Confucius ou l’éternel retour

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Que ce soit par les Occidentaux ou par les Chinois, au XVIIe siècle en Europe ou aujourd’hui en Chine, Confucius a souvent été instrumentalisé, tour à tour combattu et encensé. Actuellement, c’est surtout une lecture conservatrice de ses « Entretiens » qui est privilégiée.

par Anne Cheng, septembre 2012

Pourquoi Confucius revient-il si souvent dans le contexte de la Chine actuelle ? Comment expliquer que cet antique maître de sagesse, qui a vécu aux VIe et Ve siècles avant l’ère chrétienne, prenne une valeur emblématique deux mille cinq cents ans plus tard, dans la Chine du XXIe siècle, en pleine montée en puissance économique et géopolitique au sein d’un monde globalisé ?

Le nom de Confucius, faut-il le rappeler, est la latinisation du chinois Kongfuzi Maître Kong »), effectuée au XVIIe siècle par les missionnaires jésuites, qui furent les premiers à le faire connaître auprès des élites européennes. D’après les sources de l’Antiquité chinoise, le maître aurait consacré sa vie à former un groupe de disciples à l’art de gouverner un pays et de se gouverner soi-même, dans l’esprit des rites et du sens de l’humain. C’est à la suite de l’unification de l’espace chinois par le premier empereur, en — 221, que son enseignement ainsi qu’un corpus de textes qui lui sont associés sont mobilisés pour constituer le soubassement idéologique du nouvel ordre impérial. Depuis lors, et jusqu’au début du XXe siècle, la figure de Confucius a fini par se confondre avec le destin de la Chine impériale, tant et si bien qu’elle peut apparaître aujourd’hui comme l’emblème par excellence de l’identité chinoise. C’est du moins ainsi qu’elle est perçue dans le monde occidental et qu’elle est présentée, exaltée, voire instrumentalisée en Chine continentale.

On en oublierait presque toutes les vicissitudes que cette figure a connues dans la modernité chinoise, et qui l’ont d’abord fait passer par un siècle de destruction, entre les années 1860 et 1970. Un tournant historique se dessine, en effet, à partir de la seconde guerre de l’opium (1856-1860), qui provoque une prise de conscience par les élites chinoises de la suprématie des puissances occidentales et aboutit en 1898 à une première tentative (avortée) de réforme politique, sur le modèle du Japon de l’ère Meiji (1). Il s’ensuit, au début du XXe siècle, une série de crises dramatiques : en 1905, l’abolition du fameux système des examens dits mandarinaux (2), séculaire et capital soubassement du régime impérial, marque le début d’un processus de « laïcisation » moderne à la chinoise. De fait, la dynastie mandchoue des Qing et, avec elle, tout le régime impérial s’écroulent définitivement quelques années plus tard, pour laisser place, en 1912, à la toute première République chinoise, proclamée par Sun Yat-sen.

Sur le plan symbolique, la crise qui a marqué le plus profondément et durablement les esprits est celle du mouvement du 4 mai 1919, qui reflète les frustrations des intellectuels aux prises avec une réalité chinoise humiliante. Pour eux, la modernité ne peut se définir qu’en termes résolument occidentaux de science et de démocratie, et nécessite de « mettre à bas Confucius », tenu pour responsable de tous les maux dont souffre la Chine, de son arriération matérielle et morale. En se mettant en quête d’un modernisme à l’occidentale, les iconoclastes du 4-Mai poussent dans le même sens que l’analyse marxiste, et relèguent le confucianisme au « musée de l’histoire ».

De Max Weber à Mao Zedong, le vieux maître a été accusé de conservatisme

Au tournant des années 1920, un autre diagnostic, également occidental, condamne encore plus radicalement le confucianisme : celui du sociologue allemand Max Weber, dont la préoccupation est de montrer les dimensions idéologiques (selon lui, l’éthique protestante) des origines du capitalisme en Europe. Pensant avoir identifié les conditions matérielles qui auraient pu rendre possible l’avènement du capitalisme en Chine, Weber en conclut que, si ce dernier ne s’est pas produit, c’est en raison de facteurs idéologiques, au premier rang desquels le confucianisme. Du coup, se débarrasser une fois pour toutes de ce poids mort apparaît comme une condition sine qua non de l’accès à la modernité occidentale.

