Afrique : émergence dans l’insécurité ?

L'Afrique dans la géopolitique mondiale de 1945 à nos jours. source http://www.xaviermartin.fr/index.php?post/2010/12/28/L-Afrique-dans-la-g%C3%A9opolitique-mondiale-de-1945-%C3%A0-nos-jours

Par Pierre ABOMO*, le 2 décembre 2014

La croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente-t-elle à un leurre ? Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante.

AU COURS des 3 à 4 dernières années, l’Afrique a légèrement changé la perception que l’on avait d’elle au niveau international. Pendant de longues décennies l’Afrique a été décrite comme une terre d’espoir perdu, de misère et de calamités. Même si dans une certaine mesure cette perception n’était pas correcte, elle comportait néanmoins une part de vérité. Cependant, le discours ambiant aujourd’hui a radicalement changé. On parle de « temps de l’Afrique » [1], de « continent d’espérance » [2] avec à l’appui de nombreux superlatifs. Ce changement de discours est nourri par une embellie économique liée à de forts taux de croissance qui font envie à certaines parties du monde. Ainsi, l’Angola, le Nigeria, l’Ethiopie, le Tchad, le Mozambique et le Rwanda figuraient parmi les dix économies ayant obtenu les meilleurs taux de croissance dans le monde en 2012.

Toutefois, à côté de ces classements flatteurs, on a aussi une actualité peut reluisante qui met en évidence la hausse d’attentats terroristes, la percée des rebellions et des actes de défiance à l’Etat qui ruinent les vies et les libertés des africains. Du nord Mali au Sud Soudan, en passant par le Nigéria, le Cameroun, la Centrafrique, l’est de la République Démocratique du Congo, les actes de violences et la menace de l’insécurité sont devenus une hantise au quotidien pour les habitants de ces régions. On pourrait valablement soutenir que l’Afrique ne fait point exception à ce niveau, et que le terrorisme est une menace globale qui menace tous les Etats. Cependant, cette lecture habile du problème constitue une fuite en avant et tend à éluder un problème réel irrésolu depuis les indépendances africaines, à savoir l’échec dans la construction d’Etats capables de répondre à la première des libertés qu’est la sécurité, le manque de leadership visionnaire et prévoyant. Aussi, comme le souligne à juste titre Rick Rowden [3], la croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente à un leurre. C’est en quelque sorte un grand arbre qui cache une forêt (1) et qui éclipse à tort le préalable de la sécurité et la stabilité, véritable baromètres de l’affirmation étatique (2).

I. L’émergence économique actuelle, un arbre qui cache la forêt

Derrière les prouesses économiques de l’Afrique, on note aussi la persistance d’une instabilité chronique. Beaucoup d’Etats africains, y compris ceux occupant le podium du succès économique, sont encore incapables d’assurer la mission fondamentale autour de laquelle se structure l’Etat, en l’occurrence la sécurité et la préservation des citoyens contre la violence.

Prenant le cas du Nigéria, « épicentre de la violence maritime dans le Golfe de Guinée » [4], le pays est débordé sur son flanc nord par la secte islamiste Bokam Haram et sur son flanc sud par les pirates du Delta du Niger. Malgré de bons résultats économiques et de solides perspectives de croissance démographique et économique, il continue à présenter de nombreuses faiblesses structurelles au plan politique intérieur et sécuritaire. La mal gouvernance des ressources maritimes et pétrolières, l’absorption de la masse de jeunes ployant sous le joug du chômage et de la pauvreté, sont autant de défis structurels qui handicapent le Nigéria. Ainsi, « les 20 pour cent les plus pauvres ne touchent que 4 pour cent du revenu national, tandis que les 20 pour cent les plus riches en encaissent 53 pour cent ». [5] Cette jeunesse, selon l’attitude qui sera adoptée par les dirigeants pourra être une chance ou une véritable menace à la stabilité du pays.

