Droit d’asile Vous avez dit « submergés » ?

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« Certaines régions sont en train de se déconstruire parce qu’elles sont submergées par les flux de demandeurs d’asile » affirmait récemment Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, au cours de la discussion du projet de loi asile-immigration qu’il défendait et qui a été adopté hier en première lecture par l’Assemblée nationale.

Pourtant, depuis le démarrage de la vague de réfugiés causée par la guerre en Syrie en 2015, et jusqu’à la fin de l’année 2017, la France n’a enregistré que 239 325 demandes d’asiles, soit moins de 8 % du total des demandes déposées dans l’Union, pour un pays qui pèse 13 % de sa population. Autrement dit, le nombre de demandeurs d’asile en France équivalait à 0,36 % de la population de l’Hexagone. Cette proportion est 6 fois inférieure à celle observée en Hongrie ou en Suède et cinq fois à celle constatée en Autriche ou en Allemagne…

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De plus, du fait d’un taux de décision favorables nettement plus bas que la moyenne européenne, la France n’a finalement accepté au cours de ces trois années, que 81 950 demandeurs d’asile (octroi du statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire) soit 0,12 % de sa population. C’est 10 fois moins que la Suède, 8 fois moins que l’Allemagne, 3 fois moins que le Danemark et la Belgique ! Un chiffre qui rappelle toute l’absurdité du système actuel marqué notamment par des taux d’acceptation extrêmement variables d’un pays à l’autre…

Il y a certes sur le vieux continent encore pire que nous en matière de refus d’accueillir des réfugiés qui tentent leur chance en Europe pour échapper à la guerre et/ou à la misère, notamment au Royaume Uni et en Europe centrale et orientale. Mais il faut quand même faire appel à une bonne dose de mauvaise foi pour considérer que nous serions « submergés » par les demandes d’asile. Quand on écoute les discours de nos dirigeants actuels sur ce sujet, il n’y a vraiment pas de quoi être fier du « pays des droits de l’homme »…

Guillaume Duval

Source Alternatives Economiques 24/04/2018

Au coeur de l’Italie des laissés-pour-compte

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Manuel premier long métrage de Dario Albertini Antigone D’or du Cinemed 2017 évoque le destin contrarié d’un jeune homme, ni révolté, ni intégré, qui pourrait s’élever socialement tout autant que sombrer dans la délinquance. A découvrir demain sur les écrans.
Manuel vient d’avoir 18 ans. Il est temps pour lui de quitter le foyer pour jeunes dans lequel il a vécu ces dernières années, depuis l’incarcération de sa mère. Mais la liberté retrouvée a un goût amer. Errant dans les rues de son quartier en banlieue de Rome, Manuel tente de devenir un adulte responsable. Pour que sa mère obtienne l’assignation à résidence, il doit prouver aux autorités qu’il peut veiller sur sa elle. Manuel pourra-t-il aider sa mère à retrouver sa liberté sans perdre la sienne ?
Ce drame social fait suite au documentaire La republica dei ragazzi (2014) dans lequel Dario Albertini suit le quotidien d’un refuge dédié aux orphelins. A l’ instar de l’allégorie de la caverne, Dario Albertini met en scène la condition humaine dans un environnement gris et médiocre peuplé de gens perdus. Au-delà de toute illusion, des jugements, des fausses idées reçues, et des croyances, Manuel qui vient d’avoir dix huit ans doit prouver qu’il est responsable à un monde qu’il ne connaît pas et qu’il comprend pas. Cela, il veut le faire par devoir, pour ce qui lui reste de famille, et par amour pour celle qui l’a mise au monde. Mais en sera-il capable ?
Le jeune acteur Andrea Lattanzi interprète sa propre histoire avec peu de mots mais une grande justesse des émotions. Dario Albertini signe un film puissant, dont les reflets universels évoquent une jeunesse qui doit faire face à une réalité illusoire. La mise en scène épurée s’inscrit dans la droite lignée du néoréalisme italien.
JMDH
Source La Marseillaise 06/03/2018
Voir aussi : Rubrique Cinéma,

Utu exhumation d’un western crépusculaire

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Anzac Wallace, totalement possédé par son personnage. Photo dr

Cinéma
Après que l’armée britannique a massacré les siens, un soldat maori, d’abord au service de la Couronne, se venge. Reprise en version restaurée d’un néo-western totalement envoûtant.
Film maudit...

