Le débat sur la laïcité sur fond de diabolisation de l’islam et de bonne conscience « républicaine » vient à point nommé occulter l’existence d’autres intégrismes à l’oeuvre dans le présent mondial, comme le parti Shass en Israël, les « évangélistes » américains, les fondamentalismes hindous ou les catholicismes extrêmes. Et la laïcité vire elle-même à l’intégrisme dès lors qu’elle se définit par une extériorité totale aux religions et par la traque du moindre « signe religieux » surtout s’il est musulman. L’esprit de la loi de 1905, rapportée par Aristide Briand, était celui d’une laïcité tolérante et ouverte. Mais les dogmatismes de tout poil en ont souvent brouillé l’ interprétation. La propension française à une religiosité qui s’ignore parce qu’elle se couvre du manteau de la laïcité est l’une des caractéristiques d’un affichage ostentatoire de républicanisme bon teint.
Tocqueville en 1856 voyait dans la Révolution française « une révolution politique qui a opéré à la manière et qui a pris en quelque chose l’aspect d’une révolution religieuse ». Ce dogmatisme est lui-même un héritage de l’absolutisme monarchique, historiquement étayé par un absolutisme catholique, marqué notamment par la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) et la traque des « prétendus réformés », sans oublier dans un passé plus lointain l’extermination des Cathares ou les mesures ant-ijuives du pieux Saint Louis. Dix ans avant la loi de 1905, un intégrisme catholique se manifestait encore dans les courants antisémite et anti-protestant de l’antidreyfusisme.
Au présent, la confusion des concepts et le brouillage des postures derrière les invocations immodérées à la République et à la laïcité semblent avoir atteint un sommet de bonne conscience. Lorsqu’un Henri Guaino affirme (Le Monde 12-13 décembre) que le programme des Verts « n’est pas très républicain » puisqu’il ne partage pas ses propres dogmes sur l’assimilation, la nation, l’Etat, il se positionne comme un clerc, seul habilité à dire « la » vérité sur « sa » République. Quand Jean-Louis Borloo organise un grand dîner « républicain », on est en droit de s’interroger sur les divergences conceptuelles et idéologiques naturelles entre les participants et donc sur la sémantique de ce rassemblement hormis un éphémère bruit médiatique (Le Monde 11 décembre).
La prestation tourne à la manipulation avec Marine Le Pen se réclamant d’une laïcité dont, au moment même où elle en prononce le mot, elle en dénie le sens originel par l’implicite diabolisation de l’islam, nouvelle figure idéologique d’un néo-nationalisme intégral fondé sur l’exclusion de l’Autre et donc sur la négation des fondements mêmes de la notion de laïcité.
Et voilà que, dans le supplément « éducation » du Monde (15 décembre), Bertrand Tavernier nous ressert la troisième personne de la sainte trinité : une « histoire de France » intouchable. Présentée dans les manuels primaires comme L’Histoire avec article défini et « H » majuscule, sa sempiternelle défense cristallise en tabou le récit national hérité de la IIIe République et ses héros repères, pétrifiant dans un passé révolu une identité nationale supposée immobile et anhistorique.
Lorsque Bertrand Tavernier semble regretter l’enseignement de son « époque », qui « excluait l’histoire du monde, ou celle de l’esclavage », évoquant paradoxalement « les cours ennuyeux suivis à l’école » (au contraire de ses films), il cautionne, sans doute involontairement, la perpétuation paralysante de cette trilogie figée dans le marbre de la nostalgie.
L’affirmation perverse d’une pseudo laïcité imbibée d’islamophobie ne peut que favoriser le développement d’autres intégrismes. Il serait temps, parallèlement à la nécessaire construction de mosquées, de déconstruire les visions anachroniques et figées de la trilogie pour opposer à ce catéchisme national-républicain l’analyse des contradictions de la société réelle et de nouveaux décryptages du passé donnant sens aux héritages multiples du présent et donnant vie aux valeurs solidaires et fraternelles à y injecter de toute urgence.
Suzanne Citron et Laurence De Cock
(Le Monde)
Suzanne Citron et Laurence De Cock sont aussi co-auteures de l’ouvrage collectif, La Fabrique scolaire de l’histoire, éditions Agone 2009.