La « règle d’or », ou les rois de l’esbroufe

 

C’est le tube de l’été des discothèques politiques. Du président de la République au moindre responsable de la majorité, tous reprennent en choeur, matin, midi et soir, le refrain de « La règle d’or ».

Le 26 juillet, Nicolas Sarkozy a donné le ton en écrivant à tous les parlementaires : « La France doit être exemplaire dans la remise en ordre de ses comptes publics. Nous avons besoin de nous rassembler sur ces questions essentielles, au-delà des intérêts partisans. » Mieux, depuis le sommet franco-allemand de l’Elysée, le 16 août, ce sont les dix-sept pays de la zone euro qui sont invités à adopter, d’ici à l’été 2012, une « règle d’or » pour équilibrer leurs finances.

Hier encore, le premier ministre a remis ça d’une voix solennelle, dans Le Figaro : pour mettre un terme à « la gestion trop complaisante » de nos finances publiques, il faut inscrire dans la Constitution une règle « d’équilibre des finances publiques » qui impose une vertueuse discipline aux budgets annuels du pays. Et François Fillon d’invoquer « l’intérêt national » et d’appeler les socialistes au « sens des responsabilités ».

Sans les socialistes, en effet, pas de « règle d’or ». Le projet de loi constitutionnel adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat en juillet restera lettre morte s’il n’est pas validé par les trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. De deux choses l’une, martèle donc la majorité : ou bien la gauche apporte son soutien à l’initiative lucide et courageuse du chef de l’Etat ; ou bien elle fait la déplorable démonstration de son laxisme et de son irresponsabilité. Comme on dit familièrement, plus c’est gros, plus ça a des chances de marcher !

Car il faut à la majorité actuelle un culot exceptionnel pour jouer, subitement, les professeurs de vertu budgétaire. Les chiffres sont impitoyables. En 2007, la dette de la France représentait 63,8 % du PIB ; elle dépassera 86 % en 2011. Soit pas loin de 500 milliards d’euros supplémentaires en quarante-huit mois, et une dette globale dont la seule charge des intérêts absorbe la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu.

La faute à la crise, plaide le gouvernement depuis 2008. En partie, oui. Mais mineure, comme le souligne la Cour des comptes, dans son rapport, fin juin, sur la situation des finances publiques : « La crise explique, au plus, 38 % du déficit, qui est surtout de nature structurelle et résulte largement de mesures discrétionnaires. »

C’est une façon pudique de qualifier les avantages fiscaux – les fameuses « niches » – consentis ces dernières années : par exemple, la suppression de la taxe professionnelle, qui représente pour l’Etat un manque à gagner de 7,9 milliards, la baisse de la TVA dans la restauration (2,5 milliards), la réforme récente de l’impôt sur la fortune (pas loin de 2 milliards), ou encore la « niche Copé » (habilement transformée en modalité particulière de calcul de l’impôt sur les sociétés), qui coûte de 4 à 6 milliards par an. Soit, depuis quatre ans, de l’ordre de 22 milliards de « cadeaux » fiscaux, entièrement financés par l’emprunt !

Mais le chef de l’Etat et son premier ministre ne sont pas seulement formidablement culottés. Ils sont également les rois de l’esbroufe. On serait prêt à croire qu’en bons chrétiens, ils ont admis leurs fautes passées et sont décidés à les expier : il faudrait pour cela que la « règle d’or » brandie comme un talisman impose vraiment une discipline rigoureuse.

Or le plus extraordinaire est qu’il n’en est rien. Pour le comprendre, le plus simple est de citer l’article voté par le Parlement : « Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques déterminent, pour au moins trois années, les orientations pluriannuelles, les normes d’évolution et les règles de gestion des finances publiques, en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques. Elles fixent, pour chaque année, un plafond de dépenses et un minimum de mesures nouvelles afférentes aux recettes qui s’imposent globalement aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale ».

Cette rédaction alambiquée en atteste : contrairement à la loi fondamentale allemande, qui est supposée servir de modèle, la « règle d’or » ne fixe aucune contrainte rigoureuse, adossée par exemple à la notion de solde budgétaire.

Au-delà de cette définition déjà très floue, toutes les modalités d’application de ces nouvelles lois-cadres sont renvoyées à une loi organique. Ainsi, elles pourraient être « modifiées en cours d’exécution ». Comment ? Par la loi organique. Quelles dispositions précises s’imposeraient aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale ? Encore la loi organique. Comment seraient compensés d’éventuels écarts entre les lois-cadres et l’exécution budgétaire ? Toujours la loi organique. Le gouvernement en a-t-il précisé le contenu ? A aucun moment, malgré deux lectures dans chaque Assemblée.

