Le parti est ambitieux et réussi. Il ouvre et s’inspire de l’œuvre singulière de Valère Novarina en englobant sa dimension théâtrale, picturale et théorique autour de la parole. Le spectateur est invité à pénétrer dans le laboratoire de l’écriture ou s’élabore le langage de l’auteur contemporain. Quand on est monté à l’étage, qu’on a fait le tour du propriétaire, on ne sait plus très bien où l’on est. Mais on est bien quelque part. Là justement, sous le haut-parleur qui rabâche son questionnement sur les notions d’intérieur et d’extérieur.
On entre alors dans la salle de spectacle pour regarder la prétentieuse télévision qui parle à notre place et nous laisse dans le silence. Et puis entre l’acteur qui explique que nous sommes en condition physique de ne rien comprendre puisque tout est déjà dit. Est-ce la place du théâtre d’aujourd’hui de présenter notre déreprésentation humaine ? Et que doit-il nous montrer ce théâtre? Que la parole est trouée, nous dit Novarina. Que l’homme lui-même est un trou et qu’il faut jouer au bord !
Cela, on le comprend avec cette pièce qui nous bombarde de sens dans tous les sens, piétine nos valeurs sans pondération pour finalement nous abandonner à notre passivité. Reste l’instinct, la métaphysique et la poésie pour immerger. Ce n’était pas une illusion. C’était un très bon spectacle comme il ne s’en fait plus assez.
Le film Le chant des mariées conte l’histoire d’une amitié fusionnelle entre deux adolescentes, Myriam et Nour. Nous sommes à Tunis en 1942. Issues de communautés différentes, les deux jeunes filles partagent la même maison. Nour va se marier avec son cousin qui cherche du travail, Myriam l’envie. Mais en novembre l’armée allemande entre dans Tunis.
Après La petite Jérusalem, couronnée par le prix de la semaine de la critique à Cannes, le second long métrage de Karim Albou évoque une période méconnue de l’histoire. L’occupation allemande de la Tunisie, qui a durée six mois. Dès novembre 1940, l’Amiral Estena, résident général de France en Tunisie, édicte le statut applicable aux Juifs. Et les discriminations subies par les Juifs tunisiens diffèrent peu de celles de Vichy. Hormis les vichystes convaincus, les responsables français en Tunisie n’arrivent pas à choisir leur camp.
Le film de Karim Albou, algérienne par ses origines paternelles, ne se veut pas historique. C’est un film de femme intimiste. La guerre entre par l’extérieur, la radio, ce que l’on voit par la fenêtre, le bruit des bombardements… Tandis que la caméra reste proche des corps, de l’innocence, de la sensualité des deux jeunes filles. Mais la guerre s’infiltre dans leur quotidien et brise leur relation comme elle brise leurs rêves. Socialement frustré, le fiancé de Nour se laisse gagner par la propagande antisémite et accepte le travail que lui proposent les nazis. Myriam doit se marier avec un homme qu’elle n’aime pas. L’amitié entre les deux jeunes filles bascule. La force du film est de se mettre en équation avec le déterminisme de l’histoire sans y céder, comme une mise à nu qui conserve son mystère.
Est-ce qu’une nuit de plaisir peut effacer soixante années de douleur ? C’est la question que pose le réalisateur égyptien Adel Adeeb dans The baby Doll night. Sous les traits d’une banale comédie, le film fait le tour des problèmes touchant au Proche-Orient en enfreignant au passage tous les tabous imaginables, y compris celui de la Shoa, jamais abordé par le cinéma arabe.
A l’occasion de la Saint Sylvestre, Houssam, qui travaille à New-york, s’apprête à rejoindre sa femme au Caire. Séparé depuis un an, le couple n’a qu’un seul souhait : passer ensemble une nuit de rêve où ils concevront un enfant attendu depuis fort longtemps. Mais ce désir si pieux rencontre toute une série d’obstacles qui sont autant d’occasions d’évoquer : le 11 septembre et ses suites pour les Arabes aux États-Unis, le conflit israélo-palestinien, la guerre d’Irak et le camp d‘Abou Ghraib, la Shoa et la construction du mur israélien, le terrorisme et sa condamnation…
C’est le dernier scénario du grand scénariste Abdel Hay Adeeb, servi par les plus grands acteurs égyptiens. Un testament brillant et moqueur sur notre époque et sans doute une ouverture pour le cinéma arabe de demain. On est aux antipodes du non-dit puisque tout est dit ou presque (l’essoufflement du pouvoir égyptien est suggéré) dans ce film qui n’hésite pas à soulever les jupes de la statut de la Liberté.
