Frederic Jacques Temple : « Les poèmes sont des notes marginales, comme des balises qui marquent la vie et le temps »

 

Frederic Jacques Temple, poète occitan évoque les lignes de force de son parcours et l’attachement indéfectible à ses racines culturelles.

Depuis son enfance montpelliéraine, Frédéric Jacques Temple a traversé le XXe siècle. Il est parti cueillir des éclats d’imaginaire à travers le monde pour les ramener près de son arbre. Il réside dans un petit village du Gard où il poursuit sobrement son œuvre de poète, avec un ton juste où l’émotion passe à fleur de mot.. Le personnage atypique et déterminé vient de léguer à la médiathèque centrale de l’agglomération de Montpellier un fonds où s’inscrivent les traces de son parcours. A 90 ans l’écrivain occitan revient sur quelques images de sa vie.

Avez-vous le souvenir d’une enfance heureuse ?

Entre la mer et le Larzac, mes parents sont de souche aveyronnaise, mon enfance ne fut pas tout à fait heureuse. Pour des raisons familiales, j’ai été placé en pensionnat très tôt, dès l’âge de sept ans. J’ai ainsi appris à vivre seul, même si l’enseignement particulier que j’ai reçu m’a permis de m’ouvrir au chant, à la musique et à l’histoire de l’art..

Etait-ce un établissement religieux ?

Oui, mais l’enclos Saint François de Montpellier jouissait d’une réputation particulière. Nous étions le grand rival de l’école Jésuite à laquelle nous nous opposions lors de mémorables matchs de football. Le père Prévost, qui avait fondé cet orphelinat en investissant une partie de sa fortune y accueillait aussi les élèves de bonne famille. Cette institution pratiquait une pédagogie très ouverte sur l’art. Jean Bioulès, le père de François et de Jacques est aussi passé par St François. Je me souviens d’un jour, où l’évêque était en visite, le père Prévost lui a dit : « Ici les âmes vous appartiennent, mais le reste me concerne. »

A quel moment étiez-vous en contact avec la nature qui vous est si chère ?

Pendant les vacances, à l’époque nous avions trois mois. Je m’en donnais à cœur joie sur le Larzac avec mon oncle archéologue. On partait pour fouiller les dolmens et piéger les lapins. Sur la côte, il y avait la mer sauvage. On pêchait les poissons à trois mètres de la plage, du côté de la Grande-Motte qui est devenu plus tard la mer de béton. Près des étangs, j’ai passé des nuits à essayer de surprendre les canards. Je vivais des moments fantastiques tels qu’on peut les trouver dans les romans de Mark Twain ou de Jack London. Les livres ont nourri mon goût pour les grands espaces. Mon grand désir, c’était de voir si mes lectures ne m’avaient pas menti.

Sans quitter la Méditerranée vous passez sur l’autre rive en 1942 pour suivre votre père nommé préfet d’Alger…

Ma mère avait prévu que nous irions le rejoindre plus tard, mais mon père savait que le débarquement était en cours. Il a insisté pour que nous partions ensemble. Dès mon arrivée à Alger, je suis allé rencontrer Max-Pol Fouchet qui dirigeait la revue poétique Fontaine. Il m’a présenté Edmond Charlot (1), Marcel Sauvage, Emmanuel Roblès…

C’est l’époque où Alger est l’épicentre de la résistance intellectuelle française, quelle était la teneur des débats, la question de l’indépendance en faisait-elle partie ?

Après le débarquement, de nombreux artistes et écrivains arrivent à Alger. Charlot qui avait publié les premiers textes de Camus dans sa collection Méditerranéennes, devient l’éditeur de la France libre. Il reçoit clandestinement le manuscrit de Vercors, Le silence de la mer. Moi, je me trouvais dans le bain de ces jeunes écrivains. Je m’imprégnais de tout cela. Je fréquentais la casbah et les cafés maures. Cela n’a duré que quelques mois car j’ai été mobilisé dès le débarquement. J’ai choisi de partir avec un régiment composé de 90% d’indigènes. Je raconte cet épisode et l’histoire des hommes de l’armée d’Afrique dans mon roman La route de San Romano (2). Ben Bella a été décoré de la Médaille Militaire pour avoir combattu avec les troupes françaises sur le front italien. Puis tout cela a dégénéré. Les hommes politiques ont pris le mauvais chemin. On aurait pu régler ces affaires sans tirer un coup de fusil. C’était très possible.

