Un demi-siècle d’or et d’amour de la peinture

Impressionnisme et audaces du XIXe siècle: Une expo à voir et revoir jusqu’au 27 octobre au Musée Paul Valéry de Sète

Corot "La méditation"

Corot « La méditation »

Peinture. Impressionnisme et audaces du XIXe siècle le musée Paul Valéry de Sète présente 70 chefs d’oeuvre de Monet, Renoir, Degas, Pissaro, Bonnard… issus de la collection David et Ezra Nahmad.

Perché sur le Mont Saint Clair, le musée Paul Valery surplombe le cimetière marin où les âmes sétoises reposent devant la mer scintillante. L’ambiance paisible de cet endroit prête à s’échapper de la cohue festive de l’été. L’expo Impressionnisme et audaces du XIXe siècle, présentée jusqu’au 27 octobre au Musée Paul Valery donne une raison de plus de quitter le sable pour y trouver un refuge bien inspiré.

Après le Musée des beaux arts de Zurich qui proposait il y a peu une centaine de tableaux du XXe siècle et l’exposition Picasso qui se tient actuellement à Monaco, le musée de Sète présente en exclusivité 70 chefs-d’oeuvres de la Collection David et Ezra Nahmad, une des trois plus importantes collections de peinture mondiale. Ces oeuvres qui ont circulé séparément dans les plus grands musées sont pour la première fois rassemblées en France pour proposer une vision d’ensemble de la seconde partie du XIXe siècle. A travers le choix des oeuvre exposées, la commissaire générale Maïthé Vallès Bled a cherché à traduire la cohérence de la collection des trois frères Nahmad, Joe, David et Ezra en soulignant aussi leur sens de l’anticipation. Outre la beauté somptueuse des oeuvres, l’intérêt de l’expo est d’y découvrir de nombreux tableaux charnières qui annoncent ou participent à de nouveaux courants picturaux. Ce que confirme le propos de David Nahmad dans le beau catalogue de l’exposition quand il soutient l’idée que la réalité de l’art ne relève pas d’un goût personnel mais qu’elle s’inscrit dans l’Histoire. Un propos que révèle bien la première salle de l’exposition consacrée à l’école de Barbizon.

Au début du XIXe, les critères artistiques académiques considéraient l’observation sensible de la nature comme inférieure à l’expérience intellectuelle. Des artistes comme Corot, Millet, ou Courbet, qui consacre les deux tiers de son oeuvre au paysage, apportent une contribution majeure à l’Histoire avec un retour en force à la nature. La vision contemplative de Corot anticipe l’impressionnisme. Le panneau A l’Etretat, femme et enfant au bord de la mer (1865) illustre son esprit d’harmonie dans les couleurs comme dans la forme, l’enfant semble affairé à modeler la matière spirituelle terrestre avec laquelle il se confond.

On décèle la technique de la touche divisée chez les pré-impressionnistes représentés dans le parcours par six oeuvres couvrant vingt six années de création du peintre Boudin (1824-1898) dont la puissante toile Deauville, le rivage par gros temps, 1890, démontre sa capacité à saisir l’atmosphère. La place donnée au ciel et l’obsession de la lumière éphémère ne sont pas sans rappeler son contemporain britannique Turner.

La section impressionniste comprend deux Monet réalisées à plus de trente ans d’intervalle qui donnent idée de l’évolution du travail de l’artiste. Le Canotier à Argenteuil, 1874 surprend par la simplicité de la scène, tandis que le Le palais ducal vu de st Georges Majeur réalisé en 1908, semble se perdre dans un mirage qui fait appel à une gamme colorée d’une grande fraîcheur. Parmi les amis de Monet, on croise Sisley, bien représenté avec six toiles dont Le maronnier à St Mammès, où l’artiste use de sa maîtrise de la couleur pour capter toutes les subtilités de la lumière ce qui donne à la toile une aura magique.

Renoir La Liseuse 1877

Renoir La Liseuse 1877

La riche section Renoir mérite à elle seule le déplacement avec neuf tableaux du maître dont l’envoûtante Liseuse, 1877 ou la dubitative Femme au coin du poêle, 1912. On succombe également au charme de Pissaro et à son sens de la composition,  à la modernité de Degas avant d’aborder l’école de Pont-Aven avec Serusier et Bernard. Le retour au sacré cher aux Nabis s’opère avec six oeuvres majeures de Bonnard, La Vierge de st Gonery de Maurice Denis et la peinture naïve du Douanier Rousseau.

Lautrec, Signac et Loiseau occupent le volet Post-impressionisme, tandis que Moreau et Redon concluent le parcours dans un univers mystérieux et mystique. « Pour aimer il faut comprendre» explique le collectionneur David Namad. Cette exposition qui parcourt un demi siècle d’histoire permet de saisir les passages ouverts par les plus grands maîtres de la peinture.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise août 2013

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Corot, La méditation, 1840-1845. Renoir la liseuse, 1877 photo dr

La poésie sensible et silencieuse de Juan Gris au Musée Paul Valéry

Le joueur de Guitare (1918)

L’exposition Juan Gris, « Rime de la forme et de la couleur », appelle une escale sétoise cet été.  A proximité du cimetière marin, le bleu azur inonde la partie haute de la ville. Tout là haut perché, le Musée Paul Valéry répond aux principes architecturaux peu esthétiques de Le Corbusier. Il lui permet cependant de disposer d’intéressants volumes intérieurs. Jusqu’au 31 octobre on peut y (re) découvrir l’œuvre rare de Juan Gris (1887/1927).

