Plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, c’est une valeur ajoutée » ; « La diversité, c’est bon pour le business » ; « Plus d’immigrés, ça améliore la croissance ». Ces arguments sont de plus en plus fréquents, à gauche comme à droite. Peut-on encore, en France, défendre l’égalité sans conditions, comme un principe fondamental, sans avoir besoin de prouver son « utilité » ? Que se passera-t-il si le coût de l’égalité est prouvé ? Cela justifierait-il les discriminations sexistes, racistes et/ou la fermeture des frontières ?
De nombreux rapports légitiment les politiques d’égalité comme un investissement coûtant moins qu’il ne rapporte
La survie de l’Etat-providence et des politiques d’égalité semble reposer sur la démonstration que l’égalité est «meilleure pour tous», pour reprendre le titre de l’ouvrage des Britanniques Kate Pickett et Richard Wilkinson1, qui a connu un franc succès dans notre pays. Dans un récent rapport2, l’OCDE montre par exemple que les politiques de redistribution et d’égalité femmes-hommes sont nécessaires pour augmenter la croissance économique, en particulier parce qu’elles permettent que l’éducation soit un investissement rentable pour tou.te.s et pas seulement pour les plus aisés. De nombreux rapports3 légitiment ainsi les politiques d’égalité comme des investissements coûtant moins qu’ils ne rapportent, si l’on tient compte de leur « performance » économique et sociale sur le moyen-long terme.
Double risque
Il est naïf et/ou cynique de croire que des arguments de justice et d’utilité peuvent cohabiter sans que les premiers ne soient conditionnés par les seconds. Dépassons l’attrait de formules telles que le « gagnant-gagnant » ou « la fin justifie les moyens » : il faut assumer qu’une victoire pour certain.e.s est une perte pour d’autres. Il est urgent de dépasser une lecture enchantée où la lutte contre le néolibéralisme justifierait d’avoir recours à la marchandisation de l’égalité. Promouvoir l’égalité entre femmes et hommes4, la diversité ou l’immigration comme une démarche économiquement rationnelle et rentable, c’est les mettre sous conditions de la démonstration de leur performance. En demeure de prouver leur « utilité ».
S’il est démontré que la sortie des femmes de l’emploi et la préférence nationale pourraient contribuer à résorber le chômage, que ferons-nous ?
Le risque est alors double. Si la performance de l’égalité est prouvée, le premier risque est d’enfermer les inégaux dans une mise en scène de leur « plus-value ». Loin de remettre en cause leur assignation à une singularité sexuée ou/et racialisée, il les « modernise ». Concrètement : justifier l’inclusion des femmes ou des « non-Blancs » au nom de la rentabilité de la mixité, c’est attendre d’elles/d’eux qu’ils soient et demeurent des compléments rentables (le trop fameux « management au féminin » ou « capital féminin ») et non des égaux. Le second risque est que l’égalité de principe devienne une option sous conditions de performance. Les recherches sur les rapports entre mixité et performance5 montrent que leur lien de causalité est discuté et discutable. Dans cette logique, s’il est prouvé que les inégalités sont performantes, les politiques discriminatoires et d’exclusion sont légitimées. S’il est démontré que la sortie des femmes de l’emploi et la préférence nationale pourraient contribuer à résorber le chômage, que ferons-nous ?
Soumission du politique à l’économique
En procédant à ce type d’argumentation, nous acceptons implicitement d’indexer les choix politiques à des variables économiques. La brèche est ouverte au questionnement sur la « rentabilité » des dépenses publiques de solidarité et de redistribution, en particulier dans le domaine de la santé et de l’éducation. Est-on sûr que les bourses sur critère social « rapportent » plus qu’elles ne coûtent ? Que la gratuité de l’école soit un « plus » pour la croissance ? Qu’il soit économiquement fondé d’héberger des SDF l’hiver ?
Les débats sur les coûts ou les bénéfices liés à l’immigration6 constituent une bonne illustration de cette évolution idéologique. Le lien entre performance et mixité et celui entre performance et immigration participent d’une même logique de soumission du politique à l’économique. Quand arrêtera-t-on de justifier les entrées de migrants par leur « apport » à l’économie ou inversement de les refuser du fait de leur coût pour le pays, pour l’Europe ?
