Stratégie en Afghanistan: un bel exemple de la pratique des petits soldats du journalisme

Tactiques de la cloche à fromage

A l’heure où la conférence de Londres accouche d’une souris et au moment où les français se prononcent majoritairement pour le retrait des soldats français d’Afghanistan, Hervé Asquin signe pour l’AFP ce jolie article sous le titre  Stratégie en Afghanistan: variations françaises sur un thème américain… Un bel exemple de la pratique des petits soldats du journalisme qui devrait ravir Claude Guéant.

BASE AVANCEE DE NIJRAB (Afghanistan, 24 jan 2010) Tactiques de la cloche à fromage, du mikado, du pare-feu ou du billard: les officiers français se succèdent dans l’est de l’Afghanistan où ils rivalisent d’ingéniosité pour accommoder à leur façon la stratégie américaine de contre-insurrection. Commandant en chef des forces américaines et de l’Otan en Afghanistan, le général Stanley McChrystal a pris un virage à 180 degrés au cours de l’été, constatant l’impuissance de la coalition à maîtriser l’insurrection après huit ans de guerre. Son nouveau mot d’ordre: privilégier la sécurisation des populations sur la traque des insurgés.

Depuis le 1er novembre, la plupart des 3.300 soldats français sont rassemblées dans la province de Kapisa et le district de Surobi, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est et à l’est de Kaboul. A la tête de cette « Task Force La Fayette », le général Marcel Druart tente d’appliquer « l’esprit » sinon la lettre des nouvelles priorités de McChrystal, exercice grandement facilité par le goût du général américain pour la « pensée stratégique » française. McChrystal se revendique volontiers de Lyautey, le Maréchal de France qui prônait le respect des populations et de l’islam dans le Maroc du Protectorat, ou de David Galula, l’officier français passé par Harvard, auteur, dans les années 60, de « Contre-insurrection, théorie et pratique ».

Sur la ligne stratégique, il y a tout au plus l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre Français et Américains. McChrystal entend gagner la « confiance » des populations afghanes, « conquérir les coeurs et les esprits ». Patron du 2e régiment étranger d’infanterie, le colonel Benoît Durieux qui vient d’achever une mission de six mois à la tête des forces françaises en Surobi, parle plutôt de « libérer les coeurs et les esprits de l’obscurantisme des talibans ». Avant son retour en France, l’officier avait présenté sa stratégie du Mikado au ministre de la Défense Hervé Morin, venu partager le réveillon de la Saint-Sylvestre avec le contingent français. « Les membres de la société afghane sont liés par des liens familiaux, ethniques, tribaux, des souvenirs communs, des projets, des intérêts… », avait-il expliqué au ministre, et il s’agit « d’observer comment le jeu est tombé » pour retirer une baguette sans faire bouger les autres.

Cette stratégie a permis aux forces françaises de « remonter jusqu’au nord d’Uzbin », la vallée autrefois interdite où 10 soldats français étaient tombés sous le feu des talibans à l’été 2008, se félicite le général Druart, s’exprimant à Nijrab, son quartier général. En février 2009, le colonel Nicolas Le Nen expliquait à l’AFP comment il avait piégé les insurgés « comme des mouches sous une cloche à fromage » en déployant 150 hommes sur les crêtes. Son successeur à Nijrab, le colonel Francis Chanson, a élaboré la théorie du pare-feu, visant à contenir les foyers insurrectionnels les plus radicaux en gagnant les populations alentour à la cause de la coalition. Quant au général Druart, il propose une stratégie dite du billard, « un réseau de forces positives -autorités, policiers, militaires ou commerçants- pour faire pencher la population indécise en notre faveur ».

Si ces diverses stratégies semblent avoir porté leurs fruits en Surobi où la situation paraît apaisée, la partie est encore loin d’être gagnée en Kapisa, reconnaît cependant le général Druart. Les Français ont perdu trois des leurs en trois jours à la mi-janvier dans cette province, deux d’entre eux tombés sous le feu des insurgés, le troisième victime d’une mine artisanale.

