Statistiques délinquance Hérault : La présentation des chiffres 2009 masque un certain embarras

Les vols à main armée en hausse de 33,7%

Unique femme sur les seize membres présents composant l’État major de la sécurité départemental, Guilaine Sévajol a dû se sentir un peu seule hier, à l’occasion de la présentation des chiffres 2009 de la délinquance départementale. La psychologue du commissariat de police de Montpellier intervient, hors cadre procédural, auprès de victimes en situation traumatique. Dans 60% des cas le soutien apporté fait suite à des violences faites aux femmes (21%) ou aux gardes à vue pour alcoolémie au volant (41%) .

A côté d’elle, sérieux comme des papes, les procureurs de la République de Montpellier et de Béziers et les responsables de la sécurité demeurent groupés autour du préfet Claude Baland. Période électorale oblige, la mise en avant de la politique de sécurité publique est un exercice incontournable et délicat où le consensus s’impose.

Malgré les priorités gouvernementales, la délinquance générale stagne (-0,13%) au niveau régional. Elle est réduite de 2,38% dans l’Hérault et progresse de 5,24% dans le Gard. Le bilan synthétique d’un peu plus d’une heure met l’accent sur une baisse de la délinquance de proximité (cambriolages, vols à la tire, destructions et dégradations diverses) de 2,23 % dans l’Hérault. On prend soin de s’attacher aux aspects positifs, comme le taux d’élucidation qui progresse de 7,21%, beaucoup plus qu’à leur réelle signification. On minimise en revanche l’augmentation des violences contre les personnes qui se poursuit (+3,44% après les 10,7% de 2008) liée, selon le chef de la sécurité publique, à des  » déclarations frauduleuses pour se faire rembourser un téléphone mobile.  » A noter l’évolution considérable des vols à mains armée (+33,73%) et des vols avec violence (+11,88%) dans lesquels le préfet voit sans rire une délinquance de substitution liée au progrès de l’industrie automobile en matière de sécurité contre le vol.

Reste la méthode, axe politique modulable à l’image des groupes de travail nommés par Brice Hortefeux où l’on passe indistinctement de commissions  » ordre, autorité, sécurité  » à  » construire un nouveau respect réciproque.  » « Il n’y a qu’une seule méthode, le 100 % respect réciproque », avait souligné il y a quatre mois le ministre de l’Intérieur, en présence de la secrétaire d’Etat à la Ville Fadela Amara avant que celle-ci ne revienne à l’assainissement au Karsher.

A deux semaines des élections professionnelles, des syndicats de police dénoncent pour leur part l’impasse de la politique du chiffre et celle du résultat aujourd’hui sur la sellette faute de résultat justement.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique société les esclaves du capitalisme , rencontre avec  un superflic, Education nouvelle plainte des parents contre le fichier base élève, Justice droits de l’enfant en France, Affaire Villiers-le-Bel, Etude : la hausse de la délinquance des mineurs ne se confirme pas

Entretien avec Armand Mattelard : Société sécuritaire

Armand Mattelard

Armand Mattelard est professeur émérite de sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris VIII. Il était l’invité de la Librairie Sauramps pour un débat sur La globalisation de la surveillance et la décadence sécuritaire

Vidéo surveillance, cartes à puce, tests ADN… nous assistons à une inflation de dispositifs de surveillance. Y a-t-il pour autant moins de violence ?

 » Hélas non, la première mission des technologies de surveillance est de construire le contexte de l’insécurité. Les experts en industrie de surveillance savent très bien que le foisonnement des dispositifs ne garantit jamais un résultat à 100%. Il y a une surenchère des technologies de surveillance et à mesure que l’on progresse, rien n’atteste d’un résultat plus positif du point de vue de la culture du résultat évidemment.

Quels sont les instruments de mesure proposés ?

Des statistiques judiciaires qui reproduisent le flou de la définition de délinquance. A partir du moment où vous ouvrez la brèche vers une définition extrêmement étendue de subversifs, de terroristes, d’incivils, toute personne est susceptible de rentrer dans le registre de la suspicion. C’est une vieille histoire, la contre insurrection doit étendre la sphère des coupables.

