Combien de temps Netanyahu tiendra-t-il avec des Ayelet Shaked à ses côtés ?

La nouvelle ministre de la Justice, Ayelet Shaked

La nouvelle ministre de la Justice, Ayelet Shaked

La nouvelle ministre de la Justice cristallise à elle seule toutes les peurs et les colères de la communauté internationale, des Palestiniens et de la gauche.

Jamais un gouvernement israélien n’aura été autant de droite. Quelques jours à peine après la formation in extremis de son cabinet, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu semble déjà en bien mauvaise posture. Non seulement il ne dispose, pour l’instant, que d’un siège supplémentaire nécessaire à la majorité requise pour gouverner (61 sièges sur 120), mais il l’aura en plus chèrement payé.

En effet, il a dû offrir plus de portefeuilles que prévu aux partis ultraorthodoxes et de droite, qui lui ont pour ainsi dire tiré le tapis de sous les pieds. Le Likoud aura donc moins de sièges, sauf en cas d’un éventuel et de plus en plus probable amendement constitutionnel, censé intervenir dans les prochains jours (lire ici).

Il n’en reste pas moins que les grands gagnants des élections du 17 mars resteront les ultraorthodoxes (le Shass, la Liste unifiée de la Thora), le parti de centre droit (Koulanou) et le parti nationaliste religieux (le Foyer juif) de Naftali Bennett, qui a accepté de lui apporter le soutien de ses huit députés, quelques heures avant l’échéance qui aurait valu au président Reuven Rivlin de charger quelqu’un d’autre de former une coalition. Il faut dire les choses clairement : c’est bel et bien le chantage qui a permis au Foyer juif de se tailler la part du lion et de se retrouver avec les portefeuilles principaux, notamment celui de la Justice et de la présidence de la commission des Lois de la Knesset, un ministère de la plus haute importance et qui a été offert à… Ayelet Shaked.

« Petits serpents » palestiniens

Cette députée cristallise à elle seule toutes les peurs, toutes les appréhensions et toutes les colères de la communauté internationale, des Palestiniens et de la gauche israélienne. Résolument opposée à une solution à deux États, Ayelet Shaked s’est déjà fait remarquer à l’été 2014, quelques jours avant le début de l’opération « Protective Edge » à Gaza, qui a fait des milliers de victimes, en relayant sur sa page Facebook un article écrit en 2002 par l’ancien journaliste d’extrême-droite Uri Elitzur. Avant d’être retiré, l’article, qui a pour sujet les Palestiniens, avait entre-temps été lu et « liké » par des milliers d’internautes. En voici un extrait : « Ce sont tous des combattants ennemis, et leur sang devrait leur retomber sur la tête. Cela inclut également les mères de martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils, rien ne serait plus juste. Elles devraient partir, tout comme les maisons dans lesquelles elles ont élevé les serpents. Sinon, d’autres petits serpents y seront éduqués. » Des mots glaçants, qui se passent littéralement de commentaires, et que Mme Shaked juge « encore d’actualité » quelque douze ans plus tard – une position qui donne le la d’un mandat qui s’annonce pour le moins tumultueux.

Au passage, le personnage n’est pas sans rappeler, même de très loin, une autre femme qui a, elle, profondément marqué la politique israélienne : Golda Meïr. L’ancienne Première ministre, la Thatcher avant l’heure du Proche-Orient, avait publiquement affirmé en 1969 : « Comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre. » Sauf que, naturellement, n’est pas Golda Meïr qui veut.