Afghanistan : l’exemple soviétiques offrent un modèle de sortie

LivreTant décriés aujourd’hui, les Soviétiques ont pourtant réussi en Afghanistan ce que la coalition occidentale cherche à faire sous le nom d' »afghanisation », c’est-à-dire partir sans débandade en laissant derrière soi un gouvernement et une armée alliés, qui ont tenu plus de trois ans… jusqu’à la disparition de l’ Union soviétique.

« Le dernier soldat soviétique à franchir le «pont de l’Amitié» sur l’Amou-Daria, ce 15 février 1989, s’appelait Boris Gromov. Il était alors un jeune général de 45 ans, à la tête de la 40e armée soviétique. Deux décennies plus tard, Gromov est gouverneur de la région de Moscou. Belle carrière. Le pont, d’une longueur de 800 mètres et construit en poutrelles métalliques, est toujours là. Il sépare désormais l’Ouzbékistan de l’Afghanistan. Les Russes ont quitté ce pays, mais la paix n’y est pas revenue. Pourtant, leur retrait – réussi – pourrait servir d’exemple aux Occidentaux quelque peu empêtrés en Afghanistan. Alors que se tient jeudi à Londres une grande conférence internationale sur l’avenir du pays, l’expérience soviétique devrait paradoxalement inciter à l’optimisme. Oui, la stratégie de transfert de responsabilités aux autorités et à l’armée afghanes – connue sous le nom d’«afghanisation» – peut marcher. La preuve ? Les Soviétiques y sont parvenus dans un contexte beaucoup plus difficile. L’Amérique d’Obama devrait au moins réussir à faire aussi bien. L’expérience soviétique montre en effet qu’il est possible de trouver une porte de sortie en laissant derrière soi un régime suffisamment stable et présentable pour partir sans honte. Que ce régime soit viable à long terme est une autre histoire…

Le problème, c’est qu’on l’avait oublié. Dans l’imaginaire collectif, hérité des dernières années de la guerre froide, l’armée soviétique a été chassée militairement d’Afghanistan par les moudjahidin soutenus par l’Occident. La réalité est un plus nuancée que cela.  Lorsque les Soviétiques quittent volontairement le pays au début de l’année 1989, ils laissent derrière eux un régime prosoviétique qui se maintiendra au pouvoir plus de trois ans. Et s’il disparaît, au printemps 1992, c’est parce que son principal soutien, l’Union soviétique, a entre-temps disparu…

Retour sur ce moment de la longue histoire de la guerre civile afghane qui entrera, en avril prochain, dans sa trente-deuxième année. Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir en mars 1985. L’Armée rouge est en Afghanistan depuis plus de cinq ans : elle y est entrée au lendemain de Noël 1979 pour sauver un régime communiste menacé par le soulèvement populaire. Comme le montrent les archives du Politburo du Parti communiste d’Union soviétique, désormais accessibles, cette opération militaire était loin de faire l’unanimité au sein de la direction soviétique. En 1985, l’enlisement militaire et politique est là. Dès l’été 1986, Gorbatchev prend la décision de se retirer d’Afghanistan, mais il veut le faire dans des conditions politiques acceptables. La guerre coûte cher, de l’ordre de 50 milliards de dollars par an, elle mobilise des dizaines de milliers d’hommes, les pertes s’accumulent et la population grogne devant les «cercueils de zinc» qui rentrent au pays. Il y aura, au total, 15 000 morts en neuf ans dont une majorité par maladie, les conditions sanitaires étant épouvantables. Gorbatchev doit trouver une porte de sortie.

Première étape : Moscou débarque le dirigeant afghan Babrak Karmal, installé au pouvoir fin 1979 après que les spetsnaz (forces spéciales) du KGB eurent assassiné son prédécesseur communiste Hafizullah Amin. Karmal, lui, a la vie sauve mais il doit céder le pouvoir au docteur Najibullah, le chef des services secrets, lui-même membre du KGB depuis les années 60. Agé de 39 ans, marié à une femme de la famille royale, ce Pachtoune est surnommé «le taureau». Sa réputation souffre des méthodes expéditives et cruelles des policiers du Khad. Il va néanmoins conduire avec un certain succès une politique d’ouverture et de réconciliation nationale. C’est la méthode Gorbatchev transposée en Afghanistan. Alors que le régime s’était fait détester de la population par ses attaques contre la religion, Mohammed Najibullah tend la main à l’islam : une nouvelle Constitution, adoptée en 1987, est placée sous les auspices du «Dieu clément et miséricordieux». Le commerce est libéralisé et Najibullah joue à fond la carte des fidélités tribales et locales avec une politique clientéliste traditionnelle.

