Affaire Woerth: la droite attaque violemment Mediapart, Plenel réplique

Dans cette offensive de l’UMP contre les médias, en particulier la presse en ligne, Xavier Bertrand a notamment parlé de «méthodes fascistes» du site d’information. Le directeur de la publication porte plainte.

Course au scoop, infos qui ne seraient pas vérifiées, chasse au Woerth… C’est désormais aux médias et particulièrement à la presse Internet que s’en prend la majorité pour contre-attaquer dans l’affaire Bettencourt qui éclabousse plus que jamais le ministre du Travail. Nouvel angle d’attaque qui traduit, au passage, une profonde méconnaissance des sites d’information.

Eric Woerth lui-même, qui s’expliquait mardi soir au JT de TF1, s’est plaint d’avoir été, depuis trois semaines, «mis au pilori par une forme de presse et par le PS». C’est aussi Xavier Bertrand qui, accompagné de Woerth, un peu plus tard dans la soirée, pour un débat sur les retraites au Raincy (Seine-Saint-Denis) a concentré ses tirs sur le site Mediapart, en pointe sur le dossier Bettencourt, qui avait révélé les enregistrements pirates et publié mardi une interview explosive de l’ancienne comptable de la milliardaire de L’Oréal.

Et le secrétaire général de l’UMP n’y est pas allé de main morte. «Quand certains médias, notamment un site qui utilise des méthodes fascistes à partir d’écoutes qui sont totalement illégales (…) mais dans quel monde on est, dans quel monde on est!, s’est-il exclamé.

Edwy Plenel, directeur de la publication de Mediapart, a annoncé, sur France Info, qu’il allait, avec ses avocats «saisir la justice», les déclarations du patron du parti présidentiel étant «diffamatoires». Dans un communiqué laconique, Xavier Bertrand dit prendre acte «sans surprise» de la réaction de Plenel et se déclare persuadé qu’ «il s’agit assurément de la part de Mediapart et de son fondateur de faire diversion». Sans préciser diversion de quoi.

Le journaliste a, plus tard dans la journée, fait l’objet d’un commentaire ironique de Nicolas Sarkozy, rapporté par des députés Nouveau centre qui rencontraient le Président. «Il s’est drapé dans le rôle du martyr des écoutes de Mitterrand et maintenant il les utilise sans réserve éthique ni méthodologique. Au niveau déontologie, c’est inimaginable», s’est-il étranglé, prédisant que tout «ça va lui retomber sur la tête».

«Une certaine presse des années 30»

Le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a lui aussi eu des mots outranciers à l’égard des médias. Allant jusqu’à affirmer que Mediapart lui rappelait «une certaine presse des années 30». «Qui a apporté une preuve?» lance-t-il sur France Info, visant le journaliste Fabrice Lhomme qui aurait dit, selon Estrosi: «Nous n’avons aucune preuve, mais ça paraît plausible.» Et d’en appeler à «la déontologie et [à] l’éthique des journalistes».

Volant également à la rescousse de son collègue du gouvernement «chaque jour calomnié à partir de rumeurs», le ministre de la Défense, Hervé Morin, y voit, lui, «une compétition effrénée entre la presse médiatique classique et Internet» «plus rien n’est contrôlé», «où on ne prend pas le temps, un seul instant, de vérifier simplement l’information qui vous est donnée». «Ce qui se fait sur Eric Woerth, c’est une tyrannie», a-t-il dénoncé sur RMC-BFM TV.

Tout aussi prompte à prodiguer des leçons de journalisme, la secrétaire d’Etat, Nadine Morano, qualifiant Mediapart de «site de ragots, de déclarations anonymes», s’est scandalisée sur le plateau du 19/20 sur France 3: «Je trouve qu’aujourd’hui, on a dépassé les bornes et j’en appelle à l’éthique des journalistes, mais de tous les journalistes !»

«Attaque en règle contre la profession»

Des propos qui ont choqué le SNJ-CGT. S’inquiétant d’une «véritable attaque en règle contre la profession», le syndicat national des journalistes répond, dans un communiqué, à Morano: «La profession n’a pas besoin que la ministre d’un gouvernement et d’un président de la République aux abois, emmêlés dans les affaires de fric roi, vienne nous donner des leçons».

En sortant de Matignon où le Premier ministre a reçu une partie de son gouvernement et des parlementaires de la majorité, Morano persiste et signe reprenant à son compte l’attaque de Bertrand, et dénonçant des «méthodes fascistes de sites internet» et une «collusion politico-médiatico-trotskyste». «J’en appelle à votre vigilance. Un jour, cela peut vous arriver d’avoir votre honneur jeté aux chiens», a-t-elle prévenu.

