Les rebelles ont perdu le tiers d’Alep-Est face aux forces du régime syrien, lesquelles espère faire rapidement tomber cette partie de la ville que fuit désormais la population en proie à la faim et au froid.
Elle se prénomme Bana. Elle a 7 ans. Et depuis plus de deux mois, rappelle le site de la chaîne américaine CNN, elle raconte via le compte Twitter de sa mère son quotidien à Alep. Dimanche matin, sous un déluge de feu et tandis que les troupes du régime de Bachar el-Assad resserraient un peu plus encore leur étau autour de la zone tenue par les rebelles, elle a posté ces mots : « L’armée est entrée, c’est peut-être sincèrement le dernier jour où nous pouvons nous parler. S’il vous plaît, s’il vous plaît, priez pour nous ». Une heure plus tard, Bana lancera encore un nouveau message, qu’elle imagine alors être le dernier : « nous sommes sous des bombardements nourris, dit-elle, nous ne pourrons pas rester en vie. Quand nous serons morts, continuez à parler pour les 200 000 personnes qui sont toujours à l’intérieur. » Plus tard, sa mère diffusera finalement une photo de sa fille, recouverte de poussière, manifestement sortie de justesse de chez elle en plein bombardement. Viendront ensuite ces derniers mots : « Ce soir, nous n’avons plus de maison. Elle a été bombardée. Et je me suis retrouvée dans les décombres. J’ai vu des morts. Et j’ai failli mourir. »
Interrogé au début du mois par THE SUNDAY TIMES sur le sort des enfants syriens, le président Bachar el-Assad avait rejeté la faute sur les « terroristes » qui, disait-il, « utilisent des civils comme boucliers humains ». Avant de préciser que lui-même « dormait bien ». Et depuis, hier, on imagine que le bourreau de Damas non seulement dort toujours aussi bien mais qu’il a même le sourire. En quelques heures, la bataille d’Alep s’est en effet accélérée. Et pour les partisans du régime syrien, c’est désormais une quasi certitude : la chute des quartiers rebelles se rapproche.
L’offensive a été menée simultanément des deux côtés de l’enclave, précise LE TEMPS, la sectionnant au nord de la vieille ville d’Alep, comme l’aurait fait une tenaille. Une fois les premiers verrous levés, les assaillants se sont répandus dans toute la partie nord de l’enclave, tombée comme un fruit mûr, à en croire la télévision d’État syrienne. Aux côtés des unités d’élite de l’armée, les alliés du président syrien Bachar el-Assad avaient pour cela regroupé des milliers de combattants chiites pro-iraniens, notamment du Hezbollah libanais, mais aussi des milices composées d’Irakiens, d’Afghans ou de factions palestiniennes établies en Syrie.
En 48 heures, les rebelles ont ainsi perdu le tiers d’Alep-Est, peut-on lire dans les colonnes du journal de Beyrouth L’ORIENT LE JOUR. Et face à la violence de ces combats, d’importants mouvements de civils ont lieu désormais à l’intérieur de la zone assiégée. Depuis samedi, on estime que près de 10 000 personnes ont fui, soit vers les quartiers kurdes, soit vers les zones gouvernementales. Sur la chaîne du Hezbollah libanais AL-MANAR, notamment, on peut voir ces habitants par dizaines (infirmes, femmes, enfants) en train de quitter certaines zones sous l’escorte de soldats, tandis que le bruit des canons rappelle la proximité des combats. Les médias d’État syriens, eux aussi, ne manquent pas de donner à voir ces habitants dirigés par des militaires tout en précisant, sans plus de détails, qu’ils sont conduits vers « des lieux sûrs ». On y voit l’accueil impeccable réservé à ces civils, une fois arrivés à Alep-Ouest. En réalité, la plupart des Aleppins désireux aujourd’hui d’échapper à l’enfer des bombardements savent qu’ils n’ont aucune garantie du régime. Et en particulier qu’ils seront, très certainement, soumis à un interrogatoire des services de renseignement militaires. Des informations, non confirmées, évoquent déjà une séparation immédiate des hommes âgés de plus de 15 ans au sein de ces groupes conduits en zone gouvernementale.
Désormais, tout le monde s’attend à ce que les forces du régime lancent une ultime offensive près de la citadelle, pour couper de nouveau la zone en deux, précise un expert au Washington Institute. Ce qui signifie qu’au terme de ces mouvements de cisaille, il ne restera plus qu’une dernière poche d’insurgés. Les hommes armés devront alors se rendre ou « accepter la réconciliation nationale », selon les termes fixés par l’État syrien. Ce qui, à lire les messages inscrits sur les tracts lancés à destinations des rebelles, a une toute autre signification, beaucoup plus radicale. Sur l’une de ces brochures, raconte ce matin THE NEW YORK TIMES, on peut lire notamment : « Ne soyez pas stupide, pensez à vous et à vos familles. Mais pensez vite, car le temps passe et il n’est pas de votre côté. Rendez-vous. Ou affrontez la mort. »
Et face à l’évolution des combats ces derniers jours, la communauté internationale, elle, ne dit mot. A l’exception hier du ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, lequel a réclamé un « cessez-le feu-immédiat » à Alep, le silence de la communauté internationale est assourdissant. De sorte qu’à Alep, aujourd’hui, règne la certitude que tout espoir s’est évanoui. Personne ne viendra à l’aide des Syriens d’Alep. Et c’est, d’ailleurs, très probablement cette certitude-là qui explique pourquoi l’enclave assiégée est aujourd’hui en train de tomber comme un château de cartes, presque sans résistance. Et pourtant, note LE TEMPS, on pourra tourner l’affaire dans tous les sens, en laissant de côté les assassins directs, le régime syrien, la Russie et l’Iran, ou bien encore leurs acolytes-ennemis sunnites, pays du Golfe en tête, c’est bien l’Occident qui a laissé cette situation devenir ce qu’elle est.
Et le journal d’en conclure : il y avait le fracas des bombes. Cette angoisse intenable. Cette frayeur, qui n’a aucune sorte d’équivalent possible : celle de voir les siens emportés. D’être le prochain à assister au déblaiement des décombres, d’où l’on voit émerger un pied, puis la tête bleuie de son enfant mort. Il y a désormais l’élection d’un certain Donald Trump aux Etats-Unis et peut-être, demain, celle de François Fillon ou de Marine Le Pen en France. Il y a, maintenant, cette peur paranoïaque de l’Occident à l’égard de tout ce qui ressemble à un Musulman, inventorié comme djihadiste potentiel, fut-il en détresse au milieu de la Méditerranée ou mourant sous les bombes dans les quartiers de l’Est d’Alep.
Par Thomas CLUZEL
Source France Culture, 29/11/2016
Voir aussi : Actualité Internationale, rubrique /Méditerranée, rubrique Moyen Orient, Syrie, rubrique Rencontre, Hala Mohammad,