Deuxième temps : la diplomatie. Des négociations s’engagent à Genève entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Union soviétique et les Etats-Unis. Elles aboutissent à un accord signé le 14 avril 1988. La résistance n’est pas partie prenante de ces pourparlers, qu’elle dénonce, mais le retrait soviétique se fait donc dans un cadre de légalité internationale. Gorbatchev ne se fait pas prier : dès le mois de mai, les troupes de Moscou quittent Kandahar et Jalalabad. En août, la moitié des effectifs (130 000 hommes au total) est déjà partie.

Pour les militaires soviétiques, la situation sur le terrain s’était terriblement dégradée les deux dernières années, lorsque les Etats-Unis ont autorisé le transfert de missiles antiaériens portables Stinger et Blowpipe aux moudjahidin. En quelques semaines, les Soviétiques perdent la maîtrise du ciel. On estime que 250 avions et hélicoptères ont été abattus en trois ans… Leur défaite militaire est toutefois relative, car ils gardent le contrôle des grandes villes et des principaux axes de communication. Sans lésiner sur les moyens pour l’obtenir, avec l’usage de l’artillerie lourde contre les villages ou la pose de dizaines de milliers de mines antipersonnel.

Le 15 février 1989, le général Gromov quitte l’Afghanistan, mettant fin à plus de neuf ans de présence militaire sur le terrain. A Moscou, c’est le soulagement ; en Occident, on crie victoire. Sur le terrain, la réalité est plus contrastée. La résistance, divisée entre de nombreux groupes rivaux et parfois hostiles, perd ce qui l’unissait : la présence de l’ennemi soviétique dans le pays. La guerre oppose désormais des Afghans à d’autres Afghans. Le Pakistan reste un acteur important et pousse ses alliés, les islamistes du Hezbi-i-Islami de Gulbudin Hekmatyar – les mêmes qui affrontent aujourd’hui les soldats français dans le district de Kapissa – à passer à l’action pour renverser le régime postcommuniste.

L’assaut est donné contre la ville de Jalalabad. Au bout de quelques semaines de combat, c’est un échec militaire pour les islamistes. Les troupes fidèles au régime de Kaboul ne se sont pas débandées, bien au contraire. En partie à cause d’actes de sauvagerie commis par des djihadistes arabes, comme le raconte l’historien afghan Assem Akram (1). Une soixantaine de militaires avaient été faits prisonniers et ils furent «exécutés, coupés en morceaux, emballés dans des caisses de fruits et envoyés à la garnison de Jalalabad avec ce message : voilà ce qui attend les mécréants !» Les «mécréants», fidèles au régime de Najibullah, continuèrent le combat. D’autant qu’ils avaient les moyens de le faire. L’Union soviétique versait environ 8 millions de dollars d’aide militaire par jour. Surtout, elle avait laissé derrière elle d’importants stocks d’armes et une armée à peu près formée. L’armée afghane utilisa massivement des missiles sol-sol Scud, les même que ceux de Saddam Hussein. Les experts militaires estiment que 1 700 de ces engins furent tirés par les Afghans – ce qui fait d’eux les premiers utilisateurs au monde.

Parallèlement, le docteur Najibullah parvint à débaucher d’anciens résistants, achetant des chefs de guerre et des seigneurs locaux. «Le régime ne s’effondre pas et les moudjahidin s’avèrent incapables de gagner», constate Gilles Dorronsoro (2), l’un des meilleurs spécialistes français de ce pays. «La résistance afghane, ayant gagné sa guerre, ratait sa paix», ajoute l’Américain Michaël Barry (3). Le début de la fin commence en août 1991, lorsqu’une tentative de putsch à Moscou fragilise définitivement Gorbatchev. En décembre, l’Union soviétique disparaît et Eltsine entre au Kremlin. L’Afghanistan est le cadet de ses soucis. Ce n’est pas le cas des Pakistanais, qui détestent le docteur Najibullah et son régime postcommuniste installé à leurs portes.