Il faut politiser le principe d’égalité en le libérant de son conditionnement à la performance
La tentation est forte de défendre l’égalité comme une valeur dans laquelle on investit, sans prendre conscience qu’elle est ainsi sacrifiée, en tant que principe de justice, à la valorisation et à la performance de la différence. Finalement, tout se passe aujourd’hui comme si les tenant.e.s de l’égalité abandonnaient la bataille idéologique pour s’en remettre aux thèses néolibérales qu’ils contestent. Pour que l’égalité retrouve un sens et une épaisseur politiques, il faut dénoncer cette ruse de la raison néolibérale qui consiste à la paralyser, voire à l’empoisonner, en l’exaltant à son profit.
Egalité
Afin de ne pas être contraint.e de participer à un arbitrage cynique entre les inégalités coûteuses et les inégalités rentables, les politiques d’égalité « performantes » et celles qui ne le sont pas, il faut politiser le principe d’égalité en le libérant de son conditionnement à la performance. C’est accepter de passer par la porte étroite d’un principe de justice d’égalité qui n’a jamais été appliqué pour celles et ceux qui ne font pas partie de la « fraternité républicaine » : les femmes et les « non-Blancs ». C’est remettre en cause un mouvement historique et théorique qui les a exclu.e.s au nom de leur prétendue « moins-value » naturelle et qui les inclut aujourd’hui au nom de leur prétendue « plus-value » culturelle, sociale et économique et non en tant que pairs.
Pour cela, proclamons « L’égalité est morte, vive l’égalité ! » pour dire la nécessité de faire le diagnostic de l’incompatibilité entre l’application du principe républicain d’égalité et sa justification par son efficacité, qu’elle soit politique, sociale et/ou économique. Loin d’être accessoire, cette justification participe d’un processus de soumission du principe d’égalité aux « valeurs du marché »7 à travers une sorte de modernisation du mythe de la complémentarité sexuée et raciale.
1. Les Petits Matins, 2013. Préface de Pascal Canfin, alors ministre en charge du Développement.
2. « Tous concernés. Pourquoi moins d’inégalité profite à tous », OCDE, mai 2015.
3. « Féminisation et performances économiques et sociales des entreprises », par Thomas Breda, rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) n° 12, décembre 2015. Etude réalisée dans le cadre d’une convention entre l’IPP et le secrétariat d’Etat chargé des Droits des femmes ; « La stratégie d’investissement social », par Bruno Palier, étude du Conseil économique, social et environnemental, février 2014 ; « L’apport économique des politiques de diversité à la performance de l’entreprise : le cas des jeunes diplômés d’origine étrangère », par Sonia Hamoudi, étude du Conseil économique, social et environnemental, septembre 2014.
4. http://www.oecd.org/fr/parite/ ; « L’égalité hommes-femmes peut stimuler l’économie », par Willem Adema, L’observateur de l’OCDE n° 298, 1er trimestre 2014.
5. Cf. en particulier « Not-So-Strong Evidence for Gender Differences in Risk Taking », par Julie A. Nelson, Feminist Economics, juillet 2015.
6. Cf. en particulier les rapports de l’OCDE, ainsi que pour le cas français « Bénéfices et coûts de l’immigration : les perspectives macroéconomiques d’une politique d’immigration active en France », par Xavier Chojnicki, e-migrinter n° 12, 2014 ; Immigration Policy and Macroeconomic Performance in France, par Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, Documents de travail du Centre d’économie de la Sorbonne 2015.23.
7. Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néoconservatisme, par Wendy Brown, Les prairies ordinaires, 2007, page 50.
Julie Muret, co-fondatrice et porte-parole d’Osez le Féminisme
« Intransigeante et vigilante, la cofondatrice et porte-parole d’Osez le féminisme traque les dérapages et dérives qui, quelle que soit leur nature ou leur ampleur, constituent une atteinte aux droits des femmes et, de ce fait, une menace à l’égard de tout projet collectif »
Elle ne laisse rien passer. Pas plus les attaques frontales que les atteintes larvées aux droits des femmes ; ces innombrables “signaux faibles” qui, ajoutés à une succession d’éléments troublants aux quatre coins du monde – condamnation de plusieurs membres des Pussy Riot à des peines d’emprisonnement en Russie, projet d’adoption d’un article de loi en Tunisie requalifiant le statut de la femme d’égal à “complémentaire” de l’homme, remise en question du droit à l’avortement par les Républicains américains… – convergent vers une même réalité. Celle d’un climat de régression généralisé en matière d’égalité, en France comme dans le reste du monde.