En 1983 le réalisateur Geoff Murphy vient présenter, à Cannes, hors compétition, le premier film néo-zélandais. Mais Utu ne connaît pas le même destin, que Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson, bien au contraire. La carrière du film tourne court en raison de problèmes entre les producteurs qui finissent par avoir raison du film. Le film restera invisible pendant plus de 30 ans. L’œuvre ressort aujourd’hui en version restaurée et augmentée, portant fièrement les trois lettres rouge sang de son titre, Utu, qui en maori signifient « vengeance ».

Conflit colonial oublié
Les deux îles principales constituant la Nouvelle-Zélande  est l’un des territoires les plus tardivement peuplés de la planète. La date de l’arrivée des premiers Maoris s’établit entre 1250 et 1350. Le film évoque le grand conflit de la colonisation entre les Maoris et les Britanniques partiellement oublié dans le grand lissage de l’histoire occidentale. Après que les Néerlandais aient été reconduits par les Maoris au milieu du XVIIe siècle. La conquête britannique s’établit à travers le commerce. Elle s’opère dans les traces des  premiers pas du capitaine James Cook sur les côtes en 1770.

En 1854, le premier Parlement de Nouvelle-Zélande, établi par le Parlement du Royaume-Uni, conduit le pays vers une autonomie partielle. Cette période verra une explosion démographique.  En 1893, la Nouvelle-Zélande est le premier pays à donner le droit de vote aux femmes. Après les baleiniers, les missionnaires débarquent d’Europe pour un tout autre commerce, celui du « sauvetage des âmes ».

A cet égard, la scène où le prêtre anglican se fait décapiter en présence de ses fidèles appelés au retour des croyances animistes par le Maori renégat, est un vrai morceau d’anthologie cinématographique.

Absence de héros
La lutte hégémonique pour l’expansion coloniale entre la France et la Grande-Bretagne poussent les Anglais à obtenir à l’arrachée l’adhésion d’une grande partie des chefs maoris à un traité les liant à la Couronne. Le traité de Waitangi fera office de constitution de cette nouvelle colonie. Si le scénario autour de la vengeance s’avère assez classique, Utu révèle en toile de fond un contexte historique et culturel beaucoup plus singulier. La galerie des personnages qui se révèlent dans le feu des événements dresse le portrait d’un monde où la lutte pour le pouvoir fait basculer la société. Du révolté, au loyal, du fermier vengeur, au jeune soldat britannique et, même l’officier inflexible, « tous apparaissent victimes d’un système qui les dépasse et les projette les uns contre les autres ».  Les préjugés sont mis à rude épreuve dans la nouvelle grille de lecture que propose Utu du fait colonial.

JMDH

Le Blu- ray et DVD en précommande jusqu’au 7 mars

Source : La Marseillaise 22/02/1018

Les risques de l’euro fort

 Xavier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail Xavier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail avier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail Xavier Timbeau Directeur de l'OFCE

Chronique

Depuis mars 2017 l’euro s’est apprécié d’environ 20 % face au dollar. Lorsqu’on tient compte du poids de nos partenaires commerciaux dans les échanges de la zone euro, on obtient un « taux de change effectif » qui s’approche de son précédent record, à la veille de la crise de 2008 signalant une appréciation générale de la devise européenne.

Des effets négatifs

Ce mouvement réduit les parts de marché des exportateurs de la zone tout comme celle des producteurs nationaux sur les marchés internes, même si les économies se sont spécialisées et que la zone euro n’est plus en concurrence avec le reste du monde sur de nombreux produits. L’appréciation de la monnaie européenne accroit le pouvoir d’achat des consommateurs – on achète moins cher à l’étranger – tout en réduisant la compétitivité des producteurs : l’exemple du Royaume-Uni montre que ces deux effets peuvent se compenser.

