Une bibliothèque hors les murs et dans les murs

L’offre de lecture publique est une pierre angulaire de la démocratisation culturelle. C’est peut-être pour cela que l’onde de la société résonne dans le monde des bibliothécaires. Boostés par les nouvelles technologies de l’information, les nouveaux usages du public sont au cœur du questionnement de la profession. A l’air du tout numérique la démarche ne s’avère pas de tout repos, mais le secteur est en même temps plein de vitalité. Avec la montée en puissance des communautés d’agglomération, les médiathèques ont fleuri partout en zone urbaine. La tendance est au regroupement. A une extrémité on peut parler de concentration, avec la centralisation de la gestion. A l’autre bout, on observe une volonté d’adaptation pour faire face à la situation dans un secteur en pleine mutation.

Huit ans après la création de la Médiathèque centrale Emile Zola, l’Agglo de Montpellier s’est, pour l’essentiel, dotée des infrastructures. Elle dispose d’un réseau d’une dizaine d’établissements auxquels viendront s’ajouter les médiathèques de Pérols et Clapiers. Il faut maintenant penser au futur et aborder la dimension du projet. Un plan de modernisation sur 15 ans a été adopté il y a peu. Il devra tenir compte tout à la fois de la chute de la fréquentation, -13% en deux ans, du nouveau mode d’utilisation des visiteurs qui demandent une plus grande amplitude horaire et de la furieuse avancée technologique dans le secteur de l’information.

La problématique est nationale, avec un million d’entrées en 2007, (700 000 pour la seule médiathèque centrale), le réseau de l’agglo n’est pas à la traîne. Il demeure le lieu le plus fréquenté après le cinéma et le zoo du Lunaret. Il a su développer une offre très diversifiée qui va de la ludothèque aux salles d’actualité en passant par le patrimoine et l’offre de formation en informatique. L’aspect technologique n’est pas en reste avec les robots bien utiles qui transportent un tiers des ouvrages dans la vaste bibliothèque centrale, 100m de long sur 35m de large et près de 30m de haut. Les 49 000 abonnés peuvent déjà interroger le catalogue à distance, consulter leur compte pour savoir ce qu’ils ont emprunté. A terme, ils pourront consulter les documents en ligne et même jouer. Une étude sur le système d’information sera lancée cette année pour améliorer tous les services de gestion des sites, ainsi que les services à distance pour répondre aux nouveaux usages.

Lieux de solidarité

La difficulté réside dans la diversité des usages et des publics concernés. Une étude du Credoc démontre que le public qui se rend sur place se compose essentiellement de demandeurs d’emploi, de temps partiel et d’étudiants, en d’autres termes les couches de la population les plus précarisées d’où l’importance du maintien de la solidarité. Les médiathèques sont plus que jamais un lieu de démocratisation culturelle. Le volet action culturelle a accueilli 40 0000 personnes en 2007. Auxquelles s’ajoutent 25 000 scolaires. Des partenariats sont en cours pour travailler avec la cité de la musique et l’orchestre de Montpellier. Cela souligne la vocation de service public de ces établissements.

La modernisation du réseau doit être à la fois technologique afin de développer tous les services externes, et humaine pour mieux conseiller, tout en s’adaptant aux demandes. La phase de réflexion qui débute devra en outre déterminer s’il faut encore construire ou s’orienter vers un service aux citoyens. Mais une autre question entre en jeu, celle de l’élargissement qui conditionne la grandeur du futur territoire de l’Agglo.

Jean-Marie Dinh

Sapho à fleur de peau

« Un artiste est conducteur, il faut qu’il conduise à tout pris mais il est traversé »

 

Sapho est un peu la diva du Festival des Voix de la Méditerranée. Pour la dixième édition, elle est venue avec une création musicale dans ses bagages.

Diversité culturelle et, artistique, ce festival de poésie semble taillé à votre mesure ?

C’est un des plus beaux festivals que je connaisse. Ici la parole circule librement. On peut se promener en prenant le temps d’apprécier les mots. C’est très important dans une société qui nous bombarde d’images en permanence. Cela rend les gens plus disponibles et plus humains. Pour moi qui suis polyglotte, ce lieu correspond  à mon besoin de connecter toutes les langues. A cela s’ajoute la poésie qui est une langue dans la langue.

A travers les langues, des fragments de drames identitaires passent ici de manière prégnante y trouvez-vous des résonances ?