Or les parlementaires savent bien que ce qu’une loi organique peut faire, une autre peut le défaire, comme on l’a vu avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale, destinée à accueillir les déficits de la Sécurité sociale. En 2005, ils avaient fixé à 2021, de façon impérative, le terme de la durée de vie de la Cades pour stopper le report sans fin des déficits. Cinq ans plus tard, les dérives perdurant, ils ont tout simplement reporté à 2025 le terme de la Cades…

Enfin, il va sans dire que, même si la réforme constitutionnelle était, par miracle, adoptée rapidement, elle ne pourrait être mise en oeuvre avant le budget 2013… donc après l’élection présidentielle. C’est au point que l’on se demande si le gouvernement ne fait pas tout ce cirque sur la « règle d’or » pour mieux se dispenser d’en appliquer dès maintenant les vertueux principes. Il est à craindre que cela ne trompe personne, les marchés moins que quiconque.

Gérard Courtois (Le Monde)

Grand emprunt: l’UMP fixe les « priorités de long terme » pour la France

L’UMP présente mardi à l’Assemblée ses propositions dans le cadre d’une convention sur le « grand emprunt » voulu par Nicolas Sarkozy, alors que la commission ad hoc présidée par Alain Juppé et Michel Rocard doit rendre sa copie avant le 1er novembre.

Cet emprunt, annoncé le 22 juin par le chef de l’Etat devant le Congrès à Versailles, vise, parallèlement au plan de relance, à doper l’économie à plus long terme, en faisant financer par l’Etat des « investissements stratégiques » pour les « générations futures ».

C’est une « ardente obligation nationale », affirment dans les colonnes du quotidien Le Monde, mardi, le secrétaire général Xavier Bertrand et son adjoint, Eric Besson, alors que l’idée fait craindre à droite comme à gauche un alourdissement de la dette publique.

Prévu pour 2010, l' »emprunt national » doit permettre de fixer les « priorités de long terme » de la France, selon les deux hauts responsables de l’UMP qui préfèrent reléguer « en dernière instance » les questions épineuses du montant et des modalités.

Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, est resté évasif sur ces deux points. « Il faut un investissement massif, donc un grand emprunt, à la hauteur des enjeux », a-t-il dit sans le chiffrer.

Quant à savoir si cet emprunt sera lancé auprès des institutions financières ou du public (ou bien les deux), « la question n’est pas encore tranchée », selon M. Guaino, qui semble néanmoins écarter l’appel aux particuliers, pour des raisons de coût.     « Il va falloir choisir les priorités les plus prioritaires », a-t-il ajouté,  évoquant plusieurs pistes (développement durable, réindustrialisation des bassins d’emploi en déclin, recherche, santé…).

Il faudra donc attendre la fin du processus des consultations pour avoir une idée du montant, après des hypothèses allant d’environ 30 milliards (avancée notamment par Michel Rocard, ndlr) jusqu’à 100 milliards d’euros, évoquée par certains proches de Nicolas Sarkozy mais jugée disproportionnée par la plupart des économistes au regard de la dette publique.

Les organisations patronales et syndicales, comme la CFDT, reçues dans le cadre des consultations engagées par le gouvernement, ont elles aussi appelé à agir avec prudence face au risque d’aggravation de la dette.

Le critère prioritaire pour sélectionner les projets financés par cet emprunt doit être « la rentabilité » et « le retour sur investissement », a averti la présidente du Medef, Laurence Parisot, invitée mardi à la convention de l’UMP.

« Toutes les ressources » de l’emprunt public devront être affectées à « des dépenses clairement identifiées comme porteuses de croissance et d’emploi » a précisé le Premier ministre François Fillon, citant « la croissance verte »,  « l’université de demain et l’économie de la connaissance ».

Des secteurs privilégiés également par MM. Bertrand et Besson qui préconisent des « efforts » particuliers dans le « véhicule électrique, le solaire, le nucléaire de 4ème génération » ou encore la création de « grands campus ».

Les décisions devraient être prises « dans la première quinzaine de novembre », selon M. Guaino. Mais ce sont « les parlementaires qui, in fine, voteront », a rappelé Jean-François Copé, chef de file des députés UMP.

Après avoir sondé leurs circonscriptions, ces derniers ont listé leurs propres priorités : « les technologies de la dépollution », « les nouvelles technologies culturelles » (jeux vidéo en 3D, télévision holographique), ou encore « la recherche sur les implants médicaux avec puces ».