Une génération après 1919, la date bien connue de 1949 marque, à l’issue du conflit sino-japonais et de la guerre civile, l’établissement par les communistes de la République populaire et la fuite à Taïwan du gouvernement nationaliste, suivi par nombre d’intellectuels hostiles au marxisme, qui observent avec inquiétude, depuis leur exil, la tournure prise par la Chine maoïste. Celle-ci connaîtra un paroxysme destructeur avec la « grande révolution culturelle prolétarienne », qui, lancée par Mao Zedong en 1966 et retombée avec sa mort dix ans plus tard, en 1976, apparaît comme une radicalisation à outrance du mouvement du 4 mai 1919, notamment dans sa volonté d’éradiquer les vestiges de la société traditionnelle.

Or, après un siècle de destruction de l’héritage confucéen, les trente dernières années ont vu s’inverser le processus. C’est à partir des années 1980 que s’observe un renversement spectaculaire, dont les premiers signes se font sentir à la périphérie de la Chine continentale. Du statut d’obstacle irréductible, le confucianisme passe, quasiment du jour au lendemain, à celui de moteur central de la modernisation. L’origine de ce retournement a peu à voir avec le confucianisme lui-même, mais plutôt avec une situation historique et économique inédite : après les dix années de la Révolution culturelle, le modèle communiste révolutionnaire est abandonné de facto en Chine même, pendant qu’à la périphérie on assiste à l’essor économique sans précédent, dans le sillage du Japon, des quatre « dragons » (Taïwan, Hongkong, Singapour, Corée du Sud). Ces « marges de l’empire », en même temps que les « valeurs asiatiques » qu’elles revendiquent, se trouvent ainsi projetées dans une centralité exemplaire et deviennent l’objet de toutes les attentions, en particulier de la part des Occidentaux.

En effet, au moment où le communisme en Chine, mais aussi en Europe de l’Est, connaît une crise majeure, les sociétés occidentales capitalistes croient percevoir des signes de déclin dans leur propre développement. Dans ce contexte, les « valeurs confucéennes » (importance de la famille, respect de la hiérarchie, aspiration à l’éducation, goût du travail acharné, sens de l’épargne, etc.), censées expliquer l’essor d’un capitalisme spécifiquement asiatique, arrivent à point nommé pour remédier à la défaillance du modèle occidental de modernité par son dépassement.

L’occasion d’une éclatante revanche sur la suprématie occidentale

Le facteur déclencheur du retournement des années 1980 est à rechercher dans la situation mondiale ; et son épicentre, à repérer non pas dans les sociétés chinoises à proprement parler, mais dans des milieux chinois occidentalisés et anglophones, aux Etats-Unis et à Singapour. Au milieu de cette décennie, la contagion gagne la Chine populaire, qui, occupée à liquider l’héritage maoïste, voudrait bien se raccrocher aux wagons de l’asiatisme pour, à terme, en prendre la tête. Le confucianisme, vilipendé depuis des générations, voire physiquement détruit, avec un paroxysme de violence pendant la Révolution culturelle qui vient tout juste de se terminer, fait l’objet en 1978 d’un premier colloque visant à sa réhabilitation. A partir de cette date, il ne se passera pas une seule année sans la tenue de plusieurs colloques internationaux sur le sujet. En 1984, une Fondation Confucius est créée à Pékin sous l’égide des plus hautes autorités du Parti communiste. En 1992, Deng Xiaoping, lors de sa tournée des provinces du Sud, cite le Singapour de M. Lee Kuan Yew (3) comme un modèle pour la Chine, au moment où il lance l’« économie socialiste de marché ». De manière ironique, les facteurs qui apparaissaient chez Weber comme des obstacles rédhibitoires au développement capitaliste sont précisément ceux qui promettent désormais d’épargner aux sociétés est-asiatiques les problèmes affectant les sociétés occidentales modernes. Il y a là l’occasion d’une éclatante revanche, attendue depuis au moins un siècle par la Chine et par certains pays de la région, sur la suprématie occidentale.