J’avais écrit un texte qui parlait de l’identité et qui partait d’une phrase de Derrida. Il explique qu’il est Français et puis, pendant la guerre d’Algérie, on lui retire sa nationalité. Mais il ne parle pas l’arabe. Donc il n’a plus rien. Et puis on lui restitue sa nationalité, et il écrit cette phrase qui résonne en moi de façon extraordinaire : « Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne. » Je parle la langue française, c’est ma langue paternelle et une de mes langues maternelles c’est l’arabe dialectal que mes parents s’interdisaient de nous parler mais dans lequel ma grand-mère s’exprimait. Cette mémoire quasi organique m’est revenue, il y a peu, en chantant Imagine en marocain pour Florence Aubenas. En studio, je me suis aperçue, à ma grande stupéfaction, que je chante plus facilement en marocain, qu’en arabe classique voire en français. Pour la même chanson, j’ai fait six prises pour le français et deux pour l’arabe.

Comment identifiez-vous vos racines dans l’alliance culturelle qui nourrit votre cheminement ?

Le fait d’avoir été entre plusieurs cultures m’a plongée dans la citoyenneté du monde. Trop Juive pour être Marocaine, trop Marocaine pour être Française, au début c’était une douleur. Et à la fin, c’est devenu une forme de grâce, de mobilité, d’agilité permettant d’aller ici ou là. Il y a quelque chose de voyageur dans la musique. A certains moments, les choses affleurent votre mémoire comme une espèce de chose impérieuse qui dit aime-moi. Un artiste est conducteur, il faut qu’il conduise à tout prix mais il est traversé. Moi je laisse toujours affleurer les choses et puis après je fais le ménage. J’aime transmettre, servir de passerelle d’une rive à l’autre.

C’est une belle image, mais cette rencontre entre les cultures passe aussi par des confrontations, de la violence…

Il y a de la violence, mais, à mon sens, elle est avant tout politique. Si vous rencontrez les gens individuellement, il y a toujours un moyen de parler. On se heurte aux croyances, aux idéologies parce que tout le monde n’a pas le désir de prendre de la distance avec ces choses-là et que rester dans le clanique c’est confortable. Mais on peut toujours convoquer la singularité, toucher l’homme où il n’est plus avec sa tribu. Le monde est comme ça. Et les politiques se servent de l’idéologie, du religieux. Quand le religieux est noué au politique, cela donne le désastre que nous connaissons. Les intégrismes, les fondamentalistes, les nationalismes, tous ces replis identitaires qui sont la mort du dialogue, de la parole et qui créent de la violence. Je pense que la parole est une issue à la violence. Si on n’arrive pas à parler, on tue. Si on peut éviter l’informulable, l’innommable, alors on peut peut-être en sortir.

Il y a toujours eu une forme de violence dans votre expression…

Oui mais justement, parce qu’il y a cette forme de violence, je ne suis pas violente. Cette violence-là est conduite, elle est métabolisée, sublimée donc transformée. C’est une protestation parce que justement j’ai de l’espoir, si j’étais sans espoir, je serais sans violence.


Comment évolue l’insoumission avec le temps ?

Au début j’étais insoumise d’une manière littérale, comme ça, physique. Ensuite, je suis restée insoumise dans mon travail. Si je n’avais fait que du rock, cela aurait marché c’est sûr. J’ai introduit des sons orientaux ça dérangeait… J’ai chanté un peu en arabe… On me disait, on n’est pas raciste, mais les gens sont racistes, on ne peut pas passer ça. C’était mon insoumission. Mais j’ai insisté, et j’espère que cette insoumission a fait bouger quelque chose. Aujourd’hui, c’est devenu de la résistance.

Votre regard intérieur vous conduit aussi à explorer et à transformer les fêlures ?

Ah oui, c’est sûr… (rire) J’étais récemment à Gaza et au Liban où l’on m’a dit « vous rodez souvent autour de la blessure ». C’est très juste, quelque chose du drame humain, de l’holocauste, de la folie des hommes me pose question. Je me demande toujours si c’est insoluble. Est-ce qu’on n’a rien à faire ? Je me suis toujours efforcée d’expulser les cris que j’ai entendus.

Le goût du risque, de la mise en danger, semble ne vous avoir jamais quitté ?

C’est extrêmement important. Lorca a parlé magnifiquement du duende. C’est un génie qui dort dans le chanteur flamenco et le chanteur doit réveiller ce génie pour qu’il vienne. Mais quelquefois on ne l’a jamais et même quand on l’a quelquefois on ne l’a pas. La prise de risque est nécessaire pour qu’il se passe quelque chose. C’est une notion très méditerranéenne de l’art.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

Voir aussi : Rubrique Musique, rubrique Poésie, Voix de la Méditerranée le contenu d’une union , Les mille feux d’une conviction poétique, rubrique Rencontre, Amin Maalouf, Salah Stétié, On Line, Sapho Bio ,

 » La littérature est un plaisir »

todorov-moyenneRencontre. Avec Tzetan Todorov à propos de la problématique de son essai  : La littérature est-elle en péril ?