On pourrait en dire autant sur d’autres champions de la croissance économique africaine des années récentes tels que l’Angola ou la Guinée équatoriale, où la stabilité politique n’est point garantie à moyen et long terme. Ceci non seulement en raison de la longévité au pouvoir de leur dirigeant et de l’absence d’un système de transition prévisible et démocratique, mais également à cause du modèle d’organisation politico-institutionnel quasi familial où une minorité de proches occupent les premières places de l’appareil gouvernemental et tirent les principaux bénéfices de la croissance économique. Très peu d’Etats africains on en effet pu objectiver une vision transcendantale de l’Etat qui privilégie la raison d’Etat et la construction d’institutions fortes et inclusives au détriment du népotisme, du clientélisme, de la corruption ou du favoritisme. Ce sont là des ingrédients qui alimentent l’instabilité et la menace permanente d’insécurité malgré le succès économique. Ainsi, une zone d’ombre demeure, une inquiétude persiste et amène à plus de réserve quant au concept largement répandu d’émergence de l’Afrique. De fait, l’incapacité actuelle des entités politiques africaines à créer des Etats véritables capables de répondre aux défis de la sécurité et de la stabilité politique de longue durée donnent malheureusement des raisons de tempérer cet élan d’optimisme, voire de douter du concept même d’émergence en Afrique.

II. L’émergence véritable de l’Afrique, une nécessité subordonnée au préalable de la stabilité politique et sécuritaire

Certes, l’Afrique a fait des progrès en terme de hausse de la scolarisation, baisse de la mortalité infantile, amélioration de l’IDH et expansion du champ démocratique…Elle connait par ailleurs une forte croissance démographique et une augmentation des investissements directs étrangers, et donc son intégration à l’économie mondiale. Mais pour autant, doit-on nécessairement y voir l’annonce d’un développement futur et la fin des empêchements dirimants qui amenuisent les chances d’éclosion du continent en tant que pôle autonome de croissance et de développement ? En effet, peut-on réellement parler d’émergence de l’Afrique en minorant la question de l’insécurité et l’instabilité politique latentes qui planent comme une épée de Damoclès sur la plupart des pays, y compris les champions de taux de croissance à deux chiffres ?

A l’observation, on note une sorte d’emballement médiatique, un empressement à dire autre chose sur l’Afrique que ce qui a toujours été dit et écrit. Cependant, au risque de faire de l’incantation, cette lecture du développement économique de l’Afrique à l’aune du seul facteur économique s’avère simpliste et insatisfaisante. Elle procède comme s’il suffisait de faire de la croissance économique pour s’affirmer comme un Etat, comme si l’histoire du développement économique des Etats s’apparentait à celle d’une entreprise où la réalisation d’un meilleur chiffre d’affaires, d’une bonne croissance d’une année à l’autre suffisait à pérenniser son modèle économique.

L’Etat c’est malheureusement [ou heureusement d’ailleurs] aussi, voire d’abord une collectivité humaine qui a besoin de sécurité et de stabilité politique. C’est une entité qui a besoin d’un territoire sécurisé, avec à sa tête des institutions stables et indépendantes, dont la survie ne dépend pas de la magnanimité ou de la bienveillance d’un seul homme, fut-ce-t-il fort et illuminé. L’Etat doit pouvoir survivre et transcender la vie éphémère de ses pères fondateurs. Et cette dimension transcendantale n’est accomplie que lorsque des institutions fortes et inclusives énoncent et assurent les conditions essentielles de stabilité politique, de sécurité, de développement économique et social. L’Etat c’est donc un phénomène social total qui va bien au-delà de l’affirmation économique. L’analyse de son succès ou de ses perspectives d’avenir doit procéder d’une démarche holistique qui intègre non seulement l’économique, mais préalablement le politique, le sécuritaire et le social. Or à s’en tenir à ces variables essentielles, on est bien loin du compte concernant l’Afrique.

En conclusion, le problème de l’Afrique n’est pas tant qu’elle ne réunit pas encore les conditions de l’affirmation étatique, mais bien qu’elle semble ne pas en avoir conscience, et se complait à l’autosatisfaction, sans que les bases essentielles de son développement soient posées. Elle semble mettre la charrue avant les bœufs et pense que la bataille essentielle qu’elle doit remporter est celle de l’amélioration de ses indicateurs macro-économiques. Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante. En réalité, il sera plus indiqué de parler d’émergence en Afrique une fois que le continent aura bravé cette première étape qui conditionne toutes les autres, à savoir la sécurité et la stabilité politique, couplée à la mise en place d’institutions et d’une vision de développement inclusive qui se moque des ethnies, des clans et des fanatismes religieux.