Si le renouveau confucéen n’a, en réalité, pas grand-chose à voir avec le marché, il sert les fins politiques des dirigeants autoritaires de Singapour, de Pékin ou de Séoul, qui, confrontés à une accélération soudaine du développement économique que les structures sociopolitiques n’arrivent pas à suivre, trouvent commode de reprendre à leur compte les « valeurs confucéennes », gages de stabilité, de discipline et d’ordre social, par opposition à un Occident repoussoir dont le déclin s’expliquerait par son parti pris d’individualisme et d’hédonisme. Dans ce néo-autoritarisme, les idéologues marxistes et antimarxistes se rejoignent sur un point crucial : aux représentations d’un socialisme sans l’Occident martelées par l’utopie maoïste, on substitue l’aspiration à une modernité industrielle, toujours sans l’Occident, sous couvert de « postmodernité ».

La crise financière de 1997 a quelque peu calmé la fièvre du Confucius economicus, mais le retour du vieux maître ne s’en est pas trouvé pour autant stoppé, bien au contraire. Depuis une dizaine d’années (symboliquement, depuis l’entrée dans le XXIe siècle et le troisième millénaire), le processus prend la forme d’un faisceau complexe de phénomènes qui touchent toute la Chine continentale et tous les niveaux de la société. Dans la sphère politique, la priorité des dirigeants actuels est de maintenir la stabilité sociale afin de favoriser une croissance économique à long terme. En 2005, le président Hu Jintao lance son nouveau mot d’ordre de « société d’harmonie socialiste », qui fait suite à d’autres, aux connotations déjà distinctement confucéennes, même si elles ne sont pas explicitées : l’idéal de « société de prospérité relative » de Deng Xiaoping ou la « gouvernance par la vertu » de M. Jiang Zemin. En puisant dans les ressources de la gestion confucéenne du corps social, il s’agit aussi de proposer une solution de rechange à la démocratie libérale de modèle occidental. Aujourd’hui, le seul nom de Confucius, implicitement associé à l’harmonie, est « porteur » sur le marché économique, mais aussi en termes de capital symbolique : outre les fameux Instituts Confucius qui essaiment de par le monde, on assiste en Chine même à une prolifération galopante de Fondations ou de Centres Confucius.

Corollairement, les Entretiens font également l’objet de diverses formes d’instrumentalisation. Pour ce qui est de la propagande politique, un seul exemple suffira : lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, en août 2008, orchestrée par le cinéaste mondialement connu Zhang Yimou, on a vu un tableau dans lequel certains aphorismes tirés des Entretiens étaient scandés à la manière de slogans par des soldats de l’Armée populaire de libération déguisés en lettrés confucéens. Mais c’est principalement dans le domaine éducatif que les Entretiens retrouvent le rôle central qu’ils ont joué durant toute l’ère impériale. Il s’agit là aussi de se prévaloir de pratiques éducatives « à spécificité chinoise », en puisant dans les ressources confucéennes pour remoraliser la société, à commencer par les enfants et les jeunes. A partir des années 1990 sont promues, dans un cadre souvent para- ou extrascolaire, des méthodes « traditionnelles », appliquées dès la petite enfance, de répétition mécanique et de récitation par cœur des classiques (à commencer par les Entretiens). Cet engouement touche également les adultes, à qui sont destinés des cours, séminaires ou stages consacrés aux « études nationales ». Il existe aussi des initiatives privées, prises par des militants du « confucianisme populaire » en milieu urbain ou même rural, qui trouvent avec Internet un vecteur de communication et de diffusion d’une ampleur et d’une efficacité sans précédent.

Un « bouillon de poulet pour l’âme » à la fois simple et conforme à la doctrine officielle

Une autre manifestation du regain d’intérêt massif pour les Entretiens est le livre de Yu Dan, traduit en français sous le titre lénifiant Le Bonheur selon Confucius (4). L’auteure, qui n’a rien d’une spécialiste de Confucius ni même de la culture chinoise traditionnelle, est une experte en communication qui a fait des Entretiens l’un des plus gros succès de librairie de ces dernières années. Ce phénomène médiatique touche un large public, au moyen d’émissions télévisées et de livres comme celui-ci, qui s’est déjà vendu à plus de dix millions d’exemplaires. Sous les dehors attrayants de la brièveté et de la simplicité, il s’agit en fait d’une lecture consensuelle et conservatrice qui, selon ses détracteurs, passe sous silence la critique du pouvoir politique contenue dans les Entretiens et en réduit le message humaniste à du « bouillon de poulet pour l’âme », parfaitement conforme au mot d’ordre officiel de stabilisation sociale. C’est ainsi que dans l’effigie de Confucius, omniprésente dans la Chine d’aujourd’hui, se rejoignent les intérêts de l’« économie socialiste de marché » et les impératifs idéologiques de la « société d’harmonie socialiste ».

