Affaire Kerviel : un jugement condamné par la presse française

Le jeune trader de la Société générale a-t-il pu agir à l'insu de la banque ?

Lampiste et bouc émissaire sont les deux termes utilisés par la presse française mercredi au lendemain de la condamnation de l’ancien trader de la Société Générale, Jérôme Kerviel, à cinq ans de prison dont trois ferme et à des dommages-intérêts colossaux de 4,9 milliards d’euros.

Laurent Joffrin dans Libération écrit que «dans son acception biblique, le bouc émissaire est innocent. Il porte sur lui tous les péchés d’Israël mais il ne les commet pas». Quant à Kerviel, «il porte sur lui tous les péchés de la banque; mais il est coupable». Pour l’éditorialiste, «le lampiste de la crise financière supporte seul ou presque l’opprobre encouru par les démiurges de l’économie-casino».

«A prononcer une condamnation fantaisiste, les juges prennent le risque de décrédibiliser leur institution qui n’en à guère besoin», affirme François Lenglet dans La Tribune. «A cogner comme des sourds sur un lampiste, fût-il coupable, ils s’exposent au reproche de rendre une justice biaisée, protégeant les puissants et s’acharnant sur les faibles», ajoute-t-il.

Selon Nicolas Barré des Echos, «en condamnant Kerviel (…) les juges l’intronisent spectaculairement dans son rôle préféré, celui de victime».

Pour Jacques Camus de La République du Centre, «si Jérôme Kerviel n’est pas l’innocente victime qu’il prétend être, il n’est pas non plus le coupable trop parfait à qui le tribunal a infligé le “malus du siècle”».

Jean-Claude Kiefer des Dernières Nouvelles d’Alsace estime pour sa part que «ce jugement renforce à tort ou à raison l’impression générale de vivre dans une société de plus en plus inégalitaire».

Et Daniel Ruiz de La Montagne de s’interroger : «Nul ne conteste que Kerviel, le lampiste, le mouton noir, doive être sanctionné pour ses dérives, mais fallait-il pour autant blanchir sa banque qui a laissé faire?»

Car pour beaucoup de commentateurs, la Société générale s’en sort «à très bon compte», comme le souligne Patrice Chabanet dans Le Journal de la Haute-Marne, «car elle a su convaincre les juges qu’un seul petit trader pouvait court-circuiter des centaines de spécialistes internes et sa direction».

Dans L’Alsace, Patrick Fluckiger, aurait «aimé que les magistrats mettent leur nez dans les coulisses de la spéculation». «Il était visiblement plus important pour eux de faire un exemple que de prévenir de nouvelles dérives», commente-t-il.

«Voir, aujourd’hui, la Société Générale revêtir le costume de victime est pour le moins consternant. Révoltant», reconnaît François Martin du Midi Libre. Selon lui, «c’est bien elle et tout le système bancaire qui ont plongé notre monde dans une crise majeure».

Bernard Le Solleu, de Ouest-France, préfère placer l’affaire Kerviel sur le plan politique puisque d’après lui, celle-ci «a mis en émoi l’Elysée. Elle n’était pas seulement financière». «Elle était politique», conclut-il.

AFP

Voir aussi : Rubrique Finance Le grand Krach automatique, Barnier rassure les fonds spéculatifs, Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, Un an après la city zen, Livre Kerviel dénonce sa banque

Avant son procès, Kerviel dénonce la Société générale

journal-kervielL’ex-trader de la Société générale Jérôme Kerviel a appelé dimanche ses anciens collègues, «qui n’ont pas dit ce qu’(ils) savaient», à «témoigner» à l’approche de son procès en juin, dans un entretien au Journal du dimanche. L’ancien trader doit comparaître du 8 au 23 juin devant le tribunal correctionnel de Paris pour y répondre des 4,9 milliards d’euros de pertes qu’il est soupçonné d’avoir provoqués début 2008.

«Beaucoup de pistes n’ont pas été explorées au cours de l’instruction, beaucoup de questions sont restées en suspens, et de nombreuses personnes n’ont pas dit ce qu’elles savaient, des collègues notamment», affirme Jérôme Kerviel au JDD. «Je lance aujourd’hui un appel aux bonnes volontés, parce que je croise énormément de gens, des milieux financiers ou universitaires qui m’assurent de leur soutien mais refusent de témoigner, parce qu’ils ont peur de représailles ou de perdre leur emploi», ajoute-t-il, estimant que ces personnes «ne peuvent pas dire ouvertement que ce que la Société Générale raconte ne tient pas debout.» Pour l’ex-trader devenu un symbole malgré lui des dérives du monde de la finance, il s’agit d’«ouvrir les yeux à l’opinion publique sur ce qui ne va pas dans milieu-là».

Comme il l’a soutenu tout au long de l’enquête, Jérôme Kerviel affirme que «la thèse de la Société générale selon laquelle personne n’aurait rien vu ne tient pas», notamment «sur la connaissance qu’avaient (ses) supérieurs de ce qu’(il) faisait». Les juges Renaud van Ruymbeke et Françoise Desset en ont jugé autrement et l’ont renvoyé seul devant le tribunal, jugeant que le jeune homme avait outrepassé le mandat confié par la banque en prenant des positions hors normes – jusqu’à 50 milliards d’euros – sur les marchés financiers.

Reconnaissant avoir été «partie prenante» d’un «milieu complètement déconnecté du réel» où l’«on perd la notion des montants», l’ex-trader dit aujourd’hui se demander comment il s’est «laisser entraîner là-dedans». Jérôme Kerviel, qui sera jugé pour abus de confiance, faux et usage de faux et introduction de données frauduleuses dans un système informatique, publie un livre* mercredi sur son expérience.

AFP

* Le journal de Jérôme Kerviel, éditions Thomas,  Le joueur éditions Scali

Voir aussi: Rubrique Finance, Barnier rassure les fonds spéculatifs, Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, Rubrique Crise entretien avec Frédéric Lordon, Rubrique Justice Un jugement condamné par la presse,