A l’opposé, la difficulté de la France à rétablir sa compétitivité et équilibrer sa position extérieure est accentuée. Après les transferts massifs du CICE et du pacte de responsabilité pour gagner quelques points de compétitivité (autour de 5 points au total), l’appréciation récente de l’euro annule pratiquement tous ces efforts, du moins pour nos échanges en dehors de la zone euro.

Des risques pour la zone euro

Il faut s’inquiéter de cette évolution de l’euro. La nouvelle révolution industrielle fait des coûts salariaux un argument secondaire, la localisation des investissements à venir se fera en partie sur des considérations de taux de change. De plus, l’appréciation de l’euro va peser négativement sur l’inflation et réalimenter les craintes déflationnistes. Et elle n’est pas finie. La zone euro affiche un excédent considérable de ses échanges extérieurs de près de 400 milliards d’euros. Pour les rééquilibrer, il faudrait un taux de change de l’ordre de 1,35 dollar pour un euro. Depuis le début de l’année 2017 nous n’avons fait que la moitié du chemin !

Certes, plus d’inflation aux Etats-Unis obligera la Réserve Fédérale à monter les taux d’intérêt tandis qu’ils resteront bas en zone euro, ce qui pousse à l’appréciation du dollar. Mais si l’excédent de la zone euro n’est pas réduit (par plus de demande en Allemagne, par exemple), alors la pression à la hausse subsistera. En raison de la grande hétérogénéité des situations des pays européens, la conséquence profonde n’en sera pas seulement moins d’investissement en zone euro ou une dépréciation du montant de l’épargne accumulée sur le reste du monde. Ce sera le retour du risque d’éclatement de la zone euro.

Source Alternative Economique 19/02/2018

Atteintes à la liberté d’informer : ça commence à bien faire

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Médias

« La liberté de la presse aujourd’hui n’est plus seulement attaquée par les dictatures notoires, elle est aussi malmenée dans des pays qui font partie des plus grandes démocraties du monde », déclarait Emmanuel Macron lors de la cérémonie des vœux à la presse, le 3 janvier dernier. « Elle est malmenée jusqu’en Europe », précisait-il. Elle est malmenée jusqu’en France, est-on tenté d’ajouter, tant les menaces de restrictions de cette liberté fondamentale s’accumulent depuis quelque temps.

Le dernier épisode en date a vu notre confrère Challenges sévèrement condamné par le tribunal de commerce de Paris pour avoir informé ses lecteurs d’une procédure de « mandat ad hoc » concernant le distributeur de meubles Conforama, l’obligeant à retirer l’article incriminé et à ne plus traiter ce sujet sous peine d’amende. Nombre de sociétés de journalistes et de rédactions, dont celle d’Alternatives Economiques, se sont émues de cette condamnation, qui fait prévaloir le secret des affaires sur la liberté d’informer.

Coup de force

Cette décision, prise par des juges issus du monde de l’entreprise, ressemble à un coup de force destiné à créer un précédent : plusieurs initiatives législatives ayant pour but de consacrer le délit d’atteinte au « secret des affaires » dans le droit français ont en effet échoué ces dernières années. Et la controversée directive européenne de 2016, qui ménage un équilibre très incertain en la matière, doit encore être transposée par le législateur dans l’Hexagone d’ici le mois de juin.

Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont devenues monnaie courante

Cette incertitude juridique a de quoi inquiéter. Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont en effet devenues monnaie courante, comme l’a montré encore récemment le procès ouvert à l’encontre de trois médias et de deux ONG à la suite d’une plainte en diffamation déposée par deux entreprises liées au groupe Bolloré. Même si ces procédures n’aboutissent pas toujours, elles paraissent avoir pour objectif premier d’intimider et de faire taire les médias. Compte tenu du risque encouru et des difficultés économiques qui frappent nombre de titres de presse écrite, elles pourraient en effet avoir pour résultat d’éteindre toute couverture médiatique heurtant certains intérêts privés.