A Kaboul, la décomposition du pouvoir s’accélère, faute du soutien politique et financier de Moscou. Rachid Dostom, chef de guerre ouzbek dont la milice personnelle formait la 53e division de l’armée afghane, rallie les opposants, dont le commandant Massoud. Le régime aura tenu trois ans et deux mois après le départ de ses protecteurs. Le 16 avril 1992, Najibullah démissionne alors que les milices entrent dans la capitale, où elles vont s’affronter durant des mois à l’arme lourde. Refusant de fuir en Inde, Najibullah se réfugie le 17 avril dans un bâtiment des Nations unies. Il y restera enfermé plus de quatre ans, jusqu’en septembre 1996. A cette date, les talibans entrent victorieux dans Kaboul. Ils n’ont que faire de l’immunité diplomatique des Nations unies et capturent l’ancien président de la République. Il est sauvagement assassiné, castré et son cadavre pendu à un lampadaire. La guerre civile afghane continuait sous une autre forme. Elle se poursuit toujours.

Jean-Dominique Merchet

(1) Histoire de la guerre d’Afghanistan (Balland, 1996). (2) La Révolution afghane (Karthala, 2000). (3) Le Royaume de l’insolence (Flammarion, 2002).

Voir aussi  « Mourir pour l’Afghanistan » de  Jean-Dominique Merchet  aux Editions Jacob-Duvernet, 2008. Le blog de l’auteur

Les erreurs d’Obama, vues par Allan Lichtman

Allan Lichtman

C’est déjà l’heure des premiers bilans à Washington. Le 19 janvier, Barack Obama pourra célébrer le premier anniversaire de son installation à la Maison Blanche. Nous sommes notamment allés interroger Allan Lichtman, professeur d’histoire politique à l’American University. Démocrate non conformiste, il faisait partie de tous ceux qui avaient placé d’immenses espoirs en Obama, et s’avoue aujourd’hui « déçu ».

Que retenez vous de cette première année du président Obama?

J’ai été surpris et déçu. Je croyais qu’Obama avait le potentiel pour être un président de transformation de l’Amérique, comme Franklin Roosevelt ou Ronald Reagan. Comme Franklin Roosevelt, il a été élu à la fin d’une ère républicaine conservatrice, qui a commencé avec Reagan et s’est achevée avec W. Bush. Je pensais qu’il y avait là une occasion historique pour Obama. Mais cela ne s’est pas réalisé. A cause des erreurs de leadership qu’il a commises , mais aussi du contexte politique américain. La plus grande erreur d’Obama, je crois, est de ne pas avoir pris le contrôle du débat politique national. Il est notre président le plus charismatique depuis Ronald Reagan. Et il n’a pas utilisé son immense charisme pour mener le débat. Le meilleur exemple est la réforme de l’assurance maladie. Il était si soucieux d’éviter les erreurs de Bill Clinton qu’il a renvoyé le sujet au congrès. C’est une erreur énorme. On ne peut pas laisser le gouvernail aux 535 membres du Congrès. Le résultat est qu’il n’y a pas de message clair sur la santé. Les opposants ont pris la direction du débat. Une bonne partie de la population américaine associe maintenant la réforme à des coûts énormes, un contrôle gouvernemental, ou même des escadrons de la mort pour tuer les grand-mères… Tout cela est faux bien sûr, mais une fois le débat ainsi cadré, il est très difficile d’en sortir. Quand Obama a voulu le reprendre en main, il était trop tard. La même chose s’est produite avec le climat… On n’arrivera à rien de cette façon.

Il faut bien pourtant gagner le vote des sénateurs. Obama aurait-il pu s’y prendre autrement?