Encore plus isolé

Ces dernières années, Israël a vu ses relations avec le reste de la communauté internationale, notamment avec les États-Unis, se dégrader progressivement, au fur et à mesure que les négociations sur le nucléaire iranien avançaient. Parallèlement, les Palestiniens ont marqué quelques victoires symboliques, dont une reconnaissance en novembre 2012 par l’Onu en tant qu’État observateur non membre, et le 1er avril 2015 par la Cour pénale internationale (CPI). Une droitisation progressive d’Israël s’avérait donc inéluctable, bien que certains observateurs ne donnent pas cher du gouvernement actuel, à la majorité trop minime, et donc trop précaire. S’il se maintient en l’état, le gouvernement de M. Netanyahu pourra-t-il durer, rester à l’abri de la plus petite crise interne ? Les pourparlers de paix avec les Palestiniens sont, semble-t-il, un projet mort-né, du fait du refus total des deux camps d’un compromis quel qu’il soit. Tout cela avec, en toile de fond, l’apathie presque absolue d’une grande partie de la communauté internationale, encore minée par la culpabilité d’une Shoah vieille de 70 ans et dépassée par des crises à répétition dans le monde, qui touchent désormais l’Europe.

Avec des ministres comme Ayelet Shaked à ses côtés, Benjamin Netanyahu ne devrait avoir aucun problème à se retrouver encore plus isolé qu’il ne l’est déjà sur la scène diplomatique. Même Avigdor Lieberman n’avait pas été aussi loin. Cela ne devrait toutefois pas avoir d’impact considérable sur la place de l’État hébreu dans le monde. Quelles que soient les composantes du nouveau gouvernement Netanyahu, Israël continuera de jouer dans la cour des grands. Mais à quel prix…

Samia MEDAWAR

Source L’Orient du Jour : 11/05/2015

Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique Moyen Orient, Israël, Israël. Le coup de poker réussi de Nétanyahou, On line , (Lire aussi : La coalition de Netanyahu va au-devant de la défiance internationale, Israël s’engage à reverser aux Palestiniens près d’un demi-milliard de dollars),

Israël. Le coup de poker réussi de Nétanyahou

1803-netanyahouvictoireAu lendemain des élections législatives, la presse israélienne s’interroge sur la victoire historique de l’inamovible Benyamin Nétanyahou et les mauvais pronostics des enquêtes d’opinion qui le donnaient toutes perdant.

À chaque élection, les clivages communautaires, culturels et économiques qui caractérisent la société israélienne permettent de donner sens aux résultats. « Si l’on résume, Jérusalem s’est donnée tout entière à Nétanyahou et Tel-Aviv s’est livrée à Yitzhak Herzog [tête de liste travailliste]« , expliquent dans le Yediot Aharonot Yaron Druckman et Ron Notkin.

« Plus intéressant encore, en Samarie [moitié nord de la Cisjordanie occupée], le parti de Nétanyahou, le Likoud, a littéralement ‘pompé’ les voix recueillies en 2013 par Naftali Bennett [Ha-Bayit Ha-Yehudi, ‘Foyer juif’, extrême droite nationaliste-religieuse] auprès des colons. Dans les collectivités rurales, le Camp sioniste a de son côté attiré des voix qui, traditionnellement, allaient au Meretz [Parti progressiste]. En somme, les Israéliens ont voté ‘utile’ et privilégié la coalition dite travailliste-centre le Likoud, ce dernier raflant la mise d’un « électorat désenchanté et angoissé », explique encare le Yediot Aharonot.

Quelles leçons tirer ? L’éditorialiste de Maariv, Doron Cohen, revient sur la stratégie menée par Nétanyahou dans la dernière ligne droite qui a permis ce retour historique d’un Likoud qu’on disait moribond. Pour lui, une seule question se pose : quelle est l’unique leçon que nous devrions tirer des résultats de ces élections et plus encore de la campagne électorale ?

 » Et d’appeler chaque Israélien à faire son examen de conscience. « A gauche : comment espériez-vous vendre une politique sociale dans un pays aux inégalités croissantes sans affronter la question des colons et du financement de leur déplacement ? A droite : comment espérez-vous vivre dans un pays où une large partie de la population vit sans droits, qu’il s’agisse des travailleurs étrangers ou, évidemment, des Palestiniens ? Aux haredim [ultra-orthodoxes] : comment imaginez-vous vivre dans un pays renonçant à des valeurs aussi fondamentales que la liberté de conscience et d’expression ? Aux laïcs : comment vous faites-vous les avocats d’un pays juif où il n’y aurait ni rabbins, ni synagogues, ni yeshivot ? Aux Juifs en général : comptez-vous réellement vivre dans un pays qui aurait déporté la plupart de ses citoyens arabes et/ou qui leur interdirait toute représentation au Parlement ? Aux citoyens arabes : pensez-vous réellement pouvoir vivre en Israël tout en prônant un Etat palestinien vidé de ses Juifs ? La réponse est désormais connue et tient en deux mots : haine gratuite.