Vous faites émerger dans votre essai (1), la mise en place des concepts sécuritaires dans l’histoire…

En France, la doctrine sécuritaire apparaît dans les années 60 et prend forme dans les années 70 au moment où l’on stoppe le flux migratoire et où apparaissent d’autres éléments de crise, comme le premier choc pétrolier. A l’époque, Giscard et Peyrefitte élaborent des documents essentiels pour sensibiliser l’opinion publique au problème de l’insécurité. C’est là qu’on commence à manipuler les statistiques. On peut parler d’un resserrement qui correspond à la confrontation de l’Etat nation à des logiques internationales.

Cette intrusion libérale et sécuritaire ne se limite pas à l’hexagone, ce qui suppose une compréhension des différentes cultures…

Oui, aujourd’hui le paradoxe est que les représentations collectives nous poussent à reconnaître la diversité des cultures, et en même temps, la mise en place de logiques d’uniformisation des normes qui nous gèrent. La gestion sécuritaire se situe en surplomb des cultures particulières qu’elle infiltre.

Vous démontrez aussi comment la société sécuritaire en tant que projet de société globale se confond avec le projet de société libérale…

Sur les cinq continents, le secteur de la finance et celui de la sécurité constituent le flux tendu entre les sociétés et lient des réalités très différentes. La logique sécuritaire est le fruit de la tension et des rapports de force entre la société et l’Etat. État qui dispose du monopole de la violence légitime et illégitime. Chaque fois qu’il y a une impasse dans le rapport entre l’Etat et la société, les régimes d’exception apportent à l’idéologie sécuritaire des éléments qui font sauter des étapes. Historiquement, la Révolution française a occupé le débat du XIXe. Au XXe, c’est le phénomène colonial sans lequel on ne peut comprendre l’idéologie de la contre insurrection, du nettoyage ethnique et du Kärcher.

Où en est la prise de conscience de la classe moyenne française ?

Ce qui est en train de se jouer dans le monde, c’est la déroute des classes populaires par le système néolibéral. C’est sur cette déroute que se construit l’hégémonie d’une nouvelle classe. Dans les classes moyennes, le groupe social des technocrates, inséré dans la structure économique, s’empare du pouvoir. A tous les niveaux règnent des ingénieurs de l’assentiment, du consentement. Une partie de la classe moyenne se trouve embarquée, une autre est rejetée…

Les embarqués sont-ils prêts à abandonner les principes de la démocratie ?

Il reste des zones de négociation. Le problème de la rébellion face au modèle néolibéral est qu’il se focalise sur des points particuliers. Il est difficile de faire le lien pour avoir une appréhension globale du système. Ce qui fait que la question de la sécurité n’est touchée que de façon superficielle.

Comment s’explique la faiblesse de la critique ?

Il n’y a que certains groupes qui sont à l’intérieur de l’institution qui puissent comprendre où cela nous mène, par exemple les magistrats, les universitaires, certains citoyens en prise. Mais dans l’ensemble, nous avons une critique trop corporative. La construction d’alternatives passe aussi par un changement radical de la façon dont ceux qui ont un peu de pouvoir et de connaissance imaginent leurs rôles par rapport à ceux qui ne connaissent pas. Aujourd’hui le problème est le rapport au savoir, pas le savoir abstrait, le savoir qui permet de transformer la société. Mais il faut dépasser le cadre du terrorisme ou de l’antiterrorisme, le délabrement moral qui légitime la torture. Et l’addiction mondiale aux émissions de télé réalité qui privilégient l’humiliation des autres et l’humiliation de soi-même. Le défi est là. La vraie victoire du libéralisme s’est faite au niveau de l’individu. Chacun a du boulot à faire. On ne peut pas se défausser sur les autres. Cette prise de conscience peut être fructueuse si des individus qui pensent la société de façon critique essayent de s’unir en abandonnant leur égotisme. C’est un défaut magistral que nous a insufflé la société de consommation. Nous avons perdu la notion de solidarité au profit de l’idée de concurrence et l’idée de concurrence fonctionne très bien avec l’idée de sécurité. « 

Armand Mattelard La globalisation de la surveillance, La Découverte, 15 euros.
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