Cinemed. Les Hors-la-loi, de Tewfilk Farès, film ovni du cinéma algérien
Les Hors-la-loi Tewfilk Farès
Tournée en 1969, Les Hors-la-loi est le premier film en couleur du cinéma algérien. C’est aussi le film qui a fait le plus d’entrée en Algérie et un très bon score en France, où il est resté à l’affiche une semaine avant d’être victime de la censure. Quarante ans plus tard, le film reparaît au Cinemed grâce à la sagacité du distributeur Splendor film. L’action se déroule en Kabylie autour de 1948. Le film conte l’histoire de trois bandits d’honneur qui jouent bien des tours aux administrateurs. Pour s’être opposés aux injustices subies par la population, ces redresseurs de torts sont demeurés de véritables héros populaires en Algérie. Ceux sont aussi les premiers à avoir rejoint le maquis, avant l’apparition de l’armé de libération nationale. « Quand j’ai tourné ce film en 1968, tous les réalisateurs algériens faisaient des films autour de l’indépendance. Moi je voulais faire à la fois un film historique et populaire. Je récuse l’appellation western qui me semble un peu réductrice, même si j’ai utilisé certains codes. Les Algériens qui étaient très cinéphiles à l’époque aimaient çà. Je me souviens les voir spontanément se lever et crier de joie à l’arrivée de la cavalerie, sans forcément réaliser qu’ils étaient du côté des indiens », explique Tewfik Farès. L’espace naturel, participe au vent de liberté qui se dégage de ce film rythmé par la guitare de Georges Moustaki. Le regard du réalisateur restitue subtilement l’organisation familiale où la femme tient un rôle de pilier. Il s’avère également remarquable dans la direction d’acteur, tous très convaincants Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine, Jacques, Monod, Jean Bouise… Un film plein de respect, élégant, intelligent, drôle, qui n’a pas pris une ride. Peut-être parce que Farès se préoccupe de préserver la dignité. Après une expérience fructueuse à la télévision avec les documentaires de Télécité réalisés par les jeunes des quartiers en difficultés, on attend avec impatience son retour au cinéma : « Il ne faut pas que l’on fasse de ces gosses des hors-la-loi… » dit-il.
Le poids des us et coutumes, la présence des gardiens à chaque grille, sont très prégnants
Visite à la Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. L’éditeur Jean-Christophe Lopez rencontre les détenus.
Le livre, un outil pour mieux vivre ensemble. Le centre socioculturel de la Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone adhère à cette idée en organisant plusieurs rencontres par an autour d’auteurs qui viennent présenter leurs œuvres aux détenus. Cette semaine, deux invités ont été accueillis. Après l’auteur roumain, Dan Lung venu évoquer son livre « Je suis une vieille coco », c’était au tour de l’éditeur Jean-Christophe Lopez (éditions Six pieds sous terre) d’initier un débat autour de la BD Roberto d’Edmond Baudouin, auteur de référence de la BD alternative. Cette rencontre soutenue par la Drac et mise en lumière par la structure « Languedoc-Roussillon livre et lecture » dans le cadre de Lire en fête, fait suite à une série de visites ayant conduit l’éditeur régional dans tous les centres de détention et maisons d’arrêt de la région. « C’est une première pour moi, confie Jean-Christophe Lopez, on m’avait dit : tu risques de ne pas t’y faire. Mais je trouve cela très enrichissant. A chaque fois c’est différent en fonction du lieu. Je pense que la BD est un support adapté à ce type d’intervention. Face au problème de la langue et à celui de l’illettrismenotamment chez les mineurs, la BD assure au moins le voyage à travers l’image ».