Anne Cheng

Source : Le Monde Diplomatique septembre 2012

Anne Cheng. Professeure au Collège de France, chaire d’histoire intellectuelle de la Chine, auteure notamment d’une traduction en français des Entretiens de Confucius (Seuil, Paris, 1981), d’une Histoire de la pensée chinoise (Seuil, 2002) et de La Chine pense-t-elle ? (Fayard, Paris, 2009). Ses cours sont en accès libre (en français, anglais et chinois) sur le site du Collège de France.

(1) L’ère Meiji (1868-1912) marque la volonté du Japon de se moderniser à marche forcée.

(2) Examens imposés pour entrer dans l’administration impériale et formalisés dès le VIIe siècle.

(3) Dirigeant de Singapour qui fut successivement premier ministre, ministre senior et ministre-mentor du premier ministre (son fils) entre 1959 et 2011.

(4) Yu Dan, Le Bonheur selon Confucius. Petit manuel de sagesse universelle, Belfond, Paris, 2009.

Voir aussi : Rubrique Livre, Extraits des Entretiens, rubrique Chine, rubrique Philosophie,

Dossier coopération décentralisée : Le jumelage Montpellier Chengdu

Arrêt de bus Cheng Du. Photo Jmdh

 Chengdu arrêt de bus. Photo Jmdh

La ville de Montpellier est-elle prête pour le grand bond ?

L’inauguration de la Maison de Montpellier au cœur de Chengdu le 16 mai 2006, marque le 25e anniversaire du jumelage entre Montpellier et Chengdu. Coïncidence, cette date correspond aussi au quarantième anniversaire de la révolution culturelle. L’union durable entre les deux villes fut initiée par Georges Frêche en 1981, cinq ans après le décès de Mao. Le maire de Montpellier de l’époque n’a d’ailleurs jamais caché sa fascination pour la puissance politique chinoise dont une des caractéristiques réside dans son utopie, pour le meilleur comme pour le pire. Un quart de siècle plus tard, l’ouverture promulguée par Deng Xiaoping (natif du Sichuan) produit ses fruits et le temps de l’apprivoisement mutuel, entre Montpellier et Chengdu a fait son chemin.

La nouvelle impulsion que tente de donner Hélène Mandroux à cette collaboration s’inscrit dans une nouvelle Chine. Une Chine où le discours idéologique définit toujours le PCC comme le parti dirigeant qui construit le socialisme, mais où l’économie évolue largement en dehors du plan et s’ouvre au monde. Une Chine où les élites politiques chinoises se sont fortement étendues aux élites locales. Au-delà du mythe, les réformes juridiques et institutionnelles, comme le lien d’amitié dont bénéficie Montpellier méritent assurément l’attention du nouveau maire. A l’issue de son troisième séjour à Chengdu, Hélène Mandroux s’est vue confirmer que les portes lui étaient ouvertes. Outre les effets directs sur le plan du développement économique et culturel, l’invention de nouvelles formes de coopération décentralisée participe à la construction d’un nouveau monde. L’organisation de l’échange à différents niveaux est aussi une façon d’échapper à l’intégrisme du marché.

Un dimanche de mai à Chengdu

Conduite par Hélène Mandroux, la délégation montpelliéraine va de surprise en surprise. Vingt-cinq ans après la signature en 1981 du jumelage entre Montpellier et Chengdu, une première nationale en matière de coopération décentralisée franco-chinoise, la lumineuse illusion de Georges Frêche en 1981 est aujourd’hui une réalité. A l’instar du développement local, les Chinois convient leurs homologues à passer à une vitesse supérieure, tandis que les montpelliérains souhaitent maintenir une approche raisonnable pour être à portée des réalisations