Quelle place accordez-vous à la conscience politique dans votre œuvre ?

C’est à ceux qui lisent mes livres d’en tirer les conclusions. Ce qui m’intéresse, ce sont les hommes, les idées, ce ne sont pas les doctrines. A mon sens le seul homme politique digne de ce nom, c’est Pierre Mendés France.

Etes-vous croyant ?

J’ai reçu une éducation religieuse. Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’admiration pour le Christ… beaucoup moins pour Dieu le père. Ma foi, si je peux employer ce gros mot, se compose davantage d’espérance que de certitude…

Pour revenir à votre œuvre, et aux différentes formes d’expressions qui la constituent, comment s’opère la distribution entre poèmes, romans, récits, essais …

Je ne suis pas du tout un romancier. Je suis incapable d’inventer des dialogues, de créer et de faire évoluer des personnages. J’écris à partir d’expériences biographiques revues par l’écriture. C’est une forme d’autofiction. Les poèmes sont des notes marginales, comme des balises qui marquent la vie et le temps. Je n’érige pas de frontières imperméables entre la prose et la poésie. La littérature qui m’intéresse, c’est le résultat de la vie. On ne peut pas faire du pain si on n’a pas semé le grain.

En vous rendant outre-Atlantique, avez-vous confirmé votre goût pour la littérature et les grands espaces américains

J’ai suivi le conseil de mes lectures. Je ne suis pas allé voir les usines de General Motors. Je suis allé vers la grande prairie, vers les Indiens. A Santa Fé, je me suis fait adopter par une famille indienne. L’Occitan que je suis a retrouvé les mêmes problématiques de colonisation que dans le Sud. A tel point que j’ai failli rester là-bas. Mais mes amis indiens m’ont dit : « Tu es ici chez toi, mais il faut que tu ailles vivre parmi tes morts, même si ton pays est une réserve ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Littérature française, Poésie, rubrique Rencontre, Vincent Bioulès, rubrique Culture d’Oc, Temple les forces élémentaires d’un homme du sud,

Camus Nobel Pinter : Deux auteurs face à leur œuvre

Théâtre. Camus Nobel Pinter par Stéphane Laudier au Théâtre des 13 Vents.

Stéphane Laudier présente actuellement Camus Pinter au Théâtre des 13 Vents.  La pièce parle de la création en s’appuyant sur les discours prononcés par Albert Camus et Harold Pinter lorsque ceux ci reçurent le prix Nobel de littérature, en 1957 pour le premier et 2005 pour l’autre. Le pari s’avère à la fois modeste et ambitieux. Il touche l’abîme des écrivains. En saisissant un moment particulier où l’auteur parle publiquement de son travail. Un instant précis où  la reconnaissance internationale s’accompagne de responsabilités et d’interrogations.

Le discours de Pinter est recontextualisé. L’auteur, interprété par Dag Jeanneret, s’était exprimé depuis son lit d’hôpital. Dans la pièce, il expose sa réflexion sur la vérité depuis l’intimité de sa loge. Passant de part et d’autre du miroir de Narcisse, Pinter explique comment l’auteur  joue avec les facettes insaisissables de la vérité. Il rappelle que son exigence est tout autre en tant que citoyen avant de dénoncer les mensonges permanents générés par la politique étrangère américaines.

Une élégante transition donne la parole à Camus, interprété par Fanny Rudelle. En pleine exposition, statique comme le son les stars dans ce genre de situation, la comédienne fait preuve d’un remarquable pouvoir de captation pour traduire l’humanisme sensible d’un homme révolté. Camus convoque la fonction universelle de l’auteur qui doit rester ouvert au monde et être à l’écoute des hommes sans voix.

Le choix de ces deux écrivains correspond à des affinités électives. Malgré le demi-siècle qui les sépare, Stéphane Laudier tisse de solides correspondances. En moins  d’une heure, tous l’univers de la littérature entre dans un théâtre, presque de poche. Il n’est pas question d’habileté stylistique  ou de la stratégie si chère aux auteurs de supermarché mais de démarches littéraires engagées dans la réalité qui brisent les barrières de l’espace et du temps.

