« Oncle Boonmee » une beauté irréelle

oncle-boonme-apichatpong

A découvrir cette semaine, le beau film du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul . Oncle Boonmee, a été couronné Palme d’or 2010. On sait que le choix du jury, présidé cette année par Tim Burton, a divisé la critique et dans certains cas déclenché de populistes polémiques. Mais le prestige de Cannes ne tient-il pas à cette faculté de faire briller les multiples facettes du septième art ? L’une d’elle est de savoir nous parler du monde.

C’est justement le cas avec Oncle Boonmee. Au-delà des qualités intrinsèques de ce film, qui nous coupe proprement du réel, cette distinction permettra de faire découvrir une des cinématographies les plus méconnues d’Asie. Et pas seulement sous l’angle bien ficelé d’un sujet d’actualité mais pour ce qu’elle est, pour la richesse des différences qui la composent. Apichatpong comme Ratanaruang, font du cinéma d’auteur. Ils appartiennent à la nouvelle génération des réalisateurs thaïlandais ayant étudié aux Etats-Unis qui ne se cantonnent pas à produire des films d’action. Cela dit sans a priori, on peut adorer Ong Bak et reconnaître la qualité d’un travail qui doit contourner la censure pour exprimer une certaine forme d’humanité.

L’histoire d’une mémoire

Dès les premières minutes de Oncle Boonmee, on pénètre dans un univers onirique où le conte, la dimension fantastique et la poésie se mêlent harmonieusement à la vie sociale. A l’érotisme aussi dans une scène captivante où une princesse fait l’amour avec un poisson chat. Autant le dire, le rythme, la trame narrative et émotionnelle, l’enchaînement des plans souvent fixes du film d’Apichatpong ouvrent les fenêtres d’un imaginaire aussi distant des représentations et des croyances occidentales que proche du culte de la réincarnation.

A l’aube de sa mort Oncle Boonmee, souffrant d’une insuffisance rénale, souhaite partir en paix. Il convie ses proches dans sa maison au nord de la Thaïlande. En pleine nature, au milieu de nulle part, la demeure est peuplée d’ouvriers agricoles clandestins laotiens et de fantômes. Lorsqu’à la nuit tombée la défunte femme d’oncle Boonmee et son fils, un homme singe qui s’est métamorphosé depuis quinze ans dans la forêt, se joignent à la table des vivants, tout se passe très paisiblement. Seul le domestique laotien semble un peu décontenancé par la situation, tirant, non sans humour, le spectateur de son ressenti subjectif.

Sur une trame non linéaire Apichatpong explore plusieurs modes opératoires et esthétiques interconnectés pour évoquer la mémoire personnelle d’un homme. Il effleure le vécu du traumatisme historique, à travers son personnage qui s’inquiète d’avoir tué trop de communistes, suggère en quelques images, les problèmes contemporains de la pression militaire, mais rien finalement ne vient troubler l’ordre des choses. Le voyage se poursuit jusqu’à la dernière partie qui semble nous ramener au réel. Le film passe comme une respiration d’entre-deux mondes loin de l’infernale machine urbaine dévoreuse d’espace de vie et de mort.

Jean-Marie Dinh

 

Le film est une libre adaptation du livre « Celui qui se souvient de ses vies antérieures. »

Voir aussi : Rubrique Cinéma Le bruit des glaçons, Rubrique Thaïlande, Une balle das la tête d général,

Jarmusch et Iggy couvent un tournage

jarmush

Jim Jarmush. Photo : Reuter.

L’iguane bientôt sur grand écran. Le cinéaste américain Jim Jarmusch, réalisateur de Stranger Than Paradise (1985), Mystery Train (1989), Ghost Dog (1999), et tout récemment de The Limits of Control (2009), envisagerait de tourner un film sur Iggy Pop, selon une information révélée par le site Pitchfork, qui l’a interviewé. Actuellement, le réalisateur se trouve à New York, où il prépare la prochaine édition du festival New Yorkais, All tomorrow’s parties, qui se déroulera du 3 au 5 septembre. Programmateur d’un jour, Jarmusch a recruté pour la journée de clôture du festival new-yorkais les groupes the Black Angels, Brian Jonestown Massacre… En outre, la présence de Sonic Youth et des Breeders est d’ores et déjà confirmée, tout comme celle dIggy Pop – accompagné des Stooges – et de Mudhoney qui reprendront respectivement Raw Power et Superfuzz Bigmuff dans leur intégralité. Sans oublier Fuck Buttons et Tortoise, entre autres…