 » Selon Doron Cohen, les menaces existentielles qui pèsent sur Israël ne sont ni l’Iran, ni Daech, ni le Hamas, mais bien « une haine gratuite jamais autant mise en scène qu’en cet hiver 2015 : entre religieux et laïques, entre la droite et la gauche, entre Orientaux et Ashkénazes, entre Juifs et Arabes, entre Tel Aviv et les colons ». C’est, selon lui, « cette haine dévorante qui a gagné les élections ».

Nétanyahou brûle les vaisseaux

Dans Ha’Aretz, le chroniqueur Hemi Shalev attribue la victoire de « Bibi » et du Likoud à « l’une des campagnes les plus nauséabondes de la vie polique israélienne« . « L’expression ‘brûler les vaisseaux’ vient de l’époque des conquêtes de Jules César dont la tactique consistait à incendier les ponts et les bateaux pour ôter toute envie de retraite à ses légionnaires », écrit-il. C’est exactement cette tactique que Nétanyahou a employée. Et, le moindre qu’on puisse dire c’est qu’elle s’est révélée payante. Comment Nétanyahou a-t-il brûlé les vaisseaux ? il a agité le mythe de la cinquième colonne représentée par la Liste commune arabe et lancé une campagne quasi raciste à leur égard, poursuit le quotidien israélien. Il a également décrit le peuple israélien comme « encerclé par une campagne ‘antisémite’ financée de l’étranger et censée ‘acheter’ les ONG israéliennes, le Parti travailliste ». Enfin, « il a brûlé les vaisseaux en semant la peur, la haine et la paranoïa dans une opinion publique angoisée par les conflits qui ravagent le Moyen-Orient, la montée en puissance du Daesc et la menace iranienne. » La question que se posent désormais tous les observateurs, c’est : quelle coalition va-t-il mettre sur pied. « S’associer aux perdants Ha’Bayit ha-Yehudi [extrême droite nationaliste-religieuse], Israël Beiteinou [Israël Notre Foyer, extrême droite laïque russophone] et aux partis ultra-orthodoxes, c’est se rendre infréquentable auprès des chancelleries occidentales, estime Ha’Aretz. « Constituer un gouvernement d’union nationale avec le Camp sioniste, c’est se rendre davantage fréquentable mais s’exposer à des crises gouvernementales à répétition. »

Source : Le Courrier International 18/03/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Israël, On Line, L’aveu de Netanyahou,

Etre juif après Gaza: Un travail de conscience face à l’autisme politique

esther-benbassa165x150Esther Benbassa occupe la chaire d’histoire du judaïsme moderne et contemporaine à l’Ecole pratique des hautes études de La Sorbonne. Elle pose dans ce court essai une question simple et courageuse : comment être juif après l’offensive israélienne contre Gaza ? Pour trouver une réponse à cette interrogation, l’intellectuelle explore dans un style limpide les fondements d’appartenance à l’identité juive.

« Je ne veux plus être juive et rejeter Israël, dit-elle. Je ne veux pas non plus être juive et approuver cette guerre immorale que mène Israël. » Cette volonté, Esther Benbassa le sait, sous-tend de ne plus se dissoudre dans l’anonymat identitaire. L’histoire partagée, qui sert officiellement de ciment au peuple juif, « est d’abord une histoire appropriée  qui se résume le plus souvent à l’Holocauste », soutient l’auteur qui précise que jusqu’à leur exil à partir de la fin des années 50, les Juifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient évoquaient peu le génocide. Ils ont assimilé, en arrivant en Europe, l’histoire tissée de massacres de l’aristocratie juive, celle des Ashkénazes, principalement des Juifs d’Europe centrale et orientale auquel s’ajoutent en France les Ashkénazes intégrés de longue date dans la République.

