» Je suis née en 1960. Ce que j’ai vécu en Iran dans les années 70 peut paraître invraisemblable à la jeunesse iranienne actuelle. Dans mon précédent livre, Passeport à l’iranienne, j’évoquais l’Iran d’aujourd’hui. Avec celui-ci, je me suis autorisée à parler de l’Iran au XXe siècle. La société civile ne correspond pas à l’image de l’Iran véhiculée par les médias. Au gré de l’histoire, le pays a connu des métamorphoses. A plusieurs reprises, les valeurs officielles se sont retrouvées inversées. Pour moi, le foulard est loin. Je ne l’ai jamais porté, ma mère non plus et ma grand-mère s’est dévoilée en 1936 en vertu de la loi promulguant son interdiction. Ce type de métamorphoses peut se produire partout. Il ne correspond pas seulement à l’Iran.
Le livre est construit d’imbrications entre les personnages et les époques, entre la vie sociale et le vécu intime. Souhaitiez-vous entraîner vos lecteurs dans une dimension temporelle particulière ?
La révolution a fédéré le mécontentement au moment des soulèvements. Mais seuls les religieux disposaient d’une organisation autour des mosquées. Tous les chefs Moudjahidins étaient emprisonnés. Les intellectuels manifestaient contre la censure mais ne représentaient pas une force d’opposition. Ils n’avaient même pas lu les livres de Khomeiny… Je me souviens avoir dit un jour à mon éditeur Robert Laffont que je n’écrirai jamais sur ma mère ni sur la révolution et j’ai fini par écrire sur les deux. »
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Debout sur la terre
Un chemin de la Perse à l’Iran
Un poème de Forough Farrokhzad (1934/1967), poétesse contemporaine dont l’œuvre symbolise la liberté de la femme en Iran, fait fonction d’épigraphe au roman de Nahal Tajadod. Il dit le lien à la terre d’une femme debout. Dans le livre, Esiyeh correspond à l’image de cette femme forte et cultivée. Elle descend d’une ancienne tribu kurde et a pour ancêtre Abdal Khan, qui participa en 1739 à la chute du souverain Moghol Mohammad Shah. Deux siècles plus tard, après que la Grande Bretagne et la Russie se soient partagées l’Iran, le Parlement ratifie le désarmement et l’expropriation des tribus. Nous sommes en 1935. Un an après, sera décrété l’interdiction de porter le voile. La vie d’Esiyeh bascule, la jeune fille va tout faire pour maintenir son héritage, avant tout un art de vie qui ne se résume pas à l’intérêt matériel. Elle prend le parti de défendre sa culture sans s’opposer à la modernité. Dans cette quête perdue, Esiyeh oublie sa propre vie. Accaparée par l’urgence de son devoir, elle perd un enfant et s’interdit de répondre aux avances de l’heureux réalisateur Feyreyoun.
Lui, a fait ses études à la Sorbonne puis à l’Idhec, dans l’irruption concomitante de la nouvelle vague et de mai 68. De retour au pays, l’intellectuel prend le vent, milite contre le Shah imposé par l’ingérence étrangère en 1953. Vingt ans passent, ponctués par le Grand Bond en avant du Shah, l’exode rural et les coups de billard à trois bandes de la guerre froide. En exil depuis 1964, l’Ayatollah Khomeiny prépare son retour. En 1979, la révolution islamique occasionne une redistribution des cartes, c’est le retour du voile et des longues barbes. Esiyeh doit s’exiler, Feyreyoun reste. Que peut-il advenir de cette histoire d’amour…
Dans un style littéraire imagé, Nahal Tajadod foule les conventions et les idées reçues sur son pays. Elle situe son roman sur plusieurs plans où se croisent les dimensions mythiques, culturelles, et l’histoire politique. L’auteur donne une résonance contemporaine subtile au récit. L’humour y prend le relais sur le pathos. C’est à travers l’humanité de ses personnages que Nahal Tajadod lève une partie du voile sur les mystères de l’Iran moderne et de l’ancienne Perse.
JMDH
Debout sur la Terre, éditions Lattès 20 euros.
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