Jean-Marie Dinh

Au Théâtre des 13 Vents jusqu’au 16 décembre. Rens : 04 67 99 25 00

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Littérature Littérature  française, rubrique Littérature anglo-saxone,

Entretien avec Véronique Ovaldé : L’élan du coeur

Dans Des Vie d’oiseaux, Véronique Ovaldé repousse les limites de l’imagination à travers le destin de quatre personnages en prise directe avec une réalité en crise. L’écrivain évoque la force de l’amour qui pousse à éprouver sa propre liberté. Entretien autour de ce roman ardent et subtil.

Être à l’affût de l’ordinaire nous permet d’en sortir, pourrait-on se dire en suivant les personnages du dernier roman de Véronique Ovaldé. Dans un pays imaginaire d’Amérique latine, Vida Izzara part à la recherche de Paloma qui a déserté l’étouffant et confortable nid familial, en compagnie du jeune jardinier Adolpho. Cherchant à s’expliquer le comportement de sa fille, la mère croit déceler chez Paloma une volonté d’échapper au quotidien banal et réducteur offert par la bonne société de Villanueva. L’enquête qu’elle entreprend au côté du rassurant lieutenant Taïbo, éclaire le comportement de sa fille, et pousse Vida à poursuivre sur une voie plus incertaine dont elle n’osait jusqu’ici soupçonner l’existence. Véronique Ovaldé tient ces quatre personnages dans une main, avec l’autre, elle jette les dés de leur destin sur le tapis des inconsolables amoureux de la vie.

 

Par quelle porte s’est ouvert le récit ?

J’ai commencé par écrire l’histoire de la chasse au bison. C’est un passage qui se passe entre Adolpho et son père. En plein hiver, le père réveille son fils le jour de ses quatorze ans. Sous le prétexte d’en faire un homme, il va l’entraîner dans une expérience terrifiante.

Dans le livre, Paloma et sa mère Vida sont toutes deux portées par une force émancipatrice qui les pousse sur le chemin de leur liberté, mais, à mon sens, cette quête ne se résume pas aux personnages féminins.

Je crois bien que les liens profonds et douloureux qui se révèlent entre le père et son fils dans la scène du bison ont imprégné le récit et se sont déployés à travers les quatre principaux personnages. Chacun d’entre eux est entravé par lui-même et doit s’affranchir de ses propres chaînes.

Vous jouez sur la dualité des atmosphères entre légèreté et intensité onirique, entre Villanueva, le quartier ennuyeux des gens biens, et l’Iligoy où ils vivent comme des chiens…

Les disparités géographiques correspondent souvent à des disparités sociales. Dans le livre, des scènes violentes entrecroisent des scènes d’amour pleines de douceur. Mes textes sont en prise avec cela, c’est-à-dire quand il y a matière au mélange entre le tragique et le burlesque.

J’aime me plonger dans un contexte pour observer les gens dans leur tiraillement. Parfois le fil se casse. Ce moment m’intéresse.

On a l’impression que vous puisez dans votre trésor intime de souvenirs et d’images. Est-ce une façon d’être qui vous habite en permanence ou correspond-elle à des moments précis dans votre travail ?

Je crois qu’en tant qu’auteur on vit en regardant en même temps ce que l’on est en train de vivre.

On traficote avec le langage pour mettre des mots sur ce qui se passe. Nous sommes des êtres de langage. Quand j’étais enfant, je me regardais et j’entendais la petite voix en moi. Aujourd’hui j’habite toujours mon langage, c’est quasiment un état permanent.

Vous flirtez avec le roman noir en empruntant quelques ingrédients au genre…

On le décèle surtout dans le démarrage. Je crois que ce rapport au noir tient davantage à mon propre système de déchiffrement qu’aux modalités spécifiques du genre. Chacun de mes livres me conduit à cerner les personnages, à suivre les traces pour aller vers l’énergie des êtres.