Une histoire complexe

Au sein de la communauté juive française, l’universitaire souligne la déconsidération dont peuvent souffrir les Juifs originaires d’Afrique du Nord : « Seul le partage de cette histoire de souffrance était susceptible d’impartir aux juifs maghrébins et orientaux une place un tant soit peu honorable. » Ce décalage s’intensifie en Israël où l’on réserve aux « Orientaux » marqués au fer de l’infériorité mais proches de la tradition religieuse, une meilleure considération qu’aux « chevilles ouvrières du nouvel Etat, essentiellement d’origine Est européenne, traitées par tout le système, en particulier sous les travaillistes, comme des citoyens de seconde zone. »

Esther Benbassa met en exergue la façon dont les populations venues du Maghreb et du Moyen-Orient, pour peupler la nation, ont été coupées de leur propre histoire par les artisans du sionisme. « Au déracinement s’est substitué l’Holocauste comme histoire et identité partagée. » La revanche politique des Juifs orientaux s’exprime avec la victoire du Likoud en 1977. « Une première pour la droite, qui augure son renforcement continu et qui débouche, comme c’est le cas aujourd’hui, sur sa coalition avec l’extrême droite (…) Ce sont ces gouvernements de droite ou dominés par elle, soutenus par les +Orientaux+ qui ont pris le relais de la gauche travailliste dans la colonisation massive des territoires palestiniens et qui ont mené la meurtrière offensive de Gaza. »

A l’instar du décret Crémieux signé en 1870 permettant aux Juifs algériens d’accéder à la nationalité française, l’auteur souligne la convergence d’intérêts entre les Juifs et le colonisateur. Lors de son rapatriement, cette population se retrouva coupée de son pays d’origine, sans pour autant être considérée comme vraiment française. « C’est aussi de cette histoire, spécifique et complexe, et finalement si peu partagée, que découle l’inconditionnel soutien de larges franges de la judaïcité française d’origine maghrébine à Israël. »

Un regard rare et un livre clé, permettant de connaître et comprendre les ressorts historiques et psychologiques préalables à un avenir commun.

Jean-Marie Dinh

Etre juif après Gaza, CNRS éditions 4 euros.

Voir Aussi : Rubrique politique Manifestation contre l’offensive israélienne, Rubrique religion Le judaisme libéral prône une adaptation au monde moderne, Rubrique actualité internationale Rapport de l’ONU sur Gaza , Repère sur la guerre de Gaza. Rubrique société civile « L’appel à la raison » des juifs européens à Israël, Rubrique Livre Dictionnaire d’Esther Benbassa,

Repère sur la guerre dans la bande de Gaza

avi_shlaim à Bagdad en 1945, Avi Shlaim est un historien possédant la double nationalité israélienne et britannique. Il enseigne les relations internationales à l’Université d’Oxford, et il est auteur du livre Le mur de fer.

La seule façon de donner un sens à la guerre insensée d’Israël dans la bande de Gaza est de comprendre le contexte historique. La mise en place de l’État d’Israël en mai 1948 a été une injustice monumentale pour les Palestiniens. Des officiels britanniques ont amèrement ressenti la partialité américaine en faveur du nouvel Etat. Le 2 Juin 1948, Sir John Troutbeck écrivit au ministre des Affaires étrangères, Ernest Bevin, que les Américains étaient responsables de la création d’un Etat voyou dirigé par  » des chefs sans aucun scrupule. J’ai longtemps pensé que cette condamnation était trop sévère, mais je me repose la question devant l’agression brutale d’Israël contre le peuple de Gaza et la complicité dont elle bénéficie de la part de l’administration Bush. J’ai servi loyalement dans l’armée israélienne au milieu des années 1960 et je n’ai jamais remis en question la légitimité de l’État d’Israël dans ses frontières d’avant 1967. Ce que je condamne absolument c’est le projet colonial sioniste au-delà de la Ligne verte. L’occupation par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza au lendemain de la guerre de juin 1967 n’avait rien à voir avec la sécurité, mais c’était de l’expansionnisme territorial. Le but était d’établir un Grand Israël par le biais du contrôle politique, économique et militaire des territoires palestiniens. Et le résultat a été une des plus longues et des plus brutales occupations militaires des temps modernes.

