« L’Iran, pays des métamorphoses »

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Roman. Rencontre avec l’auteur iranienne Nahal Tajadod dans le cadre des Lectures Vagabondes.  Avec Debout sur la terre, l ‘écrivain signe un roman passionnant à partir de la fresque mouvementée de l’histoire iranienne.

Votre roman Debout sur la terre, nous fait voyager à travers le XXe siècle en Iran, et offre parallèlement un regard profond sur la culture …

 » Je suis née en 1960. Ce que j’ai vécu en Iran dans les années 70 peut paraître invraisemblable à la jeunesse iranienne actuelle. Dans mon précédent livre, Passeport à l’iranienne, j’évoquais l’Iran d’aujourd’hui. Avec celui-ci, je me suis autorisée à parler de l’Iran au XXe siècle. La société civile ne correspond pas à l’image de l’Iran véhiculée par les médias. Au gré de l’histoire, le pays a connu des métamorphoses. A plusieurs reprises, les valeurs officielles se sont retrouvées inversées. Pour moi, le foulard est loin. Je ne l’ai jamais porté, ma mère non plus et ma grand-mère s’est dévoilée en 1936 en vertu de la loi promulguant son interdiction. Ce type de métamorphoses peut se produire partout. Il ne correspond pas seulement à l’Iran.

Le livre est construit d’imbrications entre les personnages et les époques, entre la vie sociale et le vécu intime. Souhaitiez-vous entraîner vos lecteurs dans une dimension temporelle particulière ?

J’utilise une notion du temps très iranienne. Un peu comme le poète Rûmi. Il vous raconte une histoire, puis va faire autre chose, et revient en vous ramène au récit. C’est une technique de la littérature ancienne iranienne. Je voulais faire un livre qui sonne Persan en centrant l’action autour d’un rendez-vous raté. Les trois quarts du livre se passent en un jour. Les lecteurs iraniens me disent qu’en lisant, ils entendent le persan. Pour les Français, c’est une occasion d’approcher l’Iran moderne et traditionnel.
Cette histoire pleine de contradiction influe sur le destin des quatre personnages principaux, vous êtes-vous inspirée de personnes réelles ?

Ce sont des personnages que j’ai connus pour la plupart. Je m’en suis inspirée. Il y a M. V, l’octogénaire francophile. Homme d’influence cultivé, partisan du progrès qui œuvre politiquement pour son pays et se retrouve marginalisé après la révolution islamique. Le personnage féminin Esiyeh, ressemble beaucoup à ma mère. Fille d’un chef de tribu Kurde, elle est élevée comme un garçon et se retrouve à la tête de la tribu dans le Nord. C’est une femme très attachée à la terre et à sa culture. Il y a Feyreydoun. Homme de télévision à succès qui parvient à naviguer à travers l’histoire en s’efforçant d’être bien là où il est. Il prend parti pour la révolution mais les slogans pour lesquels il a milité lui échappent. Il y a aussi l’électricien Massoud, militant religieux qui devient préfet. Ce personnage m’a demandé de me documenter. J’ai lu le parcours de beaucoup de militants islamistes devenus des sommités. Dans ce milieu, beaucoup répondaient à un code d’honneur. Avant la révolution, c’était souvent des pratiquants musulmans, qui buvaient de l’alcool et avaient des maîtresses. C’est une génération qui est allé faire la guerre. Elle a donné son argent pour accueillir l’Ayatollah Khomeiny mais elle a perdu son côté fantasque. Je ne voulais pas rendre ce personnage antipathique.

Après le coup d’État, vous abordez la résistance au Shah et ses diverses composantes, quelles étaient les relations entre les Moudjahidins, les intellectuels et les religieux ?

