La France en voie de surendettement ?

Un Etat peut-il durablement vivre à crédit ? La France, qui vient de présenter un budget lourdement déficitaire, n’échappera pas à la question: sa dette publique pourrait prochainement dépasser 90% de la richesse nationale produite en un an.

Comme toujours depuis 1975, le gouvernement s’est de nouveau résigné à une implacable réalité: l’an prochain, les dépenses publiques dépasseront de loin les recettes, occasionnant un déficit record de 8,5% du produit intérieur brut (PIB) et nécessitant le recours à la dette pour financer l’Etat, les collectivités locales et les comptes sociaux.

« Pour deux euros qu’il dépense, l’Etat n’en perçoit qu’un seul », résume Elie Cohen, économiste au CNRS, comparant le fonctionnement du pays à celui d’un « ménage qui aurait dépensé tous ses revenus le 15 du mois ».

La situation n’est pas nouvelle, mais s’aggrave à vue d’oeil. Après avoir quasiment triplé entre 1980 et 2000, la dette publique devrait, sous l’effet de la crise et des mesures de relance, atteindre 1.654 milliards d’euros en 2010, soit 84% du PIB, avant de s’envoler en 2013 à 91%.

Reléguant aux oubliettes la limite fixée par l’Europe de 60% du PIB, la France rejoindra alors le quarteron de pays développés qui vivent avec un endettement massif, et notamment le Japon, dont la dette devrait flirter avec les 200% de son PIB l’an prochain, selon l’OCDE.

« La dette n’est pas un problème en soi. Le problème, c’est qu’on doit la payer », souligne Charles Wyplosz, de l’Institut des hautes études internationales de Genève.     Pour se financer, la France emprunte de l’argent auprès des marchés financiers en émettant des obligations rémunérées à des taux d’intérêt qui varient selon leur durée de vie.

L’opération, routinière, est coûteuse pour les finances publiques. Le paiement des intérêts, autrement dit la charge de la dette, devrait constituer le deuxième poste de dépenses de l’Etat en 2010 après l’enseignement scolaire, et mobiliser plus de 42 milliards d’euros.

Et ce poids pourrait encore s’alourdir. « La dette souscrite l’an prochain sera plus chère parce qu’elle sera financée à des taux plus élevés » qu’aux niveaux actuels qui sont historiquement bas, souligne Benjamin Carton, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).

La France devrait certes continuer à se financer sans mal sur les marchés et à séduire des investisseurs rassurés par la garantie étatique. Mais l’augmentation mécanique de la charge de la dette « empêche d’investir sur des dépenses d’avenir, telles que l’éducation, la recherche ou la santé », déplore Michel Bouvier, enseignant à La Sorbonne.

Selon les experts, l’ampleur de la récession mondiale a rendu nécessaires les mesures budgétaires et le creusement de la dette. Mais le niveau qu’elle avait atteint avant même le début crise est pour eux injustifiable.

« La vraie raison, c’est que les gouvernements aiment bien dépenser pour plaire à leurs +clients+ et oublient toute discipline à l’approche des élections », dénonce M. Wyplosz.

Pour casser ce cycle de la dette, les remèdes ne sont pas légion et ont tous le goût de la rigueur: il faudra augmenter les impôts et réduire –ou mieux maîtriser– certaines dépenses publiques.

Le temps presse. Selon la Cour des comptes, la seule charge de la dette représentait en 2008 environ 2.000 euros par an et par actif. Si rien n’est fait, « les Français devront donc payer plus pour rembourser plus », avait lancé en juin son premier président, Philippe Séguin.       Un chose est sûre: dans ce contexte, le débat autour du grand emprunt voulu par Nicolas Sarkozy, qui pourrait atteindre 100 milliards d’euros et creuser considérablement la dette, s’annonce orageux.

Les solutions de sortie de crise se heurtent au vide politique

Frédéric Lordon

Cela fait quinze ans que Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS, se penche sur les montagnes russes du marché financier. Il fait partie de la petite minorité d’experts de la finance qui se distinguent des 95% formés pour défendre le système. Lordon identifie ce qui est vicié dans la finance du marché. Jusqu’ici, on faisait semblant de ne pas l’entendre. A l’instar de Don Quichotte, il apparaît depuis l’automne 2008 comme le héros problématique dans un univers dégradé.

Invité par l’Université Populaire Montpellier Méditerranée, il a donné une juste mesure du marasme qui a débuté avec la contamination des prêts hypothécaires à risque (subprimes) diffusés aux Etats-Unis depuis 2001.

L’injection de finances publiques est absorbée

« L’injection des finances publiques dans le secteur bancaire ne viendra pas à bout de la contraction des crédits, affirme le chercheur. Plutôt que de renflouer les banques, il aurait fallu consacrer cet argent à restaurer les ménages à un niveau solvable pour sauver les banques. » En d’autres termes le plan Paulson (secrétaire au Trésor de G.W Bush), 700
Md$ financés par le contribuable pour assainir le système financier mondial, est un coup d’épée dans l’eau.