«Au bout de trois semaines de révélations», «la garde rapprochée du Président» fait preuve, dénonce encore Edwy Plenel, «d’un mépris profond de la démocratie et de la justice, dans sa mauvaise foi». S’appuyant sur le refus, la semaine dernière, du tribunal de grande instance de Paris, de retirer les enregistrements pirates sur Mediapart et lepoint.fr, comme le demandait le camp Bettencourt, le journaliste rappelle que la justice a donc estimé ces informations «légitimes et d’intérêt public»: «nous avons fait notre travail de manière rigoureuse.»

Affichant son «soutien aux médias «attaqués par le gouvernement» et l’UMP, le PS a condamné les «attaques injurieuses» et «extrêmement graves» contre Mediapart.

 

Voir aussi : rubrique politique L’UMP achète le nom Bettencourt chez Google,

Attentat de Karachi: le Parlement se couche

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Finalement, les conclusions de la mission d’information parlementaire sur l’attentat de Karachi ne sont qu’une série de points d’interrogation et un constat de relative impuissance. On n’en parle plus! Encore une affaire d’Etat qui a l’air de passer comme une lettre à la Poste. Au-delà du fond de l’affaire, voilà qui incite à s’interroger sur la faiblesse du contrôle législatif en France. Le rôle des parlementaires (sénateurs et députés) est double, dans une démocratie équilibrée: légiférer, bien sûr, et aussi contrôler l’application des lois, contrôler l’exécutif.

Cette deuxième mission, le contrôle, est, en France, le parent pauvre du parlement. Les députés et sénateurs français n’ont pas l’habitude ni l’envie (ou tout simplement le courage politique) d’exercer cette mission. Ils sont guidés par une logique majoritaire qui prime sur la logique parlementaire. Les possibilités que la constitution ou le règlement du parlement offrent aux élus de la nation sont largement sous-employées. La mission d’information sur l’attentat de Karachi en est l’exemple flagrant.

Sur cette question qui met en jeu d’éventuels cas de corruption, avec comme éventuels protagonistes de hauts responsables de l’Etat des années 1990, et notamment un ancien Premier ministre et plusieurs ministres de la Défense… n’importe quel parlement d’un autre pays démocratique aurait tout mis en œuvre pour en savoir le maximum. La mission d’information n’est pas en cause en tant que telle mais le problème, c’est qu’elle n’a été qu’une mission d’information et pas une commission d’enquête. S’il y avait eu une commission d’enquête, les moyens d’investigation auraient été largement supérieurs et plus efficaces.

La majorité avait refusé la constitution d’une commission d’enquête pour une raison qui, de prime abord et du point de vue des grands principes, parait imparable. Il s’agit de respecter la séparation des pouvoirs. Le parlement ne peut pas enquêter parallèlement à la justice. La justice est saisie de cette affaire, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif seraient sur le même terrain s’il y avait une commission d’enquête… C’est l’application d’une ordonnance de 1958.

Une ordonnance qui date du temps où le pouvoir gaulliste se méfiait du contrôle parlementaire… mais les temps ont changé et cette règle était tombée en désuétude. Elle n’est plus mise en œuvre systématiquement. Par exemple, il y a eu des commissions d’enquête parlementaire sur l’affaire Outreau ou sur l’Erika alors qu’il y avait des actions judiciaires en cours. Le refus d’accepter une commission d’enquête sur l’attentat de Karachi est donc très politique.

Les parlementaires UMP ont agi en favorisant le fait qu’ils étaient de la majorité plutôt que de se considérer d’abord comme des parlementaires face à un pouvoir exécutif qui -à l’évidence- se protège à l’excès. C’est, en fait, l’application stricte de cette vieille ordonnance d’avant la démocratie adulte qui met à mal le principe même qu’elle entend défendre: la séparation des pouvoirs est plus atteinte par l’impossibilité faite au parlement de contrôler le gouvernement que de mettre le parlement et la justice sur une même affaire. Surtout que le parlement ne vise qu’à établir des responsabilités politiques et pas judiciaires (députés et juges n’ont pas le même objectif).

L’ironie de l’histoire c’est que le rapport Balladur, il y a deux ans, qui avait fait des propositions pour moderniser la constitution, prévoyait de supprimer cette vieille ordonnance qui empêche d’utiles commissions d’enquête de voir le jour. Cette mesure n’a pas été retenue dans la réforme qu’a voulue le président et qui a été votée à l’été 2008. Et c’est Edouard Balladur qui doit (finalement) être content, lui qui est au centre des suspicions qui font de l’affaire de l’attentat de Karachi une affaire pas résolue… donc une affaire d’Etat.

Thomas Legrand (Slate)

Voir aussi : Rubrique affaires Attentat de Karachi chronologie, Lien externe La Balladur connexion , Que sont devenus les sous-marins vendus au Pakistan?,