L’artiste éveille la sensibilité du regard

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On ne présente plus Raymond Depardon dont l’œuvre plurielle avant tout photographique, touche aussi le court métrage, le documentaire et la fiction. L’artiste qui a fêté cette année, ses 67 ans a répondu à la sollicitation du Conseil régional pour offrir un regard photographique sur la Région Languedoc-Roussillon. L’exposition itinérante fait escale au Carré St Anne jusqu’au 31 janvier 2010.

Banalité du réel

Une succession d’images sans scénographie particulière se déploie un peu comme un chemin de croix dans le vaste espace d’exposition. On ne trouve pas de chef-d’œuvre de la photographie de paysage mais des clichés en prise avec le réel presque banals. L’artiste confie lui-même que sur la trentaine de photos présentées, deux ou trois présentent à ses yeux un intérêt. C’est en fait la vision partielle d’un travail en cours qui le conduit depuis 2004 à sillonner la France pour réaliser un état des lieux photographique. « Seules deux ou trois photos qui sont ici feront partie de la grande exposition que je présenterai à la BnF à la fin de mon périple. J’ai pris le parti d’exclure d’entrée les centres-villes où tout est franchisé ainsi que le patrimoine et les banlieues. »

Effet moderne

Nous sommes en arrêt devant une photo du café Maracana à Bédarieux. Avant d’acquérir une renommée internationale l’artiste s’est fait connaître à travers son approche sociologique, ce que confirme son commentaire. « Le café fait partie de la culture. Il faut avoir voyagé pour se rendre compte de son importance. C’est un lieu politique qui tend à disparaître au profil des sandwicheries. Désignant les chaises vertes pétard de la terrasse, Depardon souligne amusé, « on voit l’effet de modernisation recherché. » La relation intime que nous entretenons avec ces paysages connus masquerait-elle ce qu’ils peuvent nous transmettre ?

Errance

Errance

Espace déchu

Nous sommes maintenant devant la photographie d’une devanture de cinéma abandonnée. L’image fragmentée verticalement par un tronc d’arbre au premier plan donne le sentiment d’un espace déchu. « Pourquoi cette photo et pas une autre ? interroge Depardon. Ici je ne cherche pas à prendre parti contre la disparition des salles. J’ai pris cette photo simplement parce qu’elle rejoint mon histoire personnelle. Tout est là, la lumière, le platane arbre du Sud et le cinéma. » Le champ spécifique que nous offre le photographe à travers sa propre histoire est imperceptible pour le visiteur qui mystérieusement peut cependant capter l’empreinte humaine inscrite dans le cadre. Avec Depardon, rien n’est présent d’emblée. Tandis que ses paysages mettent en scène des espaces violents, les personnages qui y vivent n’apparaissent pas. Il faut les chercher dans l’exposition, s’approcher, entrer dans le cadre pour saisir leur présence fantomatique dans l’intimité des boutiques.

L’art du détachement

Nous emboîtons le pas à l’artiste qui s’arrête devant le cliché d’un monument aux morts lozérien. « Je ne prétends rien. Cette photo est faite. D’autres photographes pourraient la faire. Les monuments aux morts font partie de ce qui nous réunit d’un territoire à l’autre. » Il y a toujours une mise à distance chez Depardon qui cite le pionnier de la photographie documentaire Walker Evans : « Le détachement est la qualité première d’une photographie. » Café, route, monument, paysage, le parcours auquel nous convie le photographe nous mène d’une méditation sur ce qui se fond ou se détache de l’environnement à une réflexion sur le temps. Un temps qui n’est plus celui de l’instant mais de la durée.

Jean-Marie Dinh

Parallèlement à l’expo du Carré St Anne, Le pavillon populaire propose une autre exposition de l’artiste Errance ville et paysans.

 

Les habits de mémoire

Michel Aguilera à la Galerie Saint-Ravy. Photo David Maugendre.

Séparée des os, la peau peut paraître belle. Comme les photos de vêtements que Michel Aguilera expose sur fond blanc à la galerie Saint-Ravy. A l’approche de cette petite veste scolaire que l’on observe en tant qu’objet plastique, la dimension esthétique se transforme à la lecture de la légende :  » Tatsuya, 14 ans, collégien en 2e année, se trouvait dans la cour de l’école lorsque la bombe explosa. Brûlé sur tout le corps, il tenta désespérément de fuir par la route démolie, mais s’effondra à mi-chemin de Kusatsu où se trouvait sa maison. « 

Il y a deux ans le photographe s’est rendu au Musée de la Paix d’Hiroshima pour y photographier les trente vêtements que l’on peut découvrir à Montpellier jusqu’au 4 octobre.  » Ces pièces proviennent des familles des victimes qui les donnent au musée avec le souhait que la mémoire soit transmise, explique Michel Aguilera. Le musée conserve 19 000 objets irradiés dont 250 vêtements. Au début les familles les gardaient. C’était souvent le seul souvenir qu’elles avaient de leurs proches car dans la majorité des cas, on a retrouvé le vêtement mais pas le corps. « 

Le photographe avait déjà initié une démarche en photographiant des vêtements récupérés dans les décharges. Il franchit un cap avec ce travail en passant d’une mise en scène relevant de la fiction à un travail qui anime le questionnement artistique et moral.