Vos années d’études sont marquées par la volonté d’échapper aux dogmes idéologiques qui régnaient en Bulgarie. A la fin des années 50, vous fuyez la schizophrénie collective et vous vous retrouvez en France face au système de classification littéraire. Est-ce une autre forme de schizophrénie ?

Pas vraiment, parce que dans le milieu intellectuel des années 60, il y avait une libre circulation d’un milieu à l’autre. On pouvait s’enfermer, mais dans une servitude volontaire. Alors que dans le monde totalitaire, vous êtes contraint. Dans le privé, les gens révèlent une facette de leur être librement. Et quand ils se retrouvent dans la sphère publique, ils tiennent un discours convenu pour se soumettre aux prescriptions de l’idéologie. Quand on a vécu dans ces conditions, on comprend beaucoup de choses et on a un peu peur parce que l’on se rend compte que n’importe quelle population mise dans certaines conditions se comporterait de la même manière. On ne peut pas échapper à un pouvoir qui vous entoure de partout.

La servitude volontaire,  n’est-ce pas pire ?

Cette servitude volontaire est d’une certaine manière pire parce qu’on l’accepte et elle vous contamine de l’intérieur. Alors que l’autre type de servitude est une pure contrainte. Mais le totalitarisme ne fonctionne pas comme ça. Tout le monde est à la fois maître et esclave, surveillant et surveillé et c’est cette pénétration de toute la société qui est vraiment le trait caractéristique et en même temps une révélation effrayante. Parce qu’être soumis, tout le monde peut le comprendre : on peut être vaincu par des forces plus grandes que la sienne. Mais être complice, on voudrait ne pas l’accepter.

Pourquoi écrire ce livre maintenant ?

Cela est  lié à mon parcours individuel. Après mes études littéraires, j’ai éprouvé le besoin de me familiariser avec les disciplines des sciences humaines. Parce qu’il me semblait que la littérature n’est pas coupée du reste du monde. Je me suis engagé dans mes années de voyage intérieur à travers les sciences humaines. La littérature, je l’avais laissée un peu de côté et puis il y a quelques années, j’ai eu le sentiment que ce parcours était terminé. Et j’ai voulu faire le point sur ce qui avait été ma profession.

Votre propos donne à penser que l’on étudie plus la méthode que le sens des œuvres littéraires…

J’ai acquis cette connaissance concrète au sein du Conseil national des programmes. Pendant quelques temps, on s’est dit que les études littéraires pouvaient être améliorées en introduisant des concepts et des méthodes plus rigoureuses que celles qui avaient cours. Ce projet remonte aux années 60. J’y ai moi-même participé. Mais une fois introduit dans l’enseignement scolaire, cela s’est transformé en une étude des seules méthodes au détriment des textes. Ce qui devait être un instrument est devenu l’objet de l’étude même. Les fleurs du mal ou Mme Bovary deviennent des exemples illustrant les figures de rhétoriques ou les procédés narratifs au lieu que cette connaissance puisse nous servir à mieux comprendre le sens, la beauté, les idées, la pensée de ces œuvres.

Vous précisez que cela ne relève pas de la responsabilité des profs que peuvent-ils faire ?

Ils peuvent influencer leur encadrement. Moi je m’attaque plus à l’encadrement qu’aux professeurs. Pour dire la vérité, ils font les choses comme cela leur convient. Il y a une grande variété dans les classes. Mais cette variété n’est pas illimitée. Parce que vous avez des programmes nationaux qui deviennent contraignants comme au moment du Bac. Et puis il y a les inspecteurs qui viennent et qui notent. Donc on ne peut pas faire les choses à sa guise, mais ils peuvent élever la voix à travers leurs associations et leurs syndicats. Il faut revenir à une attitude beaucoup plus simple qui correspond à l’expérience des lecteurs communs. Qui lisent pour le plaisir, pour une meilleure compréhension de ce qui les entoure et d’eux-mêmes.

Il est plus facile de contrôler la méthode d’analyse que la nature de l’œuvre ?

Oui, on pourrait faire des QCM en cochant les bonnes réponses. Mais c’est une dérive à laquelle il faut absolument résister. Il faut que l’on sache comprendre, parler, s’exprimer et cela c’est plus difficile à noter. Il y a une défection massive dans cette filière. Aujourd’hui, on ne prend le Bac L que parce qu’on n’est plus capable de faire des maths. Et c’est absurde parce que la filière littéraire devrait être celle qui nous apprend le plus sur la société humaine. Et toutes les professions ont à faire aux comportements humains. Il faut partir du postulat que la littérature c’est du plaisir.

recueilli par Jean-Marie Dinh

La littérature est-elle en péril ? éditions Flammarion

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