Quatre décennies de contrôle israélien ont causé des dégats considérables à l’économie de la bande de Gaza. Avec une forte population de réfugiés de 1948, entassés sur une petit territoire, sans infrastructures ni ressources naturelles, les perspectives de la bande de Gaza n’ont jamais été brillantes. Toutefois, Gaza n’est pas seulement un cas de sous-développement économique, c’est également un cas unique de non-développement délibéré. Pour utiliser l’expression biblique, Israël a transformé la population de Gaza en un peuple de coupeurs de bois et de porteurs d’eau, une source de main-d’œuvre bon marché et un marché captif pour les produits israéliens. Le développement de l’industrie locale a été activement entravé de façon à empêcher les Palestiniens de mettre fin à leur subordination à Israël et de mettre en place les fondements économiques nécessaires à une véritable indépendance politique. Gaza est un cas classique d’exploitation coloniale à l’ère post-coloniale. Les colonies de peuplement juives dans les territoires occupés étaient immorales, illégales et constituaient un obstacle insurmontable à la paix. Elles étaient à la fois l’instrument de l’exploitation et le symbole haï de l’occupation. À Gaza en 2005, les colons juifs n’étaient que 8000 face à 1,4 million de résidents locaux. Mais les colons contrôlaient 25% du territoire, 40% des terres arables et s’étaient réservé la part du lion dans les rares ressources en eau. Côte à côte avec ces intrus étrangers, la majorité de la population vivait dans une pauvreté abjecte, une misère inimaginable. Quatre-vingt pour cent d’entre eux survivaient avec moins de 2 dollars par jour. Les conditions de vie dans la bande de Gaza étaient un affront à la civilisation, une incitation à la résistance et un terrain fertile pour l’extrémisme politique.

En août 2005, un gouvernement du Likoud dirigé par Ariel Sharon a organisé un retrait israélien unilatéral de Gaza, évacuant les 8000 colons et détruisant les maisons et les fermes qu’ils abandonnaient. Le Hamas, mouvement de résistance islamique, avait mené une campagne efficace pour rejeter les Israéliens de Gaza. Le retrait a été une humiliation pour les forces armées israéliennes. Sharon présenta le retrait de Gaza comme une contribution à la paix en vue d’une solution à deux États [Un Etat israélien et un Etat palestinien]. Mais au cours de l’année suivante 12 000 Israéliens s’installaient en Cisjordanie, réduisant encore un peu plus la taille [ » scope « ] d’un État palestinien indépendant. On ne peut pas à la fois annexer des terres et faire la paix. Israël avait le choix et il a choisi les terres plutôt que la paix.

Le véritable objectif de l’opération était de redessiner unilatéralement les frontières du Grand Israël, en intégrant à l’Etat d’Israël les principaux blocs de colonies de Cisjordanie. Le retrait de Gaza n’était donc pas le prélude à un accord de paix avec l’Autorité palestinienne, mais le prélude à une expansion sioniste en Cisjordanie. Ce retrait unilatéral d’Israël, a été considéré, à mon avis à tort, comme un intérêt national d’Israël [ » an Israeli national interest « ]. Associé à un rejet fondamental de l’identité nationale palestinienne, le retrait de Gaza n’était qu’une étape dans une politique à long terme visant à refuser au peuple palestinien toute existence politique indépendante sur ses terres. Les colons israéliens ont été retirés, mais les soldats israéliens ont continué à contrôler tous les accès terrestres, maritimes ou aériens à la bande de Gaza. Du jour au lendemain, Gaza est devenu une prison à ciel ouvert. A partir de là, les forces aériennes israéliennes ont bénéficié d’une entière liberté pour larguer des bombes, franchir le mur du son à basse altitude, et terroriser les malheureux habitants de cette prison.

