Des magistrats dans le mouvement social

Sondage sécuritaire

Ce soir*, le cycle de débats Justice critique organisé par la librairie Sauramps, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France reviendra sur l’essai « Les mauvais jours finiront » publié à l’occasion du quarantième anniversaire du Syndicat de la magistrature (S.M).

Fondée le 8 juin 1968, cette structure représente actuellement un tiers des magistrats. A l’époque, la création d’un syndicat judiciaire n’allait pas de soi, rappelle le magistrat Gilles Sainati qui a coordonné l’ouvrage : « Depuis son origine le S.M. s’est donné pour objet de réveiller un corps de la magistrature qui oublie souvent son rôle central. Les deux engagements de fond poursuivis concernent le fait de mieux assumer notre mission et celui d’améliorer le fonctionnement de la justice pour les justiciables »

Né dans le tumulte des événements de mai, les courants d’idées qui ont influé sur le syndicat dépassent 68 en s’étendant du catholicisme social au marxisme dialectique en passant par Foucault et Bourdieu. La défense des droits de l’Homme et des conditions de détention n’est pas sans lien avec l’expérience marquante vécue par certains magistrats durant les années 1939-1945 ainsi que pendant la guerre d’Algérie.

Magistrats et mouvements sociaux

Sur le terrain social, le positionnement anti-corporatiste du S.M. déclenche à sa création une certaine suspicion des confédérations syndicales qui s’estompe avec le temps. « Depuis l’affaire Lip, le S.M. n’a pas hésité à plonger dans la réalité sociale de tous les jours en soutenant le droit des ouvriers et des salariés. Nous sommes aussi montés aux créneaux pour dénoncer la pénalisation de l’action syndicale et la dépénalisation du droit des affaires. Aujourd’hui nous entretenons des relations équidistantes avec la CGT, la CFDT et SUD et appelons nos adhérents à rejoindre les mouvements sociaux. »

Si la volonté de réforme d’une institution biaisée au détriment des plus défavorisés, prend tout son sens face aux gouvernements de droite, à partir de 1981, l’arrivée de la gauche au pouvoir complique la donne de par la convergence de valeurs. Une proximité difficile à gérer qui plonge le syndicat successivement dans l’espoir avec la suppression de la peine de mort et la déception liée à la politique d’immigration.

Gilles Sainati, qui assumait la fonction de secrétaire général du syndicat entre 1998 et 2001, doit gérer les relations houleuses liées au positionnement sécuritaire du PS incarné par les ministres de l’intérieur Chevènement puis Vaillant dont la loi sur la sécurité quotidienne votée après le 11 septembre, marque le recul des libertés fondamentales. La caporalisation du parquet En 2004, la loi Perben II instaure la procédure d’exception sans l’intervention d’un juge d’instruction, accentue le populisme pénal au détriment des étrangers et des mineurs.

2005 marque le recours à l’état d’urgence et à la troisième voie qui permet la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le S.M. dénonce le triomphe de la conception policière de l’enquête. « Depuis 2001, la population constate que l’on n’a pas toujours tort, constate Gilles Sainati, le mandat de Sarkozy se caractérise par la suppression de tous les contre-pouvoirs. Mais en cas d’alternance en 2012, je crains que nous ayons les mêmes débats à propos de la politique sécuritaire. »

Jean-Marie Dinh

*A 19h30 Salle Pétrarque, débat avec Gilles Sainati et Jean-Jacques Gandini autour de l’essai sur le Syndicat de la Magistrature « Les mauvais jours finiront : 40 ans de combats pour la justice et les libertés » éd, La Fabrique.

Voir aussi : Rubrique Justice, le fichier Base élève, les risques du projet de réforme de procédure pénale , juge favorable à la position policière, rubrique Rencontre Dominique Shnapper, Laurent Mucchielli, Liens externes, Le blog de Gilles Sainati,

De l’art d’omettre

Le flux de l’édition ne s’arrête jamais. Tout va trop vite. Dans les deux premiers mois de cette année, 547 nouveaux romans seront publiés dont 182 étrangers. A cela s’ajoutent les essais et les documents dont nous vous proposons une petite sélection. Cinq livres à lire pour ouvrir les horizons. Certains sont de la saison dernière, deux ont été écrits par des auteurs de la région (1).