Finalement pour moi un livre est une forme d’enquête. J’opère en faisant des liens. Je me crée mon propre petit suspens qui me pousse à chercher ce qui se cache derrière les apparences.

A quoi tient ce découpage original du roman en trois parties ?

J’ai écrit une première version du livre dans laquelle chacun des personnages racontait l’histoire à partir de son point de vue. Ce type de structure demande beaucoup de subtilité. Pour ne pas que cela soit trop artificiel, je suis entrée dans leur peau.

J’ai pris leur langue. Je me suis appliquée à ce que chacun ait ses propres tics de langage. Quand j’ai relu, je me suis dit que mes personnages s’étaient trop isolés. En procédant de la sorte, j’avais perdu ma voix. Finalement j’ai tout repris pour retrouver la part de moi-même qui s’était égarée.

Du coup, j’ai redistribué la place des personnages dans le récit. J’ai supprimé beaucoup de choses. J’opérais les coupes avec une certaine jubilation.  J’en connais beaucoup plus sur mes personnages que ce que je restitue. Cette connaissance créé leur richesse et leur mystère, et donne un espace aux lecteurs, qui devinent tout cela.

Des vie d’oiseaux c’est aussi une histoire de transmission entre une mère et sa fille et réciproquement…

Je voulais aborder la façon dont on se perd de vue. Comment passe-t-on de l’amour exclusif d’une mère pour son enfant, une forme d’amour fou, à la nécessité que cela disparaisse.

Comment vivre cela ? Dans le livre Vida et Paloma n’arrivent plus à se parler. Elles sont prises dans un mille-f euilles de malentendus jusqu’à ce que l’une porte l’affranchissement de l’autre. Mais qui est le vrai déclencheur ?

La relation d’amour passe par la liberté…

Sans se l’avouer, Vida donne à sa fille la possibilité de sa liberté. On ne peut attendre de l’amour qu’il offre les garanties de son toaster. En partant à la recherche de sa fille, Madame Izarra qui remplissait jusqu’ici ses fonctions d’esclave conjugale, devient Vida. Elle quitte sa prison dorée pour répondre à ses aspirations profondes. Elle comprend où elle est et d’où elle vient ce qui lui permet de construire une vraie relation d’amour.

recueillis par Jean-Marie Dinh (César)

Voir aussi : Rubrique LivreLittérature française, rubrique Rencontre, Eric Pessan,

Des Vie D’oiseaux, Editions de l’Olivier 2011

Les Morues : roman d’une génération

Titiou Lecoq

Le regard sans fard de Titiou Lecoq  fait mouche.

Le premier roman de Titiou Lecoq commence dans un lieu de culte et pourrait bien finir par en devenir un, livre culte.  Plusieurs arguments étayent cette hypothèse. Née en 1980 Titiou fait partie de la même génération que ses héroïnes. Il y a une réelle proximité entre l’auteur et ses personnages. On touche à une prose spontanée, un peu comme entre Jack, (Kérouac) et les beatniks. Sortie en août au Diable Vauvert, Les Morues a rencontré un très  bon accueil des lecteurs et poursuit son bout de chemin. Le livre en est à sa troisième réédition.

Confronté aux changements rapides de leur époque, Ema, Alice et Gabrielle éprouvent de profondes difficultés à trouver leur place, ce qui les amène à rejeter les valeurs traditionnelles pour mordre à pleines dents dans le monde nouveau. Elles se retrouvent mensuellement dans un bar parisien pour les soirées Morues. Lors de ces rendez-vous, il est question trouver un minimum de cohérence à l’héritage du féminisme. On s’intéresse au plaisir féminin en intégrant les problématiques masculines à l’image de Fred un génie introverti qui soigne sa déprime en trinquant avec ses copines à grands bols de Nesquik ou de Blester qui rêve d’une relation suivie au grand dam d’Ema.

Bref, les Morues examinent les possibilités de relations humaines dignes de ce nom dans la société actuelle. Elles planchent par exemple pour savoir faire respecter leur indépendance par les mecs en tant que femmes modernes mais aussi en tant que chiennes, si le besoin s’en faisait sentir.

