiquent que, en dépit de la dégradation de son image dans les milieux politiques, comme dans la plupart des médias, Georges Frêche conserve, dans l’opinion publique, un crédit de confiance supérieur à celui de ses concurrents et de ses rivaux déclarés. Commentant le sondage paru, en mars, dans La Gazette de Montpellier, sur les intentions de vote aux régionales, le directeur des études de l’institut BVA, Eric Bonnet, notait ainsi « le faible impact électoral des polémiques » sur la candidature de Georges Frêche (1). Et ce constat, au demeurant, n’a rien d’étonnant. Les moeurs électorales ne sont plus ce qu’elles étaient sous le règne souverain des partis politiques. Plus autonomes, plus volatiles que par le passé, moins influençables, moins contrôlables, les électorats échappent de plus en plus à l’emprise des états-majors et des notables. L’affaiblissement des systèmes politiques favorise l’individualisation de la vie publique, laquelle donne une prime électorale aux caractères les plus singuliers, en faisant prévaloir, au passage, la notoriété sur les valeurs. Les électeurs ne pensent plus de la même façon que les militants. Ils prennent même un malin plaisir, souvent, à penser à l’inverse. Les campagnes de presse, les comportements de meute, les avalanches hystériques provoquent souvent un effet boomerang. Il suffit de surfer sur internet – par exemple sur les forums de Montpellier Journal – pour constater que la diabolisation de Georges Frêche déclenche, par réflexe, des réactions d’empathie chez ceux des militants ou des électeurs qui lui gardent une estime affective. Dans les rangs socialistes le « problème Frêche » a même pris un tour si passionnel que l’irrationnel y a fait irruption. Comment expliquer autrement le fait que les porte-parole du mouvement de contestation justifient leur refus de faire liste commune avec Georges Frêche par leur attachement aux « valeurs de la gauche » mais restent imperméables au déni de justice dont celui-ci est victime. Banni du PS, en janvier 2007, pour ses propos de novembre 2006 sur le nombre des « Blacks » dans l’équipe de France de football, Georges Frêche reste exclu de son parti alors que l’exactitude de l’incrimination formulée contre lui n’a jamais été établie, l’enquête judiciaire n’a rien donné, aucune plainte n’a été déposée, alors que l’affaire, au bout du compte, a été classée sans suite… C’est ce genre d’incohérence qui creuse le fossé entre les électeurs et les « pros » de la politique. Fondé sur des données exactes mais trop partielles, pour ne pas dire partisanes, le postulat sur lequel s’appuie la coalition anti-Frêche est donc un postulat bancal. Ceci explique peut-être que la pétition du quatuor héraultais n’ait pas fait un tabac immédiat. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, rien ne prouve que la personnalité controversée de Georges Frêche soit devenue un obstacle si dirimant qu’elle puisse rendre impossible tout rassemblement, à gauche, aux régionales.

Raisonnement faussé

La démultiplication de leur postulat boiteux par les résultats locaux des élections européennes ne redresse pas le raisonnement de ceux qui posent le « problème Frêche » en termes d’exclusion du président sortant. Car la nature de ce scrutin et l’interprétation de ses résultats sont plus de nature à compliquer la résolution du problème qu’à la simplifier.