Montpellier a une carte à jouer dans le Sichuan. Quarante-huit heures après avoir foulé le sol chinois, les membres de la délégation en sont fermement convaincus. Après un long round d’observation se traduisant par une collaboration ponctuée de petits pas, les échanges d’expériences entre les deux villes se sont progressivement intensifiés et s’accélèrent depuis quelques années. L’acuité de la relation s’est notamment développée en 2002 à l’occasion de la 54 ème foire internationale de Montpellier où Chengdu fut l’invité d’honneur. Ce lien d’amitié entretenu de longue date se traduit également par une augmentation notable des échanges universitaires. Le nombre d’étudiants des deux villes en situation d’immersion culturelle et linguistique est passé de la dimension symbolique à un stade significatif. Chaque année plus de 50 étudiants montpelliérains ayant une bonne connaissance de la langue rejoignent la terre du milieu pour un an afin d’approfondir leurs connaissances. Dans la réciprocité, Montpellier accueille aujourd’hui 300 étudiants Chinois. Et les accords interuniversitaires entre l’Université du Sichuan et l’université Paul Valéry se consolident ce qui devrait intensifier le flux.

Boosté par un contexte très favorable lié a l’attrait économique incontournable de la Chine et à l’ouverture internationale tout azimut, impulsée par le gouvernement chinois, le renforcement des relations s’impose comme une évidence qui n’a pas échappé au maire de Montpellier. C’est la troisième visite d’Hélène Mandroux à Chengdu depuis son accession aux commandes de la ville. Dès son premier voyage, elle a émis le vœu de renforcer les liens. Lors de sa seconde visite, elle a manifesté sa volonté d’ouvrir une antenne sur place, un souhait validé par le Conseil municipal en octobre dernier. Ce troisième voyage en deux ans se concrétisera par l’inauguration de la Maison de Montpellier à Chengdu mardi.

le projet a bénéficié d'une bonne couverture par la presse

le projet a bénéficié d’une bonne couverture par la presse

Vue de Chine, la notion de vitrine s’avère avant tout un levier d’action pour la promotion du développement économique. Soutenu par le maire de Cheng Du, Ge Honglin, le projet a donné une nouvelle dimension à la collaboration. Il a notamment bénéficié d’une bonne couverture par tous les organes de la presse locale. Ainsi les trois millions d’habitants de la capitale du Sichuan, province de 80 millions d’âmes, ont pu être informé de la visite de la délégation montpelliéraine bien avant son arrivée. La presse chinoise a largement relayé l’événement. Elle a notamment souligné l’importance et la diversité de la délégation montpelliéraine composée d’une trentaine de personnes. Les secteurs représentés, à travers les membres de la délégation, pharmacie, recherche, universités, tourisme, congrès, parc expositions, médecine, hospitalisation, vin, environnement, urbanisme, voirie, sont autant de pistes que les chinois entendent explorer avec pragmatisme. Samedi, l’accueil de la délégation par la ville de Changedu a été marqué par la présence du premier secrétaire général adjoint du district, Li Chun Cheng, qui a affirmé pour la première fois son soutien au partenariat engagé. Une marche semble donc avoir été franchi dans la hiérarchie à travers la présence de ce dignitaire qui préside aux destinés des sept districts de Chengdu. Un territoire de 10 millions d’habitants qui affiche un taux de croissance de 11%.

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Un territoire de 10 M d’habitants qui affiche un taux de croissance de 11%.

Dimanche, la délégation montpelliéraine s’est rendue à Qionlai, ville historique de 2 300 ans qui fut en son temps la porte de départ de la route de la soie. La délégation française a profité d’une impressionnante reconstruction historique donnée en son honneur. Signe d’hospitalité et de respect, le maire a reçu les clés de la ville à l’issue d’une cérémonie en costume retraçant la tradition d’accueil des commerçants d’antan devant une population massée en nombre aux portes de la vieille ville. C’est la première fois que Qionlai reçoit une délégation française. Dans l’après-midi un partenariat a été initié entre Montpellier et le district de Qionlai, berceau de la pharmacie traditionnelle chinoise qui enregistre un fort taux de développement.

Ces deux premières journée vont se poursuivre par deux journées en groupe de travail associant les professionnels français et chinois pour approfondir les pistes d’un partenariat que chacun espère fructueux. Les premiers échanges avec les autorités démontrent une réelle détermination à faire bondir l’amitié dans le concret. Une chance à saisir sur un marché très disputé qui pose néanmoins un problème d’échelle. Avec la force que possède le réel chinois et sa capacité de développement en un temps record, il importe de saisir les bonnes perches sans tarder, et de savoir mutualiser les moyens.