Israël aime se décrire comme un îlot de démocratie dans une mer d’autoritarisme. Mais, au cours de son histoire Israël n’a jamais rien fait pour promouvoir la démocratie du côté arabe, mais a beaucoup fait pour la saper. Israël a une longue histoire de collaboration secrète avec les régimes réactionnaires arabes pour réprimer le nationalisme palestinien. En dépit de tous ces handicaps, le peuple palestinien a réussi à construire la seule véritable démocratie du monde arabe, exception faite du Liban.

En janvier 2006, des élections libres et honnêtes au Conseil législatif de l’Autorité palestinienne ont porté au pouvoir un gouvernement dirigé par le Hamas. Cependant, Israël a refusé de reconnaître le gouvernement démocratiquement élu, en affirmant que le Hamas n’était qu’une organisation terroriste. L’Amérique et l’Union européenne ont suivi Israël sans vergogne, en ostracisant et en diabolisant le gouvernement du Hamas, et en essayant de le renverser en bloquant les recettes de certaines taxes et l’aide étrangère. Une situation surréaliste s’est ainsi développée où une partie importante de la communauté internationale a imposé des sanctions économiques à l’occupé mais pas à l’occupant, aux opprimés mais pas à l’oppresseur. Et comme si souvent dans l’histoire tragique de la Palestine, les victimes ont été blâmés pour leurs propres malheurs. La propagande israélienne a continué à diffuser ses thèmes : les Palestiniens sont des terroristes, ils refusent la coexistence avec l’État juif, leur nationalisme est un peu plus que de l’antisémitisme, le Hamas est un groupe de fanatiques religieux et l’Islam est incompatible avec la démocratie. Mais la vérité est que les Palestiniens sont des gens normaux avec des aspirations normales. Ils ne sont pas meilleurs, mais ils ne sont pas pires que d’autres groupes nationaux. Ce à quoi ils aspirent, par-dessus tout, c’est à un morceau de terre à eux pour y vivre en liberté et dignité.

Comme d’autres mouvements radicaux, le Hamas a commencé à modérer son programme politique quand il est arrivé au pouvoir. Partant de la position idéologique affirmée dans sa charte – le rejet d’Israël – il a commencé à s’orienter vers une position pragmatique basée sur la coexistence de deux États. En mars 2007, le Hamas et le Fatah ont constitué un gouvernement d’union nationale qui était prêt à négocier un cessez-le-feu de longue durée avec Israël.

Mais Israël a refusé de négocier avec un gouvernement auquel le Hamas participait. Il a continué à pratiquer la vieille tactique  » diviser pour régner  » entre les factions palestiniennes rivales. À la fin des années 1980, Israël soutenait le Hamas naissant de façon à affaiblir le Fatah, le mouvement nationaliste laïque de Yasser Arafat. Maintenant, Israël incite les dirigeants corrompus et manipulables du Fatah à renverser leurs rivaux politiques religieux et à reprendre le pouvoir. Des néoconservateurs américains agressifs ont participé au sinistre complot qui visait à provoquer une guerre civile palestinienne. Leur ingérence a joué un rôle essentiel dans l’effondrement du gouvernement d’unité nationale et dans la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en juin 2007, pour anticiper un coup de force du Fatah.

La guerre déclenchée par Israël à Gaza le 27 décembre dernier a été le point culminant d’une série d’affrontements et de confrontations avec le gouvernement du Hamas. Plus précisément, il s’agit d’une guerre qui oppose Israël au peuple palestinien, car le parti au pouvoir a été élu par les Palestiniens. L’objectif déclaré de la guerre est d’affaiblir le Hamas et d’intensifier la pression jusqu’à ce que ses dirigeants acceptent un nouveau cessez-le-feu aux conditions d’Israël.