Le taux d’abstention est si élevé qu’il interdit toute extrapolation. Dans un tel contexte, il convient de relativiser les scores réalisés. En outre, depuis que l’Assemblée de Strasbourg est élue au suffrage universel, les élections européennes, dont l’enjeu n’est pas national, sont l’occasion, pour les électeurs, de tous les votes « buissonniers ». Le vote sociétal l’y emporte souvent sur le vote politique. En particulier chez les électeurs de gauche. Depuis les années 80 il existe, en particulier, entre l’électorat du PS et celui des Verts « un effet de yoyo », selon l’expression du Centre de recherches politiques de Sciences Po (2). Aux européennes de 1999, déjà, les Verts avaient totalisé 11,24% des suffrages exprimés (3) au détriment du PS, qui n’avait pas fait mieux que 21,95%. Le triomphe des Verts est, cette fois, historique, puisqu’ils font, au niveau national, jeu égal avec le PS (16,28% – 16,48%). Mais rien ne garantit que, la prochaine fois, le « yoyo » ne fonctionnera pas en sens inverse. « Les voix qui se sont portées sur les listes d’Europe Ecologie ne nous appartiennent pas », disait Daniel Cohn-Bendit au soir du scrutin. C’était parole de sagesse. Les suffrages qui ont manifesté leur sensibilité écologique dans notre région n’appartiennent pas non plus aux Verts du Languedoc-Roussillon. Personne ne peut encore savoir en faveur de qui ou de quoi ils s’exprimeront lors des échéances futures. Selon le directeur du département politique-opinion du CSA, au niveau national « sur 100 électeurs des listes Europe Ecologie, 40 avaient apporté leur suffrage à Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle de 2007. » (4) Quels seront les critères les plus déterminants, aux yeux de ces électeurs-là, lorsqu’ils voteront aux régionales? Il est de bonne guerre militante que les représentants locaux des Verts s’approprient leurs suffrages mais, s’ils s’en croient vraiment propriétaires, ils vont au devant de désillusions. Toutes les locomotives des Verts n’ont pas le gabarit de Daniel Cohn-Bendit et les querelles intestines de la famille écolo ne sont pas moins congénitales que celles des socialistes. D’autre part, l’échec de François Bayrou ne sonne pas, ipso facto, la fin du Modem, victime de l’effet boomerang de sa campagne antisarkozyste. Son bilan électoral n’invalide pas forcément la stratégie d’alliance de Georges Frêche. En l’état arithmétique des forces politiques en présence la gauche a encore besoin du Modem pour espérer prendre un jour sa revanche sur Nicolas Sarkozy.

Quant à la déroute du PS, qui paie assurément le discrédit consécutif à ses interminables règlements de comptes personnels, elle ne préfigure en rien, elle non plus, l’issue des scrutins nationaux à venir. En 1994, la liste conduite par Michel Rocard subissait aux européennes l’affront de chuter à 14,49%! Trois ans après, les socialistes remportaient pourtant les législatives. Ils avaient réussi à remonter la pente en se dotant d’une stratégie d’alliance (la gauche plurielle), d’un projet politique (les 35 heures) et d’un leader (Jospin). Pour peu qu’il sache tirer vite les leçons de la gifle que son électorat vient de lui administrer, le PS peut rebondir dès les régionales. Et rien, dans les résultats des européennes en Languedoc-Roussillon, n’autorise à « plomber » Frêche au seul motif de son appartenance à la famille déconfite. Quelle part de responsabilité personnelle pourrait-on lui imputer dans la déroute du PS? Les socialistes de notre région n’ont pas échappé au vote sanction d’électeurs qui, jusque là, lui étaient fidèles mais il y a eu pire que leur médiocre score (15,63%) : il y a eu les 13,46% du PS en Provence, ses 15,35% en Rhône-Alpes, ses 15,51% en Basse-Normandie, sans oublier les piteux 14,69% infligés aux socialistes parisiens dans le fief de Bertrand Delanoë… Toute interprétation selon laquelle le piètre score du PS en Languedoc-Roussillon serait plus ou moins imputable à un prétendu rejet de Georges Frêche apparaît sans fondement objectif. En arguant des résultats des européennes pour relancer sa campagne contre lui, la coalition anti-Frêche s’ est livrée à un amalgame inapproprié, faussant encore davantage la conclusion qu’elle présentait comme un axiome au-dessus de tout soupçon. En politique, contrairement aux mathématiques, il n’y a jamais de facteur de division absolument irrémédiable.