L’information de qualité menacée par la pression financière

La menace ne vient cependant pas toujours de l’extérieur : l’intégration croissante de nombre de médias dans de grands conglomérats confronte souvent ceux-ci à une pression financière incompatible avec le maintien d’une information de qualité. En témoigne le cas de l’ancien pôle presse du groupe Wolters Kluwer, éditeur de plusieurs publications de référence de l’information du secteur social et médico-social (Liaisons sociales magazine, Entreprise & Carrières ou encore ASH) : passant des mains d’un actionnaire à un autre, celui-ci a vu ses rédactions décimées en quelques mois, mettant en péril une expertise précieuse aussi bien pour les professionnels de son secteur que pour l’ensemble des médias.

Enfin, les pouvoirs publics eux-mêmes ont joué avec le feu. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la direction de France Télévisions a été mal inspirée, lorsque fin 2017, elle a tenté de réduire drastiquement les moyens des magazines d’investigation de France 2, Envoyé spécial et Complément d’enquête. Face au tollé de l’opinion, elle est revenue partiellement sur cette décision, mais l’épisode a laissé un arrière-goût de censure déguisée sous des motivations d’ordre économique.

Pour tarir les fuites concernant les ordonnances, le gouvernement n’a pas hésité à porter plainte

Quelques mois plus tôt, en juin 2017, le nouveau gouvernement, à peine installé, dégainait l’arme judiciaire dans le but de tarir les fuites publiées par le quotidien Libération concernant les futures ordonnances sur le marché du travail. En ayant recours à la plainte contre X pour « vol, violation du secret professionnel et recel », le ministère du Travail avait dans sa ligne de mire aussi bien les sources de Libération que le quotidien lui-même. Une épée de Damoclès a pesé par conséquent sur tous les médias, qui, à l’instar d’Alternatives Economiques, ont eu alors accès aux projets d’ordonnances et ont voulu en rendre compte à leurs lecteurs.

Si le gouvernement a fini par retirer la partie de sa plainte qui les visait expressément (le recel), il a maintenu celle visant l’origine des fuites et diligenté des enquêtes internes pour l’identifier. Une manière détournée de chercher à tarir l’information en s’attaquant à ses sources. L’intention affichée par la ministre de la Culture Françoise Nyssen en novembre dernier de « porter plainte contre X » après la publication par Le Monde de révélations tirées d’un document de son ministère sur la réforme de l’audiovisuel, montre que le gouvernement n’a pas renoncé à manier ce registre.

Le travail journalistique démonétisé

D’où qu’elles viennent, ces pressions alimentent un climat délétère autour de la liberté d’informer. Elles se conjuguent, pour le pire, avec d’autres évolutions inquiétantes : face au déferlement des fake news et au rouleau compresseur des grands infomédiaires du numérique, pour qui l’information n’est qu’une commodité comme les autres, le travail journalistique sérieux apparaît de plus en plus démonétisé.

Le système de distribution égalitaire et solidaire de la presse, destiné à garantir le pluralisme, pourrait prochainement sauter

La crise de son modèle économique qui en résulte place aujourd’hui la distribution de la presse écrite dans l’Hexagone au bord du gouffre, avec le risque de catastrophes en chaîne chez les éditeurs et marchands de presse. Au passage, le système de distribution égalitaire et solidaire, destiné à garantir le pluralisme, qui régit la presse en France depuis l’après-guerre pourrait bien sauter, si l’on en croit l’intention affichée aussi bien par le gouvernement que par nombre d’acteurs de la filière de revoir de fond en comble la loi Bichet.

De toutes ces « disruptions », on ne saurait tenir pour responsables les pouvoirs publics, ni même attendre d’eux qu’ils y apportent toutes les solutions. A minima cependant, on peut légitimement attendre de nos élus qu’ils confortent et garantissent la liberté d’informer. Ce n’est pas une simple revendication corporatiste, mais l’une des conditions sine qua non au bon fonctionnement de notre démocratie.

Marc Chevallier

Source : Alternative Economique 08/02/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Médias, Entretien avec Laurent Mauduit autour de son livre « Main basse sur l’Information »,