Municipales J – 2 : la vraie fausse victoire de Marine Le Pen

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Photo Bertrand Langlois AFP

Avant même le résultat du premier tour des élections municipales dimanche, Marine Le Pen a la mine d’une gagnante : le FN est au centre du jeu. Déjà, Jean-Marc Ayrault appelle les républicains à faire barrage contre lui au second tour.

Qu’elle est loin l’année 2007 où Nicolas Sarkozy semblait avoir réussi avec le parti d’extrême droite la même opération laminage que François Mitterrand avec les communistes.

Le FN est coriace. Il mène le même type d’offensive qu’en 1995. Le parti de Jean-Marie Le Pen avait alors présenté des listes dans 537 municipalités, réalisé près de 9 % des suffrages dans les communes de plus de 9 000 habitants et remporté pour la première fois trois grandes villes du Sud : Toulon, Marignane et Orange. Il avait en outre pu se maintenir au second tour dans 116 communes.

Cette fois, le FN de Marine Le Pen présente 597 listes, espère conquérir 10 à 15 villes, parmi lesquelles Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) et Fréjus (Var), ambitionne de faire élire un millier de conseillers municipaux. Il devrait être en mesure de se maintenir dans plus de 200 communes et d’entraver la reconquête espérée par l’UMP.

Là réside cependant l’ambiguïté : si Marine Le Pen veut simplement faire turbuler le système comme son père, elle a déjà gagné. D’autant que dans la foulée des élections municipales se profile la séquence européenne, qui s’annonce délicate aussi bien pour le Parti socialiste que pour l’UMP.

Mais si Marine Le Pen prétend installer le Front national parmi les grands partis capables un jour de gouverner, ces municipales ne sont pas une victoire. Elles sont simplement une réparation, la réparation de la scission mégrétiste qui, en 1999, avait fortement affaibli le parti.

L’implantation locale est déterminante pour un parti. C’est elle qui lui assure des élus, un maillage des notables, des financements. Or, tout cela a été détruit. En outre, dans les rares villes qu’il a gérées, le FN n’a pas laissé de bons souvenirs. En matière de gestion municipale, il n’a aucun bilan et a tout à prouver.

Ailleurs, dans les villes où il prétend faire élire des conseillers municipaux, il lui faudra bien plus qu’un millier d’élus pour peser et faire changer les choses. Marine Le Pen a beau faire sienne la stratégie de Bruno Mégret, elle est obligée de repartir de zéro.

Source : Le Monde 21/03/2014

Blog de Françoise Fressoz

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Laïcité, République, Histoire, la sainte trinité

L'église et la France républicaine
L’église et la France républicaine

Le débat sur la laïcité sur fond de diabolisation de l’islam et de bonne conscience « républicaine » vient à point nommé occulter l’existence d’autres intégrismes à l’oeuvre dans le présent mondial, comme le parti Shass en Israël, les « évangélistes » américains, les fondamentalismes hindous ou les catholicismes extrêmes. Et la laïcité vire elle-même à l’intégrisme dès lors qu’elle se définit par une extériorité totale aux religions et par la traque du moindre « signe religieux » surtout s’il est musulman. L’esprit de la loi de 1905, rapportée par Aristide Briand, était celui d’une laïcité tolérante et ouverte. Mais les dogmatismes de tout poil en ont souvent brouillé l’ interprétation. La propension française à une religiosité qui s’ignore parce qu’elle se couvre du manteau de la laïcité est l’une des caractéristiques d’un affichage ostentatoire de républicanisme bon teint.

Tocqueville en 1856 voyait dans la Révolution française « une révolution politique qui a opéré à la manière et qui a pris en quelque chose l’aspect d’une révolution religieuse ». Ce dogmatisme est lui-même un héritage de l’absolutisme monarchique, historiquement étayé par un absolutisme catholique, marqué notamment par la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) et la traque des « prétendus réformés », sans oublier dans un passé plus lointain l’extermination des Cathares ou les mesures ant-ijuives du pieux Saint Louis. Dix ans avant la loi de 1905, un intégrisme catholique se manifestait encore dans les courants antisémite et anti-protestant de l’antidreyfusisme.

Au présent, la confusion des concepts et le brouillage des postures derrière les invocations immodérées à la République et à la laïcité semblent avoir atteint un sommet de bonne conscience. Lorsqu’un Henri Guaino affirme (Le Monde 12-13 décembre) que le programme des Verts « n’est pas très républicain » puisqu’il ne partage pas ses propres dogmes sur l’assimilation, la nation, l’Etat, il se positionne comme un clerc, seul habilité à dire « la » vérité sur « sa » République. Quand Jean-Louis Borloo organise un grand dîner « républicain », on est en droit de s’interroger sur les divergences conceptuelles et idéologiques naturelles entre les participants et donc sur la sémantique de ce rassemblement hormis un éphémère bruit médiatique (Le Monde 11 décembre).

La prestation tourne à la manipulation avec Marine Le Pen se réclamant d’une laïcité dont, au moment même où elle en prononce le mot, elle en dénie le sens originel par l’implicite diabolisation de l’islam, nouvelle figure idéologique d’un néo-nationalisme intégral fondé sur l’exclusion de l’Autre et donc sur la négation des fondements mêmes de la notion de laïcité.

Et voilà que, dans le supplément « éducation » du Monde (15 décembre), Bertrand Tavernier nous ressert la troisième personne de la sainte trinité : une « histoire de France » intouchable. Présentée dans les manuels primaires comme L’Histoire avec article défini et « H » majuscule, sa sempiternelle défense cristallise en tabou le récit national hérité de la IIIe République et ses héros repères, pétrifiant dans un passé révolu une identité nationale supposée immobile et anhistorique.

Lorsque Bertrand Tavernier semble regretter l’enseignement de son « époque », qui « excluait l’histoire du monde, ou celle de l’esclavage », évoquant paradoxalement « les cours ennuyeux suivis à l’école » (au contraire de ses films), il cautionne, sans doute involontairement, la perpétuation paralysante de cette trilogie figée dans le marbre de la nostalgie.

L’affirmation perverse d’une pseudo laïcité imbibée d’islamophobie ne peut que favoriser le développement d’autres intégrismes. Il serait temps, parallèlement à la nécessaire construction de mosquées, de déconstruire les visions anachroniques et figées de la trilogie pour opposer à ce catéchisme national-républicain l’analyse des contradictions de la société réelle et de nouveaux décryptages du passé donnant sens aux héritages multiples du présent et donnant vie aux valeurs solidaires et fraternelles à y injecter de toute urgence.

Suzanne Citron et Laurence De Cock

(Le Monde)

Suzanne Citron et Laurence De Cock sont aussi co-auteures de l’ouvrage collectif, La Fabrique scolaire de l’histoire, éditions Agone 2009.