Bourreau de travail, Jim Jarmusch travaillerait sur plusieurs projets. Comme la réalisation d’un opéra, qui «ne sera pas un opéra traditionnel» précise-t-il, sur l’inventeur Nikola Tesla, co-écrit avec le compositeur Phil Klein.Mais le projet qui lui tient le plus à coeur, selon Pitchfork, serait un film qui réunirait Tilda Swinton (Burn after Reading, The Limits of Control), Michael Fassbender (Inglorious Basterds, Hunger) et Mia Wasikowska (l’Alice de Burton). Jim Jarmusch, qui garde le scénario secret, avoue ne pas avoir encore trouvé de financement. Côté musique, l’Américain envisage de composer des musiques de films muets et de sortir un disque avec son groupe Sqürl. En parallèle, Jarmusch envisagerait de réaliser un documentaire sur le leader charismatique des Stooges, à la demande du chanteur lui-même. «C’est quelque chose qu’Iggy ma demandé de faire, explique Jim. Il faut savoir que chez moi, si Iggy donne un concert à moins de 100 kilomètres, toute la famille s’y rend! Ce projet va prendre quelques années mais nous ne sommes pas pressés…». Le film pourrait être tourné en plusieurs années sur le modèle de son Coffee and Cigarettes (2003), qui comptait déjà à son générique le chanteur des Stooges. Iggy Pop y apparaissait dans le célèbre sketch de dix minutes Somewhere in California. En attendant que le projet voit le jour, reste à patienter…

Voir aussi : Rubrique Cinéma The Limits of Control

Blier : cinéaste indemne de compromission majeure

bertrand-blier
Nouveau film : Bertrand Blier confirme son anticonformisme avec Le Bruit des glaçons. Tourné dans les Cévennes,  le film sort le 25 août prochain.

Après Les Côtelettes (2003) et Combien tu m’aimes (2005), Bertrand Blier nous revient avec Le bruit des glaçons. Le film tourné dans la région sortira prochainement sur les écrans. Rien que le titre suffit à faire raisonner l’âme poétique et froissée de Bertrand Blier. Ça sonne bien à l’oreille et cela s’inscrira certainement comme un film marquant le retour d’un artiste à part. Comme certains réalisateurs de sa génération, Blier tire ses qualités de ce qu’on peut lui reprocher. C’est-à-dire de faire des humains l’objet privilégié de son attention et de vouloir en faire des films d’acteurs sans se perdre dans la facilité et le superficiel.

Il n’y a pas de meurtre, dans Le bruit des glaçons, pas de rapport au fric, peu d’action, peu de morale et pas mal d’amour. Plus que jamais, Blier que l’on sait plutôt à gauche, semble avoir fait sienne cette entêtante pensée de Céline :  » L’amour c’est l’infini à la portée des caniches. « 

L’auteur réalisateur se serait décidé à sortir le scénario d’un tiroir où il dormait depuis des décennies. Il en résulte un petit décalage narratif avec notre époque. On est presque dans la lignée des Valseuses et de Buffet Froid. Ce qui ne représente pas la moitié d’un défi artistique dans le monde du XXIe siècle. Ce choix confirme une certaine résistance au schéma directif et conformiste protégé par le corporatisme d’une partie de la profession. Bref, à 71 piges Blier trouve une occasion nouvelle de s’affirmer comme un réalisateur indemne de compromission majeure. Il y a des hauts et des bas dans la carrière du réalisateur, mais il s’est toujours affranchi de la majeure partie des clichés et stéréotypes qui squattent au cœur du cinéma français larmoyant et bien-pensant.

Albert Dupontel dans le rôle intrusif du cancer

Le bruit des glaçons c’est l’histoire d’un auteur célèbre interprété par Jean Dujardin qui révèle une prestance insoupçonnée dans la peau d’un quinquagénaire alcoolique en rupture sociale. Exclu volontairement du monde après le départ de sa femme, l’homme dévissé n’écrit plus. On le voit traîner son existence dans sa grande maison cévenole avec son seau de glace sous le bras, la bouteille de blanc frais toujours à portée de main. Dans cet isolement total, sa servante (Anne Alvaro) observe tendrement sa déchéance lorsque le cancer sonne à la porte.

On plonge alors dans un ballet de relations croisées, ponctuées de dialogues plutôt savoureux. L’univers surréaliste de Blier bascule de l’onirisme au réalisme. Dans le rôle du cancer, l’intrusif Albert Dupontel et son sinistre alter ego féminin (Myriam Boyer) deviennent des acolytes rongeurs aux pensées acides. Le compositeur Pascal Dusapin met en musique une partition où se joue la liberté des personnages face à leur propre mort. Les rires de la salle sont caverneux à souhait, comme pour rappeler que les gens qui vont au ciné ne s’intéressent pas qu’aux choses futiles.