La révolution a fédéré le mécontentement au moment des soulèvements. Mais seuls les religieux disposaient d’une organisation autour des mosquées. Tous les chefs Moudjahidins étaient emprisonnés. Les intellectuels manifestaient contre la censure mais ne représentaient pas une force d’opposition. Ils n’avaient même pas lu les livres de Khomeiny… Je me souviens avoir dit un jour à mon éditeur Robert Laffont que je n’écrirai jamais sur ma mère ni sur la révolution et j’ai fini par écrire sur les deux. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Debout sur la terre

Un chemin de la Perse à l’Iran

debout-sur-la-terreUn poème de Forough Farrokhzad (1934/1967), poétesse contemporaine dont l’œuvre symbolise la liberté de la femme en Iran, fait fonction d’épigraphe au roman de Nahal Tajadod. Il dit le lien à la terre d’une femme debout.  Dans le livre, Esiyeh correspond à l’image de cette femme forte et cultivée. Elle descend d’une ancienne tribu kurde et a pour ancêtre Abdal Khan, qui participa en 1739 à la chute du souverain Moghol Mohammad Shah. Deux siècles plus tard, après que la Grande Bretagne et la Russie se soient partagées l’Iran, le Parlement ratifie le désarmement et l’expropriation des tribus. Nous sommes en 1935. Un an après, sera décrété l’interdiction de porter le voile. La vie d’Esiyeh bascule, la jeune fille va tout faire pour maintenir son héritage, avant tout un art de vie qui ne se résume pas à l’intérêt matériel. Elle prend le parti de défendre sa culture sans s’opposer à la modernité. Dans cette quête perdue, Esiyeh oublie sa propre vie. Accaparée par l’urgence de son devoir, elle perd un enfant et s’interdit de répondre aux avances de l’heureux réalisateur Feyreyoun.

Lui, a fait ses études à la Sorbonne puis à l’Idhec, dans l’irruption concomitante de la nouvelle vague et de mai 68. De retour au pays, l’intellectuel prend le vent, milite contre le Shah imposé par l’ingérence étrangère en 1953. Vingt ans passent, ponctués par le Grand Bond en avant du Shah, l’exode rural et les coups de billard à trois bandes de la guerre froide. En exil depuis 1964, l’Ayatollah Khomeiny prépare son retour. En 1979, la révolution islamique occasionne une redistribution des cartes, c’est le retour du voile et des longues barbes. Esiyeh doit s’exiler, Feyreyoun reste. Que peut-il advenir de cette histoire d’amour…

Dans un style littéraire imagé, Nahal Tajadod foule les conventions et les idées reçues sur son pays. Elle situe son roman sur plusieurs plans où se croisent les dimensions mythiques, culturelles, et l’histoire politique. L’auteur donne une résonance contemporaine subtile au récit. L’humour y prend le relais sur le pathos. C’est à travers l’humanité de ses personnages que Nahal Tajadod lève une partie du voile sur les mystères de l’Iran moderne et de l’ancienne Perse.

JMDH

Debout sur la Terre, éditions Lattès 20 euros.

Voir aussi : Rubrique Livre Sur les pas de Rûmi, Clair obscure à Théhéran , La femme qui lisait trop, Rubrique Cinéma  Les chats PersansTéhéran , On line Histoire des frontières de  l’Iran ,

La lecture en tête dans la vallée de l’Orb

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La quatorzième édition des Lectures vagabondes s’est achevée hier par un repas convivial au château de Colombière dans le Haut Languedoc. Cette dernière soirée a fait la part belle aux jeunes talents littéraires. Pleine de fraîcheur, l’auteur photographe Alizé Meurisse, nominée pour le prix Flore pour son premier roman Pâle sang bleu, y a évoqué son dernier livre Roman à Clefs paru au début de l’année. Tout aussi libre, NatYot a ouvert le registre poétique de son recueil EroTIK MeNtaL FoOD, mots nus et crus dits en musique.

Au terme de six jours de festival où se sont succédé les écrivains, Justine Niogret, Lilian Bathelot, Vincent Wackenheil, Nicolas Ancion, Eric Pessan et Nahal Tajadod, auteurs de Incident de Personne et de Debout sur la terre – romans sur lesquels nous reviendrons prochainement – la diversité de la palette littéraire proposée, s’inscrit comme une partie identitaire du festival.