Le peindre espagnol est le moins connu des trois grandes figures du cubisme. Après avoir suivi la voie ouverte par ses aînés, Braque et Picasso, Gris a  indéniablement contribué au mouvement par son apport personnel. En France, la dernière exposition que lui a consacré le Musée Cantini de Marseille remonte à une quinzaine d’années. Plus récemment, la rétrospective du Musée national de la Reina Sofia à Madrid en 2005, fait référence au niveau international. L’exposition de Sète rassemble une cinquantaine d’œuvres provenant de nombreux musées tel le Minneapolis Institut off Art, le Musée néerlandais d’Art d’Otterlo, le Musée d’Arts moderne de Paris… Elle a également sollicité plusieurs collectionneurs particuliers. « L’exposition s’apparente à une mise en relation d’œuvres permettant de cerner le propos de Gris sur la poésie », indique la Directrice du Musée Paul Valéry, Maïthé Vallès Bled, qui assure le commissariat général de l’exposition.

Fin du culte de la nature

Le parcours propose quelques œuvres de jeunesse, époque où l’artiste se trouve un atelier au Bateau Lavoir sur la butte Montmartre qu’il a rejoint en 1906.  A Paris, pour gagner sa vie, Juan Gris réalise des dessins humoristiques qu’il place dans les journaux illustrés comme L’assiette au beurre ou Le cri de Paris. Avec Picasso dans son voisinage, le jeune homme qui a suivi une formation d’ingénieur, s’imprègne  des procédés cubistes tel le renversement des plans, ou la variation des angles de vue.

Dès 1907, dans la perspective de solidifier les formes ouvertes par Cézanne, Les Demoiselles d’Avignon (ou Bordel d’Avignon) opposent des volumes cubiques aux effets lumineux des impressionnistes. A partir de 1910, Picasso et Braque consomment la rupture avec la vision classique en vigueur ouvrant jusqu’en 1912 la seconde phase du cubisme dite analytique. Ils abandonnent définitivement l’unicité du point de vue de la perspective albertienne. Leur démarche reçoit le soutien d’Apollinaire qui associe à cette évolution picturale la fin du culte de la nature (celle du Dieu créateur terrestre), auquel il oppose la grandeur des formes métaphysiques, les deux artistes multiplient les angles de vision des objets pour en donner une nouvelle représentation. Ne cherchant pas à affirmer une esthétique personnelle, Juan Gris se distingue dès cette époque de ses initiateurs par une construction plus affirmée. Mais c’est vraiment dans la troisième phase du mouvement, le cubisme synthétique qui voit jour à partir de 1913, que la sensibilité de Gris s’illustre.

 

Verre et journal (1916)

Chemins oniriques

Désormais, la technique cubiste est explorée dans la capacité qu’elle offre de concevoir les rapports du sujet à l’objet. La majeure partie des œuvres de Gris présentées à Sète sont issues de la décennie 1916-1926. Une période où l’artiste est à la recherche d’un contenu spirituel. « Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux » écrivait-il en 1915 à son marchand Daniel-Henry Kahnmeiler. Pourtant, une toile comme Verre et journal (1916), apparaît au visiteur fortement empreinte de la conscience de l’objet de celui qui le représente. De même, Le joueur de guitare (1918) dont la musique qui le traverse fait vibrer le corps et l’espace, démontre la sensibilité tactile et fantaisiste qui habitent l’artiste.

Gris n’a de cesse de trouver l’équilibre parfait entre la richesse du contenu spirituel et les nécessités architecturales. Il se distingue de ses illustres aînés dans l’usage de la couleur en poussant le regard par le jeu des contrastes. La vue sur la baie  (1921) offre une idée de son champ de recherches qui part d’une maîtrise pour s’ouvrir sur des chemins oniriques. Dans ce télescopage des espaces intérieur extérieur, on peut voir la liberté saisir l’âme des objets qui s’échappent. Sur la toile Mère et enfant, 1922, les personnages ne se donnent pas à l’image. Les lignes ondulantes et les masses rondes s’entrecroisent mettant en évidence l’intériorité fusionnelle de la relation par la lumière.

De l’intentionnalité

Le parcours propose également une captivante série de natures mortes réalisées entre 1924 et 1925 où l’on mesure l’interprétation qu’a pu faire Gris du phénoménologue Husserl notamment sur le rôle de l’intentionnalité dans la perception des objets quotidiens. On n’y trouve pas de coquillage même si Gris y développe une poésie silencieuse qui le rapproche du poète montpelliérain Francis Ponge. Il faut pousser la porte du Musée Paul Valéry pour découvrir l’intuition sensible de Gris qui prolonge la pensé cubiste et quelque part l’aboutit. Le mérite de « Rime de la forme et de la couleur » pourrait être de réconcilier certains amateurs d’art éloignés du cubisme par l’intransigeante rigueur de ses premiers pas.