Sichuan Province pilote de l’ouverture économique

Aux portes du Tibet, la capitale du Sichuan est une ville agréable. Les Chinois disent qu’il fait bon y vivre. La cité a pourtant connu une extraordinaire mutation au cours des 15 dernières passant d’une architecture traditionnelle à une mégapole où les tours continuent de monter à une vitesse impressionnante. Depuis la nuit des temps, les quatre fleuves nés des plus hauts sommets du globe viennent creuser et fertiliser le Sichuan, province de 80 millions d’habitants réputée pour sa civilisation et ses soieries.

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les tours continuent de monter

Dès les années 70, la politique de développement économique a été expérimentée autours de Chengdu, sous l’impulsion d’un de ses illustres enfants Deng Xioping. C’est dans cette province que le successeur du grand timonier a testé sa formule avant de l’appliquer à l’ensemble du pays.

Il a commencé par relancer l’agriculture, puis à industrialiser les campagnes pour assurer un développement efficace reposant sur les possibilités locales. Après la mort de Deng en 1997, Jiang Zemin s’attellera à intensifier l’ouverture en s’appuyant sur trois pierres angulaires. Celles du développement, du parti et du nationalisme.

Le résultat se mesure encore bien à Chengdu quelque peu excentré par rapport aux grandes mégapoles de la côte Est. Ici aussi le triomphe économique bascule dans la société des campagnes vers la ville. « On construit deux hôtels et un palais des congrès trois fois comme le Corum de Montpellier en 8 mois », s’émerveille Eric Berard, le directeur de la SERM. Mais les problèmes liés à la rapidité des changements préoccupent les responsables chinois du développement urbain qui ont sollicité des conseils sur la gestion équilibrée de la population. « La question de l’assainissement est particulièrement aiguë, témoigne l’adjoint au maire Michel Passet, les nappes phréatiques sont polluées pour 200 ans. » Sur ce terrain aussi, les partenaires doivent trouver de l’audace. »

L’ouverture d’un local sur place est un critère déterminant.

La délégation montpelliéraine qui s’est rendue à Chengdu la semaine dernière initie une nouvelle étape dans la collaboration entre les deux villes. L’ouverture d’un local sur place pour favoriser les rencontres s’avère un critère déterminant. A l’issue d’une visite officielle de quatre jours les feux sont au vert pour une intensification des échanges. Les Montpelliérains entendent approfondir les projets débattus pour passer au stade des réalisations.

De retour de Chengdu, capitale de la province du sud ouest de la Chine, Hélène Mandroux affirme sa satisfaction : « Nous avons bien travaillé. Il faut maintenant faire vivre la Maison de Montpellier à Chengdu. ». Le Maire s’est muée durant quatre jours, en ambassadrice aguerrie magnant le compliment avec dextérité pour présenter les attraits de la 8 éme ville de France. « Les tailles de nos collectivités sont différentes mais l’exigence de qualité est la même, a-t-elle fait passer au premier secrétaire général adjoint de la province.

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Dans le district de Qionglai

Dans le même temps, la délégation œuvrait à préserver l’harmonie dans un tourbillon de propositions pour traduire le rapprochement en termes de projets concrets. Le passage de la délégation dans le district de Qionglai a permis de mesurer l’intérêt du patrimoine naturel de cette région qui abrite à elle seule, la moitié de la population mondiale de pandas. Les autorités chinoises locales ont sollicité leurs homologues pour favoriser le développement du tourisme. Un point que l’office du tourisme de Montpellier devrait pouvoir satisfaire sans difficulté en diffusant des informations sur cette destination. Par ailleurs, la Foire de Montpellier, représentée par François Barbance et Alain Formentin, agira de concert en réservant une place privilégiée, aux attraits économiques et touristiques de Chengdu et de ses alentours. De son coté, Chengdu s’engage à valoriser la destination montpelliéraine dans tous les salons où elle est représentée.