L’objectif non déclaré est de faire en sorte que les Palestiniens de la bande de Gaza soient considérés par le monde comme un simple problème humanitaire et, par conséquent, de faire échouer leur lutte pour l’indépendance et la constitution d’un État. La date de déclenchement de la guerre a été déterminée par le calendrier politique. Une élection générale [en Israël] est prévue pour le 10 février 2009 et, dans la perspective de l’élection, les principaux prétendants sont à la recherche d’opportunités leur permettant de prouver leur détermination. Les chefs militaires rongeaient leur frein, impatients de frapper un grand coup au Hamas, de façon à effacer la tache qui ternissait leur réputation depuis l’échec de la guerre contre le Hezbollah au Liban en juillet 2006. Les cyniques dirigeants israéliens pouvaient également compter sur l’apathie et l’impuissance des régimes arabes pro-occidentaux et sur le soutien aveugle du président Bush au crépuscule de son mandat à
la Maison Blanche. Bush ne fit aucune difficulté pour attribuer au Hamas la responsabilité de la crise, pour mettre son veto au Conseil de sécurité de l’ONU à une proposition de cessez-le-feu immédiat, et pour laisser toute latitude à Israël pour monter une invasion terrestre de Gaza.

Comme toujours, le puissant Israël prétend être la victime d’une agression palestinienne mais le déséquilibre des forces en présence ne laisse guère de place au doute quant à savoir qui est la véritable victime. Il s’agit bien d’un conflit entre David et Goliath, mais l’image biblique a été inversée – et un petit David palestinien sans défense est confronté à un Goliath israélien lourdement armé, impitoyable et arrogant. Le recours à la force militaire brute s’est accompagné, comme toujours, de la rhétorique stridente de la victimisation et d’un farrago d’auto-apitoiement et d’auto-justification. En hébreu, c’est ce qu’on appelle le syndrome de bokhim ve-yorim,  » pleurer et tirer « .

Bien entendu, dans ce conflit, le Hamas n’est pas tout à fait innocent. Privé du fruit de sa victoire électorale et face à un adversaire sans scrupule, il a eu recours à l’arme des faibles – la terreur. Les militants du Hamas et du Jihad islamique ont continué à lancer des attaques de roquettes Qassam contre les colonies de peuplement israéliennes près de la frontière avec la bande de Gaza, jusqu’à ce que l’Egypte négocie un cessez-le-feu de six mois en juin dernier. Les dégats causés par ces roquettes primitives étaient minimes, mais leur impact psychologique a été énorme, ce qui a incité l’opinion publique à réclamer la protection de son gouvernement. Dans ces circonstances, Israël était en droit de réagir en légitime défense, mais sa réponse à ces piqures d’épingles a été absolument disproportionnée.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours des trois années qui ont suivi le retrait de Gaza, 11 Israéliens ont été tués par des tirs de roquettes. Pour leur part, les forces armées israéliennes ont tué 1290 Palestiniens, dont 222 enfants, dans la bande de Gaza, de 2005 à 2007. On ne doit jamais tuer des civils, quel qu’en soit le nombre. Cette règle s’applique aussi bien au Hamas qu’à Israël, mais l’ensemble du dossier montre qu’Israël a fait preuve d’une brutalité sans limite et sans relâche envers les habitants de Gaza. Israël a également maintenu le blocus de la bande de Gaza après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, ce qui, du point de vue des dirigeants du Hamas, constituait une violation de l’accord. Pendant le cessez-le-feu, Israël a empêché toute exportation en provenance de Gaza en violation flagrante de l’accord de 2005, ceci entrainant une forte baisse de l’emploi. D’après les chiffres officiels, 49,1% de la population est au chômage. Dans le même temps, Israël a réduit de façon drastique le nombre de camions transportant à Gaza des vivres, du carburant, des bouteilles de gaz de cuisine, des pièces de rechange pour le traitement de l’eau et l’assainissement et des fournitures médicales. Il est difficile d’imaginer en quoi la faim et le froid des civils de la bande de Gaza pouvaient protéger les personnes du côté israélien de la frontière. Mais même si c’était le cas, ce serait encore immoral, le châtiment collectif étant strictement interdit par le droit humanitaire international.