* Pierre Abomo. UNESCO, Consultant – Project Manager. Sciences Po Paris, Master en Affaires internationales (Conception et évaluation des politiques publiques & stratégies de développement économique et social ; Management interculturel et négociations internationales).

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Rwanda, la preuve d’un génocide planifié

Il y a des experts, des journalistes et des responsables français qui, hier soir, ont dû se sentir mal à l’aise : en affirmant sans aucun doute possible que les tirs qui ont abattu l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 provenaient du camp de sa propre garde présidentielle, le camp de Kanombé, l’équipe des techniciens mandatés par le juge antiterroriste Marc Trévidic pour établir un rapport balistique sur cet attentat, ont indirectement désigné les extrémistes hutus comme responsables de l’événement déclencheur du génocide des Tutsis. Car si l’attentat n’a jamais été la cause d’une sanglante épuration ethnique annoncée et préparée dès 1991, la mort du chef de l’Etat hutu a bien donné le signal des massacres qui en trois mois feront plus de 800 000 morts.

Négationnisme.Or, autour de cet assassinat aux conséquences vertigineuses, la polémique fait rage depuis dix-huit ans. Jusqu’en France, pays longtemps très impliqué aux côtés du régime hutu. Au nom de cette étrange passion française pour un minuscule pays perdu au cœur de l’Afrique, un certain nombre de «spécialistes», parmi lesquels le journaliste Pierre Péan et le sociologue André Guichaoua ainsi que certains officiers français qui ont été en poste au Rwanda, vont ainsi marteler sans relâche que les tirs sont partis de la colline de Masaka à Kigali, et que ce sont les rebelles tutsis du FPR (Front patriotique rwandais) qui auraient abattu l’avion pour s’emparer du pouvoir. Une «hypothèse monstrueuse», selon les termes du journaliste Stephen Smith, qui fut l’un des premiers à incriminer sans preuves le FPR (dans Libération, dès juillet 1994). Cette thèse suggérait en réalité que les rebelles auraient provoqué le malheur de leur propre ethnie, en déclenchant le génocide par un assassinat.

Loin de s’apitoyer sur ce dilemme tragique, les tenants de la thèse «Masaka» basculaient vite dans un négationnisme plus simpliste. Si les Tutsis avaient tiré, ce n’était donc pas un génocide «préparé», ni même «planifié». Une façon à peine subliminale de ne pas voir de génocide du tout, et qui explique pourquoi tous les négationnistes ont plébiscité cette interprétation attribuant l’attentat au FPR. Or le mouvement dominé par les exilés tutsis en guerre contre le régime Habyarimana depuis 1990 va chasser les forces génocidaires du pays et s’emparer du pouvoir en juillet 1994. Une victoire inattendue qui va mobiliser encore davantage ceux qui attribuent le déclenchement du génocide aux rebelles tutsis.

Nouveau juge. Premier magistrat français chargé de cette enquête, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière en fait partie et provoque en 2006 la rupture des relations diplomatiques avec Kigali en lançant neuf mandats d’arrêt contre des hauts responsables du FPR. Les négationnistes applaudissent et la «vengeance spontanée du peuple hutu», défendue par les auteurs des massacres, s’en trouve justifiée. Bruguière quitte la scène en 2007 mais alors que tout le monde s’attend à ce que son successeur se contente de clore le dossier, le nouveau juge, Marc Trévidic, va au contraire réentendre les témoins-clés. Mieux : à la demande des avocats des neuf membres du FPR accusés par Bruguière, Trévidic met ces derniers en examen (ce qui lève les mandats d’arrêt) et accepte de les rencontrer en «terrain neutre» au Burundi. Auparavant, Rose Kabuye, chef du protocole du président rwandais, Paul Kagamé, et elle aussi accusée, avait été opportunément arrêtée lors d’un déplacement en Allemagne, mise en examen puis laissée en liberté provisoire. Un dialogue s’esquisse. Il était absent de la procédure Bruguière (qui n’a jamais mis les pieds au Rwanda, tout comme le journaliste Pierre Péan).