Secteur viticole

L’échange commercial entre les deux villes jumelles concerne également l’exportation de vins régionaux. Alors que les importations de vin paraissent saturées sur les zones urbaines de la côte est, le Sichuan, offre encore des opportunités. « Il faut s’adapter. Quand on sait que 80% des importations de vin en Chine correspondent à du vrac, Il est peu réaliste de mettre en marché des bouteilles, explique Pierre de Colbert, président des Grès de Montpellier : Les Chinois sont demandeurs en terme de conseils et de formation. Ils ont aussi évoqué la construction d’une usine d’embouteillage. Le Sichuan est peu propice à la culture de vigne. C’est un atout à saisir pour l’implantation des opérateurs français. »

Secteur médical

Mais c’est sans doute dans le domaine médical bien représenté, que l’échange à été le plus fructueux. La présence des doyens de la faculté de médecine et de pharmacie, du directeur du CHU Alain Manville, et de l’entreprise Sanofi a permis de nourrir le pôle de réflexion sur les projets envisageables. Sur plus de vingt pistes envisagées lors des séances de travail, trois projets restent d’actualité. Et l’axe d’échange semble tracé. La médecine chinoise, plurimillénaire dont Chengdu est un des berceaux intéresse le pôle médical de Montpellier. C’est une des conclusions qui ressort des ateliers de travail tenus en Chine la semaine dernière. En Europe, Montpellier est connue pour sa vocation médicale précoce. Par ailleurs, le fait que la ville soit aujourd’hui, conduite par un médecin, n’a pas échappé au corps médical chinois. Ainsi, la création d’un diplôme universitaire de médecine chinoise sur Montpellier devrait voir le jour dès la rentrée 2007. « La médecine chinoise dispose d’une approche totalement différente de la notre, explique Alain Terol, doyen de la faculté de pharmacie, nous prenons en compte les effets alors que les Chinois s’attaquent aux causes. » A moyen terme, le directeur du CHU, Alain Manville est disposé à ouvrir le premier service français de médecine chinoise traditionnel. Les Chinois sont aussi demandeur de formation dans différentes spécialités. « Nous avons envisagé la possibilité de retransmettre par satellite des intervention en chirurgie de la main », confirme Jacques Touchon. Chengdu a aussi demandé une collaboration montpelliéraine pour la création d’un centre de fécondation in vitro et d’une unité de diagnostic pré-ambulatoire. Ce dossier qui fait appel à des techniques de pointes, est pour l’heure «à étudier ». Il en va de même pour la déclaration d’intention qui devait conclure l’intensification des échanges entre les deux villes jumelées. Un accord, qui sied en apparence parfaitement aux autorités chinoises, a été trouvé pour se donner le temps d’approfondir.

Jing hong Liu dirige la Maison

dir-maisonDénichée par le délégué aux relations internationales, Bernard Fabre, cheville ouvrière du jumelage, Jing hong Liu a effectué un stage de deux ans à la Maison des relations internationales de Montpellier. C’est la nouvelle responsable de la Maison de Montpellier à Chengdu. Elle aura notamment pour mission de promouvoir la ville et sa région à travers la présentation et la commercialisation de produits et l’organisation de manifestations thématiques. Elle œuvrera également à partir de l’antenne montpelliéraine pour faciliter les rencontres en vue d’éventuels partenariats et pour promouvoir le développement économique de Montpellier ainsi que ses richesses culturelles. Une mission qui ne paraît pas hors de la portée de Jing hong Liu. Tombée en amour pour la France après avoir lu Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Mais au-delà du coté fleur bleue, la jeune femme a ses entrées dans les réseaux du pouvoir local. La rémunération de son poste est partagée entre Montpellier et Chengdu.