La brutalité des soldats israéliens correspond à l’hypocrisie de ses porte-parole. Huit mois avant le lancement de la guerre actuelle sur la bande de Gaza, Israël a créé une Direction nationale de l’information. Voici l’essentiel des messages que cette direction a adressés à la presse : c’est le Hamas qui a rompu le cessez-le-feu, l’objectif d’Israël est de protéger sa population, et les forces israéliennes prennent le plus grand soin de ne pas blesser des civils innocents. Les conseillers en communication israéliens ont été très efficaces pour faire passer ce message. Mais, en substance, leur propagande est un paquet de mensonges.

La réalité des actions israéliennes est loin de la rhétorique de ses porte-parole. Ce n’est pas le Hamas, mais l’armée israélienne qui a rompu le cessez-le feu : le 4 novembre, un raid dans la bande de Gaza a tué six hommes du Hamas. L’objectif d’Israël n’est pas seulement de défendre sa population, mais éventuellement de parvenir à un renversement du gouvernement du Hamas par la population de Gaza. Et loin de prendre soin d’épargner les civils, Israël est coupable de bombardements aveugles et d’un blocus de trois ans, un blocus qui a amené le million et demi d’habitants de Gaza au bord d’une catastrophe humanitaire.

La loi du talion,  » œil pour œil « , est assez primitive. Mais la folle offensive israélienne contre la bande de Gaza relève plutôt de la logique  » un oeil pour un cil « . Après huit jours de bombardements, la mort de plus de 400 Palestiniens et de quatre Israéliens, le cabinet gung-ho [ ?] a ordonné une invasion terrestre de la bande de Gaza aux conséquences incalculables.
Aucune escalade militaire ne permettra à Israël de se prémunir contre des attaques de roquettes lancées par l’aile militaire du Hamas. En dépit des pertes humaines et des destructions qu’Israël leur a infligées, ils continuent à résister et à tirer des roquettes. C’est un mouvement qui exalte la victimisation et le martyre. Il n’y a pas de solution militaire au conflit entre les deux communautés. Le problème est que, au nom de sa propre sécurité, Israël refuse à l’autre communauté le moindre droit à la sécurité. Ce n’est pas par les armes qu’Israël obtiendra la sécurité, mais par des entretiens avec le Hamas, qui a déclaré à maintes reprises qu’il est disposé à négocier un cessez-le-feu de longue durée – 20, 30 ou même 50 ans – avec l’Etat juif dans ses frontières d’avant 1967. Israël a rejeté cette proposition comme il a refusé le plan de paix de la Ligue arabe de 2002 – plan qui n’a pas été retiré -, et pour la même raison : il faudrait faire des concessions et des compromis.

Après ce bref survol des quatre dernières décennies, il est difficile de nier qu’Israël est devenu un Etat voyou dirigé par  » des chefs sans aucun scrupule « . Un Etat voyou ne respecte pas le droit international, dispose d’armes de destruction massive et pratique le terrorisme – le recours à la violence contre les civils à des fins politiques. Israël répond à ces trois critères – le chapeau lui va, il doit le porter. L’objectif véritable d’Israël n’est pas la coexistence pacifique avec ses voisins palestiniens, mais la domination militaire. Il persiste dans les errements du passé et en ajoute de pires. Les hommes politiques, comme tout le monde, sont bien entendu libres de répéter les mensonges et les erreurs du passé. Mais ils ne sont pas obligés de le faire.

Avi Shlaim

Notes [1 ] Ed Buchet-Chastel, mars 2008, traduit de The Iron Wall : Israel and the Arab World, éd. Norton, 2001.
[2 ] Référence  » How Israel brought Gaza to the brink of humanitarian catastrophe <http://www.guardian.co.uk/world/2009/jan/07/gaza-israel-palestine> « .
[3 ] Sir John Troutbeck était alors directeur du Bureau britannique pour le Moyen-Orient au Caire.

Voir Aussi : Rubrique politique Des bougies sous la neige, Manifestation contre l’offensive israélienne, Rubrique religion Le judaisme libéral prône une adaptation au monde moderne, Rubrique international Rapport de l’ONU sur Gaza.