Se prendre en main

Le bon fonctionnement de l’équipe tient à une ligne de conduite simple en théorie : traquer chez les femmes les réflexes sexistes dont on accuse généralement les hommes. Ce qui suppose de dépasser quelques tabous. Avec un heureux sens de l’organisation, les Morues ont établi leur charte de fonctionnement qui dispose d’une entrée masturbation où les trois copines ratifient de manière tout à fait démocratique les phrases proscrites, genre : « Je me masturbe que quand je suis seule depuis longtemps » ou « Cà m’arrive de me caresser mais que sous la douche » ou encore « Oui, j’ai un gode, il est griffé Sonia Rykiel  » !

A l’instar de ses personnages, Titiou Lecoq, pourrait être la première fille à se faire jeter d’une église pour n’avoir pu contenir un fou rire lors de l’enterrement de sa meilleure amie, même si cet événement inexpliqué la ravage en profondeur.

Titiou joue sur la crête de l’équilibre psychique tout en échafaudant une structure précise qui nous maintient en haleine d’un bout à l’autre du roman. La critique du monde est existentielle, mais aussi politique. Le champ lexical peu orthodoxe flirte avec l’ironie du ton, ça décoiffe sans jamais tomber dans la vulgarité.

Les histoires de filles ne manquent pas de réalisme nous rappelle l’auteure en posant dans le fond du décor une réflexion transversale sur la société, l’asservissement du système médiatique et les dessous de la privatisation du système public. Sans s’en extraire Titiou Lecoq, attire notre attention sur  le caractère absurde ou factice du consumérisme moderne.

Jean-Marie Dinh

Les Morues, éditions Au Diable Vauvert, 22 euros

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Littérature Littérature française,

Le premier roman de Titiou Lecoq commence dans un lieu de culte et pourrait bien finir par en devenir un, livre culte. Plusieurs arguments étayent cette hypothèse. Née en 1980 Titiou fait partie de la même génération que ses héroïnes. Il y a une réelle proximité entre l’auteur et ses personnages. On touche à une prose spontanée, un peu comme entre Jack, (Kérouac) et les beatniks. Sortie en août au Diable Vauvert, Les Morues a rencontré un très bon accueil des lecteurs et poursuit son bout de chemin. Le livre en est à sa troisième réédition.

Confronté aux changements rapides de leur époque, Ema, Alice et Gabrielle éprouvent de profondes difficultés à trouver leur place, ce qui les amène à rejeter les valeurs traditionnelles pour mordre à pleines dents dans le monde nouveau. Elles se retrouvent mensuellement dans un bar parisien pour les soirées Morues. Lors de ces rendez-vous, il est question trouver un minimum de cohérence à l’héritage du féminisme. On s’intéresse au plaisir féminin en intégrant les problématiques masculines à l’image de Fred un génie introverti qui soigne sa déprime en trinquant avec ses copines à grands bols de Nesquik ou de Blester qui rêve d’une relation suivie au grand dam d’Ema.

Bref, les Morues examinent les possibilités de relations humaines dignes de ce nom dans la société actuelle. Elles planchent par exemple pour savoir faire respecter leur indépendance par les mecs en tant que femmes modernes mais aussi en tant que chiennes, si le besoin s’en faisait sentir.

Se prendre en main

Le bon fonctionnement de l’équipe tient à une ligne de conduite simple en théorie : traquer chez les femmes les réflexes sexistes dont on accuse généralement les hommes. Ce qui suppose de dépasser quelques tabous. Avec un heureux sens de l’organisation, les Morues ont établi leur charte de fonctionnement qui dispose d’une entrée masturbation où les trois copines ratifient de manière tout à fait démocratique les phrases proscrites, genre : « Je me masturbe que quand je suis seule depuis longtemps » ou « Cà m’arrive de me caresser mais que sous la douche » ou encore « Oui, j’ai un gode, il est griffé Sonia Rykiel  » !

A l’instar de ses personnages, Titiou Lecoq, pourrait être la première fille à se faire jeter d’une église pour n’avoir pu contenir un fou rire lors de l’enterrement de sa meilleure amie, même si cet événement inexpliqué la ravage en profondeur.