Soutien du consul général

Le consul Général

Jacques Dumasy

Dans le cadre de l’année de la France en Chine, Chengdu a reçu Jacques Chirac en octobre 2004. C’est à l’issue de cette visite que le président a donné suite à la volonté du Président Hu Jintao d’amplifier le développement des relations franco-chinoises notamment de l’ouest de la Chine. Ainsi, depuis octobre 2005 un consulat français à ouvert ses portes dans la capitale du Sichuan. La circonscription consulaire couvre une zone de 200 millions d’habitants qui comprend le Sichuan, le Yunnan, le Guizhou et la Municipalité autonome de Chongqing. « Le ministère des finances et le ministère des affaires étrangères se sont entendus pour soutenir les entrepreneurs français dans la région, plaisante le consul général Jacques Dumasy, une série d’entreprises comme Alstom, Lafarge, Groupama, BNP Paris Bas, Carrefour, Auchan… étaient déjà présentes sur place ». »>La création du consulat et de l’Alliance française où 500 Chinois apprennent déjà notre langue, vise à développer une nouvelle vague d’implantation et à réduire le déficit de notre balance commerciale. Dans ce contexte les instances consulaires se déclarent prêtes au croisement d’intérêts avec Montpellier, pour être un pôle d’entraînement auprès des opérateurs français. « Les coûts de production sont plus intéressant ici, confirme le consul général, les fonds immobiliers et la main d’œuvre qualifiée sont deux fois moins élevés que dans l’est du pays et les démarches sont facilitées par les autorités locales. » Quelle place réserver à la coopération décentralisée et à la Maison de Montpellier ? « Montpellier bénéficie d’une antériorité et nous ne sommes pas de trop, compte tenu de l’ampleur de la tâche », assure Jacques Dumasy.

Coopération décentralisée : Nécessités possibilités obstacles

L’approche chinoise s’est mesurée en partie à l’aune du contenu du protocole pour affirmer la volonté de collaboration. Elle s’est aussi traduite par la volonté chinoise de montrer les besoins sur le terrain. Montpellier a visiblement une carte à jouer mais la partie n’est pas gagnée

De la rencontre et du voyage naissent les interrogations. A première vue, les besoins chinois paraissent sans commune mesure avec ce que nous connaissons. « Cette fois on mord dans le sujet, confie Louis Pouget, adjoint au maire délégué à la voirie, Nous sommes limités du fait que nous ne passons pas par les mêmes dispositions pour arriver à un résultat analogue. » C’est le défi que Montpellier doit relever si elle veut franchir une étape avec ses collaborateurs chinois. En d’autres termes, comment intégrer et inscrire un partenariat dans une dimension où l’échange paraît peu réalisable et plein de malentendus.

La compréhension de la différence apparaît comme une nécessité pour se retrouver sur des valeurs partagées. L’existence des différences culturelles pousse à inventer de nouveaux savoir-faire pour impliquer l’autre dans la relation mais ne saurait pour autant, masquer notre commune humanité. Une ville comme Chengdu offre bien des possibilités ; encore faut-il pouvoir évaluer les offres et les demandes émises par les autorités chinoises. Comment faire le tri dans une telle profusion ?

Jean-François Vergnaud

Jean-François Vergnaud

« L’organisation chinoise est pyramidale et il y a des petites pyramides dans la grande pyramide, explique le sinologue Jean-François Vergnaud, l’Etat central préside à la destinée des grands investissements mais il faut saisir les formes de l’autonomie locale qui sont loin d’être négligeables. » La montagne est haute l’empereur est loin, rappelle un proverbe chinois. Le cheminement vers la connaissance réciproque implique aussi de connaître les capacités des partenaires. Aujourd’hui, la nouvelle génération au pouvoir en Chine est formée dans les meilleures universités et les Chinois disposent d’une force d’investissement à la hauteur de leurs ambitions. « La langue de bois est plutôt française, parce que nous n’avons pas les moyens de notre politique», constate un observateur averti.

Malgré la différence d’échelle, Montpellier bénéficie d’une amitié entretenue depuis 25 ans. La relation de confiance fait sens pour les décideurs chinois. L’importance du rapport culturel ne doit pas être sous estimé et cela passe en premier lieu, par une intensification des formations linguistiques. A charge pour Montpellier de canaliser les énergies. Pour aboutir, la ville doit maintenant obtenir le soutien concret des autres collectivités, à commencer par l’Agglomération et la Région, voir les chambres consulaires. Elle doit aussi jouer un rôle d’interface avec les entreprises locales concernées, et coordonner les initiatives par secteur d’activité.

Enfin Montpellier consolidera l’échange si elle offre des clés à ses partenaires chinois sur la subtilité des processus de décisions. Il faudra également observer comment les Chinois prendront leur part de responsabilité dans la gestion de la relation. Les opérateurs le savent, il faut bien connaître les méandres de la décentralisation chinoise pour faire avancer les dossiers. L’ouverture de la Maison de Montpellier à Chengdu correspond à une nouvelle étape qui consiste à mettre l’accent sur la préparation des réseaux humains.

Dossier réalisé par Jean-Marie Dinh

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