Grand emprunt: l’UMP fixe les « priorités de long terme » pour la France

L’UMP présente mardi à l’Assemblée ses propositions dans le cadre d’une convention sur le « grand emprunt » voulu par Nicolas Sarkozy, alors que la commission ad hoc présidée par Alain Juppé et Michel Rocard doit rendre sa copie avant le 1er novembre.

Cet emprunt, annoncé le 22 juin par le chef de l’Etat devant le Congrès à Versailles, vise, parallèlement au plan de relance, à doper l’économie à plus long terme, en faisant financer par l’Etat des « investissements stratégiques » pour les « générations futures ».

C’est une « ardente obligation nationale », affirment dans les colonnes du quotidien Le Monde, mardi, le secrétaire général Xavier Bertrand et son adjoint, Eric Besson, alors que l’idée fait craindre à droite comme à gauche un alourdissement de la dette publique.

Prévu pour 2010, l' »emprunt national » doit permettre de fixer les « priorités de long terme » de la France, selon les deux hauts responsables de l’UMP qui préfèrent reléguer « en dernière instance » les questions épineuses du montant et des modalités.

Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, est resté évasif sur ces deux points. « Il faut un investissement massif, donc un grand emprunt, à la hauteur des enjeux », a-t-il dit sans le chiffrer.

Quant à savoir si cet emprunt sera lancé auprès des institutions financières ou du public (ou bien les deux), « la question n’est pas encore tranchée », selon M. Guaino, qui semble néanmoins écarter l’appel aux particuliers, pour des raisons de coût.     « Il va falloir choisir les priorités les plus prioritaires », a-t-il ajouté,  évoquant plusieurs pistes (développement durable, réindustrialisation des bassins d’emploi en déclin, recherche, santé…).

Il faudra donc attendre la fin du processus des consultations pour avoir une idée du montant, après des hypothèses allant d’environ 30 milliards (avancée notamment par Michel Rocard, ndlr) jusqu’à 100 milliards d’euros, évoquée par certains proches de Nicolas Sarkozy mais jugée disproportionnée par la plupart des économistes au regard de la dette publique.

Les organisations patronales et syndicales, comme la CFDT, reçues dans le cadre des consultations engagées par le gouvernement, ont elles aussi appelé à agir avec prudence face au risque d’aggravation de la dette.

Le critère prioritaire pour sélectionner les projets financés par cet emprunt doit être « la rentabilité » et « le retour sur investissement », a averti la présidente du Medef, Laurence Parisot, invitée mardi à la convention de l’UMP.

« Toutes les ressources » de l’emprunt public devront être affectées à « des dépenses clairement identifiées comme porteuses de croissance et d’emploi » a précisé le Premier ministre François Fillon, citant « la croissance verte »,  « l’université de demain et l’économie de la connaissance ».

Des secteurs privilégiés également par MM. Bertrand et Besson qui préconisent des « efforts » particuliers dans le « véhicule électrique, le solaire, le nucléaire de 4ème génération » ou encore la création de « grands campus ».

Les décisions devraient être prises « dans la première quinzaine de novembre », selon M. Guaino. Mais ce sont « les parlementaires qui, in fine, voteront », a rappelé Jean-François Copé, chef de file des députés UMP.

Après avoir sondé leurs circonscriptions, ces derniers ont listé leurs propres priorités : « les technologies de la dépollution », « les nouvelles technologies culturelles » (jeux vidéo en 3D, télévision holographique), ou encore « la recherche sur les implants médicaux avec puces ».

Emmanuel Négrier :  » Un discours de type néo-conservateur à l’anglo-saxonne permet de gagner les élections »

Quels sont les grands enseignements que l’on peut tirer de la victoire de Nicolas Sarkozy ?

L’augmentation de la participation considérée comme un facteur plutôt favorable à la gauche, ne s’est pas confirmée dans ce sens. D’autre part, la démonstration est faite, même si tous les Français n’en ont pas conscience, qu’un discours de type néo-conservateur à l’anglo-saxonne permet de gagner les élections. Mais si le candidat sortant est parvenu à représenter la rupture, la démonstration n’est pas faite que ce discours permet de gouverner.

Pour rattraper son retard Ségolène aurait-elle pu jouer une autre carte que cette conversion vers la social- démocratie ?

Nous n’avons pas le recul, mais il est probable que cette nécessité lui a fait perdre des voix de gauche. En même temps, on assiste à une conversion non négligeable de l’électorat de gauche classique. C’est dommage parce que c’est la rupture d’une tradition française, vers une logique purement social-démocrate.

Le report des voix centristes n’a pas provoqué de surprise ?

La conversion bayrouiste n’était pas évidente. Depuis le programme commun de la gauche, l’électorat de Bayrou a toujours choisi la droite au travers de l’UDF ou du centre droit. On assiste un peu à une inflation de ce que représente Démocratie libérale depuis quelques années. Avec une conversion de ce centre droit vers Madelin. A partir de maintenant, c’est l’expérience du pouvoir inspirée par la rupture néo libérale qui va être déterminante pour le centre.

Sarkozy est parvenu à lepeniser son discours sans rebuter les centristes ?