Titiou joue sur la crête de l’équilibre psychique tout en échafaudant une structure précise qui nous maintient en haleine d’un bout à l’autre du roman. La critique du monde est existentielle, mais aussi politique. Le champ lexical peu orthodoxe flirte avec l’ironie du ton, ça décoiffe sans jamais tomber dans la vulgarité.

Les histoires de filles ne manquent pas de réalisme nous rappelle l’auteure en posant dans le fond du décor une réflexion transversale sur la société, l’asservissement du système médiatique et les dessous de la privatisation du système public. Sans s’en extraire Titiou Lecoq, attire notre attention sur le caractère absurde ou factice du consumérisme moderne.

Jean-Marie Dinh

Les Morues, éditions Au Diable Vauvert, 22 euros

Frédéric Jacques Temple ou les forces élémentaires d’un homme du sud

F-J Temple : La gourmandise du naturel

Médiathèque Emile Zola. L’exposition consacrée à Frédéric Jacques Temple invite au parcours d’une expérience humaine jusqu’au 15 janvier.

La médiathèque Emile Zola, rend hommage à Frédéric Jacques Temple jusqu’au 15 janvier à travers une exposition permettant de découvrir une partie du fond légué par le poète à sa ville natale. Celui-ci vient enrichir les collections patrimoniales de la médiathèque centrale de Montpellier. Livres dédicacés, correspondances, photographies, tapuscrits, objets,  sont autant de traces d’une vie en contact permanent avec l’écriture. « L’écrit n’est qu’une des nombreuses formes du vivre » confie avec simplicité l’auteur montpelliérain.

L’exposition présente plus de 200 pièces et documents sur un total de plus de 5 800 documents que compte la donation.

Né en 1921 à Montpellier, Frédéric Jacques Temple vit aujourd’hui dans un village du Gard. Il entretient très tôt une passion pour la littérature américaine : Melleville, Whiteman, Dos Passos, Faulkner, Hemingway… Il traduit notamment Lawrence Durell, Haniel Long, et Henri Miller avec qui il entretient une solide amitié.

Une vie d’engagements

A Alger où il suit son père nommé préfet en 1942, il rencontre l’éditeur de Camus Edmond Charlot qui publiera son premier recueil de poèmes. En 1943-1944, Frédéric Jacques Temple participe aux combats contre l’Afrikakorps en Tunisie, à la campagne d’Italie, et au débarquement de Provence. Cette expérience le pousse à écrire. Le recueil « poèmes de guerre » (1996) réunit ses textes inspirés de cette expérience.

De retour à Montpellier en 1948, l’écrivain entreprend une carrière dans la Radiodiffusion-télévision française. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Joseph Delteil et Blaise Cendrars.

Pour Temple, la vie compte davantage que la fréquentation des salons littéraires. Ses premiers recueils de poèmes ne sont réunis qu’en 1989 par Actes Sud dans une anthologie personnelle plusieurs fois rééditée, qui a obtenu le prix Valery Larbaud. Il a également publié cinq récits chez le même éditeur ainsi que des traductions et des essais. A l’instar de celle de son compagnon Max Rouquette, l’œuvre de Frédéric Jacques Temples se conjugue avec la nature méditerranéenne et une certaine nostalgie d’un paradis perdu.

En complément de l’exposition, une série de manifestations permettent d’approfondir  l’œuvre de cet artiste en prise constante avec son époque. L’attraction qu’exerce la folie du monde nourrit le poète montpelliérain. Elle exhume ses forces élémentaires, le pousse à explorer sans jamais rompre avec les amarres de ses origines.

La carte blanche cinématographique  offerte à l’auteur dans le cadre du Cinemed comme le colloque, ponctué d’un hommage musical organisé par l’université Paul Valéry, ont permis d’approcher l’univers de Frédéric Jacques Temple. La soirée Parcours d’écrits ouvrira prochainement une autre voie d’accès. Le comédien Julien Guill, le musicien Michel Bismut et le sound designer Armand Bertrand ont choisi avec l’auteur des extraits de son œuvre qui donneront lieu à une performance* forte et sensible.

Jean-Mari Dinh

* Le 14 décembre prochain à 19h à la Médiathèque Emile Zola.

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature Française, rubrique Poésie, rubrique Culture d’Oc,