Jean-Marie Dinh

Economie du Cinéma

Les vacances d’été de Jean Dujardin

Jean Dujardin joue le rôle d’un écrivain reclus et alcoolique.

Jean Dujardin joue le rôle d’un écrivain reclus et alcoolique.

Lundi, l’acteur Jean Dujardin s’est rendu au Gaumont Multiplexe de Montpellier et aussi à Alès pour présenter Le bruit des glaçons. Le dernier film de Bertrand Blier sera sur les écrans le 25 août. L’acteur n’a pas dit grand chose, mais il a de l’humour et il est spontané. Actuellement il est en vacances dans le coin. Il s’est laissé pousser la moustache :  » une faute de goût  » prétend-il.

Dujardin joue le rôle d’un écrivain reclus et alcoolique en prise avec son cancer interprété par Albert Dupontel. Il explique en deux mots qu’il a apprécié de tourner avec Blier. Et salue les productrices pour leur courage :  » faire un film sur le cancer, c’est jamais gagné ! « 

A la fin de son l’intervention, un petit gars de huit ans se lève et vient lui demander quelque chose. Il reste quelques secondes debout en regardant la star fixement.  » On se connaît ? lui demande Dujardin. Puis soudainement,  » Mais oui, ça y est, tu es mon fils… » Le gamin recruté sur un casting local, tient dans le film, un rôle où il fait trois pas dans une allée.  » Je te reconnais, tu joues très bien… Quoi, qu’est ce que tu veux ? dit l’acteur en penchant vers lui une oreille discrète, puis, s’adressant à la salle, Un autographe ! pas question file dans ta chambre.  » A partir d’un certain degré de notoriété, un peu de savoir-faire suffit pour charmer une salle en cinq minutes. Du coup l’acteur a pu en séduire deux dans la même soirée.

On doit ces avant-premières au soutien de notre antenne régionale pour le cinéma. Les sept semaines de tournage du film ont eu lieu dans les Cévennes. Quand le logo du Conseil régional apparaît dans le générique, le rang des invités manifeste un hum de satisfaction, et même, une certaine fierté. Il y a aussi quelques plans tournés à Palavas. Bizarrement, dans le cadre final, on se retrouve sur le même lieu que dans un autre film tourné dans la région par Frédéric Schoendoerffer (le fils) qui s’appelait Scènes de crimes.

Voir aussi : Rubrique Cinéma Oncle Boonmee,

Dans les eaux troubles du cinéma de 26e zone

 

Roman. Série Z, le troisième roman décalé de l’auteur sétois J-M. Erre, nous entraîne dans un hospice d’acteurs très loin des enfants de chœur.

serie-z3On ne vous a pas parlé du dernier livre de J-M. Erre ? Parce que, à ce qui se dit : trois mois après sa sortie, Série Z faisait fureur dans les maisons de retraite. L’auteur n’est pourtant pas (encore ? ) académicien. C’est un prof de français à Sète qui doit certainement savoir parler aux jeunes.La trentaine pas finie, Félix vit aux crochets de sa charmante compagne Sophie. Une jeune fille censée et pleine d’entrain, dont la plus remarquable des qualités est de le supporter. Félix est un cinéphile dingue de Série Z. Avant d’aller plus avant, on notera que l’auteur est conscient des effets occasionnels perturbateurs que peut déclencher sa prose. Magnanime autant que pédagogue, il encadre ses lecteurs, en leur donnant d’entrée quelques clés de compréhension :  » Au cinéma, explique-t-il, on désigne sous le nom de « Série Z » une catégorie de films moqués pour leur budget insignifiant, leur médiocrité technique et leur pauvreté artistique. Il n’en reste pas moins que nombre de séries Z ont atteint le statut de film culte dans des cercles de cinéphiles initiés et/ou alcoolisés.« 

L’écrivain de cette folle ville portuaire a fait de l’hilarité sa marque de fabrique. On lui doit déjà Prenez soin du chien, qui mettait en scène les relations aigres-douces de proximité obligatoire. On apprend toujours plein de trucs dans les bouquins décalés de cet auteur. Genre, ce qui peut vous arriver quand votre voisin décide de consigner vos agissements dans son journal intime… J-M. Erre a écrit aussi Made in China, où il retrace la loufoque quête identitaire d’un petit Africain adopté dans un orphelinat chinois par des Provençaux accaparants ! Dans Série Z, le héros est un glandeur passionné. Ce qui, à noter au passage, est toujours mieux qu’un glandeur tout court.

Ce troisième roman aborde assez sérieusement la question de la vieillesse même si une fâcheuse envie vous pend parfois de vous taper les mains sur le ventre. C’est aussi un hommage exultant et quasi métaphysique au cinéma de Série Z.