L’idée que peuvent avoir les centristes est qu’il y a, chez les lepénistes, une partie d’égarés qui a perdu ses repères et dont une droite un peu musclée et sûre de ses valeurs pourrait les ramener à la raison.

Le discours néo-conservateur recrute largement dans les milieux populaires ?

C’est l’une des interrogations. On voit très clairement que Nicolas Sarkozy a réussi cette alchimie qui consiste à avoir un discours de rupture à l’égard d’une certaine forme de consensus socialiste à la sauce Chirac. Et avoir un discours beaucoup plus offensif dans les projections économiques de son programme plus inégalitaire et pourtant rallier autant de suffrages dans les milieux ouvriers que Ségolène Royal.

Ségolène s’est distinguée en jouant à certains moments contre son parti. Est ce que le PS a fait tout ce qu’il fallait pour qu’elle passe ?

Sans doute pas, son discours, assez personnel finalement, est l’indice d’une volonté de conquérir plutôt à l’intérieur de la gauche en se rendant pratiquement incontournable pour tout ce qui concerne la recomposition de la gauche actuelle.

On a aussi vu DSK se mettre sur les rangs dès les premières minutes.

Les deux peuvent gérer l’affaire ensemble. D’un certain côté, Ségolène a montré qu’elle avait des qualités importantes mais elle n’est pas la seule à pouvoir assurer cette transfiguration social-démocrate de la gauche française.

Le devoir d’opposition du PS par rapport au danger du Sarkozy « Kärsher » et l’élan vers la social-démocratie peuvent-ils participer d’un même mouvement ?

Il ne faut pas imaginer une seconde que la droite telle qu’elle va apparaître au gouvernement est une droite unifiée. Elle l’est uniquement par le chef sur un mode néo-bonapartiste. Mais en même temps elle est traversée de courants de division voire de haines interpersonnelles extrêmement fortes. Ce qui a pesé sur l’élection au premier tour, c’est l’absence d’alternative crédible à gauche du parti socialiste, par l’extrême émiettement et la concurrence. Hormis ceux qui l’ont vécu de l’intérieur, personne n’est en mesure de dire ce qui les différencie sur le fond.

Quel est le défi de la gauche antilibérale aujourd’hui ?

L’un des défis va être la construction d’une alternative non pas social-démocrate mais capable de jouer le jeu à gauche. Etre à la fois le refondateur d’une gauche « centrisée » sans être uniquement dans le jusqu’auboutisme oppositionnel.

Quel crédit donner à la déclaration du futur président très axée sur l’international ?

Durant la campagne, il a montré sur ce sujet des signes de faiblesse évidents. Son positionnement lui permet de sortir du débat en se situant à une échelle neutralisée. Quand il a parlé de l’union méditerranéenne et d’aides à l’Afrique, on a remarqué que les applaudissements devenaient extrêmement discrets dans son auditoire tandis qu’il a été très applaudi à propos des « amis américains ».

A court terme, quels sont les grands défis du nouveau président ?

Si on met de côté ceux qui concernent l’exercice du pouvoir et les calculs électoraux, ce qui n’est pas rien, la question clé c’est comment passe-t-on d’un discours néo-conservateur qui a permis de gagner les élections à un discours qui permet de gouverner ? Comment faire accepter à des gens qui n’ont aucun intérêt à cette politique qu’elle est juste ? Est-ce que c’est possible en France aujourd’hui ?

recueilli par Jean-Marie DINH

Voir aussi : Rubrique Débat politique Le conservatisme en politique, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie

La culture est oubliée mais les enjeux demeurent

To be or not Sarkozy

A première vue, la culture ne paraît pas différencier nettement les deux candidats à la fonction suprême. Il suffit de se pencher sur leurs propositions, pour constater l’absence de thématique culturelle précise.

Mais au-delà des discours généraux et généreux, il y aura la nature de l’exercice gouvernemental. Celle que redoutent les acteurs, celle que craignent les amateurs d’art et de spectacles face à la montée de l’industrie culturelle. Voilà pourquoi, les deux candidats militent pour faire passer l’idée que la culture ne sera pas victime de la rigueur budgétaire.

« Si l’on remonte aux cinquante dernières années on constate que la gauche s’est ralliée à la position de la droite en soutenant Malraux et que la droite a rejoint Jack Lang pour reconsidérer la place de la culture dans les politiques publiques », rappelle le chercheur en science politique Emmanuel Négrier.

Reste à examiner les faits. La suppression du statut des intermittents qui remet totalement en cause les activités culturelles dans le pays est totalement assumée par le candidat de l’UMP. Alors que Ségolène Royal se prononce pour son maintien au sein du régime chômage.

« On relève également des différences en matière de décentralisation culturelle. Elle est davantage soutenue par les socialistes, alors que l’UMP adopte une position très en retrait », pointe Emmanuelle Négrier.

La question de la diversité culturelle apparaît comme une autre différenciation « Le PS est pour la ratification de la charte européenne sur les langues régionales l’UDF contre. »

Pris entre son désir de libéralisation et la logique conservatrice de l’intervention publique, L’UMP s’efforce de faire bonne figure tandis que le PS peine à nous faire rêver.

Jean-Marie DINH