La question essentielle n’est pas le vote des sénateurs, mais la façon dont la réforme est présentée à l’opinion publique. Même si la loi sur la santé est adoptée, un nombre substantiel d’Américains s’y oppose maintenant. Ils ne comprennent pas un traître mot de cette loi.La seconde erreur commise par Obama a été de croire qu’il pourrait coopérer avec les républicains. S’il avait lu mon livre (White Protestant Nation: The Rise of the American Conservative Movement), il aurait su qu’on ne peut pas faire de compromis avec eux. Les Républicains ont un seul et unique objectif: le faire échouer. On ne peut pas être gentil avec l’opposition, de nos jours. Ils vous couperont la gorge. De toutes façons, un président américain n’a pas à être gentil. Si Franklin Roosevelt avait tenté d’apaiser les isolationnistes, il n’aurait pas gagné la guerre! Tout le cours de l’histoire mondiale aurait été différent.La troisième erreur de Barack Obama est la guerre en Afghanistan. Il aurait dû nous sortir d’Afghanistan. Le seul appui dont il dispose sur ce sujet, ce sont les républicains…

Tout de même, sur l’Afghanistan, on peut plaider qu’Obama a fait preuve de « leadership »…

Non. Ce n’est pas courageux que d’envoyer des troupes américains au champ de bataille. Tous les présidents l’ont fait. Ce qui serait courageux, c’est de quitter une guerre quand on n’y est pas obligé. Voilà qui serait plus rare: quel président a jamais abandonné une guerre sans y être forcé?

Comment expliquez-vous ces « erreurs » de Barack Obama? Manquait-il d’expérience des rouages de Washington?

C’est peut-être une partie du problème. Il avait peu d’expérience à Washington. Mais Abraham Lincoln aussi n’avait servi que deux ans au Sénat avant d’être élu président, contre quatre ans pour Barack Obama. Obama écoute trop les consultants, les sondeurs et tous les intermédiaires. Ou les généraux, qui sont formés pour tuer ou détruire. Il faudrait se débarrasser de tous les consultants politiques, qui ne font que vous tirer vers le bas. Ils suivent les sondages au jour le jour, et vous poussent toujours vers le plus petit dénominateur commun. Ils ne veulent pas que vous preniez des risques. Quand tu es aussi brillant que Barack Obama, pourquoi écouter tous ces gens qui ne font que te rabaisser? S’il y avait eu tous ces sondages et ces consultants à l’époque de Lincoln, nous aurions peut-être deux pays aujourd’hui. Lincoln aurait été paralysé. Les grands présidents ont toujours été audacieux. En 100 jours, Franklin Roosevelt avait fait adopter quinze lois par le congrès. S’il avait suivi la méthode Obama, il n’y en aurait pas eu une seule… Mais il faut reconnaître aussi que les circonstances historiques ne sont pas les mêmes.

Vous oubliez que Barack Obama a fait adopter, très vite, un énorme plan de relance…

Oui, mais c’était facile.Tout le monde voulait l’argent de la relance. A part cela, il n’a pas accompli grand chose durant cette première année. Même si la réforme de la santé est adoptée, on ne sait pas encore si la loi sera bonne ou non. Il faudra cinq ou dix ans pour en juger car beaucoup de ses dispositions n’entreront pas en vigueur avant plusieurs années.

N’est-ce pas plutôt que l’Amérique est devenue ingouvernable?

Oui, les circonstances sont particulièrement difficiles. D’abord à cause de cette règle des 60 voix au Sénat, pour éviter le filibuster. C’est devenu un énorme problème. Tout le débat sur la santé aurait été différent s’il suffisait de 50 voix au lieu de 60. On ne se soucierait pas de Joe Lieberman ou Ben Nelson, qui ont maintenant toute latitude pour démolir la loi. Ensuite, il y a le problème du partisanisme extrême, avec un parti républicain très dur qui n’a pour seul souci que de revenir au pouvoir. Nous n’avons plus ces républicains progressistes qu’on appelait Rockefeller Republicans, du nom du gouverneur de New York Nelson Rockefeller. Richard Nixon fut sans doute le dernier président progressiste que nous ayons eu. Avec le républicain Nixon, nous avons eu les lois de protection de l’environnement, des traités majeurs avec l’Union soviétique, la percée avec la Chine, une vaste extension du système de sécurité sociale et des avancées pour les droits civiques. Il a fait beaucoup plus que Jimmy Carter ou Bill Clinton. Mais ces républicains n’existent pratiquement plus, ils appartiennent à l’histoire.