Restait à pallier une autre lacune de l’enquête : la balistique. Une analyse aura lieu à partir de septembre 2010 et ce sont ses conclusions qui ont été présentées hier. L’impact du missile sur la carcasse de l’avion et l’analyse acoustique ont été décisifs pour déterminer l’origine des tirs et écarter l’hypothèse Masaka. Une conclusion qui décrédibilise huit ans de procédure Bruguière et qui va conduire à explorer une nouvelle piste : celle des ultras du camp Habyarimana. Des officiers mis à la retraite, membres du clan mafieux familial, qui gravitaient autour du chef de l’Etat. Après avoir longtemps joué la carte de l’ethnisme et mobilisé ses miliciens, Habyarimana était acculé. Des accords de paix avec le FPR avaient été signés en août 1993, et la communauté internationale le pressait de les appliquer et de partager le pouvoir.

Fanatiques. Ce 6 avril 1994, c’est ce qu’il venait d’accepter lors d’une conférence régionale à Dar es-Salaam, en Tanzanie. A l’aéroport de Kigali, son directeur de cabinet l’attendait pour lui faire signer la liste du futur gouvernement de transition. Mais les fanatiques de la politique du pire guettaient déjà le retour de l’avion.

 

A l’horreur absolue du troisième génocide de l’histoire reconnu par les Nations Unies – celui commis au Rwanda entre le 6 avril et le 4 juillet 1994 par le régime hutu contre la population tutsie (et ses soutiens hutus) et qui fit plus de 800 000 morts – la justice française et quelques désinformateurs en tout genre ont longtemps ajouté la honte et même l’infamie. Tous ceux, dont certains se présentent encore comme journalistes, qui derrière le «juge» Bruguière se sont employés à colporter sans preuves la thèse de la responsabilité des rebelles du FPR de Paul Kagamé dans l’attentat commis contre le Falcon du président rwandais Juvénal Habyarimana, auront en effet ouvert la voie à l’expression de différentes versions négationnistes de l’histoire. Notamment celle d’un double génocide, abjection toujours démentie par l’ensemble des rapports d’institutions nationales ou internationales et d’organisations non gouvernementales. Le rapport rendu public hier par le magistrat Marc Trévidic vient enfin restaurer l’honneur d’une justice française qui refuse cette fois de plier face à la trop commode raison d’Etat brandie par des responsables politiques de gauche comme de droite – cohabitation Balladur-, Mitterrand oblige. Même partielles, les conclusions du rapport permettent désormais de considérer l’attentat du 6 avril 1994 comme le lancement d’un génocide minutieusement préparé, sous l’œil attentif de Paris. Cette vérité-là est désormais un fait historique.

Sylvain Bourmeau Libé

Voir aussi : Rubrique Afrique, Rwanda,

Alain Juppé n’est pas le bienvenue au Rwanda

La France a fait part au Rwanda de son courroux après des propos critiques de Paul Kagamé à l’égard du chef de la diplomatie française, Alain Juppé, dont la présence n’est pas la bienvenue au Rwanda, selon le président rwandais, a indiqué lundi le Quai d’Orsay. « La question d’une visite du ministre d’État au Rwanda n’est pas d’actualité », a répondu sèchement le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Bernard Valero, à une question lors d’un point-presse sur les propos de Paul Kagamé. Dans un entretien publié par l’hebdomadaire Jeune Afrique, ce dernier a jugé qu’Alain Juppé ne serait pas le bienvenu au Rwanda. Il a aussi maintenu une déclaration d’avril dans laquelle il avait estimé que les Rwandais avaient « été insultés » par la position du responsable français qui occupait, lors du génocide de 1994, les mêmes fonctions de chef de la diplomatie qu’actuellement.

Dans son entretien, le chef d’Etat rwandais juge toutefois que le ministre français n’est pas un obstacle à une future visite en France. « La France ne se résume pas à Alain Juppé », a-t-il notamment dit. « Les propos que vous rapportez vont à l’encontre d’une relation bilatérale constructive », a souligné lundi Bernard Valero. « Ce message a été transmis aux autorités rwandaises », a-t-il précisé. Environ 800.000 Tutsi et Hutu modérés ont été tués, selon l’Onu, lors du génocide du printemps 1994. L’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait évoqué en 2008 une « faute politique » de la France lors du génocide. Alain Juppé avait alors très vivement répliqué, dénonçant des « amalgames de la repentance ».