Jean-Marie Dinh

« Rimes de la forme et de la couleur » Musée Paul Valéry, jusqu’au 31 octobre.

Voir aussi : Rubrique  Exposition, rubrique Art,

Exposition Raoul Dufy à Sète : une vision personnelle de la grande bleue

Le grand arbre à Sainte Maxime, 1942

Dites à ceux qui se sont levés du pied gauche, qui se liquéfient dans les bouchons ou qui en ont simplement marre du sable, que l’on trouve avec l’exposition du musée Paul Valéry Dufy en Méditerranée une heureuse occasion de dissiper leur maussade humeur. D’abord fuir les plages bondées et les fruits jamais mûrs de la grande distribution, puis sortir des embouteillages en prenant de la hauteur. L’escale cimetière marin n’est pas obligatoire, mais nous la conseillons. En été ce sas de décompression n’a rien à envier aux activités réputées relaxantes des complexes nautiques, érotiques et ludico-commerciaux. Perché sur le Mont St Clair, le musée vient de rouvrir après une réorganisation muséographique, apprend-on sur place. L’architecture extérieure style Le Corbusier n’est pas une perle d’esthétisme, mais l’espace intérieur offre de beaux volumes.

Evidemment, par ces temps où les œuvres sont asservies partout pour valoriser la richesse patrimoniale locale, la vigilance légitime des amateurs s’éveille. Quelle est la pertinence thématique des expositions qui leur sont proposées à grand renfort de communication institutionnelle. Sans aller jusqu’à s’interroger sur celle des investissements publics en matière de création, rien n’empêche les néophytes de fonder leur jugement en se détournant des présentations expertes. Après tout, pourquoi se laisser bercer par les discours insensés d’une époque où tout et son contraire sont justifiables ?

Ce qui est génial chez Dufy, c’est la spontanéité de son expression. Cet artiste a le don de rendre sa peinture accessible sans jamais céder à la facilité. Il doit peut-être cela à ses origines modestes. C’est un type qui a fait les beaux-arts en suivant les cours du soir. Après avoir acquis une certaine reconnaissance, il crée une petite entreprise d’imagerie. Un artiste engagé aussi. En 1915, il diffuse des gravures de propagande patriotique et réalise des dessins pour la revue Le mot dirigé par Jean Cocteau. Mais cela ne l’empêche pas de s’engager comme volontaire.

Vénus à la coquille, 1925-1930

Vénus à la coquille, 1925-1930

L’expo réunit une soixantaine de ses œuvres, peintures, aquarelles et gouaches provenant de nombreuses collections publiques et privées. Il fait frais dans le musée. Les œuvres s’étalent dans un vaste espace. On se demande toujours en quoi la Méditerranée a bien pu influer cet artiste normand jusqu’à ce qu’on tombe sur ses toiles du marché de Marseille. Là, l’interrogation s’estompe assez vite. Face aux légumes, aux étoffes des robes, à la foule qui s’anime. On ressent le poids des personnages, le monde populaire qui se protègent de la chaleur sous les parasols des commerçants et les stores des terrasses. En début d’après-midi, après la fermeture, une senteur poissonnière passe dans la fraîcheur du marché couvert. Dufy a peint ces toiles en 1903. L’année où il présenta pour la première fois ses œuvres au Salon des Indépendants et où il découvre le Sud de la France, lors d’un séjour à Martigues. Il est resté fasciné par la lumière du Midi.

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Dufy dans son atelier de Forcalquier, 1952

Cet artiste devait être un type bien. Il a poursuivi toute sa vie (1877-1953) une recherche avant-gardiste et personnelle. Sur l’autoportrait qu’il fait en 1904, il a les traits tirés. Il doit manquer de sommeil. Il est dans son temps et en même temps dans l’avenir. D’abord impressionniste, il passe au fauvisme sous l’influence de Matisse qui libère un peu plus son expression. Comme tous ses contemporains, il se prend un flash Cézanne. On discerne l’influence cézannienne dans plusieurs de ses toiles. Mais l’attention que Dufy porte à l’architecture spatiale, conserve un je-ne-sais-quoi du déséquilibre qui lui est propre. Son exigence le conduira à définir son propre langage plastique. Un langage aérien qui s’est nourri de la lumière méditerranéenne. A travers les œuvres présentées, réalisées en Italie, en Espagne, au Maroc, en Algérie, l’expo montre qu’il a beaucoup voyagé. Dufy recherche et capte l’éphémère. En regardant une petite fille qui court sur le quai de Honfleur, il comprend que l’esprit enregistre plus vite la couleur que les contours. A partir de ce moment, il va dissocier les couleurs et le dessin. Ce qui participe à son style avec le mouvement, les superpositions, la multiplicité des sollicitations. Dufy est un poète du trait et de la lumière. Allez-y les yeux ouverts !

Jean-Marie Dinh

Dufy en Méditerranée Musée Paul Valéry A Sète jusqu’au 31 octobre 2010.

Voir aussi : Rubrique Exposition