Preuve pour Julie Muret que “les droits des femmes ne sont jamais acquis, nulle part” et que, 50 ans après les grandes avancées féministes, il reste beaucoup à faire. Son ambition : lutter contre ces “reculs insidieux” qui menacent l’égalité et, avec elle, tout projet de société en rendant visible ce qui, à force d’être banalisé, a cessé de l’être. Chercher la petite bête – lexicale ou comportementale – pour faire évoluer les mentalités et contraindre le politique à agir.
“Osez le féminisme a été créé il y a trois ans à l’initiative de femmes qui, toutes, avaient été élevées dans la mixité, avaient grandi avec le sentiment que l’égalité allait de soi et qui ont déchanté dès leur entrée dans la vie professionnelle, lorsqu’elles ont pu constater que, à diplôme égal, les écarts de salaires hommes-femmes se creusaient très rapidement. C’est ce sentiment généralisé d’iniquité et la remise en cause du financement du planning familial, en janvier 2009, qui nous a poussés à agir et à créer cette association de bénévoles qui, fin 2011, comptait 2?000 adhérents.
Etre féministe aujourd’hui, ce n’est plus combattre pour obtenir le droit à disposer de son corps ou celui de voter, même si cela implique toujours de défendre le droit à l’avortement et de lutter contre les violences faites aux femmes – violences qui en France touchent encore une femme sur dix et qui, bizarrement, ne donnent lieu à aucune enquête fouillée (les derniers chiffres dont on dispose datent de 2000) alors que nous disposons d’outils statistiques extrêmement perfectionnés que nous utilisons régulièrement sur tous les sujets. Etre féministe aujourd’hui, c’est se battre à la fois sur des faits et sur des mentalités. C’est avoir un projet de société. Ce n’est surtout pas être contre les hommes. C’est penser collectif car le féminisme n’est pas un combat de femmes, c’est un combat de société.
Combat politique
Nous sommes indépendants de tout parti politique mais nous considérons que le féminisme est un combat politique. C’est pourquoi nous envisageons notre rôle comme un rôle de relais consistant à dénoncer certaines dérives, à pointer certaines menaces, afin d’obtenir que le politique s’en empare et agisse. A cette fonction première s’ajoute un rôle de sensibilisation – auprès des jeunes, des médias, des entreprises… – qui passe par une part de dénonciation et par un mode d’action qui se veut un peu “coup de poing” afin de susciter des prises de conscience. Une de nos actions aura par exemple consisté à recouvrir les bouches de métro d’affiches porteuses de messages du type : “Si vous souhaitez rejoindre un club exclusivement masculin tapez assembléenationale.fr” ou “Vous voulez payer 25?% de moins vos salariés ? Embauchez des femmes !”
Une autre aura été la réalisation de petits films intitulés Vies de meufs dans lesquels nous nous sommes amusés à inverser les rôles en montrant, dans l’un, un groupe de femmes assises à une terrasse de café qui sifflent et importunent un homme et, dans un autre, un homme qui n’en finit pas de recoucher le bébé qui pleure pendant que sa femme reste assise avec les invités. Chaque fois, l’idée est d’interpeller. De faire lever la tête. Et aussi de donner à voir des choses qui, à force d’être banalisées, sont devenues quasi invisibles. Pour y parvenir, les féministes ont toujours fait preuve de beaucoup de créativité et, contrairement à ce que l’on croit, de beaucoup d’humour. Comme celles qui se sont battues pour qu’en France nous ayons le droit de vote et qui, pour marquer les esprits, n’ont pas hésité à se présenter à des élections en sachant qu’elles ne pourraient pas être élues. Nous avons voulu nous inscrire dans cette histoire de lutte, en être à la fois les héritières et les continuatrices.