AFP

Voir aussi : Rubrique Afrique Rwanda, Enquête judiciaire au coeur des  relations franco-rwandaises, On Line Génocide: Le Rwanda menace de poursuivre Balladur, Juppé, Védrine et Villepin,

Paul Kagamé, un dictateur en voie de réélection

Le Président Paul Kagame

Le Président Paul Kagame

Il  n’y a pas qu’au Rwanda que la série d’assassinats d’opposants politiques et de journalistes suscite une désapprobation. L’élimination physique de tous ceux qui peuvent gêner Paul Kagamé à sa réélection du 9 août prochain ne plaît pas hors des frontières du pays des mille collines. Le chef de l’Etat Paul Kagamé s’en est lui-même rendu compte, le 16 juillet dernier,  à l’occasion d’un déplacement en Espagne. Le Premier ministre espagnol, Jose Luis Rodriguez Zapatero, a renoncé au dernier moment à co-présider avec lui une rencontre de l’ONU sur la pauvreté. En outre, le lieu de la rencontre a été changé au dernier moment comme pour éviter que Paul Kagamé ne souille le siège du gouvernement du sang que des ONG espagnoles l’accusent d’avoir sur les mains. Une véritable claque administrée malgré lui par Zapatero, obligé d’agir ainsi pour ne pas rester sourd au tollé suscité en Espagne par la visite du numéro un rwandais à un moment où des opposants politiques et des journalistes sont tués chez lui.

 Il a aussi été question au cours de la rencontre, suite à l’exhortation du secrétaire général de l’ONU d’élucider certains meurtres, dont ceux du vice-président du Parti démocratique vert, André Kagwa Rwisereka, dont le corps a été retrouvé pratiquement sans tête le 14 juillet, et du journaliste indépendant Jean Léonard Rugambage tué par balles à Kigali le 24 juin dernier. Il faut aussi dire qu’avant ces assassinats, la justice espagnole avait émis [en février 2008] des mandats d’arrêt internationaux [pour « génocide »] contre 40 militaires du régime de Paul Kagamé, pour des crimes commis avant l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR). Paul Kagamé est épargné par ces mandats du fait de l’immunité liée à sa fonction. Ce qui ne l’empêche nullement de se rendre en Espagne. Mais pour les défenseurs des droits humains ibériques, si l’on ne peut pas l’arrêter, on peut tout de même lui signifier qu’il n’est pas un ange, un saint et le sauveur du Rwanda que lui et son entourage s’évertuent à montrer. S’il est vrai que l’arrivée au pouvoir du FPR [qui a chassé en juillet 94 le régime génocidaire] a ramené la stabilité et favorisé la croissance, il n’en demeure pas moins que la traque, les assassinats d’opposants politiques, l’absence de libertés réelles comme celle d’expression et de la presse, l’opposition au révisionnisme ont fini par faire oublier aujourd’hui les bonnes actions des hommes forts du FPR.

Le Rwanda renvoie l’image d’un pays dirigé par un dictateur qui n’en a pas l’air, un militaire qui ne supporte pas la contradiction à tau point point que ceux de son camp qui se permettent un zeste de critique deviennent des ennemis à abattre quel que soit l’endroit du monde où ils se trouvent. Paul Kagamé donne aussi l’air d’une personne obsédée par le pouvoir qu’il veut garder à tout prix, quitte à marcher sur des cadavres d’opposants et de dissidents. Paradoxalement, ses agissements ne font pas l’objet de condamnations comme il se doit à cause d’un certain nombre de soutiens comme ceux des Américains qui se présentent comme des alliés sûrs pour l’homme mince de Kigali. C’est d’ailleurs ce qui fait que l’ONU ne peut véritablement pas taper du poing sur la table, amenant son secrétaire général à être prudent sur l’emploi des mots au point qu’il ne veuille « s’immiscer dans les affaires intérieures d’un Etat souverain ». D’autres pays sont dans leurs petits souliers pour avoir fait des mains et des pieds pour être dans les bonnes grâces de Kigali avec lesquels ils ont beaucoup de contentieux historiques. Et il ne faut pas compter sur leurs dirigeants pour oser une remarque « déplacée » sur l’attitude des autorités rwandaises par rapport au respect des droits humains et des libertés fondamentales. Leur société civile a beau grogner, cela ne les gêne pas de dérouler le tapis rouge à l’ami rwandais.