L’ouvrage abonde de références triées sur le volet. Pour n’en citer que quelques-unes, on se limitera au célèbre hurlement de l’épicière éviscérée dans Le retour des tomates tueuses où les vociférations des touristes dans L’attaque des sangsues géantes. Bon, je vois bien que certains semblent un peu perdu là. Il est temps de rappeler le danger potentiel auquel les lecteurs non initiés et/ou non alcoolisés s’exposent. Que croyez-vous ? On ne passe pas impunément d’une vie tranquille à un enfer criminel post-apocalyptique !

Pour Félix, les choses sérieuses commencent avec son premier rancart décroché avec un producteur de viande en gros à Rungis. Si certains ricanes, Félix lui, sent qu’il tient la chance de sa vie. L’occasion inespérée de placer son scénario L’hospice de l’Angoisse. Mais dans l’univers burlesque de cette dangereuse maison de vieilles stars du Z, la fiction ne tarde pas à dépasser la réalité. On apprécie particulièrement la saveur des dialogues décatis et l’éruption de la vieillesse bornée et déchaînée par des ego surdimensionnés. Comme le cite un des personnages du livre  » Saine hilarité, bonne santé ! « 

 Jean-Marie Dinh

Série Z, éditions Buchet Chastel, 20 euros.

Festival de Radio France : Au carrefour du cinéma et de la littérature, le cas Herrmann

Herrmann : un certain goût pour la dissonance

Dans le cadre de ses soirées, le Festival de Radio France propose ce soir au Corum la version concert des Hauts de Hurlevent. Un opéra en quatre actes composé entre 1943 et 1951 par Bernard Herrmann. Si le patronyme de ce compositeur américain est assez méconnu (1911-1975) tout le monde connaît en revanche sa musique. Il est l’auteur d’une cinquantaine de musiques de films célèbres. Introduit à Hollywood par Orson Welles avec lequel il travaille sur Citizen Kane, il se lie avec Hitchcock avec qui il entreprend une collaboration longue et fructueuse.

psychoseCelle-ci débute en 1955 avec La main au collet et se poursuivra durant neuf films, dont L’homme qui en savait trop, Vertigo, et l’inoubliable partition de La Mort aux trousses (1959) où les images du maître du suspens viennent littéralement se baigner dans les nappes musicales du compositeur. Dans Psychose (1960), le couple Hitchcock /Herrmann tente un nouveau pari en réalisant un film où la moitié de la bobine ne comporte pas un seul dialogue, uniquement de la musique. La carrière cinématographique du compositeur s’émaille de collaborations prestigieuses avec François Truffaut, pour qui il compose la musique de Fahreinheit 51, et de La mariée était en noir. Et plus tard avec Brian de Palma Obsession, et Scorsese Taxi Driver.

Fils aîné d’une famille d’origine russe juive émigrée aux Etats-Unis, Bernard Herrmann reçoit dès son plus jeune âge une sérieuse éducation musicale. Il s’illustre très tôt pour son talent de compositeur qu’il forge notamment à travers l’étude minutieuse du Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes d’Hector Berlioz. Un compositeur dont on retrouve les fondements de l’harmonie teintée des dissonances qui caractérisent l’écriture de Herrmann.

Les Hauts de Hurlevent, est le seul opéra du compositeur. Achevé en 1951 d’après le roman de la poétesse britannique Emily Brontë. L’auteur réputé pour son âme farouche inscrit les personnages de son unique roman dans une grande maison secouée par les vents. Ceux-ci sont animés d’une perversité, d’une pauvreté d’esprit et d’une violence inouïes. Un des héros, Heathcliff va jusqu’à défaire le cercueil de sa Catherine aimée pour mieux l’enlacer, ce qui témoigne de la puissance de ses sentiments mais relève aussi d’une certaine morbidité. Une atmosphère qui avait tout pour inspirer Bernard Herrmann.

L’ouvrage ne fut monté à la scène que le 6 novembre 1982 (à Portland, Oregon). Après le prologue, l’opéra se déroule en flash-back. Il ne correspond qu’à la première partie du roman, se concentrant sur l’histoire d’amour romantique de Cathy et Heathcliff, mais la poignante conclusion de l’original est préservée. Les Hauts de Hurlevent est orchestré de façon dramatique, avec plusieurs thèmes musicaux provenant des musiques de films de l’auteur. De quoi se glacer le sang après la canicule !

Jean-Marie Dinh

Les Hauts de Hurlevent le 14 07 10 au Corum . Orchestre National de Montpellier, direction Alain Altinoglu, avec  Catherine Earnshaw (soprano) Boaz Daniel (baryton)