Autre caractéristique, le vagabondage qui conduit l’esprit des spectateurs participants d’un lieu à l’autre. Dans l’écrin verdoyant de la vallée de l’Orb, on s’étonne de site en site. Derrière une chapelle perchée dans la montagne, au bord d’une rivière, ou dans la cour d’un château, les rencontres se produisent là où on ne les attend pas. Et la fidélité du public ne fait pas défaut. Entre soixante et cent personnes tous les soirs se retrouvent dans des lieux perchés hautement improbables. « C’est plus fréquenté que dans les rencontres organisées par les librairies parisiennes, constate une nouvelle adepte de la capitale, en cure thermale à Lamalou-les-Bains. J’ai découvert le festival cette année. Je n’en reviens pas, mais je reviendrais », lâche la dame ravie. Il y a aussi le noyau des habitués membres de l’association, car les rencontres avec les auteurs ne se limitent pas au festival d’été. Elles ont lieu toute l’année ce qui renforce les liens. « Je suis les rendez-vous pour la convivialité et pour aiguiller mes choix de lecture. C’est bien de voir et d’entendre parler un auteur ici ; rien à voir avec la télé. Et puis le choix des invités fait par l’association opère un premier tri « , explique un quinquagénaire enthousiaste.

Après les rencontres, l’échange se poursuit autour d’un verre et souvent autour d’une bonne table. Mais l’ingrédient principal demeure le lecteur.

 

L’association Lectures Vagabondes promène la littérature dans l’arrière-pays

 « J’ai hérité d’une Rolls, confie la nouvelle présidente de l’association Lectures Vagabondes, Edith Noublanche. Avec 130 adhérents, et un public beaucoup plus large, notre association a pour objet la diffusion de la littérature française ou étrangère. Elle organise des rencontres avec des auteurs tout au long de l’année avec des temps forts, comme le festival d’été ou les rencontres poétiques en juin. »

Au rythme de deux rendez-vous mensuels, l’association s’est constituée un vrai public de lecteurs. Elle fonctionne avec un comité de lecture qui fait le tri sur le critère de la qualité d’écriture. Depuis sa fondation par Jean-Claude Mancione, elle a reçu plus de 600 écrivains dans la vallée de l’Orb. « En 1996 nous n’étions pas nombreux à proposer un festival littéraire en août, se souvient Jean-Claude Mancione. Nous voulions ouvrir la vallée à la littérature. Nous avons commencé par faire connaître les auteurs de la région. L’exigence est venue avec le temps, puis l’idée que nous pouvions être un marchepied pour de jeunes auteurs talentueux méconnus et avec elle, la volonté de s’ouvrir à la littérature du monde.« 

Les auteurs accueillis par l’association apprécient autant le cadre naturel que l’esprit du projet qui les confronte au questionnement des lecteurs. En ce sens, il s’agit d’une vraie rencontre, loin des mondanités urbaines qui font l’ordinaire de la promotion littéraire. « La dimension itinérante des rencontres se fait en fonction des volontés. Elle offre une singularité, indique Edith Noublanche. On est hors les murs en conservant une vraie exigence littéraire. Notre volonté est de concerner tous les publics et notamment d’aller vers un rajeunissement. Si on veut que la littérature se promène, il faut songer à la sortir des maisons de retraite. »

Le propos ne s’apparente pas à l’idéologie du jeunisme mais à celui de l’ouverture. L’association intervient en effet dans différents centres hospitaliers y compris auprès de personnes atteintes d’une déficience mentale. Au fil du temps, Lectures Vagabondes a échafaudé un réseau partenarial. Elle a noué une relation avec la Maison de Heidelberg et travaille régulièrement avec la Librairie des Sources à Bédarieux. « Nous entretenons des relations privilégiées avec certains éditeurs comme Métailié qui nous contactent lorsqu’ils font venir des auteurs étrangers.« 

Coté budget, l’association ne roule pas sur l’or. Elle est modestement soutenue par les collectivités territoriales, mais ne semble pas préoccupée outre mesure par l’incertitude qui plane sur les budgets culturels 2011. « Il ne faut pas se laisser démotiver par le financement institutionnel mais plutôt s’interroger sur les moyens de notre indépendance, soutien Edith Noublanche. Qui précise que les auteurs invités sont rémunérés en fonction de la charte des auteurs !

Jean-Marie Dinh