Qu’en est-il de la promesse Obama de changer la façon dont on gouverne à Washington?

Il n’a rien fait. Et c’est le troisième élément qui rend les choses si difficiles: le pouvoir de l’argent et des lobbyistes. Obama est le président dont la campagne a été la plus coûteuse de tous les temps, et de loin. Jadis il suffisait de quelques dizaines de millions de dollars pour être un candidat crédible à la présidence. Il faut maintenant des centaines de millions. Même pour un poste local, cela vous coûtera maintenant 100 000 dollars pour se présenter à un county council. Des millions de dollars pour faire campagne pour un siège au Congrès, dans une circonscription disputée. Où trouver cet argent? A moins d’être vous-même très riche, il faut l’obtenir auprès de grands groupes d’intérêts. Et ce ne sont pas les hommes politiques qui profitent le plus de tout cet argent qui vont changer ce système.

Barack Obama semble très soucieux de sa place dans l’Histoire. Sur la base de cette première année, quelle pourrait-elle être?

Oui, il se soucie de son rôle dans l’histoire, comme tous les présidents. Mais il n’a pas fait grand chose encore pour devenir un président historique. Les grands présidents, qui ont marqué l’histoire, comme Abraham Lincoln, Theodore Roosevelt, Franklin Roosevelt ou Ronald Reagan, deux républicains et deux démocrates, étaient tous des audacieux. On n’admire pas les Jimmy Carter ou les William Harrison, les présidents du « milieu de la route », les pragmatiques.  S’il continue sur la même voie, Barack Obama sera vite oublié. Il sera peut-être réélu, comme Bill Clinton l’a été. Mais il n’entrera pas dans l’histoire comme un Ronald Reagan ou un Franklin Roosevelt, des présidents qui ont marqué leur époque.

Justement, vous avez élaboré un système de « clés » (The Keys to the White House, 1996), permettant de prédire l’élection des présidents américains. Que disent vos clés actuellement au sujet d’une réelection de Barack Obama?

Les clés disent qu’ils sera réélu. Car il est peu probable que l’économie reste dans le fossé jusqu’à l’élection. L’économie va sûrement repartir, et les républicains n’ont pas de candidat charismatique à opposer à Obama. Mais être réélu ne veut pas dire qu’il sera un grand président. Bill Clinton aussi a été réélu…

Vous êtes vraiment sévère, ce n’est qu’une première année…

Oui, je suis sévère. Et d’ailleurs Obama peut encore se reprendre. Il a encore trois ans, c’est beaucoup. Il est jeune, intelligent. Mais je crois qu’il devra changer de méthode. Peut-être aussi son second mandat sera différent, s’il n’a plus besoin de se soucier de sa réélection.

Recueillis par Lorraine Millot (blog)

Voir aussi : Revue de Presse Obama un an après

Florence Aubenas juge les déclarations de Guéant Très blessantes

La journaliste Florence Aubenas, ex-otage en Irak, a jugé lundi « très blessant » le commentaire du secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant, qui a estimé, à propos des journalistes de France 3 enlevés en Afghanistan, que le « scoop ne devait pas être recherché à tout prix ». « Je trouve cela très blessant, et pour eux et pour les familles. J’espère très profondément qu’on ne leur fera pas entendre cela, parce que c’est pour eux un motif de désespoir terrible », a-t-elle indiqué lors d’une interview sur Public Sénat. Interrogé dimanche sur le sort des deux journalistes, M. Guéant a assuré qu’ils étaient « en vie ». « Ils font courir des risques aussi à beaucoup de nos forces armées qui, du reste, sont détournées de leurs missions principales », a-t-il ajouté, soulignant le « coût tout à fait considérable » de cet enlèvement.