Néo-féminisme
Pour autant je n’aime pas parler de néo-féminisme car si nous sommes innovants dans nos modes d’action – nous utilisons énormément les réseaux sociaux qui constituent un moyen de mobilisation extraordinaire –, nos domaines d’actions restent les mêmes ; la seule différence étant que les inégalités que nous dénonçons sont plus insidieuses. Par exemple, les femmes ont toujours plus de mal à avorter puisqu’on ferme de plus en plus de centres d’IVG, ce qui s’apparente à une remise en question de ce droit sans pour autant constituer une atteinte à la loi et donc sans représenter une atteinte frontale sur des droits supposés acquis. Même chose avec l’accès à la contraception – normalement intégralement remboursée sauf pour les pilules dites de troisième génération, ce qui pour nous n’est pas normal – ou le harcèlement sexuel qui a fait l’objet d’une loi en 1992 qui, depuis, est régulièrement remise en question. Ce type d’exemples montrent qu’en dépit de toutes les avancées obtenues par les premières générations de féministes – celles des années 60-70 -, notre action continue à porter sur les mêmes thèmes sociétaux : travail, contraception, droit à disposer de son corps librement…
La génération précédente a obtenu la mise en place d’un dispositif légal censé garantir les droits des femmes. Nous nous efforçons d’obtenir son application. Comme dans le cas de l’ordonnance de protection censée protéger les femmes victimes de violences conjugales et qui n’est pas appliquée tout simplement parce qu’elle n’a jamais fait l’objet de la moindre campagne d’information auprès des professionnels, que ce soit au sein de la justice ou de la police.
Complémentarité vs égalité
Notre rôle implique aussi de soutenir les femmes du monde entier. Ce que nous avons fait dernièrement à l’occasion de l’affaire des Pussy Riot, ces féministes russes condamnées à deux ans d’emprisonnement pour avoir dénoncé l’autoritarisme de Poutine et les liens entre religion et pouvoir politique dans leur pays. Suite à cela, nous avons organisé un rassemblement de soutien le 17 août avec Amnisty International et Russie Liberté. Ce qui se passe en Tunisie, où un article de loi prévoit de modifier le statut de la femme en la définissant non plus comme égale mais comme complémentaire de l’homme, nous interpelle également puisqu’on est là face à un exemple typique de ces reculs insidieux qui nous inquiètent. Dans le cas de la Tunisie, on se contente de glisser d’un mot à un autre sans atteinte directe à un quelconque droit des femmes puisqu’on reste dans le seul champ de la sémantique. Il est pourtant évident que ce changement de terminologie n’a rien d’anodin. Que le fait de considérer la femme comme “complémentaire” de l’homme remet totalement en cause le principe même d’égalité dans la société tunisienne.
Universalisme vs essentialisme
Nous nous réclamons de l’universalisme, ce qui implique que, pour nous, les droits des femmes doivent être les mêmes pour toutes, partout dans le monde ; quelle que soit leur culture, leur origine, ou la situation politique de leur pays. Même si, évidemment, on ne lutte pas de la même manière aux Emirats Arabes et en France. Dans certains pays les femmes se battent pour avoir le droit de conduire ou pour ne pas être mariées de force à 12 ans, donc on sait bien que les combats et les situations diffèrent mais nous considérons qu’en terme de droits, d’accès à l’éducation et d’intégrité physique, les revendications doivent être les mêmes.
Or cette notion de “complémentarité” avancée par le gouvernement tunisien s’inscrit, à l’inverse, dans une approche essentialiste impliquant que, par leur nature même, les femmes soient plus aptes à rester à la maison, à s’occuper des enfants et à fuir le pouvoir et les responsabilités, ce qui vient ancrer dans le marbre des différences alors que, pour nous, il y a égalité entre êtres humains. Sur ce plan, le XIXe siècle reste la pire période de notre histoire puisque c’est à cette époque que l’on cherche à prouver que les femmes ont un plus petit cerveau et une faible constitution, qu’elles ne peuvent ni faire de sport ni occuper la fonction de magistrate, par exemple, parce qu’elles sont trop émotives. C’est pourquoi nous considérons que lorsqu’on biologise ainsi les différences afin de justifier ce qui n’est qu’inégalités sociales et culturelles, alors le danger est réel.
Droits acquis
C’est toujours la même histoire en période de révolution : les femmes prennent énormément part à la mobilisation, elles descendent dans la rue et revendiquent des droits, elles pensent pouvoir profiter de la transition démocratique pour obtenir l’égalité et, au final, le nouveau pouvoir cherche invariablement à les remettre à leur place traditionnelle. C’est ce qui se produit actuellement en Egypte, en Tunisie, où le harcèlement sexuel se généralise et où le sentiment d’impunité des agresseurs ne cesse d’augmenter, et même au Maroc où, pour laver l’honneur de la famille, on a vu que l’on pouvait contraindre la victime d’un viol à épouser son agresseur.