Bourde politique

Faire de l’exclusion de Georges Frêche la condition sine qua non du rassemblement des forces progressistes aux régionales de 2010, c’est même ajouter une bourde politique à une erreur d’analyse. Car s’il existe un scrutin où le poids des personnalités et des bilans apparaît déterminant, c’est bien le scrutin régional. Or, s’il est un point, en Languedoc-Roussillon, qui fasse l’unanimité à gauche, et bien au-delà de la gauche, c’est bien le bilan de l’action du conseil régional sous la présidence de Georges Frêche. « Un bilan très bon », de l’avis même d’Eric Andrieu, le chef de file audois du PS, pourtant disposé, semble-t-il, à faire barrage au président sortant. Les enquêtes d’opinion disponibles jugent ce bilan globalement positif. Celle qui a été effectuée par TNT Sofres en décembre 2008 situait à 75% le taux de satisfaction des habitants de la région (5). Dans ces conditions, comment faire avaler aux électeurs concernés que la première chose à faire, pour continuer dans cette voie, soit d’éliminer l’homme qui incarne cette réussite? Les électeurs de notre région ne sont pas des gobies. Ce n’est pas par aveuglement ou inconscience qu’ils expriment aujourd’hui leur fidélité à Frêche dans leurs intentions de vote. C’est, d’abord, par pragmatisme. Connaissant leur Frêche depuis un quart de siècle, ils savent mieux que quiconque que ses réalisations doivent autant à ses défauts qu’à ses qualités. Il en fut de même, à Marseille, pendant quarante ans, sous le règne tout aussi « tyrannique » de Gaston Defferre. Si la coalition anti-Frêche ne revoyait pas sa copie, à froid, sa solution -trop aléatoire- risquerait d’aboutir à une impasse suicidaire. Car elle ouvrirait la boîte de Pandore en introduisant de nouveaux facteurs de division dans l’énoncé du problème. On ne réglera pas le « problème Frêche » par l’exécution politique de Frêche. A force d’avoir vécu à couteaux tirés, le PS est en lambeaux. Dans quel état électoral se retrouverait la gauche régionale si elle donnait à son corps électoral le spectacle de la mise au pilori de Georges Frêche sous les applaudissements de ses anciens amis… et les regards ravis de l’UMP? Ce serait d’autant plus absurde, pour elle, que la nouvelle donne régionale donne justement aux uns et aux autres – à Georges Frêche d’un côté; aux Verts et au Front de gauche de l’autre – la possibilité, en effet, d’une solution radicale qui s’achèverait par un dénouement à la Shakespeare: dans un massacre collectif sans rescapé.

Solution de survie

La solution du bon sens, celle de la survie, consisterait, sans doute, à intégrer dans l’énoncé du « problème Frêche », en douceur, les données objectives relatives à l’âge du capitaine; à la certitude que sa carrière politique, de toute façon, au plus tard, s’il est réélu, sera terminée en 2016; à la nécessité de préparer sa succession, sans la gâcher par des initiatives irréfléchies, etc. Afin que, le moment venu, l’ancien maire de Montpellier puisse quitter la scène par la porte haute et non par la porte basse. Affaibli, mais lucide, Georges Frêche n’est plus en mesure d’imposer à tous ses vues sur tout, sauf à préférer le sabordage à la liquidation. Ses censeurs les plus virulents, eux, n’ont ni les moyens de leurs ambitions ni le temps de se les procurer. Toutes ces données plaident en faveur d’une solution négociée, équilibrée, abandonnant le recours contre-productif aux anathèmes. D’un compromis raisonnable qui fasse prévaloir l’intérêt général de la région sur tout le reste. Et qui puisse, l’an prochain, proposer au corps électoral de la région, sur la base d’un programme concerté, le rassemblement de toutes les intelligences, de toutes les forces progressistes de bonne foi, autour d’un nouveau contrat d’intérêt collectif dont Georges Frêche resterait le dépositaire, et ses alliés critiques les garants, dans le cadre d’un pouvoir exécutif équitablement partagé. Dans une région si riche en matière grise, est-ce trop demander?

Alain Rollat

Voir aussi : Rubrique Politique : Frêche et le serment du Jeu de paume, Mandroux et le village Gaulois, Pourquoi la gauche doit rompre avec Frêche, Philippe Guérineaud contre Frêche , Rubrique Livre : Radiographie du système frêche par son ex avocat,  Frêche L’empire de l’influence,