Curieusement absent du débat lors des élections européennes, le plan de relance commun européen devrait passer par un doublement de l’UE au financement du FMI qui passerait de 250 Md à 500 Md de dollars sans débat approfondi au Parlement (Mais le chèque signé de l’UE est pour l’instant de 5 Md$). En revanche 400 Md$ vont être débloqués dans le cadre des plans de relance nationaux.

L’onde de choc se poursuit

Depuis l’automne 2008, les actifs «toxiques» dont les banques cherchent à se débarrasser, ne cessent d’affluer. Le plan américain est passé à 1 000 Md$ et la crise s’accroît de manière cumulative. « En novembre, on est entré en récession. L’explosion des mauvaises dettes des ménages s’est transformée en dette des entreprises. Dans ce contexte, vous pouvez renflouer les banques, elles ne se mettront pas à prêter. Parce que pour un banquier, il devient rationnel de ne plus prêter. » Mais si Frédéric Lordon dénonce le plan de sauvetage bancaire comme un scandale, il admet pourtant sa nécessité. « La densité des flux croisés interbancaires fait que la faillite d’une banque entraîne un risque systémique d’écroulement. C’est-à-dire la volatilisation soudaine de tous les avoirs bancaires. Et cela justifie pleinement l’intervention des Etats qui n’ont pas le choix.» Les dernières évaluations du FMI, qui estime les pertes bancaires à 4 000 Md$ et les moins values boursières à 50 000 Md$, donnent une rapide idée de ce qui nous attend.

Montage Alambic'up

Montage Alambic'up

Les propositions

Une fois n’est pas coutume, après l’énoncé des problèmes, le chercheur esquisse les solutions qui appellent à une modification radicale du système. Et notamment celles qui permettent aujourd’hui aux banques de prendre en otage le gouvernement. Frédéric Lordon se prononce pour l’interdiction de la titrisation qui permet aux banques qui ouvrent un crédit de s’en défausser immédiatement. De reprendre le contrôle des entreprises de bourse par leur nationalisation. D’interdire les transactions de gré à gré. D’instaurer une politique monétaire antispéculative en distinguant les taux d’intérêts spéculatifs des taux réels. Et de réviser les formules de rémunération des traders. Ces mesures sont développées dans son dernier livre*. « Leur moyen d’application a déjà été inventé, affirme-t-il, cela s’appelle la conditionnalité. Elle est mise en œuvre par la Banque mondiale et le FMI pour les pays du Sud. »

Ce n’est pas la méthode qui fait défaut, c’est la volonté des gouvernants. « L’ampleur de la secousse est telle qu’elle ouvre une fenêtre d’opportunité politique », insiste le chercheur. Pour l’heure, avec 30% du PIB mondial et un espace économique autosuffisant, l’UE joue la stratégie de la chaise vide et B. Obama vient de renoncer à une législation posant de manière restrictive des limites à la rémunération des patrons et hauts cadres des sociétés financières. Le Président américain préfère s’en remettre au sens éthique des actionnaires. Mais comme le dit Frédéric Lordon dans son livre : « On n’imagine pas une sortie de l’esclavage par appel à la vertu des planteurs ! »

Personne ne sait ce qui va se passer dans les mois qui viennent…

Jean-Marie Dinh La Marseillaise


Dernier ouvrage paru : La crise de trop, Editions Fayard 19 euros

Voir aussi : Rubrique Finance La spéculation attaque l’UE par le Sud, Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, Le Sénat américain  adopte un paquet de dépense,

France: record du nombre de dossiers de surendettement déposés en mars

Economie-finance-banque-consommation   PARIS, 4 mai 2009 (AFP) – Le nombre de dossiers de surendettement déposés auprès de la Banque de France a atteint un record en mars, à 21.747, a indiqué lundi l’établissement, confirmant une information du quotidien Libération. Dès février, le nombre de dossiers avait déjà dépassé la barre des 20.000, selon la Banque de France, qui n’a pas souhaité communiquer le chiffre exact, pour la deuxième fois après mars 2004.

Sur les trois premiers mois de l’année, 58.188 dossiers ont été déposés.
Le nombre de dossiers déposés en mars est le plus important depuis 1990, date de création des commissions de surendettement. En 2008, la Banque de France a enregistré 188.485 dépôts de dossiers, un record, dont 158.940 ont été jugés recevables. Le nombre de dossiers est resté stable ces cinq dernières, évoluant entre 188.176 en 2004 et 188.485 en 2008.

Depuis février 2007, le nombre de ménages surendettés en cours de désendettement s’est stabilisé légèrement au-dessus de 700.000.
La ministre de l’Economie Christine Lagarde a présenté le 22 avril un projet de loi encadrant le crédit à la consommation, afin notamment de mieux prévenir le surendettement des ménages.

La réforme vise particulièrement le crédit renouvelable ou « revolving », une réserve d’argent qui se renouvelle au fil des remboursements, qui est présent dans 85% des dossiers de surendettement, selon une étude du cabinet Athling Management. Les ménages qui ont déposé de tels dossiers possèdent, en moyenne, cinq crédits renouvelables. Le projet de loi encadre la publicité, en imposant des mentions obligatoires, ainsi que la distribution, en portant le délai de rétractation de 7 à 14 jours et en obligeant notamment les établissements de crédit à consulter le fichier des incidents de paiement.