Séni Dabo Le Pays (Burkina Faso)

Voir aussi : Rubrique Rwanda Sarkozy en mission de réconciliation,

Sarkozy en mission de réconciliation à Kigali et d’amitié au Gabon

Nicolas Sarkozy fait son retour mercredi en Afrique pour tourner la page, seize ans après le génocide, du lourd contentieux qui a empoisonné les relations entre la France et le Rwanda et apporter son onction au « nouveau » Gabon du fils d’Omar Bongo. francafrique1Une journée à Franceville et Libreville, trois heures à Kigali… A l’image des précédentes, la nouvelle virée africaine du chef de l’Etat tient du grand écart. Un pied dans le « pré carré » pour conforter les vieilles amitiés, l’autre en terre anglophone pour illustrer la rupture, en résumé d’une politique qui hésite toujours à trancher le lien avec la « Françafrique« . Même symbolique, le premier séjour jeudi d’un président français au Rwanda depuis le génocide constitue le point d’orgue de cette tournée. Nicolas Sarkozy vient y enterrer trois ans de brouille diplomatique et judiciaire avec le régime de Paul Kagamé, nouvelle étape de l’effort de « réconciliation » lancé en 2007 pour solder les contentieux de la France en Afrique.

Le Rwanda a coupé les ponts fin 2006, après l’émission par le juge Jean-Louis Bruguière de mandats d’arrêt contre neuf proches du président rwandais, soupçonnés d’avoir fomenté l’attentat qui a coûté la vie en 1994 à son prédécesseur, Juvenal Habyarimana, et marqué le coup d’envoi d’un génocide qui a fait 800.000 morts, en grande majorité d’ethnie tutsie.

Cet incident a relancé de plus belle le procès instruit depuis 1994 par le régime de Kigali, aux mains des tutsis, contre Paris, accusé d’avoir aidé les génocidaires. Ce que la France, soutien du régime Habyarimana contre le guérillero Kagamé, a toujours farouchement nié. Malgré cette escalade, les fils du dialogue renoué par Nicolas Sarkozy en entrant à l’Elysée n’ont jamais été rompus. Deux entretiens « francs et directs » avec Paul Kagamé en 2007 puis 2008 ont remis le différend à plat.

Avant qu’une série de péripéties judiciaires opportunes ne dégage la voie à une reprise des relations, à la faveur d’une visite éclair à Kigali en novembre dernier du numéro 2 de l’Elysée, Claude Guéant. Couronnement de ce chemin tortueux, Nicolas Sarkozy débarque donc dans l’ex-colonie belge avec la satisfaction d’avoir retiré une grosse épine du pied de la France. Et l’ambition de la réinstaller dans l’Afrique des Grands lacs, à la frontière du Kivu congolais au sous-sol riche en minerais.

« Cette réconciliation avec le Rwanda fait disparaître un irritant majeur qui, à cause des accusations de complicité de génocide, nuisait à l’image de la France sur l’ensemble du continent », se réjouit-on à Paris. Les deux camps assurent avoir « tourné la page » mais le climat de la visite du président reste lourd. Ses gestes et ses mots y seront observés à la loupe. Car à Kigali, les victimes du génocide continuent à exiger des « excuses » françaises. Et à Paris, politiques et militaires s’inquiètent à mots couverts du prix de ces retrouvailles. Il y a deux ans, Nicolas Sarkozy, que l’on sait réservé sur la repentance, avait évoqué « les faiblesses ou les erreurs » de la France. « Il dira des choses fortes », prévient son entourage, « mais pas d’excuses ».

Le chemin qui conduit mercredi le président Sarkozy au Gabon pour la troisième fois depuis son élection, s’annonce moins risqué. Huit mois après la mort du « doyen » Omar Bongo, considéré comme le gardien des secrets de la France en Afrique, Paris veut faire du Gabon de son fils Ali, dont l’élection a été contestée par l’opposition, l’appartement témoin de sa nouvelle diplomatie africaine. « Le modèle d’une politique plus moderne et débarrassée des soupçons du passés », jure l’Elysée. Nicolas Sarkozy signera donc à Libreville un accord de défense rénové avec le fils. Mais ira aussi s’incliner sur la tombe du père.

AFP

Voir aussi : Rubrique Afrique