On a quelques regrets d’avoir passé à la trappe quelques-uns des bons livres de la précédente rentrée. Pour bien faire, il faudrait évaluer notre dépendance à l’actualité. Le souci d’exhaustivité est définitivement vain. Dans  » Le Bonheur des petits poissons  » (chez J.C. Lattès), Simon Leys parle des écrivains, et de plein d’autres sujets. Il constate que :  » Beaucoup d’individus robustes et bien adaptés semblent ne guère avoir besoin de vie imaginative « . Si cette tendance se généralise, le problème sera réglé. Mais Leys cite plus loin le Péruvien Mario Vargas Llosa qui a donné la meilleure définition de notre commune condition :  »  La vie est une tornade de merde, dans laquelle l’art est notre seul parapluie.  » L’équilibre reste difficile et le temps – de lire – toujours pas compressible. Greenaway était hier l’invité de Sauramps. Le cinéaste un peu barré se lance dans un projet de 100 livres à paraître sur 10 ans, une sorte d’abrégé encyclopédique qui examine dans le détail 100 ans de l’Histoire d’un vaste continent. Certain pensent qu’ils trouveront là une lecture propre à leur assurer un sain développement intellectuel. Ils se trompent. Ce ne sont que des fragments d’Histoire qui interrogent les frontières entre l’histoire et la fiction selon l’idée qu’il n’y a pas d’Histoire comme telle, seulement des historiens. La durée de vie moyenne s’allonge mais pas celle des livres. Que fait-on contre Alzheimer ?

(1) JC Michéa enseigne la philo au lycée Joffre et Gilles Sainati est magistrat à Béziers.

 

Gilles Sainati & Ulrich Schalchli : La décadence sécuritaire

Les deux auteurs ont été secrétaire général du Syndicat de la magistrature entre 1999 et 2002. Ils signalent dans cet ouvrage que l’irréversible est en train de se commettre.  »  nous faisant oublier que si la  » sûreté  » était inscrite dans la constitution de 1791, il s’agissait de protéger les individus contre l’arbitraire du pouvoir. Le livre explique comment la  » tolérance zéro « , d’importation américaine, s’est imposée dans la pratique judiciaire française. Comment l’idéologie techno-sécuritaire a remplacé la notion du juste par celle du rendement chiffré de la justice. Comment on en arrive à punir des infractions qui n’existent pas.

Editions de la Fabrique 14 euros

 

Louis Chauvel : Les classes moyennes à la dérive

Privilégiées ou condamnées ? Les classes moyennes ne connaissent certes pas les difficultés des plus déshéritées. Mais leur apparent confort dissimule un cruel déficit d’avenir. Tandis que nous nous inquiétons de ses marges, c’est peut-être en son cœur que la société française se désagrége. Où est ce cœur ? Il ne s’agit pas seulement d’un  » juste milieu  » entre l’élite et les classes populaires. La centralité des classes moyennes tient d’abord à l’imaginaire de progrès et d’émancipation qui leur fut longtemps associé. C’est cet imaginaire qui s’effondre aujourd’hui. De même qu’elles associèrent les autres à leurs succès, les classes moyennes les entraînent à présent dans leurs difficultés. Leur dérive pourrait devenir demain le cauchemar de tous.

Editions du Seuil 10,5 euros

 

Simon Leys: Le bonheur des petits poissons

Depuis toujours Simon Leys a privilégié les textes courts, incisifs pour défendre ses idées, pour livrer ses observations sur notre monde. Le bonheur des petits poissons regroupe des chroniques publiées par l’auteur dans le Magazine littéraire. Une promenade où voisinent sans logique apparente réflexions sur l’art et chroniques de notre temps, sur ses excentricités, ses paradoxes, ses idées fausses. Des réflexions sur les rapports qu’entretiennent les écrivains avec la réalité, l’art de la litote, la critique, l’angoisse de la page blanche, l’argent s’entrecroisent avec une diatribe contre l’interdiction de fumer, une comparaison entre les livres qui doivent accompagner les expéditions polaires, le mal de mer de Conrad ou encore un paradoxal éloge de la paresse…

Editions JC Lattès, 17,5 euros

 

 Jean-Claude Michéa : L’empire du moindre mal

 Le libéralisme n’était pas loin de tenir sa promesse du plus grand bonheur pour le plus grand nombre. C’est que, relève J.-C. Michéa, il reposait encore sur des éléments de la morale de l’ancien temps, comme le sentiment de loyauté, qui rend tout simplement possible les affaires. Mais au stade avancé auquel est arrivée la société libéralisée, une mutation s’est opérée, qui risque fort de se retourner contre le monde libéral : le marché et le droit ont été érigés en morale – alors même que le libéralisme était censé nous prémunir de la morale expulsant les derniers éléments du sens de l’amitié, de l’entraide, de la réciprocité, de la loyauté…qui nous permettaient encore de faire société, et en particulier de nous faire plus ou moins efficacement marchands.

Editions Climats 19 euros

 

Peter Greenaway : Grandeur & Décadence du Théâtre de Gestes

 Il se peut que des événements qui se sont déjà produits dans l’Histoire du monde au cours des cinq derniers millénaires puissent être perçus et reconnus, bien qu’en apparence déformés, ré-imaginés, regardés à travers un miroir, en fait entièrement revisités avec des issues différentes. Grandeur & Décadence du Théâtre de Gestes est le premier de la série des Historiens. Peter Greenaway y évoque l’histoire du langage silencieux qu’est le geste dans le théâtre, prétexte à la création d’un récit qui fait appel à la participation imaginative du lecteur en jouant sur la représentation muette du langage qu’est le texte en train de se lire.

  Editions Dis Voir, 20 euros