Jean-Marie Dinh

Exposition organisée dans le cadre de Hiroshima Station à l’occasion de la création théâtrale de Julien Bouffier Hiroshima mon Amour

Voir aussi : Rubrique actualité locale exposition La nuit de cristal

Représentations et esthétisme

Jose Ortiz Echagüe

En amont de la Comédie du Livre où l’Espagne sera à l’honneur du 22 au 24 mai, le Pavillon Populaire propose un voyage photographique en terre hispanique. Une occasion de découvrir l’Espagne à travers les figures particulières de quinze photographes espagnols.

L’espace de l’exposition se divise en trois parties. En entrant dans la pièce centrale, on accède à l’Espagne contemporaine. Emprunts d’une force émancipatrice, les personnages du Barcelonais Miguel Trillo collent à l’attitude posée, moderne, parfois surjouée, de la movida. A quelques pas de là, Ricky Davila capte l’intégralité de son pays à travers dix portraits que l’on entend respirer. Cette partie de l’exposition provient du Musée d’art moderne de Madrid.

Riche et diversifiée, la matière de l’exposition ouvre sur d’autres perspectives. Certains travaux ayant été spécialement produits pour Montpellier. C’est le cas du travail de Juan Salido dont a été tirée l’affiche. Présent lors du vernissage, le photographe dispose d’une salle où il présente des grands formats consacrés aux mouvements entêtant du flamenco.

En contrepoint de l’Espagne d’aujourd’hui, les côtés du Pavillon offrent un accès aux représentations plus anciennes. Les compositions minutieuses et contrastées de Koldo Chamoro révèlent une certaine inquiétude face à la disparition gokautomaat online de la mémoire. La démarche de l’artiste évoque une volonté ultime de transmission dans une société qui pousse vers l’effacement de la tradition.

A l’étage on découvre le travail hors du commun de Jose Ortiz Echagüe (1886-1980) tant par la forme que dans les représentations. Ingénieur, industriel, et pilote, Jose Ortiz Echagüe échappe à son métier grâce à sa passion pour la photographie. Son travail de picturaliste se distingue par le procédé utilisé basé sur le charbon. On s’attarde volontiers sur les nuances de ses compositions très travaillées et parfaitement distribués dans l’espace.

L’exposition prend en considération les représentations les plus significatives de l’Espagne à la fois urbaine et rurale. Le travail de Fernando Herraez qui s’intéresse aux ferias locales ou celui de Benito Roman sur les nains toréadors pénètre en profondeur la culture hispanique marquée par le génie goyesque.

On s’attarde volontiers sur les nuances et la composition du travail de Jose Ortiz Echagüe

 

La forêt onirique de Yang Fudong

Absorbés par l'environnement forestier, les jeunes acteurs semblent emportés dans une méditation silencieuse sur la paix.. Photo DR

Absorbés par l'environnement forestier, les jeunes acteurs semblent emportés dans une méditation silencieuse sur la paix.. Photo DR

à Pékin en 1971, Yang Fudong vit et travail à Shanghai. C’est un artiste reconnu internationalement. Il présente une installation photo-vidéo captivante transportant le public dans une forêt composée de 60 000 photos. Il a remporté le prix spécial du Jury de la première biennale d’Art Chinois à Montpellier

Yang Fudong essaie de s’adapter au temps qui file mais son rapport à la société reste très largement métabolique. Il évoque le rêve que l’on a vécu en dormant et les morceaux qui en restent quand on se réveille. C’est à partir de cet univers qui nous échappe et ne parvient pas à la conscience tout en étant présent qu’il fonde son travail au centre duquel se trouve le rapport de l’homme et de la photo.

A la Panacée, l’ancienne faculté de pharmacie de Montpellier, Yang Fudong a a investi totalement l’amphithéâtre dans une démarche qui vise à expérimenter de nouvelle formes de présentation de l’image dans l’espace.

L’ensemble de l’espace a été tapissé de 60 000 photos d’hommes, de femmes et d’images de forêts. Une vingtaine de moniteurs parsemés dans la salle diffusent des films de l’artiste où les jeunes acteurs absorbés par cet environnement forestier semblent emportés dans une méditation silencieuse sur la paix. Une musique enchanteresse accentue la densité de cet univers très propice aux voyage intemporel dont on ne ressort pas indemne.

Un stationnement un peu plus prolongé permet de mieux apprécier l’invitation des elfes urbains qu’a mandatés Yang Fudonga  pour nous détourner de nos préoccupations quotidiennes. La magie de cette forêt peuplée opère pleinement avec le temps et les sentiments diffus d’ennui, d’amour et de mélancolie portés par ces agents oniriques nous gagne progressivement.

A travers son œuvre, l’artiste utilise le silence méditatif de la jeunesse chinoise pour dire l’indicible de cette société encore très mystérieuse pour les Français mais peut-être aussi pour ses propres habitants. Le rapport à l’environnement axe fondateur de la pensée chinoise reste le seul repère auquel l’œuvre de l’artiste ne cesse de se confronter. Un travail de maître qui procure une émotion proche de la nature elle même.

Jean-Marie DINH