Dans l’intimité des murs
Tout visiteur, a fortiori un journaliste à la veille d’un mouvement social, doit se plier aux règles strictes de sécurité pour pénétrer dans l’enceinte d’une Maison d’arrêt. Chaque passage de porte nécessite l’attente d’un déverrouillage opéré par un poste de contrôle invisible. Ce qui procure une impression de nudité. On a beau se dire que le personnel fait son travail, les sons métalliques, le poids des us et coutumes, la présence des gardiens à chaque grille, sont très prégnants même si les contours normatifs sont extrêmement difficiles à cerner. Dans un contexte de surpopulation, on ressent le malaise des surveillants, souvent réduits à un rôle de gestion des incidents dans un climat de travail tendu.
Après avoir rappelé les consignes du règlement intérieur, Loïc Parayre, le directeur adjoint de l’établissement en charge de la formation professionnelle et des politiques partenariales, entreprend de nous faire visiter le centre socioculturel. « Le bâtiment a dû être fermé pendant une partie des vacances scolaires, faute de personnel d’encadrement. Mais il est désormais ouvert toute l’année », précise le dynamique directeur qui projette d’organiser prochainement une formation d’arbitrage au football. « Nous aurons sans doute plus de candidats que pour les auteurs. Ils étaient 29 inscrits aujourd’hui, j’espère qu’il n’y aura pas trop de désistements… »
Le temps d’une rencontre
Le centre socioculturel comprend plusieurs salles de cours, une bibliothèque et une grande salle d’accueil dont les fresques murales restituent l’environnement d’un village. C’est ici que se tient la rencontre. Ils sont finalement une vingtaine à avoir répondu au rendez-vous. L’intervenant s’efforce de saisir son public très hétérogène. Il a face à lui des hommes de tous les âges, issus de nombreuses origines avec des niveaux de formation variés.
L’essentiel est de garder à la conscience que ce moment est important pour chacun. Tout en amenant du contenu, Jean-Christophe Lopez privilégie l’interaction. La nature des échanges laisse apparaître une culture de la négociation permanente qui ne porte que très partiellement sur le plan des idées. On joue plus gros devant un public qui oscille entre l’apathie, la fidélité, la protestation et la fuite. Il faut saisir l’instant pour être, en tentant d’éclater la gestion du temps carcéral qui impose étrangement un choix entre les activités socioculturelles et les activités professionnelles.
Une certitude partagée par tous les professionnels : ce n’est pas en étant coupé de la société que le prisonnier peut se préparer à la rejoindre. Seule la multiplication des contacts, et des d’échanges, l’y prépare. Chaque rencontre constitue en ce sens une occasion ou une simulation pour l’impérissable dignité de l’esprit.
Jean-marie Dinh
Paroles, écrits de détenus et bruits d’écrous
« Au lieu d’amputer plus encore les banlieues, ne faut-il pas réduire les inégalités entre ces zones et le reste de la société ? Redistribuer les revenus par le bas, augmenter les investissements dans l’éducation et la formation et considérer plus sérieusement le problème des transports, du logement de la santé (…) en ces temps où le gouvernement est prêt à aider les banques avec l’argent public ? » L’extrait de cet édito daté du 10 octobre, est signé Nicolas. Le texte a paru dans La Feuille d’Hector, l’hebdo de la M.A de Villeneuve-lès-Maguelone, réalisé par les détenus.
Un huit pages très pro. Dans lequel on trouve des infos pratiques, des chroniques libres et différentes rubriques, une page mots croisés, et l’incontournable programme TV en 4ème de couv. « Nous avons mis nos neurones en marche, » commente un des rédacteurs. « Ce n’est pas toujours le cas ici, souligne un autre : la télé a une vertu anesthésiante sans égal. C’est la prison dans la prison, mais ça passe le temps.» Le livre qui fait l’objet de conventions avec la Bibliothèque municipale et récemment avec la BDP occupe-t-il un statut privilégié pour les détenus ? La conversation est interrompue par un homme italien qui demande dans sa langue maternelle s’il existe des possibilités d’hébergement pour sa femme qui vient prochainement lui rendre visite. « A l’extérieur on pense que nous avons tout le temps pour lire, reprend Eric, passionné par les romans d’anticipation, C’est vrai, si on est libre dans sa tête. Mais en vérité on mouline à mort. Ici quelque chose qui paraîtrait insignifiant prend des dimensions énormes. Ca vaut dans les deux sens ; Quelqu’un qui vous donne un bonbon, ça peut vous égayer pour la journée. »