« On parle de la liberté d’informer et on vient leur dire que l’addition est lourde. Elle est d’abord lourde pour eux (les otages, NDLR) », a réagi Florence Aubenas. « Je suis très surprise parce jusqu’à présent il avait été recommandé à toute la profession d’être très discrète sur ce dossier, et ne même pas donner le nom des journalistes enlevés », a-t-elle ajouté. « Tout le monde s’y est tenu. Je suis très étonnée que cette discrétion soit rompue par ceux qui la demandent, par le gouvernement lui-même, et profitent que deux personnes soient en détention pour instruire un procès contre eux, un procès que je trouve malvenu en ce moment », a-t-elle dit. Florence Aubenas, à l’époque journaliste à Libération, a été enlevée et détenue en otage en Irak de janvier à juin 2005.

AFP

Soutien aux deux journalistes détenus en Afghanistan.

Après les propos controversés de Claude Guéant, sur «l’imprudence coupable» des deux reporters de France 3 enlevés en Afghanistan, leurs amis et confrères demandent aux responsables politiques de «faire preuve de retenue». Le vent se lève soutient cet appel.

«Nous, amis et soutiens des deux journalistes et de leurs accompagnateurs afghans comprenons et respectons les consignes de silence et de discrétion autour de leur enlèvement afin de ne pas gêner les négociations qui s’engageraient avec les ravisseurs. Pour autant, nous ne pouvons pas admettre que des responsables politiques mettent en cause la probité professionnelle de nos confrères et amis. Les journalistes de France Télévision enlevés sont tous deux très expérimentés, avec chacun plus de vingt ans d’expérience professionnelle sur de nombreux théâtres d’opération. Afghanistan, Proche Orient, conflit de l’ex-Yougoslavie, Rwanda, guérillas du Cambodge, ex-URSS, ils ont effectué de nombreux reportages dans des pays en guerre. C’est à ce titre que la rédaction de France 3 leur a confié cette mission d’information en Afghanistan.

Journalistes et amis, nous n’accepterons pas que la réputation de nos confrères soit salie et diminuée alors même qu’ils sont encore aux mains de leurs ravisseurs et qu’ils n’ont pas encore livré le récit de leur enlèvement. Les propos tenus sont outrageants au regard du parcours professionnel de nos confrères, des risques qu’ils ont encourus avec certains d’entre nous pour informer le public lors d’autres conflits et des motivations profondes qui les guident dans l’accomplissement de leur métier. Le dénigrement de nos confrères est en outre très blessant pour les familles. Et puisque la recommandation est à la discrétion, nous aurions souhaité que les responsables politiques soient les premiers à faire preuve de retenue. Loin des contre-vérités et des polémiques. L’Etat doit assistance à tout citoyen français, fût-il journaliste.»

Vous pouvez signer l’appel ici, ou rejoindre le groupe de soutien, .

Voir aussi : Rubrique Médias , Montpellier soutien, rassemblement de soutien aux otages ,exemple pratique d’un petit soldat du journalisme , entretien avec Florence Aubenas,

Le rejet du gouvernement de Karzaï n’est pas un hasard

Quelques semaines avant la conférence sur l’Afghanistan de Londres, le pays est toujours dépourvu de véritable gouvernement : le Parlement a rejeté deux tiers des candidats présentés par le président Hamid Karzaï. Ce n’est pas un hasard si Karzaï est victime de la vengeance des députés deux semaines avant son examen international, estime le quotidien progressiste de gauche Frankfurter Rundschau : « Une personne sur deux figurant sur la liste gouvernementale a rendu de grands services à Karzaï lors de la campagne électorale. A l’instar du chef local de Herat, Ismail Khan, qui devait en récompense rester ministre de l’Energie, mais qui a été recalé en compagnie de 16 autres candidats. … Le Parlement entre dans une pause hivernale de 45 jours à partir du 5 janvier. Alors que les députés remettaient Karzaï à sa place, ils sont en même temps restés fidèles à l’échéancier électoral de l’Afghanistan. Malgré tous les doutes des Etats de l’OTAN, des élections législatives doivent avoir lieu le 22 mai. Le coût de ces élections est estimé à plus de 30 millions d’euros, et on ne sait pas encore vraiment qui va financer cette somme. »

Frankfurter Rundschau (Allemagne)