Même s’il est clair que l’on assiste dans ces pays à un retour à l’ordre moral, ces différents exemples prouvent tout simplement que les droits des femmes ne sont jamais acquis, nulle part. Le fait qu’aux Etats-Unis les Républicains militent contre l’avortement montre bien que les atteintes aux droits des femmes ne sont absolument pas le fait des seuls pays arabes ou musulmans et que l’on ne peut les circonscrire à certaines régions du monde. Aux Etats-Unis la question de l’avortement reste toujours extrêmement clivante. Cela s’explique en grande partie par l’influence du religieux sur le politique, laquelle est beaucoup plus forte là-bas qu’en France, même s’il existe aussi chez nous des mouvances catholiques intégristes et même si Marine Le Pen s’est dite favorable au déremboursement de l’avortement…
Ecarts de salaires
Il existe en France une illusion d’égalité. On a l’impression que tout va bien, que tout progresse, que ce n’est qu’une question de temps pour que l’égalité soit totale. En réalité on reste à 27?% d’écart de salaire entre hommes et femmes d’une façon générale, dont 10?% de discrimination pure ; ce qui signifie qu’un homme et une femme occupant le même poste, jouissant de la même ancienneté et affichant les mêmes résultats conserveront 10?% d’écart de salaires en moyenne. Le reste s’explique par les congés de maternité qui coûtent très cher aux femmes en terme d’avancement, d’évolution de carrière et même de recrutement – alors qu’au final, il ne s’agit que de quelques semaines sur une carrière qui va durer près de 40?ans -, et qui, parce qu’ils entraînent une suspicion, avant, pendant et après, créent une véritable discrimination. Tout cela reste un état de fait avéré et dénoncé, certes, mais qui pour l’heure ne s’améliore absolument pas.
Il existe en France six lois sur l’égalité professionnelle. Six lois inopérantes puisque, grâce à elles, on devrait avoir atteint l’égalité réelle depuis longtemps et que ce n’est évidemment pas le cas. C’est pourquoi nous réclamons des rapports de situations comparés – quels postes sont occupés par des hommes, quels postes par des femmes, quelles sont les évolutions de carrière et de rémunération des uns et des autres, etc. C’est compliqué mais c’est aussi le seul moyen de prouver les inégalités. Rappelons par ailleurs que 35?% des temps partiels sont occupés par des femmes et que, contrairement à ce que l’on nous répète, ce n’est pas simplement pour elles un moyen de concilier vie professionnelle et vie familiale. Ce n’est pas toujours choisi, loin de là. Nous réclamons donc ces rapports de situation comparés et aussi des sanctions. Parce qu’il n’y a que cela qui marche – tout comme, hélas, les quotas, qui restent pour nous la moins mauvaise des solutions pour parvenir à la parité – et parce qu’on le sait, l’action individuelle est toujours extrêmement difficile à mener.
Climat de régression
Autre domaine où les inégalités sont flagrantes en France : celui de la politique. Nous avons réalisé une campagne en juin sur le thème de la parité dans ce domaine afin de montrer que, sur 72?% de nos circonscriptions, aucune femme n’avait été élue depuis 1988.Ce qui montre bien que les anciens schémas de l’homme de plus de 50 ans, plutôt blanc et plutôt aisé comme personnalité la plus éligible, perdurent.
Nous avons également mené une campagne sur le viol parce que, là aussi, beaucoup reste à faire : dans les commissariats, on n’est pas formé à l’accueil et à l’écoute des victimes. Il arrive que l’on refuse de prendre la plainte et que l’on propose de déposer plutôt une main courante. Pourtant l’arsenal juridique existe, des lois sont là pour garantir les droits des femmes, mais les mentalités posent encore problème. Pour moi cela tient beaucoup à l’absence de formation des professionnels.
Ne serait-ce qu’une demi-journée pour sensibiliser les forces de l’ordre à ces sujets serait extrêmement utile. Voilà pourquoi nous nous battons pour l’application des textes et pour la sensibilisation, du public – pour prévenir le sexisme et les violences dès le plus jeune âge – comme des professionnels. Or quel que soit le gouvernement, ces questions passent systématiquement à la trappe, surtout en période de crise. On ne crée ni crèches, ni structures d’accueil pour les femmes victimes de violence parce que cela coûte cher et qu’on considère qu’il y a d’autres priorités. Au vu de ces différents freins et de cette absence de volonté politique, je considère que l’on peut parler de climat de régression ; en France comme dans le reste du monde.
