Festival de Radio France. Dvorak Chostakovitch deux visages de 1917

Le soliste Edgar Moreau et le chef Andris Poga.  Photo Marc Ginot

Le soliste Edgar Moreau et le chef Andris Poga. Photo Marc Ginot

Concert
Dans le cadre de sa thématique consacrée aux révolutions, le  Festival de Radio France Occitanie  a proposé une édifiante juxtaposition autour de l’année 1917 avec un programme composé du concerto pour violoncelle de Dvorak suivi de la symphonie n° 12 de Chostakovitch

Suivre les traces du récit musical de la révolution de 1917 dont le festival a l’heureuse idée de célébrer cette année le centenaire, nous conduit vers le vaste répertoire slave. Le programme proposé lundi à Montpellier et hier à Toulouse marque le croisement de deux compositeurs dont la destiné impact leur univers musical.

C’est avec le tchèque Antonin Dvorak que débute la première partie du concert avec son célèbre concerto pour violoncelle, dernière oeuvre importante composée aux Etats-Unis où il dirigeait le conservatoire de New-York. L’oeuvre très aboutie est interprétée par l’Orchestre National du Capitole de Toulouse sous la direction du chef letton Andris Poga. Elle transporte le public grâce à l’interprétation soigneuse et vivante du jeune violoncelliste Edgar Moreau.

Avec ce concerto le compositeur de la Symphonie du nouveau Monde qui s’était nourri de musique américaine, revient vers sa culture d’origine sans délaisser les acquis de la confrontation culturelle. Le jeune soliste donne pour l’occasion le meilleur de lui-même en ouvrant l’éventail  de son talent dans le dernier et troisième mouvement où le thème musical qui s’inspire d’air traditionnel fait appel à une spontanéité dont le corollaire est la vivacité d’esprit.

Symphonie de l’année 1917   
Cette même année, alors que la guerre fait rage de l’autre côté de l’Atlantique la révolution Russe de 1917 sera la source d’inspiration de Dmitri Chostakovitch resté sur place. Avant de s’orienter vers une oeuvre purement musicale, l’idée première du compositeur russe était d’écrire une symphonie sur la vie de Lénine en y introduisant des choeurs et des poème de Malakovski.

Dans le milieux des  années 30 Chostakovitch qui défend son indépendance artistique échappe de peut à la terreur. Parmi le peu d’artistes qui le soutiennent on compte Sergueï Prokofiev, Vissarion Chebaline et Dmitri Kabalevski. Durant toute sa vie Chostakovitch aura maille à partir avec le pouvoir pour défendre son art. Il est contraint de faire des concessions. La symphonie n°12 a été composée en 1961. Elle évoque les événements historiques de la révolution russe d’Octobre 1917.

Le contraste avec l’oeuvre de Dvorak est saisissant. L’oeuvre,  créé près de 40 ans après la mort de Lénine, et 8 ans après celle de Staline, est toujours emprunte des contradictions au sein desquelles s’est déroulée sa vie de créateur et  reste cependant d’une étonnante modernité.

Le public ne s’y trompe pas en saluant unanimement la grande qualité d’interprétation de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse notamment de la section  percussion, et la direction inspirée, tout en rondeur,  du jeune chef letton Andris Poga.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 19/07/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique FestivalLe festival de Radio France célèbre la révolution en musique,  rubrique Musique, rubrique Montpellier, rubrique Histoire, rubrique Russie,

Nabokov un auteur hors mesure

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Recueil. Plongée fascinante dans les nouvelles rééditées de Nabokov.

Selon l’adage « tout est dans les livres », les choix éditoriaux peuvent toujours se prévaloir d’être en phase avec quelque chose. Pour le lecteur, les nouveaux livres sont parfois ceux d’hier. Il y a seulement des bons et des mauvais moments pour certains d’entre eux. Côté classique, il y a ceux que l’on est censé avoir lus et ceux que l’on a lus. Se forcer est inutile… Figure géniale de la littérature, Nabokov cumule cette vaine classification et la dépasse. C’est un classique et un moderne dont l’œuvre intemporelle demeure inclassable si bien qu’il peut nous embarquer à tout moment.

« Je suis un écrivain américain, né en Russie et formé en Angleterre où j’ai étudié la littérature française avant de passer quinze ans en Allemagne ». Tel est le portrait que Vladimir Nabokov (1899/1977) trace de lui-même. L’auteur a vécu une existence sensorielle et précaire avant de connaître un succès mondial avec la publication de son roman Lolita en 1955. La publication de ses Nouvelles complètes à un prix abordable (1), offre l’occasion de redécouvrir l’esthétique littéraire nabokovienne. Une écriture de l’exil contraint par La Révolution d’Octobre.

Hauteur céleste

L’écrivain n’est pas, comme il lui a été reproché, un auteur de droite, ni de gauche d’ailleurs. Il se laisse emporter et nous entraîne bien au-delà des clivages par le souffle inspiré du rêve. Son passe-temps favori était la chasse aux papillons. Dans Le Mot, il envie le détachement des oiseaux qui tels des anges suivent librement leur chemin : « Le regard tourné vers les hauteurs célestes. Je voyais leurs yeux, tels des abîmes de jubilation, et dans leurs yeux, l’impassibilité de leur ascension (…) tandis que moi, misérable, aveuglé et pantelant, je me tenais au bord de la route (…) faut-il dire des prières que je leur adresserais, raconter que sur la plus belle des étoiles de Dieu il existe un pays – mon pays – qui se meurt dans d’affreuses ténèbres ? » Son enfance saint-pétersbourgoise, se déroula dans une atmosphère de fête, de confiance et de gaieté insouciante.

Expression paradoxale

nabokov-papillonUn peu à l’image de celle d’Olga, personnage dont il conte l’histoire dans Une beauté russe : « A un moment de son existence, sans doute vers la fin de 1916, on n’aurait pas trouvé, dans la ville d’eaux proche du domaine familial, un écolier qui ne rêva de se tirer une balle dans la tête pour elle… » l’écrivain affirme dans son œuvre l’irréalité de sa réalité. « Mais bientôt la vie s’assombrit. Quelque chose finissait : les gens se levaient déjà pour s’en aller. Comme cela passa vite ! » L’écriture puise dans la douleur ouverte comme un vaste espace où le silence est fertile. Le pouvoir des mots non écorchés s’impose dans un face à face de l’auteur avec lui-même, sans narcissisme. Expression paradoxale d’une dépossession où l’expérience se mue en réalité intransgressable.

Humour fatal

Parfois, comme dans Ici on parle russe, l’imaginaire semble prendre sa revanche sur l’exil. Ici l’écrivain compare l’âme d’un homme à un grand magasin chez qui les deux vitrines sont les yeux. Avec un sens de l’humour fatal, il conte sur le ton d’une gentille blague comment Martyn Martynytch et son fils Pétia, exilés russes devenus propriétaires d’un débit de tabac à Berlin, en viennent à condamner, un ancien membre de la Guépéou (2). Celui-ci qui passe chez eux par hasard, se voit condamné à la peine capitale, avant de bénéficier d’une peine d’emprisonnement à perpétuité dans leur salle de bains.

Nabokov manie l’écriture vérité dite selon les normes maîtrisées de la fiction, à la fois aveux et mensonges, fantaisies et révélations comme dans premier amour. On se délecte de cette narration saisissante d’intensité qui permet de vibrer à l’unisson avec l’auteur.

Jean-Marie Dinh

(1) Nouvelles complètes éditions Gallimard, coll. Quarto, 866 p 25 euros.

(2) Police politique soviétique.