Précarité
C’est pour lutter contre ce climat que nous avons voulu nous regrouper, afin d’avoir plus de poids et d’augmenter nos chances d’être entendus. Nous avons donc organisé un collectif – “Féministes en mouvement” – rassemblant 45 associations féministes et nous avons rédigé un manifeste regroupant l’ensemble de nos revendications. Aussi bien sur le droit à disposer de son corps, que sur l’égalité professionnelle, l’accès aux services de la petite enfance – puisque quand on développe les crèches, on développe l’emploi des femmes… – et sur la précarité d’une façon générale puisqu’aujourd’hui, la pauvreté est féminine : 85?% des personnes qui gagnent le Smic sont des femmes, les temps partiels qui génèrent des revenus inférieurs au Smic sont très majoritairement occupés par des femmes et il existe un écart de 38?% entre la retraite moyenne des hommes et celle des femmes…
On nous a par ailleurs reproché d’être opposés à la question du salaire maternel – autrement dit à l’idée de verser un salaire aux femmes au foyer – mais pour nous cela reviendrait à entériner une situation qui enferme la femme dans un rôle traditionnel sans promouvoir ses droits puisque, on le sait, l’emploi, aussi pénible soit-il, est le seul vecteur d’autonomie. Tout cela était dans notre manifeste sorti le 8 mars dernier.
Madame-Mademoiselle
C’est nous qui, avec les Chiennes de garde, avons initié le débat sur l’usage des termes “Madame” et “Mademoiselle”. En réclamant la suppression du “Mademoiselle” et de la mention “nom de jeune fille” dans les formulaires administratifs, nous avons voulu réagir sur une question de langage qui nous paraît importante, tout simplement parce que le langage véhicule les valeurs. Or demander à une femme si elle est mariée ou non alors qu’on n’interroge jamais les hommes sur leur statut marital constitue une première forme de discrimination sur une question de vie privée qui ne concerne ni l’employeur ni l’administration. C’est pourquoi nous considérons que le recours à ces termes qu’Anglais et Allemands ont supprimés est révélateur du sexisme latent ancré dans notre société. Ce type de terminologie totalement archaïque appartient à une époque révolue. Celle durant laquelle les femmes passaient de la coupe de leur père à celle de leur mari et pour qui le mariage était soi-disant émancipateur.
L’affaire DSK
L’affaire DSK nous est elle aussi apparue comme le révélateur d’un machisme larvé au sein de la société française. La façon dont on en a entendu parler, les différentes tentatives visant à minimiser l’agression, à l’apparenter à du libertinage alors qu’il était question de viol, et jusqu’au fameux “Il n’y a pas mort d’homme” qui semblait résumer le sentiment général, auront constitué une véritable atteinte aux droits des femmes. Surtout, ces différentes réactions auront donné à voir le cynisme qui règne dans notre société à l’égard des femmes. Nous avons lancé un appel au rassemblement et, en quelques jours, nous avons obtenu 30 000 signatures. C’est aussi à ce moment-là que nous avons connu une forte augmentation du nombre de nos adhérents. Preuve que, malheureusement, c’est avec des affaires telles que celles-ci que les prises de conscience se font.
Le voile
La question du voile fait débat au sein de l’association. Pour nous il ,n’est pas question de stigmatiser les femmes qui portent le voile mais de dénoncer celui-ci comme un symbôle de la domination masculine.D’un point de vue strictement personnel je considère que, le voile étant porté dans l’espace public, il revient à dire que celles qui le portent n’ont pas leur place dans cet espace. C’est une pratique qui a toujours eu pour fonction de priver les femmes de l’accès à l’espace public afin de les renvoyer vers l’espace domestique, ce qui constitue un déni d’égalité évident. C’est pourquoi celles qui, en Iran ou ailleurs, se sont battues pour ne plus être obligées de le porter ne comprennent pas qu’en France on puisse le banaliser en en faisant une question de choix et de liberté individuelle. Nous sommes face à une montée des intégrismes religieux – dont le voile est une manifestation- qui va à l’encontre du droit des femmes, c’est évident, même si la loi sur la burqa est intervenue dans un climat sécuritaire et islamophobe qui me gêne beaucoup.